Read Ebook: Propos de peintre première série: de David à Degas Ingres David Manet Degas Renoir Cézanne Whistler Fantin-Latour Ricard Conder Beardsley etc. Préface par Marcel Proust by Blanche Jacques Mile Proust Marcel Author Of Introduction Etc
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On peut le suivre depuis son adolescence jusqu'? sa mort, faisant les m?mes gestes, aux m?mes heures, en deux arrondissements de Paris. Mieux que personne au courant de la litt?rature et de l'art de France et d'ailleurs, sa pens?e voyageait, mais son corps semblait amarr? aux rives de la Seine, entre le pont des Saints-P?res et l'Institut pour lequel il avait un secret penchant, mais o? il ne se d?cida pourtant jamais ? briguer un si?ge, par fiert?, et peur du ridicule.
Dans l'atelier, une journ?e de travail; des repas frugaux, de bonnes lectures, le soir venu, sous la lampe; des cartons remplis de reproductions de tableaux c?l?bres--Fantin en d?calquait pour se <
Fantin, lourd de corps, avait horreur de l'exercice, du mouvement, de tout ce qui est l'action. La guerre de 70 lui avait laiss? un souvenir d'effroi et il se f?t jet? parmi l'encombrement de la chauss?e, plut?t que de coudoyer un militaire sur le trottoir. Violent ? l'exc?s, chez lui, il e?t fait un long d?tour afin d'?viter, dans la rue, une personne hostile. Aux vernissages de l'ancien Salon, emport? par sa passion--pour ou contre ses confr?res--il se faufilait par les galeries, sous la protection d'une petite phalange de fid?les, qui recueillaient ses terribles verdicts. De son pardessus tr?s boutonn?, de son ?pais foulard sortaient des jugements inexorables. Il voyait tout, il n'est pas un nouveau venu qu'il n'ait d?couvert, surtout parmi les ?trangers. Il ?tait pour ceux-ci d'une indulgence incompr?hensible: s'il s'agissait d'un <
Le <
Il refusait de faire partie du jury, mais approuvait les m?dailles et les d?corations.
Par ?gard pour la hi?rarchie, il d?fendait les acad?miciens, et redoutait ses amis les impressionnistes comme des ennemis de l'ordre; toujours irrit?e et pleine de contradictions, sa critique ?tait intransigeante et <
Le jour du vernissage venu, c'?tait une partie familiale et un acte rituel, que de d?passer le pont Solf?rino, puis de s'engager dans les Champs-?lys?es et de d?jeuner ? midi sous l'horloge du Palais de l'Industrie, ? <
Un jour de lumi?re et de f?te dans toute une ann?e de claustration voulue! Apr?s le repas, on remontait dans les salles de peinture, puis on redescendait au jardin, si frais, o? les ?l?gantes exhibaient les modes du printemps parmi les marbres, les pl?tres, les rhododendrons et les plantes vertes.
A six heures du soir, la foule, chass?e par les gardiens, s'?coulait au cri de <
Malgr? mon admiration pour Fantin-Latour, j'?tais surtout attir? par ?douard Manet; Edmond Ma?tre m'avait fait conna?tre Renoir, Monet, C?zanne, Degas, et j'?tais surpris que, dans ses entretiens, Fantin, l'ami et le contemporain de ces grands artistes, e?t toujours des r?ticences, et d?coch?t des mots ironiques et s?v?res pour eux; Manet, seul, ?tait ? l'abri des sarcasmes de Fantin. Manet demeurait le grand peintre, et le gamin amusant auquel on pardonne des frasques; Manet faisait rire Fantin.
D'autre part, Fantin parlait souvent d'un Lembach, d'un Leibl, d'un Menzel, voire d'un Max Liebermann, parmi les ?trangers; de Henner, d'Harpignies, de Gustave Moreau, de Ribot, de tant d'autres exposants du Salon des Champs-?lys?es; et il me semblait qu'il les m?t tous au m?me rang.
A cette ?poque-l?, les peintres avaient un amour de leur m?tier, qui ne les emp?chait pas de regarder, de s'int?resser et de rendre justice ? tout confr?re auquel ils reconnaissaient une valeur. Degas, Manet, visitaient aussi le Salon annuel avec soin, tout convergeait vers le Salon; seuls s'en ?cartaient ceux qui, comme les impressionnistes, essay?rent, ?tant d?j? connus, d'y faire recevoir un tableau. Manet n'y renon?a jamais; sa plus grande joie e?t ?t? d'obtenir la m?daille d'honneur. Aussi, les membres du jury dont on se moquait entre soi, avaient-ils malgr? tout un prestige national.
Les s?ances de ce jury pour la pr?paration des <
Je rappelais, au commencement de cette ?tude, le d?sarroi d'avant 1914, la rapidit? avec laquelle se succ?daient les th?ories d'art. On en ?tait ? ce point o? l'imitation de la nature ?tait tenue pour <
Sa retraite farouche dans le vieil atelier dont il faisait lui-m?me <
Fantin Latour m'appara?t comme un saint ermite dans sa cabane, mac?rant sa chair toujours tent?e, s'imposant des privations; sa vertu ne rass?r?nait pas son ?me.
Si la plupart des artistes de premier rang se d?veloppent et ?largissent leur vision ? la mesure de leur exp?rience d'homme, d'autres s'?puisent ou se dess?chent. Fantin portait en soi une faiblesse; pour la pallier, une vie plus ext?rieure e?t ?t? n?cessaire, avec moins de petites manies bourgeoises. Sa peur des ?tres vivants, sa <
D?s ses d?buts, il se claquemure; ses deux soeurs sont presque les seules femmes qu'il ne craigne pas de faire poser. Elles sont d'aspect aust?re, d'un maintien chaste et prude, particulier ? leur classe. Une certaine suavit? se d?gage de toute leur personne. Elles ?taient loin de la soci?t? ?l?gante et frivole que portraituraient les favoris du jour.
O? sont les berthes, les canezous, les guimpes et les rotondes, ou ces cols rabattus des femmes de Fantin-Latour? Il assiste ? la d?gradation progressive d'une beaut? qui lui est ch?re, les mod?les lui font d?faut, ou du moins il se l'imagine: de l? une retraite anticip?e du portraitiste. Il pr?texte d'une g?ne devant les inconnues, pour refuser les commandes. Tr?s nerveux, facilement agac? par les conversations, maniaque comme une vieille fille, la pr?sence d'autrui le paralyse. Toute personne ?trang?re ? son petit cercle trouble l'atmosph?re dans laquelle il avait con?u et r?alis? ses meilleurs morceaux. Mari?, il ne fit plus poser que sa femme et les membres de la famille de celle-ci, les Dubourg, ou bien quelques artistes, ses amis. A part ceux-ci, je ne citerai que Mme L?on Ma?tre, Mme Gravier et Mme Lerolle, et ce furent l? des effigies assez froides et compass?es.
Fantin craignait trop peu la monotonie!
Il est deux exemples cependant de ce qu'il pouvait faire, quand le hasard collaborait avec lui. Quelques Anglais qui s'adress?rent ? ce portraitiste peu sociable, avaient sans doute devin? que l'auteur des <
Je ne sais dans quelle occasion--sans doute par l'entremise d'Otto Scholderer, ?tabli en Angleterre,--l'avocat peintre-graveur Edwin Edwards et sa femme, avaient ?t? pr?sent?s ? Fantin, qui alla m?me ? Londres et demeura chez eux: ce que dut ?tre ce d?placement! Prendre le bateau, traverser la Manche! Cependant il y retourna en 1884 et je l'y rencontrai. Le premier voyage <
Mr. Edwin Edwards occupait les loisirs de sa retraite ? graver de s?ches mais curieuses vues de la Tamise, et il poss?dait une villa ? la campagne, o? Fantin fut invit?. Je ne sais si c'est l? que fut ex?cut? le double portrait, si ce fut dans la d?licieuse lumi?re opaline de Golden Square, ce coin vieillot que hante l'ombre de Dickens, ou dans l'atelier de la rue des Beaux-Arts. C'?tait un fort beau couple, ces Edwards. Ruth Edwards, les bras crois?s, avec son visage s?mite et anglais, aux bandeaux de cheveux grisonnants, est debout, v?tue d'une robe en gros tissu d'un ind?finissable gris bleu, dans le style de Rossetti et des pr?raphal?ites. A c?t? d'elle, assis, et regardant une estampe, Mr. Edwards, avec sa barbe de fleuve, ses cheveux blancs de p?re No?l. Cette toile, exceptionnellement savoureuse et forte, appartient d?j? ? la National Gallery. Mrs. Edwards avait promis de l'offrir ? la <
Une autre fois, Mrs. Edwards, qui avait pris l'autorit? d'un marchand et d'un impresario, lui fit entreprendre le portrait d'une jeune fille, miss B... Apr?s beaucoup de r?sistance, Fantin consentit ? recevoir chez lui cette ?trang?re, dont la vivacit? et les libres allures boulevers?rent le n? 8 de la rue des Beaux-Arts. Rev?tue d'une longue blouse de travail jaune, d'une cotonnade de William Morris, ? menus dessins ton sur ton, Fantin l'assit de profil, devant l'in?vitable fond gris. Elle regarde des crocus jaunes dans un verre et elle s'appr?te ? les copier ? l'aquarelle. Et ce fut l? encore une grande r?ussite, quoique le ma?tre se f?t mis ? la t?che, furieux et contraint. De quelle pr?cieuse galerie il nous priva, en se r?pandant si peu au dehors!
Rappelons encore ce beau tableau un peu froid mais si intense: Mlle Kallimaki Catargi et Mlle Riesner ?tudiant la t?te en pl?tre d'un des esclaves de Michel-Ange, et un rhododendron aux sombres feuilles. Nous sommes reconnaissants ? ceux qui appr?t?rent pour Fantin un motif un peu piquant; que ne furent-ils plus nombreux, ces <
Ce bourgeois, casanier avec ent?tement, se plaignait de toutes les choses de chez nous: elles choquaient son esprit. Ses sympathies de vieux romantique pour l'Allemagne s'accrurent dans une famille fran?aise, mais germanique de tendances et d'?ducation, o? deux femmes cultivaient par des lectures, de la musique et des discussions, les penchants de Fantin. Ce n'?tait plus l'int?rieur du p?re et des soeurs--des <
Les pommes, les p?ches qui rappelaient, dans ses premi?res toiles, les natures mortes de Chardin, devinrent des fruits en cire, d'une ex?cution dure et m?canique. Mrs. Edwin Edwards en achetait par douzaines, qu'elle lan?a plus tard sur le march? parisien, parmi les Harpignies et les Boudin. Notre peintre, ainsi, entrait sur le march?.
Fantin rendit l'aspect, le teint, les v?tements de ses amis, sinon toute l'individualit? de leur structure. Il devait ?tre nerveux en leur pr?sence et ne pouvant ou ne voulant jamais <
Deux personnes aim?es, silencieuses dans l'atmosph?re chaude d'une chambre toujours habit?e, Fantin excelle ? rendre leur puret? et leur candeur moniale, se complaisant ? les peindre comme des fleurs, dans des conditions de s?curit? et de paix domestique.
Pour le public, l'aspect pauvre des toiles de Fantin, leur s?cheresse, leur froideur et leur nudit?, signifi?rent: grandeur, profondeur, solidit?. Plus ses fonds ?taient tristes, ses figures rigides et les model?s menus , plus on admirait la mani?re <Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page