Read Ebook: Histoire du Consulat et de l'Empire (Vol. 13 / 20) faisant suite à l'Histoire de la Révolution Française by Thiers Adolphe
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Ebook has 541 lines and 156291 words, and 11 pages
Applying Lime Frontispiece
FACING PAGE
INTRODUCTION
There is much in the action of lime in the soil that is not known, but all that we really need to know is simple and easily comprehended. The purpose of this little book is to set down the things that we need to know in order that we may make and keep our land friendly to plant life so far as lime is necessarily concerned with such an undertaking. Intelligent men like to reason matters out for themselves so far as practicable, taking the facts and testing them in their own thinking by some truth they have gained in their own experience and observation, and then their convictions stay by them and are acted upon. The whole story of the right use of lime on land is so simple and reasonable, when we stick only to the practical side, that we should easily escape the confusion of thought that seems to stand in the way of action. The experiment stations have been testing the value of lime applications to acid soils, and the government has been finding that the greater part of our farming lands is deficient in lime. Tens of thousands of farmers have confirmed the results of the stations that the application of lime is essential to profitable crop production on their farms. The confusion is due to some results of the misuse of lime before the needs of soils were understood, and to the variety of forms in which lime comes to us and the rather conflicting claims made for these various forms. It is unfortunate and unnecessary.
The soil is a great chemical laboratory, but exact knowledge of all its processes doubtless would enrich the farmer's vocabulary more than his pocketbook. We are concerned in knowing that lime's field of usefulness is broad in that it is an essential plant food and provides the active means of keeping the feeding ground of plants in sanitary condition. We want to know how it comes about that our soils are deficient in lime, and how we may determine the fact that they are deficient. We wish to know the relative values of the various forms of lime and how we may choose in the interest of our soil and our pocketbook. The time and method of application are important considerations to us. There are many details of knowledge, it is true, and yet all fit into a rational scheme that shows itself to be simple enough when the facts arrange themselves in an orderly way in our minds.
Lime cannot take the place of nitrogen, nor phosphorus, nor any other of the essential plant foods. It is not a substitute for any other essential factor in plant growth. It would be folly to try to depend upon lime as a sole source of soil fertility. On the other hand, we have learned very definitely within the last quarter of a century that it is foolish to depend upon commercial fertilizers and tillage and good seeds for full production of most crops from great areas of our farming country that have a marked lime deficiency. The obvious need of our soils is the rich organic matter that clover and grass sods could furnish, and their fundamental need is lime. Most farms cannot possibly make full returns to their owners until the land's hunger for lime has been met. The only question is that regarding the best way of meeting it.
THE LIME IN SOILS
The actual percentage is not the determining factor, a clay soil needing greater richness in this material than a loam, and a sandy soil giving a good account of itself with an even less total content of lime, but in its way the particular soil type must be well supplied by nature with lime if its trees and other vegetation bear evidences of its strength and good agricultural value.
It does not follow that every farm in such limestone valleys as the Shenandoah, Cumberland, and Lebanon, or in the great corn belt having a naturally calcareous soil, is prosperous, or that a multitude of owners of such lime-deficient areas as the belt in a portion of southern New York and northern Pennsylvania, or the sandstone and shale regions of many states, have not overmatched natural conditions with fine skill. We treat only of averages when saying that a "lime country" shows a prosperity in its farm buildings and general appearance that does not come naturally and easily to any lime-deficient territory. In the latter a man rows against the current, and if livestock farming is not employed to furnish manure, and if the manure is not supplemented by tillage and drainage to secure aeration, or if lime is not applied, the land reaches such a degree of acidity that it loses the power to yield any profit.
Mais il n'est point de combat en ce monde, quelles que soient les armes employ?es, o? l'on puisse faire du mal sans en recevoir. Napol?on n'avait pas pu refouler en Angleterre tant de produits agr?ables, ou utiles, ou n?cessaires aux peuples du continent, sans causer bien des perturbations, et il venait de provoquer en France et dans les pays voisins une crise commerciale et industrielle aussi violente, quoique moins durable heureusement, que celle qui affligeait l'Angleterre. Voici comment cette crise avait ?t? amen?e.
Les tissus de coton ayant en grande partie remplac? les tissus de chanvre et de lin, surtout depuis qu'on ?tait parvenu ? les produire par des moyens m?caniques, ?taient devenus la plus vaste des industries de l'Europe. Les manufacturiers fran?ais, ayant ? approvisionner l'ancienne et la nouvelle France et de plus le continent presque entier, avaient esp?r? des d?bouch?s immenses, et proportionn? leurs entreprises ? ces d?bouch?s suppos?s. Ils avaient sp?cul? sans mesure sur l'approvisionnement exclusif du continent, comme les Anglais sur celui des colonies anglaises, fran?aises, hollandaises et espagnoles. En Alsace, en Flandre, en Normandie, les m?tiers ? filer, ? tisser, ? imprimer le coton, s'?taient multipli?s avec une incroyable rapidit?. Les profits ?tant consid?rables, les entreprises s'?taient naturellement proportionn?es aux profits, et les avaient m?me infiniment d?pass?s. L'industrie du coton, sous toutes ses formes, n'avait pas ?t? la seule ? prendre un pareil essor; celle des draps, comptant sur l'exclusion des draps anglais, sur la possession exclusive des laines espagnoles, avait pareillement oubli? toute r?serve dans l'?tendue donn?e ? sa fabrication. L'industrie des meubles s'?tait aussi fort d?velopp?e, parce que les meubles fran?ais, dessin?s alors d'apr?s des mod?les antiques, ?taient l'objet d'une pr?dilection g?n?rale, et parce que les bois exotiques, se trouvant au nombre des produits coloniaux admis sur licences, permettaient la production ? bon march?. L'admission des cuirs en vertu de licences avait ?galement procur? une grande extension ? toutes les industries dont le cuir est la mati?re. La quincaillerie fran?aise, fort ?l?gante, mais inf?rieure alors ? celle de l'Angleterre sous le rapport des aciers, avait profit? comme les autres de l'exclusion des Anglais. De notables b?n?fices avaient encourag? et multipli? ces essais hors de toute proportion.
Ce n'?tait pas seulement vers la fabrication de ces divers produits que s'?tait dirig?e l'ardeur du moment, mais vers l'introduction des mati?res premi?res qui servaient ? les cr?er.
On courait sur tous les march?s o? l'on savait que devaient se vendre des sucres, des caf?s, des cotons, des indigos, des bois, des cuirs, on s'en disputait les moindres quantit?s introduites sur le continent, et on sp?culait avec fureur sur ces quantit?s. Les fonds public ?taient d?laiss?s, parce qu'ils ?taient peu abondants et presque invariables dans leur valeur, depuis que Napol?on maintenait la rente cinq pour cent ? 80 francs par l'intervention secr?te du tr?sor extraordinaire. Les actions de la banque, seul effet public prenant place ? c?t? des rentes sur l'?tat, oscillaient entre 1,225 et 1,275 francs, pour un revenu de 50 ? 60 francs, et ne d?passaient jamais ces termes extr?mes. Il n'y avait pas l? de quoi tenter les sp?culateurs, parce qu'il leur faut de grandes chances de gain, m?me au prix de grandes chances de perte, et ils s'?taient jet?s sur les denr?es coloniales, qui pr?sentaient ces conditions au plus haut degr?. On sp?culait donc avec passion sur le sucre, le caf?, le coton, l'indigo; on courait ? Anvers, ? Mayence, ? Francfort, ? Milan, o? le gouvernement faisait vendre les marchandises arriv?es sur les chariots de l'artillerie, qui avaient port? des bombes et des boulets aux rives de l'Elbe, et en avaient rapport? du sucre et du caf?. Les bois eux-m?mes, qu'on savait indispensables ? Napol?on pour les nombreux vaisseaux qu'il avait en construction dans tous les chantiers de l'Empire, ?taient devenus l'objet d'un agiotage effr?n?, et sur la base mobile et dangereuse de ces sp?culations on cr?ait de brillants ?difices de fortune, paraissant et disparaissant tour ? tour aux yeux d'un public surpris, ?merveill? et jaloux.
On n'avait pas mis plus de r?serve dans la mani?re de jouir de ses profits que dans les moyens de se les procurer. Les nouveaux enrichis s'?taient empress?s d'?taler leurs fortunes rapidement acquises, et d'acheter de la caisse d'amortissement les h?tels, les ch?teaux de l'ancienne noblesse, dont l'?tat avait h?rit? sous le titre de biens nationaux. On ne les achetait plus comme autrefois ? vil prix et avec des assignats, mais contre argent, contre beaucoup d'argent, et sans r?pugnance, parce que vingt ans ?coul?s depuis la confiscation avaient fait perdre le souvenir de l'injustice de l'?tat et du malheur des anciens propri?taires. C'?tait l? cette ressource des ali?nations de biens dont Napol?on se servait de temps en temps pour compl?ter ses budgets, surtout dans les pays conquis, et que la caisse d'amortissement lui avait m?nag?e, en vendant ? propos, peu ? peu, et avec la prudence convenable, les immeubles qu'on lui livrait. Il y avait ? Paris des manufacturiers justement enrichis par leur travail, des sp?culateurs sur denr?es coloniales enrichis d'une mani?re moins honorable, qui poss?daient les plus beaux domaines, et les mieux qualifi?s.
Ce d?bordement de sp?culations, de fortunes subites, de jouissances immod?r?es, avait pris naissance depuis plusieurs ann?es, s'?tait arr?t? un instant en 1809 par suite de la guerre d'Autriche, avait repris ? la paix de Vienne, s'?tait d?velopp? sans obstacle et sans mesure dans tout le cours de l'ann?e 1810, et avait enfin abouti au commencement de 1811 ? la catastrophe in?vitable, qui suit toujours les exag?rations industrielles et commerciales de cette nature.
Depuis quelque temps on ne vivait que des cr?dits fictifs qu'on se pr?tait les uns aux autres, surtout entre Hambourg, Amsterdam et Paris, lorsqu'une derni?re vente, ex?cut?e ? Anvers pour le compte du gouvernement, et consistant en cargaisons am?ricaines, attira un grand nombre d'acheteurs. Il s'agissait d'environ 60 millions de marchandises ? acheter et ? payer. Napol?on, remarquant l'embarras qui commen?ait ? se r?v?ler, accorda des d?lais pour le payement; mais tout le monde s'?tait aper?u de cette g?ne, et il n'en fallait pas davantage pour faire na?tre la m?fiance. Au m?me moment, des maisons consid?rables de Br?me, de Hambourg, de Lubeck, qui s'?taient adonn?es au commerce plus ou moins licite des denr?es coloniales, g?n?es d'abord par le blocus continental, bient?t paralys?es tout ? fait par la r?union de leur pays ? la France, succombaient, ou renon?aient volontairement aux affaires. Ce concours de causes amena enfin la crise. Une grande maison de Lubeck donna le signal des banqueroutes. La plus ancienne, la plus respectable des maisons d'Amsterdam, qui par l'app?t de fortes commissions s'?tait laiss? entra?ner ? pr?ter son cr?dit aux n?gociants de Paris les plus t?m?raires, suivit le triste signal parti de Lubeck. Les maisons de Paris qui vivaient des ressources qu'elles devaient ? cette maison hollandaise, virent sur-le-champ l'artifice de leur existence mis ? d?couvert. Elles se plaignirent, jet?rent de grands cris, et vinrent implorer les secours du gouvernement. Napol?on qui sentait bien, sans l'avouer, la part qu'il avait dans cette crise, et qui ne voulait pas que la naissance d'un h?ritier du tr?ne qu'on avait tant d?sir?e, qu'on venait d'obtenir, et qu'on allait bient?t solenniser, f?t accompagn?e de circonstances attristantes, se h?ta d'annoncer qu'il ?tait pr?t ? aider les maisons embarrass?es. Il voulait avec raison le faire vite et sans bruit pour le faire efficacement. Par malheur les opinions personnelles de son ministre du tr?sor, et l'?trange vanit? de l'une des maisons secourues, s'oppos?rent ? ce que ses intentions fussent exactement suivies. M. Mollien, r?pugnant aux exp?dients m?me utiles, contesta en th?orie le principe des secours au commerce. Napol?on n'en tint pas compte, et lui ordonna de secourir un certain nombre de maisons. Mais le ministre se d?dommagea de sa d?faite en contestant ? ces maisons ou la s?ret? des gages qu'elles offraient, ou la possibilit? de les sauver. Il en r?sulta une grande perte de temps. De plus, l'une d'elles, se vantant d'une bienfaisance dont le bienfaiteur ne se vantait pas lui-m?me, proclama ce que le gouvernement avait fait pour elle. Alors tout l'avantage des secours prompts et secrets fut perdu. On sut qu'on ?tait en crise, et on se livra ? la panique accoutum?e. Bient?t ce fut un chaos de maisons s'?croulant les unes sur les autres, et s'entra?nant r?ciproquement dans leur chute. Napol?on, suivant son usage, ne se laissant pas intimider par la difficult?, secourut publiquement et ? plusieurs reprises les principales maisons embarrass?es, malgr? tout ce que put lui dire le ministre du tr?sor. Mais il n'eut la satisfaction de sauver qu'une tr?s-petite partie des commer?ants et des manufacturiers auxquels il s'?tait int?ress?.
Les maisons qui avaient sp?cul? sur les sucres, les caf?s, les cotons, les bois de construction, furent frapp?es les premi?res. Vinrent apr?s celles qui n'avaient pas sp?cul? sur les mati?res premi?res, mais qui avaient fil?, tiss?, peint des toiles de coton au del? des besoins de la consommation, et qui vivaient des cr?dits que leur accordaient certains banquiers. Ces cr?dits venant ? leur manquer, elles succomb?rent. Les villes de Rouen, Lille, Saint-Quentin, Mulhouse, furent comme ravag?es par un fl?au destructeur. Apr?s l'industrie du coton, celle des draps eut son tour. Une riche maison d'Orl?ans, vou?e depuis un si?cle au commerce des laines, voulut s'emparer de toutes celles que le gouvernement avait saisies en Espagne et faisait vendre ? l'encan. Elle acheta sans mesure, revendit ? des fabricants qui fabriquaient sans mesure aussi, leur pr?ta son cr?dit, mais en revanche emprunta le leur en cr?ant une masse de papier qu'elle tirait sur eux, et que des banquiers complaisants escomptaient ? un taux usuraire. Ces banquiers s'?tant arr?t?s, tout l'?chafaudage s'?croula, et une seule maison de province fit ainsi une faillite de douze millions, somme tr?s-grande aujourd'hui, bien plus grande en ce temps-l?. L'exclusion des draps fran?ais de la Russie fut un nouveau coup pour la draperie. L'industrie de la raffinerie, qui avait sp?cul? sur les sucres, celle des peaux pr?par?es, qui avait sp?cul? sur les cuirs introduits au moyen des licences, furent gravement atteintes comme les autres. Enfin la soierie, qui avait beaucoup fabriqu?, mais qui n'avait pas commis autant d'exc?s, parce qu'elle ?tait une industrie ancienne, exp?riment?e, moins ?tourdie par la nouveaut? et l'exag?ration des b?n?fices, re?ut un coup sensible par les derniers r?glements commerciaux de la Russie, et par la ruine des maisons de Hambourg, qui, ? d?faut des Am?ricains, servaient ? l'exportation des produits lyonnais. Le resserrement de tous les cr?dits, s'ajoutant ? la subite privation des d?bouch?s, causa une suspension g?n?rale de la fabrication ? Lyon.
Bient?t des masses d'ouvriers se trouv?rent sans ouvrage en Bretagne, en Normandie, en Picardie, en Flandre, dans le Lyonnais, le Forez, le comtat Venaissin, le Languedoc. ? Lyon, sur 14 mille m?tiers, 7 mille cess?rent de fabriquer. ? Rouen, ? Saint-Quentin, ? Lille, ? Reims, ? Amiens, les trois quarts des bras au moins rest?rent oisifs d?s le milieu de l'hiver, et pendant tout le printemps. Napol?on, fort afflig? de ces ruines accumul?es, et plus particuli?rement de ces souffrances populaires, voulait y pourvoir ? tout prix, craignant l'effet qu'elles pouvaient produire au moment des f?tes qu'il pr?parait pour la naissance de son fils. Il tenait conseils sur conseils, et apprenait trop tard qu'il y a des tourmentes contre lesquelles le g?nie et la volont? d'un homme, quelque grands qu'ils soient, ne peuvent rien. Ce n'?tait pas son syst?me d'exclusion ? l'?gard des Anglais qui ?tait la cause du mal, car on commet des exc?s de production dans les pays o? le commerce est compl?tement libre tout aussi bien que dans ceux o? il ne l'est pas, et m?me davantage. Mais ces combinaisons compliqu?es avaient contribu? aux folles sp?culations sur les mati?res premi?res; l'usurpation de la souverainet? de Hambourg y avait pr?cipit? la ruine de maisons indispensables au vaste ?chafaudage du cr?dit continental de cette ?poque; ses derni?res ventes avaient h?t? la crise, et ses secours, par suite des opinions personnelles de son ministre, avaient ?t? trop lents ou trop contest?s. Enfin son fameux tarif de 50 pour cent prolongeait le mal, car les manufacturiers, qui commen?aient ? se d?barrasser de leurs produits fabriqu?s, et qui auraient voulu se remettre ? travailler, ne l'osaient pas ? cause de la chert? des mati?res premi?res provenant de l'?l?vation des droits. Aussi le tissage, la filature, la raffinerie, la tannerie ?taient-ils absolument suspendus. On ne fabriquait pas moins, on ne fabriquait plus du tout.
Repoussant les th?ories de M. Mollien, et tenant des conseils fr?quents avec les ministres de l'int?rieur et des finances, avec le directeur g?n?ral des douanes et plusieurs fabricants ou banquiers ?clair?s, tels que MM. Ternaux et Hottinguer, Napol?on imagina un moyen qui eut quelques bons effets: ce fut d'op?rer en tr?s-grand secret, et ? ses frais, mais en apparence pour le compte de grosses maisons de banque, des achats ? Rouen, ? Saint-Quentin, ? Lille, de mani?re ? faire supposer que la vente reprenait naturellement. ? Amiens, il pr?ta secr?tement aux manufacturiers qui continuaient ? fabriquer des lainages des sommes ?gales au salaire de leurs ouvriers. ? Lyon, il commanda pour plusieurs millions de soieries destin?es aux r?sidences imp?riales. Ces secours ne valaient pas sans doute une reprise r?elle des affaires; mais ils ne furent pas sans influence, ? Rouen surtout, o? des achats d'origine inconnue prirent l'apparence d'achats v?ritables, et firent croire que le mouvement commercial recommen?ait. En tout cas, ils permirent d'attendre moins p?niblement la renaissance effective des affaires.
C'?tait sp?cialement la ville de Paris, dont le peuple vif, enthousiaste, patriote, s'?tait montr? fort sensible ? la gloire du r?gne, et dans laquelle une foule de princes allaient se rendre pour le bapt?me du Roi de Rome, qui int?ressait plus que toute autre la sollicitude de Napol?on. Il avait d?j? ?prouv? que les fabrications pour l'usage des troupes s'ex?cutaient tr?s-bien ? Paris. Il ordonna sur-le-champ une immense confection de caissons, de voitures d'artillerie, de harnais, d'habits, de linge, de chaussure, de chapellerie, de buffleterie. Il fit en m?me temps commencer plus t?t que de coutume, et dans des proportions plus vastes, les travaux annuels des grands monuments de son r?gne.
Du reste, cette situation, quelque p?nible qu'elle f?t, avait cependant un avantage essentiel sur celle de l'Angleterre. Le temps devait bient?t l'am?liorer en faisant dispara?tre la surabondance des produits fabriqu?s, en amenant les Am?ricains, qui d?j? s'appr?taient ? venir, et qui allaient remplacer les Hambourgeois et les Russes dans nos march?s, et nous apporter les cotons, les teintures dont l'industrie avait un pressant besoin. La situation des Anglais, au contraire, si on persistait ? bloquer leur commerce, sans leur donner aucun alli? sur le continent, devait devenir prochainement intol?rable.
En pronon?ant ces derniers mots, Napol?on ?tait mena?ant au plus haut point, et il y avait toute une nouvelle guerre dans ses gestes, son accent, ses regards. Il reprenait et disait:--Cette guerre ? l'Angleterre est longue et p?nible, je le sais. Mais que voulez-vous que j'y fasse? Quels moyens voulez-vous que je prenne? Apparemment, puisque vous vous plaignez tant de ce que la mer est ferm?e, vous tenez ? ce qu'elle soit ouverte, ? ce qu'une seule puissance n'y domine pas aux d?pens de toutes les autres, et n'enl?ve pas les colonies de toutes les nations, ou ne s'arroge pas une sorte de tyrannie sur tous les pavillons? Pour moi, je suis irr?vocablement fix? ? cet ?gard; je n'abandonnerai jamais le droit des neutres, je ne laisserai jamais pr?valoir le principe que le pavillon ne couvre pas la marchandise, que le neutre est oblig? d'aller rel?cher en Angleterre pour y payer tribut. Si j'avais la l?chet? de supporter de telles th?ories, vous ne pourriez bient?t plus sortir de Rouen ou du Havre qu'avec un passe-port des Anglais. Mes d?crets de Berlin, de Milan, seront lois de l'Empire jusqu'? ce que l'Angleterre ait renonc? ? ses folles pr?tentions. Les Am?ricains me demandent ? repara?tre dans nos ports, ? vous apporter du coton et ? emporter vos soies, ce qui sera pour vous un grand soulagement. Je suis pr?t ? y consentir, mais ? condition qu'ils auront fait respecter en eux les principes que je soutiens, et qui sont aussi les leurs, comme ils sont ceux de toutes les nations maritimes, et que s'ils n'ont pu obtenir de l'Angleterre qu'elle les respect?t en eux-m?mes, ils lui d?clareront la guerre; sinon, quelque besoin que vous ayez d'eux, je les traiterai comme Anglais, je leur fermerai mes ports, et j'ordonnerai de leur courir sus! Comment voulez-vous que je fasse? Sans doute, si j'avais pu former des amiraux, aussi bien que j'ai form? des g?n?raux, nous aurions battu les Anglais, et une bonne paix, non pas une paix pl?tr?e comme celle d'Amiens, cachant mille ressentiments implacables, mille int?r?ts non r?concili?s, mais une solide paix, serait r?tablie. Malheureusement je ne puis pas ?tre partout. Ne pouvant pas battre les Anglais sur mer, je les bats sur terre, je les poursuis le long des c?tes du vieux continent. Toutefois je ne renonce pas ? les atteindre sur mer, car nos matelots sont pour le moins aussi braves que les leurs, et nos officiers de mer vaudront ceux de la marine britannique d?s qu'ils se seront exerc?s. Je vais avoir cent vaisseaux du Texel ? Venise; je veux en avoir deux cents. Je les ferai sortir malgr? eux; ils perdront une, deux batailles, ils gagneront la troisi?me, ou au moins la quatri?me, car il finira bien par surgir un homme de mer qui fera triompher notre pavillon, et en attendant je tiendrai mon ?p?e sur la poitrine de quiconque voudrait aller au secours des Anglais. Il faudra bien qu'ils succombent, quand m?me l'enfer conspirerait avec eux. Cela est long, j'en conviens; mais vous y gagnez en attendant de d?velopper votre industrie, de devenir manufacturiers, de remplacer sur le continent les tissus de l'Angleterre, ses quincailleries, ses draps. C'est, apr?s tout, un assez beau lot que d'avoir le continent ? pourvoir. Le monde change sans cesse; il n'y a pas un si?cle qui ressemble ? un autre. Jadis il fallait pour ?tre riche avoir des colonies, poss?der l'Inde, l'Am?rique, Saint-Domingue. Ces temps-l? commencent ? passer. Il faut ?tre manufacturier, se pourvoir soi-m?me de ce qu'on allait chercher chez les autres, faire ses indiennes, son sucre, son indigo. Si j'en ai le temps, vous fabriquerez tout cela vous-m?mes, non que je d?daigne les colonies et les sp?culations maritimes, il s'en faut, mais l'industrie manufacturi?re a une importance au moins ?gale, et tandis que je t?che de gagner la cause des mers, l'industrie de la France se d?veloppe et se cr?e. On peut donc attendre dans une position pareille. Pendant ce temps, Bordeaux, Hambourg souffrent; mais s'ils souffrent aujourd'hui, c'est pour prosp?rer dans l'avenir par le r?tablissement de la libert? des mers. Tout a son bien et son mal. Il faut savoir souffrir pour un grand but, et, en tout cas, cette ann?e ce n'est pas pour ce grand but que vous avez souffert, c'est par suite de vos propres fautes. Je sais vos affaires mieux que vous ne savez les miennes. Conduisez-vous avec prudence, avec suite, et ne vous h?tez pas de me juger, car souvent quand vous me bl?mez moi, c'est vous seuls que vous devriez bl?mer. Au surplus, je veille sur vos int?r?ts, et tous les soulagements qu'il sera possible de vous procurer, vous les obtiendrez.--
Tels ?taient les discours par lesquels Napol?on embarrassait, subjuguait ses interlocuteurs du commerce, et les ?blouissait sans les convaincre, quoiqu'il e?t raison contre eux sur presque tous les points. Mais c'est un sujet d'?ternelle surprise de voir combien on est sage quand on conseille les autres, en l'?tant si peu quand il s'agit de se conseiller soi-m?me. Napol?on avait raison quand il disait ? ces n?gociants qu'ils souffraient par suite de leurs fautes, pour avoir les uns trop produit, les autres trop sp?cul?, qu'il ?tait oblig? de conqu?rir la libert? des mers, pour la conqu?rir de combattre l'Angleterre, pour combattre l'Angleterre de g?ner les mouvements du commerce, et qu'en attendant l'industrie de la France et celle du continent naissaient de cette g?ne elle-m?me. Mais il e?t ?t? bien embarrass? si l'un de ces sp?culateurs sur les sucres ou sur les cotons avait demand? ? lui, sp?culateur d'un autre genre, si, pour combattre l'Angleterre, il lui ?tait absolument n?cessaire de conqu?rir les couronnes de Naples, d'Espagne, de Portugal, et d'en doter ses fr?res; si cette difficult? d'?tablir sa dynastie sur tant de tr?nes n'avait pas singuli?rement accru la difficult? de triompher des pr?tentions maritimes de l'Angleterre; si, avec les Bourbons tremblants et soumis ? Madrid et ? Naples, il n'e?t pas obtenu autant de concours ? ses desseins que de ses fr?res ? demi r?volt?s; si tous les soldats fran?ais dispers?s ? Naples, ? Cadix, ? Lisbonne, il n'e?t pas mieux fait de les risquer entre Calais et Douvres; si, en tout cas, la n?cessit? de ces conqu?tes admise, il n'aurait pas d? commencer par jeter lord Wellington ? la mer, en se contentant du blocus tel que la Russie le pratiquait, au lieu de changer tout ? coup de syst?me, de laisser les Anglais triomphants dans la P?ninsule pour aller chercher au Nord une nouvelle guerre d'un succ?s douteux, sous pr?texte d'obtenir dans l'observation du blocus un degr? d'exactitude dont il n'avait pas indispensablement besoin pour r?duire le commerce britannique aux abois, et si changer sans cesse de plan, courir d'un moyen ? un autre avant d'en avoir compl?tement employ? aucun, tout cela par mobilit?, orgueil, d?sir de soumettre l'univers ? ses volont?s, ?tait une mani?re directe et s?re de venir ? bout de l'ambition tyrannique de l'Angleterre.
Ce questionneur hardi, qui sans doute aurait fort embarrass? Napol?on, ne se trouva point, et la v?rit? ne fut pas dite; mais taire la v?rit? c'est cacher le mal sans l'arr?ter. Ses ravages secrets sont d'autant plus dangereux qu'ils se r?v?lent tous ? la fois, et quand il n'est plus temps d'y rem?dier.
Aux deux causes de malaise que nous venons de faire conna?tre, la conscription et la crise commerciale, s'en ?tait joint une troisi?me: c'?taient les troubles religieux r?cemment aggrav?s par une nouvelle saillie de la vive volont? de Napol?on.
Quoique revenus sans rien obtenir, les deux cardinaux avaient cependant ?t? amen?s ? penser que le Pape ne serait pas invincible, qu'avec de bons traitements, en lui accordant un conseil dont il p?t s'aider pour exp?dier les affaires de l'?glise, il reprendrait ses fonctions pontificales sans m?me sortir de Savone, et en se r?signant ? y vivre parce qu'il y ?tait, et parce que dans cette esp?ce de prison il ne consacrait rien par son adh?sion, tandis qu'en se laissant transporter ? Avignon ou ? Paris, en acceptant des dotations, il sanctionnerait les actes imp?riaux par le concours qu'il leur aurait donn?. Des entretiens que le Pape avait eus depuis avec M. de Chabrol, pr?fet de Montenotte, on pouvait tirer les m?mes conclusions, et Napol?on cherchait une mani?re de concilier les inclinations du Pape avec ses propres vues, lorsque plusieurs incidents, survenus tout ? coup, l'avaient port? ? une exasp?ration inou?e et aux actes les plus violents.
On se rappelle sans doute l'exp?dient imagin? pour administrer provisoirement les dioc?ses dans lesquels il y avait des pr?lats nomm?s et non institu?s. Il n'y avait pas moins de vingt-sept dioc?ses dans ce cas, et dans le nombre se trouvaient des si?ges comme Florence, Malines, Paris, etc. Les chapitres, les uns libres, les autres contraints, avaient conf?r? la qualit? de vicaires capitulaires aux ?v?ques nomm?s, ce qui permettait ? ceux-ci de gouverner au moins comme administrateurs leurs nouveaux dioc?ses. Le cardinal Maury, nomm? archev?que de Paris ? la place du cardinal Fesch, et non institu? encore, administrait de la sorte le dioc?se de Paris. Seulement il avait beaucoup de contrari?t?s ? supporter de la part de son chapitre, et, comme nous l'avons dit ailleurs, lorsque dans certaines c?r?monies religieuses il voulait faire porter la croix devant lui, ce qui est le signe essentiel de la dignit? ?piscopale, quelques chanoines dociles restaient, les autres, M. l'abb? d'Astros en t?te, s'enfuyaient avec une affectation offensante.
Napol?on, en voyant ce concours d'accidents semblables sur des points fort ?loign?s, y d?couvrit tout de suite un syst?me de r?sistance tr?s-bien combin?, et dont le r?sultat devait ?tre ou de l'obliger ? traiter imm?diatement avec le Pape, ou de susciter un v?ritable schisme. Sa col?re fit explosion. Il avait appris presque en m?me temps, les 29, 30, 31 d?cembre 1810, les divers faits que nous venons de rapporter. Il tenait ? arr?ter partout la propagation des lettres du Pape, et pour y r?ussir il voulait frapper de terreur ceux qui avaient port? ces lettres, qui les avaient re?ues, ou qui en ?taient encore d?positaires. Le lendemain, 1er janvier , il devait recevoir les hommages des grands corps de l'?tat, notamment ceux du chapitre et du clerg? de Paris. Il ne pronon?ait pas de discours d'apparat dans ces solennit?s, mais parlait famili?rement aux uns et aux autres, suivant l'humeur du jour, r?compensant ceux-ci par quelques attentions flatteuses, ch?tiant ceux-l? par des mots o? la puissance de l'esprit se joignait ? celle du tr?ne pour accabler les malheureux qui lui avaient d?plu. Sa prodigieuse sagacit?, per?ante comme son regard, semblait p?n?trer jusqu'au fond des ?mes. ? la t?te du chapitre de Paris se trouvait l'abb? d'Astros, pr?tre passionn? et imprudent, partageant jusqu'au fanatisme toutes les id?es du clerg? hostile ? l'Empire. Napol?on, sachant ? qui il avait affaire, aborda sur-le-champ les points les plus difficiles de la querelle religieuse, et de mani?re ? provoquer de la part de son interlocuteur quelque imprudence qui serv?t ? l'?clairer. Il y r?ussit parfaitement, et apr?s avoir fait dire ? l'abb? d'Astros ce qu'il voulait, et l'avoir ensuite rudement trait?, il appela, s?ance tenante, le duc de Rovigo, qui ?tait dans le palais, et lui dit: Ou je me trompe bien, ou cet abb? a les missives du Pape. Arr?tez-le avant qu'il sorte des Tuileries, interrogez-le, ordonnez en m?me temps qu'on fouille ses papiers, et on y d?couvrira certainement tout ce qu'on d?sire savoir.--
Le duc de Rovigo, pour que l'esclandre f?t moindre, pria le cardinal Maury de lui amener l'abb? d'Astros au minist?re de la police, et prescrivit en m?me temps une perquisition dans le domicile de cet eccl?siastique. Le duc de Rovigo, qui avait acquis d?j? toute la dext?rit? n?cessaire ? ses nouvelles fonctions, feignit en interrogeant l'abb? d'Astros de savoir ce qu'il ignorait, et obtint de la sorte la r?v?lation de ce qui s'?tait pass?. L'abb? d'Astros avoua qu'il avait re?u les deux brefs du Pape, l'un pour le chapitre, l'autre pour le cardinal, affirma toutefois qu'il ne les avait pas propag?s encore, et fort imprudemment convint d'en avoir parl? ? son parent M. Portalis, fils de l'ancien ministre des cultes, et membre du Conseil d'?tat imp?rial. Au m?me instant, les agents envoy?s au domicile de l'abb? d'Astros avaient trouv? les lettres papales, et beaucoup d'autres papiers qui r?v?l?rent enti?rement la trame qu'on ?tait occup? ? rechercher. On sut qu'il y avait ? Paris un petit conseil de pr?tres romains et fran?ais, en communication fr?quente avec le Pape, se concertant avec lui sur la conduite ? tenir en chaque circonstance, et correspondant par des hommes d?vou?s, de Paris ? Lyon, de Lyon ? Savone.
Lorsque tout fut ainsi d?couvert, Napol?on, qui voulait faire peur, commen?a par une premi?re victime, et cette victime fut M. Portalis. Ce fils du principal auteur du Concordat, soumis envers l'?glise, mais non moins soumis envers Napol?on, avait cru concilier les diverses convenances de sa position en disant ? M. Pasquier, pr?fet de police et son ami, qu'il circulait un bref du Pape fort regrettable et fort capable de semer la discorde entre l'?glise et l'?tat, qu'on ferait bien d'en arr?ter la propagation; mais il s'en tint ? cet avis, et ne d?signa point son parent l'abb? d'Astros, car ses devoirs de conseiller d'?tat ne l'obligeaient nullement ? se faire le d?nonciateur de sa propre famille.
Le 4 janvier, le Conseil d'?tat ?tant assembl?, et M. Portalis assistant ? la s?ance, Napol?on commen?a par raconter tout ce qui venait de se passer entre le Pape et certains chapitres, exposa les tentatives qu'on avait d?couvertes, et qui, selon lui, avaient pour but de pousser les sujets ? la d?sob?issance envers leur souverain, puis affectant une extr?me douleur, il ajouta que son plus grand chagrin en cette circonstance ?tait de trouver parmi les coupables un homme qu'il avait combl? de biens, le fils d'un ancien ministre qu'il avait fort affectionn? jadis, un membre de son propre Conseil ici pr?sent, M. Portalis. Puis s'adressant brusquement ? celui-ci, il lui demanda ? br?le-pourpoint s'il avait connu le bref du Pape, si l'ayant connu il en avait gard? le secret, si ce n'?tait pas l? une vraie forfaiture, une trahison et une noire ingratitude tout ? la fois, et en interrogeant ainsi coup sur coup M. Portalis, il ne lui donnait pas m?me le temps de r?pondre. Nous avons vu les licences de la multitude, c'?tait alors le temps des licences du pouvoir. M. Portalis, magistrat ?minent, dont l'?nergie malheureusement n'?galait pas les hautes lumi?res, aurait pu relever la t?te, et faire ? son ma?tre des r?ponses embarrassantes; mais il ne sut que balbutier quelques mots entrecoup?s, et Napol?on, oubliant ce qu'il devait ? un membre de son Conseil, ? ce Conseil, ? lui-m?me, lui adressa cette apostrophe foudroyante: Sortez, monsieur, sortez, que je ne vous revoie plus ici.--Le conseiller d'?tat trait? avec tant de violence se leva tremblant, traversa en larmes la salle du Conseil, et se retira presque an?anti du milieu de ses coll?gues stup?faits.
Bien que dans tous les temps la m?chancet? humaine ?prouve une secr?te satisfaction au spectacle des disgr?ces ?clatantes, ce ne fut point le sentiment ?veill? en cette circonstance. La piti?, la dignit? bless?e l'emport?rent dans le Conseil d'?tat, qui fut offens? d'une telle sc?ne, et qui manifesta ce qu'il sentait non par des murmures, mais par une attitude glaciale. Il n'y a pas de puissance, quelque grande qu'elle soit, ? laquelle il soit donn? de froisser impun?ment le sentiment intime des hommes assembl?s. Sous l'empire de la crainte leur bouche peut se taire, mais leur visage parle malgr? eux. Napol?on reconnaissant ? la seule attitude des assistants qu'il avait ?t? inconvenant et cruel, ?prouva un indicible embarras, dont il t?cha vainement de sortir en affectant un exc?s de douleur presque ridicule, en disant qu'il ?tait d?sol? d'?tre contraint de traiter ainsi le fils d'un homme qu'il avait aim?, que le pouvoir avait de bien p?nibles obligations, qu'il fallait cependant les remplir quoi qu'il p?t en co?ter, et mille banalit?s de ce genre, lesquelles ne touch?rent personne. On le laissa s'agiter dans ce vide, et on se retira sans mot dire. Le plus puni apr?s M. Portalis c'?tait lui.
? cet ?clat Napol?on voulut joindre des mesures plus efficaces, afin d'intimider la partie hostile du clerg?, et de pr?venir les cons?quences des men?es r?cemment d?couvertes. Il fit d?tenir M. d'Astros, arr?ter ou ?loigner de Paris plusieurs des pr?tres composant le conciliabule dont l'existence venait d'?tre d?couverte. Il ordonna ? son beau-fr?re le prince Borgh?se, ? sa soeur ?lisa, de faire arr?ter les chanoines connus pour ?tre les meneurs des chapitres d'Asti et de Florence, de les envoyer ? Fenestrelle, de d?clarer ? ces chapitres que s'ils ne se soumettaient ? l'instant m?me, et ne conf?raient pas imm?diatement aux nouveaux pr?lats la qualit? de vicaires capitulaires, les si?ges seraient supprim?s, les canonicats avec le si?ge, et les chanoines r?calcitrants enferm?s dans des prisons d'?tat. La m?me d?claration fut adress?e au chapitre de Paris.
Heureusement l'ex?cution de ces mesures de col?re ?tait confi?e ? un homme plein de tact et de convenance. M. de Chabrol parla au Pape non pas en ministre mena?ant d'une puissance irrit?e, mais en ministre afflig?, qui ne se servait de la force dont il ?tait arm? que pour donner ? son auguste prisonnier quelques conseils de prudence et de sagesse. Il ne put pourtant pas ?pargner au Pape l'?loignement de ses entours, l'enl?vement de ses papiers, et beaucoup d'autres pr?cautions aussi humiliantes que pu?riles. Le Pape, troubl? d'abord plus qu'il ne convenait , se remit bient?t, ?couta avec douceur M. de Chabrol, dit que si on lui avait demand? ses papiers il les aurait livr?s, sans qu'on e?t besoin de recourir ? une supercherie, comme de les prendre pendant qu'il ?tait ? la promenade, promit de ne plus correspondre, non ? cause de lui, mais ? cause de ceux qui pourraient devenir victimes de leur d?vouement ? l'?glise, et ajouta que quant ? lui, vieux, accabl? par les ?v?nements, il ?tait au terme de sa carri?re, et tromperait bient?t ses pers?cuteurs en ne laissant dans leurs mains, au lieu d'un pape, qu'un cadavre inanim?.
M. de Chabrol le consola, tout en lui faisant entendre des paroles de sagesse utiles et n?cessaires, et contribua par ce qu'il ?crivit ? obtenir l'adoucissement des ordres venus de Paris. Mat?riellement la d?pense de la maison du Pape ne fut point chang?e.
Napol?on, sit?t ob?i, se calma. Cependant il r?solut de mettre un terme ? ces r?sistances, qui l'importunaient sans l'effrayer, qui l'effrayaient m?me trop peu, car elles ?taient plus graves qu'il ne l'imaginait. Il s'arr?ta donc ? une id?e qui d?j? s'?tait plusieurs fois offerte ? son esprit, celle d'un concile, dont il se flattait d'?tre le ma?tre, et dont il esp?rait se servir, soit pour amener le Pape ? c?der, soit pour se passer de lui, en substituant ? l'autorit? du chef de l'?glise l'autorit? sup?rieure de l'?glise assembl?e. Il avait d?j? form? une commission eccl?siastique compos?e de plusieurs pr?lats et de plusieurs pr?tres, et entre autres de M. ?mery, le sup?rieur si respect? de la congr?gation de Saint-Sulpice. Il la convoqua de nouveau, en la composant un peu autrement, ce que la mort r?cente de M. ?mery rendait in?vitable, et lui renvoya toutes les questions que faisait na?tre le projet d'un concile. Le fallait-il g?n?ral ou provincial? compos? de tous les ?v?ques de la chr?tient?, ou seulement des ?v?ques de l'Empire, du royaume d'Italie et de la Conf?d?ration germanique, ce qui ?quivalait ? la chr?tient? presque enti?re? quelles questions fallait-il lui soumettre, quelles r?solutions lui demander, quelles formes observer, dans ce dix-neuvi?me si?cle, si diff?rent des si?cles o? les derniers conciles avaient ?t? r?unis? Napol?on insista vivement pour qu'on h?t?t l'examen de ces diverses questions, se proposant d'assembler le concile au commencement du mois de juin, le jour m?me du bapt?me du Roi de Rome.
En attendant le commencement de juin, Napol?on avait toujours l'oeil sur les affaires du Nord, et s'occupait avec une ?gale activit? de diplomatie et de pr?paratifs militaires.
Nous avons d?j? parl? de M. de Bassano. Le grand r?le qu'il fut appel? ? jouer depuis exige que nous en parlions encore. Ce ministre avait exactement tout ce qui manquait ? M. de Cadore. Autant celui-ci ?tait modeste, timide m?me, autant M. de Bassano l'?tait peu. Honn?te homme, comme nous l'avons dit, d?vou? ? Napol?on, mais de ce d?vouement fatal aux princes qui en sont l'objet, poli, ayant le go?t et le talent de la repr?sentation, parlant bien, s'?coutant parler, vain ? l'exc?s de l'?clat emprunt? ? son ma?tre, il ?tait fait pour ajouter ? tous les d?fauts de Napol?on, si on avait pu ajouter quelque chose ? la grandeur de ses d?fauts ou de ses qualit?s. Quand les volont?s imp?rieuses de Napol?on passaient par la bouche h?sitante de M. de Cadore, elles perdaient de leur violence; quand elles passaient par la bouche lente et railleuse de M. de Talleyrand, elles perdaient de leur s?rieux. Cette mani?re de transmettre ses ordres, Napol?on l'appelait de la maladresse chez le premier, de la trahison chez le second, heureuse trahison qui ne trahissait que ses passions au profit de ses int?r?ts! Il n'avait rien de pareil ? craindre de la part de M. de Bassano, et il ?tait assur? que pas une de ses intraitables volont?s ne serait temp?r?e par la prudente r?serve de son ministre. Le plus orgueilleux des ma?tres allait avoir pour agent le moins modeste des ministres, et cela dans le moment m?me o? l'Europe, pouss?e ? bout, aurait eu plus que jamais besoin d'?tre m?nag?e. Il faut ajouter, pour l'excuse de M. de Bassano, qu'il regardait Napol?on non-seulement comme le plus grand des capitaines, mais comme le plus sage des politiques, qu'il ne trouvait donc presque rien ? changer ? ses vues, bonne foi qui en faisait innocemment le plus dangereux des ministres.
Le 17 avril, Napol?on appela l'archichancelier Cambac?r?s, qu'il ne consultait plus que rarement, except? en fait de l?gislation pour l'?couter presque toujours, en fait de religion pour ne l'?couter presque jamais, en fait de personnes pour les pr?parer ? ses brusques volont?s. Il lui exposa ce qu'il reprochait ? M. de Cadore, tout en l'estimant et l'aimant beaucoup, et sa r?solution de le remplacer par M. le duc de Bassano. Le prince Cambac?r?s dit quelques mots en faveur de M. de Cadore, se tut sur M. de Bassano, silence suffisant pour Napol?on qui devinait tout mais ne tenait compte de rien, et prit la plume pour r?diger le d?cret. Napol?on le signa, et chargea ensuite le prince Cambac?r?s d'aller avec M. de Bassano redemander ? M. de Cadore le portefeuille des affaires ?trang?res. Le prince Cambac?r?s, suivi de M. de Bassano, se rendit chez M. de Cadore, le surprit extr?mement par son message, car cet excellent homme n'avait pas devin? en quoi il d?plaisait ? son ma?tre, et ne trouva chez lui qu'une r?signation tranquille et silencieuse. M. de Cadore remit son portefeuille ? M. de Bassano avec un chagrin dissimul? mais visible, et M. de Bassano le re?ut avec l'aveugle joie de l'ambition satisfaite, le premier ignorant de quel fardeau cruel il se d?chargeait, le second de quelles ?pouvantables catastrophes il allait prendre sa part! Heureux et terrible myst?re de la destin?e, au milieu duquel nous marchons comme au sein d'un nuage!
Le prince Cambac?r?s ayant discern? le chagrin de M. de Cadore, en rendit compte ? Napol?on, qui, toujours plein de regret lorsqu'il fallait affliger d'anciens serviteurs, accorda un beau d?dommagement ? son ministre destitu?, et le nomma intendant g?n?ral de la couronne.
Napol?on avait ?t? plus heureusement inspir? en choisissant son nouvel ambassadeur ? Saint-P?tersbourg. Il avait, comme nous l'avons dit plus haut, donn? pour successeur ? M. le duc de Vicence M. de Lauriston, l'un de ses aides de camp, qu'il avait d?j? employ? avec profit dans plusieurs missions d?licates o? il fallait du tact, de la r?serve, de l'esprit d'observation, des connaissances administratives et militaires. M. de Lauriston ?tait un homme simple et sens?, n'aimant point ? d?plaire ? son ma?tre, mais aimant encore mieux lui d?plaire que le tromper. Aucun ambassadeur n'?tait mieux fait que lui pour rapprocher les deux empereurs de Russie et de France, s'ils pouvaient ?tre rapproch?s, en m?nageant le premier et en lui inspirant confiance, en persuadant au second que la guerre n'?tait point in?vitable et d?pendait uniquement de sa volont?. Il y avait peu de chances assur?ment de r?ussir dans une telle mission, surtout au point o? en ?taient arriv?es les choses, mais il ?tait certain qu'elles n'empireraient point par la faute de M. de Lauriston.
Napol?on, depuis qu'il avait tant pr?cipit? ses armements sur la nouvelle du rappel des divisions russes de Turquie, avait bien senti qu'il n'?tait plus temps de les dissimuler, et avait ordonn? ? M. de Caulaincourt, au moment de son d?part, ? M. de Lauriston, au moment de son arriv?e, de ne plus rien cacher, d'avouer au contraire tous les pr?paratifs qu'il avait faits, de les ?taler avec complaisance, de mani?re ? intimider Alexandre puisqu'on ne pouvait plus l'endormir. Mais il les avait ?galement autoris?s l'un et l'autre ? d?clarer formellement qu'il ne d?sirait point la guerre pour la guerre, que s'il la pr?parait c'?tait uniquement parce qu'il croyait qu'on se disposait ? la lui faire, parce qu'il ?tait convaincu que les affaires de Turquie termin?es la Russie se rapprocherait de l'Angleterre, ne f?t-ce que pour r?tablir son commerce avec elle, et jouir en ?go?ste de ce qu'elle aurait d? ? l'alliance fran?aise; que d?j? m?me elle l'avait fait ? moiti? en recevant les Am?ricains dans ses ports; que, selon lui, recevoir les fraudeurs, c'?tait presque se mettre en guerre; que s'il ?tait possible qu'on lui en voul?t pour une mis?re comme celle d'Oldenbourg, on n'avait qu'? demander une indemnit?, qu'il la donnerait, si grande qu'elle f?t, mais qu'il fallait enfin se parler franchement, ne rien garder de ce qu'on avait sur le coeur, afin de prendre ou de d?poser les armes tout de suite, et de ne pas s'?puiser en pr?paratifs inutiles. Toutes ces choses, il les avait dites lui-m?me au prince Kourakin et ? M. de Czernicheff, avec un m?lange de gr?ce, de hauteur, de bonhomie, qu'il savait tr?s-bien employer ? propos, et il avait press? M. de Czernicheff d'aller les redire ? Saint-P?tersbourg. Toutefois, comme il ne voulait s'expliquer aussi cat?goriquement que lorsque ses armements seraient suffisamment avanc?s, il avait recommand? ? M. de Lauriston, en le faisant partir de Paris en avril, de n'arriver qu'en mai ? Saint-P?tersbourg, moment o? ses pr?paratifs les plus significatifs pourraient ?tre connus. Lui-m?me n'avait parl? ouvertement ? MM. de Kourakin et de Czernicheff qu'un peu avant cette ?poque.
Mais tout ce soin de Napol?on ? mettre une habile gradation dans son langage ?tait superflu, car Alexandre avait ?t? inform? jour par jour, et avec une rare exactitude, de ce qui se faisait en France. Quelques Polonais qui ?taient d?vou?s ? la Russie, beaucoup d'Allemands qui nous ha?ssaient avec passion, la plupart des habitants ruin?s de Dantzig, de Lubeck, de Hambourg, s'?taient empress?s de l'avertir de tous les mouvements de nos troupes. Enfin un mis?rable employ? des bureaux de la guerre, gagn? ? prix d'argent par M. de Czernicheff, avait livr? l'effectif de tous les corps. Aussi, ? chaque effort de M. de Caulaincourt pour nier ou att?nuer au moins les faits dont la connaissance parvenait journellement ? Saint-P?tersbourg, Alexandre lui r?pondait: <
M. de Caulaincourt, duquel Napol?on disait en effet tout cela, et sur qui la gr?ce s?duisante de l'empereur Alexandre avait agi, mais pas jusqu'? lui faire ?crire autre chose que la v?rit?, M. de Caulaincourt ayant ? son tour r?pondu, et dit ? son auguste interlocuteur qu'effectivement on armait en France, mais qu'on armait parce qu'il armait lui-m?me, lui ayant parl? des ouvrages qui s'ex?cutaient sur la Dwina et sur le Dni?per, du mouvement des troupes de Finlande, de celui des troupes de Turquie, Alexandre se voyant d?couvert, s'en ?tait tir? par un entier d?ploiement de franchise, qu'il pouvait du reste se permettre sans inconv?nient, car il ?tait vrai qu'il n'avait pris ses premi?res pr?cautions qu'? la suite de nombreux avis venus de Pologne et d'Allemagne, et lui-m?me d'ailleurs n'?tait pas f?ch? qu'on s?t qu'il ?tait pr?par? ? se bien battre.--Vous pr?tendez que j'arme, avait-il dit ? M. de Caulaincourt, et je suis loin de le nier; j'arme en effet, je suis pr?t, tout ? fait pr?t, et vous me trouverez dispos? ? me d?fendre ?nergiquement. Et que penseriez-vous de moi si j'avais agi autrement, si j'avais ?t? assez simple, assez oublieux de mes devoirs, pour laisser mon pays expos? ? la volont? si prompte, si exigeante et si redoutable de votre ma?tre? Mais je n'ai arm? que lorsque des avis s?rs, infaillibles, dont, bien entendu, je n'ai pas ? vous r?v?ler la source, m'ont appris qu'on mettait Dantzig en ?tat de d?fense, qu'on augmentait la garnison de cette ville, que les troupes du mar?chal Davout s'accroissaient et se concentraient, que les Polonais, les Saxons avaient ordre de se tenir pr?ts; qu'on achevait Modlin, qu'on r?parait Thorn, qu'on approvisionnait enfin toutes ces places. Ces avis re?us, voici ce que j'ai fait...--Conduisant alors par la main M. de Caulaincourt dans un cabinet recul? o? ?taient ?tal?es ses cartes, Alexandre avait ajout?: J'ai ordonn? des travaux d?fensifs non pas en avant, mais en arri?re de ma fronti?re, sur la Dwina et le Dni?per, ? Riga, ? Dunabourg, ? Bobruisk, c'est-?-dire ? une distance du Ni?men presque ?gale ? celle qui s?pare Strasbourg de Paris. Si votre ma?tre fortifiait Paris, pourrais-je m'en plaindre? Et quand il porte ses pr?paratifs si en avant de ses fronti?res, ne puis-je pas armer si en arri?re des miennes, sans ?tre accus? de provocation? Je n'ai pas tir? des divisions enti?res de Finlande, mais seulement rendu aux divisions de Lithuanie les r?giments qu'on leur avait enlev?s pour la guerre contre les Su?dois; j'ai envoy? ? l'arm?e les bataillons de garnison, et chang? l'organisation de mes d?p?ts. J'augmente ma garde, ce dont vous ne me parlez pas, et ce que je vous avoue, et je t?che de la rendre digne de la garde de Napol?on. J'ai enfin ramen? cinq de mes divisions de Turquie, ce dont je suis loin de faire un myst?re, ce dont au contraire je fais un grief contre vous, car vous m'emp?chez ainsi de recueillir le fruit convenu de notre alliance, fruit bien modique en comparaison de vos conqu?tes; en un mot, je ne veux pas ?tre pris au d?pourvu. Je n'ai pas d'aussi bons g?n?raux que les v?tres, et surtout je ne suis, moi, ni un g?n?ral ni un administrateur comme Napol?on; mais j'ai de bons soldats, j'ai une nation d?vou?e, et nous mourrons tous l'?p?e ? la main plut?t que de nous laisser traiter comme les Hollandais ou les Hambourgeois. Mais, je vous le d?clare sur l'honneur, je ne tirerai pas le premier coup de canon. Je vous laisserai passer le Ni?men sans le passer moi-m?me. Croyez-moi, je ne vous trompe point, je ne veux pas la guerre. Ma nation, quoique bless?e des allures de votre empereur ? mon ?gard, quoique alarm?e de vos empi?tements, de vos projets sur la Pologne, ne veut pas plus la guerre que moi, car elle en sait le danger; mais attaqu?e elle ne reculera point.--
M. de Caulaincourt ayant r?p?t? au czar que, en dehors de la guerre, il y avait des choses qui pouvaient ?galer la gravit? de la guerre elle-m?me, que le projet secret de se rapprocher de l'Angleterre apr?s la conqu?te des provinces danubiennes, de r?tablir le commerce russe avec elle, serait jug? par Napol?on comme non moins dangereux que des coups de canon, Alexandre avait ?t? aussi prompt ? s'expliquer sur ce sujet que sur les autres.--Me rapprocher, avait-il dit, de l'Angleterre apr?s l'arrangement des affaires de Turquie, je n'y pense pas! Apr?s la guerre de Turquie, apr?s avoir ajout? la Finlande, la Moldavie, la Valachie ? mon empire, je consid?rerai la t?che militaire et politique de mon r?gne comme accomplie. Je ne veux plus courir de nouveaux hasards, je veux jouir en paix de ce que j'aurai acquis, et m'occuper de civiliser mon empire au lieu de m'attacher ? l'agrandir. Or, pour me rapprocher de l'Angleterre, il faudrait me s?parer de la France, et courir la chance d'une guerre avec elle, que je regarde comme la plus dangereuse de toutes! Et pour quel but? pour servir l'Angleterre, pour venir ? l'appui de ses th?ories maritimes, qui ne sont pas les miennes? Ce serait insens? de ma part. La guerre de Turquie finie, je veux demeurer en repos, d?dommag? de ce que vous aurez acquis par ce que j'aurai acquis moi-m?me, tr?s-insuffisamment d?dommag?, disent les adversaires de la politique de Tilsit, mais, suffisamment ? mes yeux. Je resterai fid?le ? cette politique, je resterai en guerre avec l'Angleterre, je lui tiendrai mes ports ferm?s, dans la mesure toutefois que j'ai fait conna?tre et dont il m'est impossible de me d?partir. Je ne puis pas, en effet, je vous l'ai dit, je vous le r?p?te, interdire tout commerce ? mes sujets, ni leur d?fendre de frayer avec les Am?ricains. Il entre bien ainsi quelques marchandises anglaises en Russie, mais vous en introduisez au moins autant chez vous par vos licences, et surtout par votre tarif qui les admet au droit de 50 pour cent. Je ne puis pas me g?ner plus que vous ne vous g?nez vous-m?mes. J'ai besoin, en persistant dans une alliance que vous ne prenez aucun soin de populariser en Russie, de ne pas la rendre intol?rable ? mes peuples par un genre de d?vouement que vous n'y apportez point, et qui n'est pas n?cessaire du reste pour r?duire l'Angleterre aux abois, comme elle y sera bient?t r?duite si vous ne lui cr?ez pas vous-m?mes des alli?s sur le continent. Il faut donc nous en tenir ? ces termes, car, je vous le d?clare, la guerre f?t-elle ? mes portes, sous le rapport des mesures commerciales, je n'irai pas au del?. Quant aux autres points qui nous divisent, j'en ai pris mon parti. Les Polonais sont bien bruyants, bien incommodes, annoncent bien haut la prochaine reconstitution de la Pologne, mais je compte sur la parole de l'Empereur ? ce sujet, quoiqu'il m'ait refus? la convention que j'avais demand?e. Quant ? Oldenbourg, j'ai besoin de quelque chose qui ne soit pas d?risoire, non pour ma famille, que je suis assez riche pour d?dommager, mais pour la dignit? de ma couronne. Et ? cet ?gard encore je m'en rapporte ? l'empereur Napol?on. Je vous ai dit, je vous r?p?te, que, quoique bless? et embarrass? de ce qui s'est pass? dans le duch? d'Oldenbourg, pour ce motif je ne ferai pas la guerre.--
M. de Caulaincourt ayant insist? pour que l'empereur Alexandre d?sign?t lui-m?me l'indemnit? qui pourrait lui convenir, il refusa de nouveau de s'expliquer.--O? voulez-vous, lui dit-il, que je cherche une indemnit?? En Pologne? Napol?on dirait que je lui demande une partie du duch? de Varsovie, et que c'est pour la Pologne que je fais la guerre. Aussi m'offrirait-il le duch? tout entier que je le refuserais. Demanderai-je cette indemnit? en Allemagne? Il irait dire aux princes allemands que je travaille ? les d?pouiller. Je ne puis donc prendre l'initiative, mais je m'en fie ? lui. Sauvons les apparences, et je serai satisfait. Mon tr?sor compl?tera l'indemnit? si elle n'est pas suffisante.--
Alexandre, ? mesure que le d?part de M. de Caulaincourt approchait, avait redoubl? de soins pour cet ambassadeur, et, tout fin qu'il ?tait, avait ?videmment manifest? dans ses ?panchements avec lui ses v?ritables dispositions. La grandeur de Napol?on ?tait loin de lui plaire, cependant il s'y r?signait au prix de la Finlande, de la Moldavie et de la Valachie. Il ne voulait pas, pour se rapprocher de l'Angleterre, risquer avec la France une guerre dont la pens?e le faisait fr?mir, mais il ne voulait pas davantage sacrifier les restes de son commerce, et pour ce motif seul il ?tait capable de braver une rupture. Sa nation, et par sa nation nous entendons surtout la noblesse et la partie ?lev?e de l'arm?e, le devinant sans qu'il s'expliqu?t, l'approuvant cette fois enti?rement, ne voulant pas la guerre plus que lui, mais autant que lui, et aux m?mes conditions, ne montrait aucune jactance, m?me aucune animosit?, et disait tout haut comme son empereur, avec une modestie m?l?e d'une noble fermet?, qu'elle savait ce que la guerre avec la France avait de grave, mais que si on allait jusqu'? la violenter dans son ind?pendance elle se d?fendrait, et saurait succomber les armes ? la main. Il y avait d?j? une id?e r?pandue dans tous les rangs de la nation, c'est qu'on ferait comme les Anglais en Portugal, qu'on se retirerait dans les profondeurs de la Russie, qu'on d?truirait tout en se retirant, et que si ce n'?tait point par les armes russes, ce serait au moins par la mis?re que les Fran?ais p?riraient. Du reste, dans le langage, dans l'attitude, rien n'?tait provocant, et M. de Caulaincourt ainsi que les Fran?ais qui l'entouraient ?taient accueillis partout avec un redoublement de politesse.
La nouvelle de la naissance du Roi de Rome ?tant parvenue ? Saint-P?tersbourg avant l'arriv?e de M. de Lauriston, Alexandre avait envoy? tous les grands de sa cour complimenter l'ambassadeur de France, et s'?tait comport? en cette circonstance avec autant de franchise que de cordialit?. M. de Caulaincourt d?sirait terminer sa brillante, et, il faut le reconna?tre, sa tr?s-utile ambassade , par une f?te magnifique donn?e ? l'occasion de la naissance du Roi de Rome. Il d?sirait naturellement que l'empereur Alexandre y assist?t, et celui-ci, devinant son d?sir, lui avait dit ces propres paroles: Tenez, ne m'invitez pas, car je serais oblig? de refuser, ne pouvant aller danser chez vous lorsque deux cent mille Fran?ais marchent vers mes fronti?res. Je vais me faire malade pour vous fournir un motif de ne pas m'inviter, mais je vous enverrai toute ma cour, m?me ma famille, car je veux que votre f?te soit brillante, telle qu'elle doit ?tre pour l'?v?nement que vous c?l?brez, et pour vous qui la donnez. Votre successeur arrive, peut-?tre m'apportera-t-il quelque chose de rassurant; alors, si nous parvenons ? nous entendre, je prodiguerai ? votre ma?tre et ? vous les t?moignages d'amiti? les plus significatifs.--
Les choses se pass?rent en effet ? cette grande f?te comme l'avait annonc? l'empereur Alexandre, et toutes les convenances furent sauv?es. M. de Lauriston, fort impatiemment attendu, arriva enfin le 9 mai 1811 ? Saint-P?tersbourg. M. de Caulaincourt le pr?senta sur-le-champ ? l'empereur Alexandre, qui l'accueillit avec une gr?ce parfaite et une confiance flatteuse, sachant que sous le rapport des dispositions amicales et v?ridiques il ne perdait rien au change. Apr?s quelques jours consacr?s ? des r?ceptions officielles pleines d'?clat, Alexandre, tant?t en pr?sence de M. de Caulaincourt, tant?t en t?te ? t?te, mit M. de Lauriston ? la question pour ainsi dire, afin d'en obtenir quelque ?claircissement satisfaisant sur les projets de Napol?on; mais il n'en apprit rien que ne lui e?t d?j? dit M. de Caulaincourt, que ne lui e?t rapport? M. de Czernicheff, r?cemment arriv? de Paris. Napol?on ne d?sirait point une rupture, mais il armait parce qu'il avait appris l'arriv?e en Lithuanie des divisions de Finlande et de Turquie, parce qu'on remuait de la terre sur la Dwina et le Dni?per, parce qu'on lui annon?ait partout la guerre, parce qu'il craignait qu'on ne la lui f?t apr?s l'arrangement des affaires de Turquie, parce qu'on admettait les Am?ricains dans les ports de Russie, etc...--? ces redites, Alexandre ne put qu'opposer d'autres redites, et r?p?ter qu'il armait sans doute, mais uniquement pour r?pondre aux armements de Napol?on; qu'il ne songeait nullement ? commencer une nouvelle guerre apr?s l'arrangement des affaires de Turquie; qu'il ne prendrait les armes que si on les prenait contre lui; qu'il engageait sa parole d'homme et de souverain de ne point agir autrement; qu'il recevait les Am?ricains, parce qu'il ne pouvait pas se passer de ce reste de commerce, et qu'engag? ? Tilsit, non aux d?crets de Berlin ou de Milan qu'il ne connaissait point, mais au droit des neutres, il ?tait fid?le, plus fid?le que la France ? ce droit en admettant les neutres chez lui; qu'en un mot il ?tait pr?t ? d?sarmer, si on voulait convenir d'un d?sarmement r?ciproque.
Apr?s ces redites, qu'il fit entendre ? M. de Lauriston comme il les avait fait entendre tant de fois ? M. de Caulaincourt, il re?ut les adieux de celui-ci, le serra m?me dans ses bras, le supplia de faire conna?tre ? Napol?on la v?rit? tout enti?re, pria M. de Lauriston, qui ?tait pr?sent, de la r?p?ter ? son tour, en ajoutant avec tristesse ces paroles caract?ristiques: <
M. de Caulaincourt partit pour Paris, et M. de Lauriston, apr?s quelques jours pass?s ? Saint-P?tersbourg, ?crivit au minist?re fran?ais qu'en sa qualit? d'honn?te homme il devait la v?rit? ? son souverain, qu'il ?tait r?solu ? la lui dire, qu'il devait donc lui d?clarer que l'empereur Alexandre, pr?par? dans une certaine mesure, ne voulait cependant pas la guerre, que dans aucun cas il n'en prendrait l'initiative, qu'il ne la ferait que si on allait la porter chez lui; que quant ? Oldenbourg, il accepterait ce qu'on lui donnerait, m?me Erfurt, bien que cette indemnit? f?t d?risoire, et que pour l'amour-propre russe profond?ment bless? il serait bon de trouver mieux; que relativement ? la question commerciale, on obtiendrait plus de rigueur dans l'examen des papiers des neutres, quoiqu'il y e?t d?j? une certaine s?v?rit? d?ploy?e ? leur ?gard, puisque cent cinquante b?timents anglais avaient ?t? saisis en un an; mais que la Russie n'irait jamais jusqu'? se passer enti?rement des neutres.--Je ne puis, ajoutait M. de Lauriston, voir que ce que je vois, et dire que ce que je vois. Les choses sont telles que je les expose, et si on ne se contente pas des seules concessions qui soient possibles, on aura la guerre, on l'aura parce qu'on l'aura voulue, et elle sera grave, d'apr?s tout ce que j'ai observ? tant ici que sur ma route.--M. de Czernicheff fut de nouveau envoy? ? Paris pour r?p?ter en d'autres termes, mais avec les m?mes affirmations, exactement les m?mes choses, et aussi pour continuer aupr?s des bureaux de la guerre un genre de corruption dont il avait seul le secret dans la l?gation russe, et auquel son gouvernement attachait un grand prix, parce qu'il en obtenait les plus pr?cieuses informations sur tous les pr?paratifs militaires de la France.
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