Read Ebook: Le songe d'une femme: roman familier by Gourmont Remy De
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Ebook has 428 lines and 39668 words, and 9 pages
fleurs au coeur d'ambre et de pourpre, ?perons de gal?re tach?s du sang des meurtres!... A vrai dire, et pour expier mon lyrisme, je dois reconna?tre que ces ?perons, s'ils se sont ?cras?s contre beaucoup de poitrines, n'en ont transperc? aucune. Ils sont plut?t libertins que cruels; mais cette femme est si belle que si elle m'appartenait je lui permettrais tout. Je crois qu'? un certain degr? la beaut? est une idole qui a le droit de donner, ? qui lui pla?t, ses ?paules ? baiser. Ma L?da n'est pas une de ces jolies petites femmes dont la petite beaut? de hasard est cr??e presque ligne ? ligne par celui qui la d?sire ou qui la caresse; de celles-l? on est naturellement jaloux, puisqu'elles sont vraiment l'oeuvre de nos mains, de nos l?vres et de nos yeux; d'une L?da, ce n'est pas possible: elle est parfaite; celui qui l'aime n'y peut rien ajouter. On ne donne rien ? une pareille femme, et ? peine le plaisir, qu'elle re?oit avec d?dain, ? peu pr?s comme un compliment; on n'est pas son amant, on est encore son adorateur alors qu'elle oublie sa divinit? dans nos bras respectueux. Enfin, je l'ai aim?e en peintre autant qu'en homme, et je compte ces six semaines pour les plus belles de ma vie; ce sont des semaines olympiennes. Mais je n'ai pas la moelle d'un dieu et j'ai tant ador? que je suis au lit avec la fi?vre...--et voil? que l'acc?s me reprend... Je me suis sauv?, parce que la peinture avant tout, n'est-ce pas?...
P Bazan
PAUL PELASGE A PIERRE BAZAN
Les Fr?nes, 8 ao?t.
Je n'?tais d?j? plus ? Orglandes quand tu m'as ?crit. Des gens me d?plaisaient, trop bruyants, des gens du midi, de v?ritables cr?celles, et comme j'ai besoin de me reposer d'abord, j'ai pri? ma m?re de me laisser aller aux Fr?nes. M'y voici donc depuis une semaine et tr?s satisfait de ma fugue. Le premier jour n'avait pas ?t? gai. Que vois-je en arrivant, ? huit heures du matin? Mes deux petites cousines de Versailles qui s'en reviennent modestement de la messe, un gros livre sous le bras, suivies de leur d?testable institutrice, la femme-sphinx, la fausse Joconde qui sourit toujours avec l'air presque aussi b?te! Tu sais ? quel point me d?plaisaient les deux poup?es que j'?tais admis ? contempler tous les mois, guind?es sur leurs chaises, ? la table familiale et frugale du v?n?rable conseiller? J'ai un peu chang? d'avis, mais si elle me d?plaisent encore, c'est pour un motif tellement diff?rent que j'en suis presque ?pouvant?. Quant ? la fausse Joconde, je l'observe, et m?me je la guette: cela pouvait tr?s bien ?tre une femme excessivement femme. Je croyais donc mes cousines de sottes et pieuses p?ronnelles et si hors du si?cle qu'? peine j'osais leur parler. Je suis gauche avec les femmes auxquelles on ne peut tout dire; je m?prise les prudes ou je les estime tant que je respecte leurs oreilles jusqu'? leur faire hommage de mon silence. Il y a des jeunes filles qui, sans vilaine immodestie, laissent voir dans leurs yeux clairs la curiosit? de l'amour; on peut leur dire des choses qui les troublent sans les irriter, et c'est charmant. L'ignorance de l'homme n'est pas l'ignorance du plaisir. Avec celles-l?, on est tout de suite ? l'aise, ou mal ? l'aise; cela d?pend des moments. Mais elles savent si bien feindre! Les plus pures souvent jouent ? ravir les perverties, et telles qui ont copi? de leur main virginale les sonnets des <
Paul Pelasge
ANNE ET ANNETTE BOURDON A M. AGATHIAS BOURDON
Les Fr?nes, 8 ao?t.
... Les Fr?nes nous plaisent beaucoup, cette ann?e. Oncle et tante sont toujours tr?s aimables pour nous. Le temps est doux et beau. Mademoiselle nous fait faire de grandes promenades dans la for?t. Nous y rencontrons quelquefois Georges. Paul est venu passer quinze jours ici. Mademoiselle a re?u de bonnes nouvelles des Tilleuls. Sa m?re va beaucoup mieux, surtout du plaisir de l'avoir eue avec elle pendant presque tout le trimestre. Nous r?p?tons bien nos le?ons en retard. Mademoiselle croit que nous pourrons passer notre brevet ? la rentr?e, moi du moins, et Annette au printemps. Mon oncle a eu beaucoup de foin. Il est tr?s content. Ma tante vous embrasse bien et nous aussi. Vos filles respectueuses,
Anne
Annette
ANNA DES LOGES A CLAUDE DE LA TOUR
Les Fr?nes, 8 ao?t.
... Et que cherches-tu donc en dehors du mariage, ch?re Claude, si ce n'est la joie charnelle? Comme tu es sentimentale! Moi, je ne s?pare pas en deux moiti?s, comme une p?che, le plaisir de vivre; je ne comprends ni le coeur sans les sens, ni les sens sans le coeur, et je mange tout le fruit, le c?t? du mur avec le c?t? du soleil. D?s que la chair est prise, il faut bien que le coeur se prenne aussi. Je t'avouerai que je parle ici d'apr?s mon exp?rience, et qu'elle n'est pas tr?s ?tendue. N'ayant pas ta vertu, je n'ai pas fui les aventures, et en toutes j'ai subi l'ascendant du d?sir pr?cis, imp?rieusement sensuel: j'ai aim? apr?s, jamais avant. Maintenant, couch?e dans ma joie, je ne sais plus rien. Je songe que je vis et mon songe est vrai, et je suis heureuse. C'est le mot qui me vient aux l?vres quand je me parle ? moi-m?me et celui que j'?cris quand je me laisse aller ? ?crire selon la na?vet? et selon la douceur de ma pens?e. Un jour, bient?t si tu l'exiges, je te raconterai toute ma vie, pour que tu saches quel fut le po?me de mes jours. Et ainsi ? mon bonheur de chaque matin et de chaque soir j'ajouterai le parfum et l'ensoleillement du souvenir. Oh! que je voudrais te savoir souriante et ?panouie, toi si belle et si reine! Mais ne crois pas que je te plaigne! J'aurais trop peur de te d?plaire, de te d?piter contre moi. Quand on est toi, on est ce que l'on veut ?tre; si tu n'es pas heureuse, c'est que, tout au fond de ton petit coeur orgueilleux, le bonheur te para?t vulgaire...
Anna des Loges
CLAUDE DE LA TOUR A ANNA DES LOGES
Les Pins, 11 ao?t.
Tu ne me donnes pas ton adresse de voyageuse; je t'?cris quand m?me, avant de partir pour l'Auvergne. Je change de montagnes; j'esp?re trouver des d?serts, une nature pauvre qui n'?tale pas devant moi la joie de ses amours et de sa f?condit?. Je voudrais me fatiguer sans m'ennuyer, dormir d?s la nuit, comme mes moissonneuses et oublier le matin que j'ai v?cu la veille et qu'il faut vivre encore toute une journ?e. Comme je suis loin de toi, ch?re Anna! Me diras-tu ton secret?... Le mois pass?, il nous vint une distraction: un peintre mand? par mon mari pour restaurer quelques tableaux de famille. C'est un jeune homme au-dessus de sa condition et assez spirituel; de beaux yeux, des mains fines, une tournure presque ?l?gante, un air de sant? et de force. Je suis partiale, parce que je crois qu'il ?tait amoureux de moi et qu'il est parti ? regret. Peut-?tre ce d?part a-t-il augment? ma m?lancolie... Je te dis des choses! Enfin, puisque nous nous ?crivons pour cela, pour nous faire des confidences!... Un soir il me demanda de faire mon portrait, mais d'une mani?re si douce que j'en fus touch?e. Il me priait, car je me taisais, avec une insistance grave, parlant de l'art, de la beaut?, de la joie que donne la contemplation des formes pures... L?, je voulus l'interrompre pour lui dire que si mon visage lui plaisait, je lui accorderais volontiers deux ou trois s?ances, mais il s'exaltait, me dessinant toute avec des paroles si pr?cises que j'eus peur, un instant, d'?tre nue!... Je lui conc?dai les ?paules... Le soir ?tait ti?de et odorant; on sentait, au loin, l'herbe fauch?e et les sarrasins en fleur; des peupliers bruissaient doucement, et quand ils se taisaient, l'air tremblait un peu en passant ? travers la rude chevelure des pins: je me levai d'un sursaut, en regrettant mes principes et ma froideur. Il me reste de cette anecdote un fort joli portrait en rose, noir et jaune de ton infortun?e
Claude de la Tour
PIERRE BAZAN A PAUL PELASGE
Paris, 14 ao?t.
... J'ai montr? mes L?das ? Durand, qui m'avait avanc? l'argent pour aller aux Pins. Il m'en a offert des prix extravagants et j'allais ouvrir la bouche pour accepter avec d?lice, quand on sonne: L?da elle-m?me. Et ? la revoir ? l'improviste, et ici, dans mon triste atelier o? il y a pour fauteuils des amas d'?toffes bigarr?es et, pour meubles, des toiles clou?es au mur, me voil? pris d'un acc?s de tendresse qui va jusqu'aux larmes; me voyant ?mu et p?le, elle se jette ? mon cou, me d?vore, m'?crase. J'entends Durand qui chantonne sur un ton goguenard; je l'exp?die et, lui promettant de ne rien vendre sans le pr?venir, je lui emprunte encore dix louis, et me voil? redevenu pour un jour le cygne de la marquise de L... T. Elle a laiss? aux Pins son air d'imp?ratrice qui se pr?te ? l'amour. Nous avons jou? comme des enfants et bu dans mon c?l?bre verre de Venise . C'?tait hier, et ce que j'aime en elle maintenant, ce n'est plus la beaut? nue d'un corps parfait, c'est la femme tout enti?re: son sourire autant que ses reins, le son de sa voix, h?las! plus peut-?tre encore que son ventre en bouclier, que ses seins en ?perons de gal?res. Quelle stupidit?! Il m'a ?t? agr?able de la revoir v?tue d'un triste costume de voyage, pareille aux femmes qu'on rencontre dans les gares et qui ont des enfants! Elle n'est plus l'impersonnel d?sir; elle n'est plus le beau morceau de nu qu'on veut toucher pour donner part aux mains de la f?te esth?tique des yeux; elle est une dame, qui a un nom, qui va aux eaux, qui se meut dans la vie r?elle d'aujourd'hui; elle est une femme, et je l'aime! Mais pourquoi? J'ai vu et j'ai eu les plus beaux mod?les, sans aucune ?motion; pendant trois semaines L?da a ?t? ma ma?tresse de hasard et de passage; je l'ai poss?d?e froidement, c'est-?-dire avec un plaisir d'artiste et de jouisseur, mais non d'amant. Je la quitte, je me sauve, je l'oublie; je suis en train de trafiquer avec intelligence des ?tudes ? quoi elle s'est pr?t?e parce qu'elle n'avait plus de pudeurs ? feindre devant moi. Je l'oublie enfin et quinze jours y suffisent, et quand je la revois, je l'aime!... Donne-moi un moyen de me gu?rir! En connais-tu? Non. Tais-toi. Laisse-moi. Si tu me disais d'elle ce que j'en dis, je te d?testerais, et de cela, par exemple, rien ne pourrait me consoler...
P Bazan
PAUL PELASGE A PIERRE BAZAN
Les Fr?nes, 14 ao?t.
Les voil?. Il n'y a rien de chang? en elles. Elles sont un peu rouges, mais c'est la chaleur et la r?action; elles sourient et nous offrent des fleurs, d'assez vilains bouquets vite cueillis et o? il y a beaucoup d'herbes. La com?die commence, telle que je l'avais pr?vue:
<
Voici Anne, puis des Fresnes, ? une distance. Se sont-ils expliqu?s? Les deux soeurs ont un colloque ? voix basse, apr?s lequel Anne vient vers moi en souriant. Elle cherche quoi me dire. Tout d'un coup elle enl?ve de son corsage une petite ?pingle ? t?te de perle et la pique pr?s du revers de mon veston, ? l'int?rieur. Sans l'?pingle, c'?tait un joli geste de tire-laine. Je ne comprends pas. Elle prend le bras de sa soeur; nous remontons vers les arbres. Pendant la travers?e du taillis, Annette m'a dit myst?rieusement: <
Telle est cette journ?e que je t'ai cont?e en si grand d?tail. J'avais tant de plaisir ? la revivre et ? la fixer ainsi plus solidement dans mon souvenir!...
Paul Pelasge
P. P.
CLAUDE DE LA TOUR A ANNA DES LOGES
En Auvergne, 15 ao?t.
... Me voil? si fatigu?e, ch?re amie, que je n'ai pas la force de m'ennuyer. Nous sommes arriv?s ce matin sans nous ?tre arr?t?s ? Paris que pour d?ner. Je n'aime pas Paris; on y sent trop de respirations, trop de chair et trop de sueurs: cela me donne le vertige et cela me trouble le coeur. Si je dois succomber aux d?sirs de quelque fr?n?tique, ce sera l?, au milieu de ces malsaines odeurs d'amour qui tentent, comme la bouteille o? d'autres vulgarit?s trouvent des rires. Mais je n'y connais personne et comme il est peu probable que je me donne au passant, je garderai ma triste vertu... Le passant! Quel amant pourtant est sup?rieur au passant? Il est l'excuse parce qu'il est l'inconnu; il est le devoir, parce qu'il est le d?sir. Voil? comment je raisonnerais si j'avais des sens passionn?s, mais mon coeur, qui est inquiet, est froid. Je suis dure et morne comme les roches de granit qui sont l? et d'o? surgissent ces pins s?v?res o? le vent pleure. ?cris-moi, parle-moi, ch?re Anna. T?che de gu?rir ton amie; donne-lui un peu de ta force, un peu de ton rayonnement!...
Claude de la Tour
ANNA DESLOGES A M. AGATHIAS BOURDON
Les Fr?nes, 15 ao?t.
... Ces demoiselles sont tr?s sages et se portent bien. Elles ?tudient, font un peu de couture, un peu de musique, se prom?nent. Nous avons fait hier une petite excursion dans la for?t de l'Aulne, qui est tout pr?s des Fr?nes. Pendant notre halte, je leur ai lu quelques pages de <
Anna Desloges
ADJUTOR DES FRESNES A AGATHIAS BOURDON
Les Fr?nes, 15 ao?t.
... J'observe nos enfants, mon cher Bourdon, et je crois qu'ils se plaisent. Il y avait m?me hier soir un peu de froideur entre Anne et Georges; cela est de bon augure, puisque cela suppose qu'ils s'int?ressent assez l'un ? l'autre pour ressentir vivement une petite contrari?t? ou un petit d?faut de caract?re. J'ai interrog? mademoiselle Desloges sur l'incident que je supposais, mais elle a d'abord ouvert de grands yeux, en feignant la surprise, puis elle a souri sans rien dire. Elle doit ?tre au courant de tout...
Adjutor des Fr?nes
L'ABB? JOSEPH LECOEUR A M. AGATHIAS BOURDON
Les Fr?nes, 16 ao?t.
Il n'y eut en tout ceci aucune faute imputable ? mademoiselle Desloges. D'apr?s le m?me journalier qui l'a rencontr?e et lui a parl? ? l'entr?e de la for?t, on l'a brusquement abandonn?e pour se jeter en courant dans le taillis. Elle n'a pas os? s'y aventurer seule, et avec raison, car il est tr?s facile de s'y ?garer et d'y faire une chute dangereuse. Cela m'est arriv? aux premiers temps de mon s?jour ici. Mademoiselle Desloges est d'ailleurs une personne trop s?rieuse et trop pieuse pour avoir tol?r? m?me une allusion ? pareille folie. Je crois que des jeunes filles ne peuvent ?tre en des mains plus s?res, plus expertes. Avec la gr?ce et la puret? d'une vierge prudente, elle a la sagesse d'une matrone et la dignit? d'une chanoinesse...
Pardonnez ? un vieillard encore tout ?mu l'expression peut-?tre un peu forte de sa tristesse et croyez-moi...
Joseph Lecueur pr?tre
M. AGATHIAS BOURDON A M. L'ABB? LECOEUR
Versailles, 18 ao?t.
Agathias Bourdon
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