Read Ebook: Le songe d'une femme: roman familier by Gourmont Remy De
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Ebook has 428 lines and 39668 words, and 9 pages
Agathias Bourdon
AGATHIAS BOURDON A ANNA DESLOGES
Versailles, 18 ao?t.
... Surveille bien mes filles, ch?re Minette, et t?che de les marier. Tu vois que je ne manque pas une occasion de te rappeler ma promesse d'un petit mot compromettant. Je te fais ?crire s?rieusement par ma soeur des choses sans int?r?t. Si je passe huit jours aux Fr?nes, retrouverons-nous sans danger nos causeries du soir?...
Ag.
VIRGINIA BOURDON A ANNA DESLOGES
Versailles, 18 ao?t.
... Voil? donc, ch?re Mademoiselle, les instructions de mon fr?re pour les derniers jours de votre s?jour aux Fr?nes...
Virginia Bourdon
PIERRE BAZAN A PAUL PELASGE
Paris, 18 ao?t.
... Tu ne m'as pas r?pondu et tu as bien fait. Ton silence et l'absence ont un peu ?teint ma couleur. Je m'engrisaille et je travaille. Durand me fait toujours des avances sur mes L?das et je trafique avec s?r?nit? des charmes de ma bien-aim?e. Je ne sais ce qu'elle devient, ni si elle pense encore ? moi... Raconte-moi encore de jolies histoires: car tu dois les inventer. Va toujours: j'illustrerai le volume. J'ai vu assez de hanches pour trouver dans ma collection de souvenirs--et dans mes cartons--celles qui doivent voguer ? fleur d'eau dans les marges de ton roman...
P Bazan
PAUL PELASGE A PIERRE BAZAN
Les Fr?nes, 20 ao?t.
... Ceci n'est pas un conte. Je n'invente pas; je n'arrange pas; j'?cris ? peine. Cependant garde mes lettres. Rien ne vaut les impressions na?ves et cordiales pour donner du ton ? un roman et prendre les femmes. Si j'?cris des histoires, je ne veux ?tre lu que par les femmes. Je voudrais ?tre un de ces romanciers dont les livres sont les compagnons de lit des incomprises et des d?laiss?es.
Joconde nous surveille de moins en moins. Au premier pr?texte, le long de nos promenades, elle nous abandonne et nous la retrouvons presque toujours pench?e sur le cahier violet o? elle crayonne. L'autre jour je l'ai surprise couch?e et cach?e dans un fourr? de jeunes h?tres. Elle dormait. Sa jupe s'?tait relev?e sur ses jambes et dans son sommeil, sans doute, elle avait fait sauter quelques boutons de son corsage; un peu de chair ros?e, ? chaque prise d'haleine, montait comme une fleur que le vent remue au-dessus de la dentelle de la chemise, et tout le buste se gonflait. C'?tait fort joli; c'?tait bien plus encore: c'?tait ?mouvant. Je regardai assez longtemps, et avec un trouble presque douloureux, la beaut? de cette vie ?panouie sous l'ombre des feuilles. J'avais peur d'?tre surpris, car j'aurais eu l'air d'adorer, et je contemplais. Cependant des souvenirs me revenaient de mauvaises lectures: je m'enfuis ? travers les branches, me demandant quel peut ?tre l'?tat d'esprit d'une femme qui s'endort seule au pied d'un arbre et se r?veille ?cras?e par un homme... Quelques instants apr?s, je l'ai retrouv?e assise sur un banc, l'air vague et les yeux lointains. Une fl?che de soleil faisait une blessure rouge dans ses cheveux sombres; je m'amusai ? ce jeu de lumi?re, avant de lui parler, puis nous discour?mes sur la couleur des cheveux. Elle avait l'air de moins vivre en parlant que couch?e sous les jeunes h?tres. A quoi songe-t-elle? Et moi, quelle est ma pens?e pendant que je lui affirme que ses cheveux sont <
Cette fille de mon ?ge m'int?resse plus que les trop jeunes candeurs, m?me un peu perverses. Il y a en elle une pl?nitude de vie et de chair qui attire la morsure; elle excite la sensualit? ou peut-?tre la gourmandise; je deviens ogre ? sentir sous cette robe tendue et insolente la certitude d'un corps qui m'est d?, comme le corps de toutes les femelles de ma race. Il est ?vident que, d'apr?s les lois de la nature et de mon d?sir, j'ai le droit de la prendre et de la courber sous mon joug: elle le sait, mais elle sait aussi, et moi-m?me, qu'il y a entre nous une invisible barri?re ? mailles d'acier et que, seule avec moi, elle est plus en s?ret? que derri?re une muraille de granit. Le danger n'est ni dans ma main ni sur ma bouche; il est en elle-m?me: tout d?pend d'un geste, d'un mot, d'un regard, d'un soupir, de moins que cela, d'une pens?e qui, partie de son front, viendrait heurter mon front et y ?clater comme une amorce.
Nous ne disons rien. Maintenant je songe ? moi. Je dois avoir l'air tr?s froid ou tr?s gauche. C'est que je ne vois en Joconde ni une femme ni une ma?tresse; elle est pour moi depuis deux ou trois jours, et surtout depuis une heure, plus ou moins qu'un d?sir social: elle est la substance d'un acte naturel et simple, la branche que je vais rompre, la fleur que je vais cueillir, le fruit o? je vais mordre, l'eau que je vais boire. Aucune id?e d'amour, rien de d?licat, de pudique, de r?veur. Je la d?shabillerais sans plus d'?motion que moi-m?me; je songe ? un accouplement licencieux...
Quel silence! Ce silence est plus lourd que l'orage et plus br?lant que le soleil. Il est quatre heures. Que vais-je faire jusqu'au d?ner? O? sont les petites? Elles me calmeraient comme des sources. Avec elles je parle. Je n'ai jamais pu rien dire ? Joconde. Si je l'appelais Joconde, peut-?tre que cela la ferait rire. Je ne l'ai jamais vue rire... Voil? qu'elle se l?ve. Elle s'en va sans me regarder. C'est presque un geste. J'ai ?t? sot. Elle ?tait une si jolie b?te couch?e sous le berceau des jeunes h?tres...
Voil?, cher ami, quelques-unes de mes r?flexions, assis sur un banc dans le parc des Fr?nes, t?te ? t?te avec l'institutrice des petites Bourdon, mes cousines. ?videmment j'ai quinze ans ou soixante ans. Un homme ma?tre de sa force et de son ?motion sensuelle e?t en cette heure chaude conquis Joconde, si elle est ? conqu?rir. En une heure, un homme spirituel fait six mois de cour ? une femme. Est-ce que je ne pourrais pas l'aimer, depuis trois ans que je la connais? Il est vrai que je ne l'avais encore jamais tant regard?e, mais elle m'aurait cru puisque je lui aurais dit ce qu'elle croit d?j?. Une femme n'est jamais moins surprise que lorsqu'on lui fait une d?claration; elle tient ceux qui s'abstiennent pour des sots, des timides, des l?ches ou des impuissants. Voil? ce que les hommes comprennent mal, eux qui se r?signent ? d?plaire; et s'ils le comprennent, cela ne leur sert de rien, parce qu'ils mentent avec d?plaisir et avec mauvaise gr?ce. Je sens tr?s bien que mon d?sir est trop limit? pour que je puisse le faire partager ? Joconde; si je d?sirais l'infini, elle s'en serait aper?ue et elle m'aurait peut-?tre donn? ce qui est pour elle l'infini: soi...
Paul Pelasge
PAUL PELASGE A PIERRE BAZAN
Les Fr?nes, 21 ao?t.
... Georges est encore absent. Cependant, Madame des Fresnes nous a permis d'aller jusqu'au viaduc du Moulin, une insignifiante curiosit? du pays, mais dans une vall?e profonde et toute verte. D?s qu'on aper?oit cette longue ma?onnerie, Joconde s'arr?te, sous le pr?texte de la dessiner, et je descends seul avec les jeunes filles le sentier de ch?vres qui d?vale au milieu des ajoncs. Responsable du salut de ces vierges, je deviens paternel et autoritaire; j'arr?te les bras qui s'allongent vers la tentation d'un noeud de ch?vrefeuille. Annette, qui a retrouss? sa robe, se sent les jambes mordues par les ajoncs; chaque piquant est une petite fourmi qui passe apr?s avoir dit sa col?re. Mais Annette rit de souffrir ainsi. Elle a l'ivresse du vert, cette ivresse comme balsamique qui masque la fatigue et engourdit la peau. Les ajoncs parfois deviennent si hauts que le passage est dangereux pour les figures; mais le terrain change, la terre devient rocheuse, et nous ?crasons les airelles noires qui nous font des taches d'encre violette. Il y a de l'herbe sous les hautes vo?tes du viaduc. Annette se jette follement au cou de sa soeur ?tonn?e et les deux jeunes filles tombent enlac?es; j'entends des baisers. Ah! que c'est b?te et triste d'?tre un homme abruti par la civilisation biblique! Leur hyst?rie me d?sire, et moi aussi j'ob?is un peu au fil qui me tire vers ces jambes fr?missantes. Pourquoi n'avons-nous pas le droit d'?tre des dieux qui joueraient ? se donner des sensations au fond d'un val, ? l'abri des grandes ma?onneries pr?historiques? Mais je suis l? presque un dieu, en v?rit?, car je me sens comme invisible. Annette languit et d?tache ses bras des ?paules qu'ils serraient ?troitement. Anne se rel?ve. Pour me calmer, je leur jure qu'elles sont des gamines ridicules et je vais tendre ? Annette une main qu'elle ?treint de ses deux mains pour se retrouver debout, rouge et pas du tout confuse. O? ai-je lu que des femelles simulent un combat d'amour pour exciter le m?le indiff?rent? Je m'assieds sur un bloc de granit oubli? l? par les ma?ons. Elles me regardent en secouant leurs robes frip?es. Je deviens dieu de plus en plus et je prends une pose noble pour fumer une cigarette. Cela doit ?tre tr?s beau un homme aux yeux r?veurs et au torse plein vu par des jeunes filles dont le coeur bat! Quand elles m'ont bien regard?, elles se prennent le bras et s'en vont. Je les suis de l'oeil, berger soucieux, en m?chant une tige am?re de centaur?e. Que nous sommes bien dompt?s! Les esclaves ne tra?nent plus leur cha?ne: ils l'ont aval?e, et elle leur p?se sur le ventre. Oh! avoir l'immoralit? de la nature, sa cruaut? et sa beaut?! N'?tre pas une chose d'intelligence; sentir des instincts et violenter le monde plut?t que de ne pas les satisfaire! Les hommes et les femmes ne savent plus qu'?tre un tourment les uns pour les autres; si j'ob?issais ? la loi ?ternelle du d?sir, je serais forc? de me m?priser, ou de me tuer... Ainsi je d?clamais, l'?me m?diocre, peut-?tre, contre ma propre l?chet?, lorsque je vis Anne et Annette qui s'en revenaient vers moi encore s?rieuses, toutes p?lies et toutes jolies dans leurs claires robes tach?es du vert des ajoncs et du violet des airelles. Elles avaient l'air de petites bacchantes sages et rus?es: je fus content de les d?sirer toujours et je compris la sagesse des morales qui prolonge le plaisir en d?fendant d'ouvrir la bo?te. Pendant une minute, je souhaitai de toujours vivre ainsi parmi des filles auxquelles il ne me serait pas permis de toucher; j'aurais peut-?tre des nuits trop peupl?es et des minutes de veille un peu troubles, mais la tentation surmont?e je serais pareil aux saints qui vivent leur mis?re dans un ciel futur... Les voil? assises en face de moi sur une autre pierre un peu plus basse; nos genoux se touchent presque, nos jambes se m?lent: elles vident sur leurs robes tendues leurs mains pleines d'humbles fleurs, et elles me questionnent et les doigts fr?lent les doigts qui se passent les fleurettes d?color?es. Nous faisons de la botanique, de la plus na?ve, mais elles en savent moins que moi et je regarde leurs mains pour me donner des id?es. Annette a la main plus potel?e; celle d'Anne, sans ?tre maigre, est plus longue: on voudrait s'amuser ? mettre des bagues bien lourdes ? chacun de ces doigts ronds et souples. Je les regarde trop pendant qu'ils font tourner une marguerite comme une petite marionnette; je ne sais pas ce que je vais faire, peut-?tre quelque chose d'absurde: je me penche et j'ai touch?, d'un baiser rapide, la longue main blanche... Il me semble qu'Annette a dit oh! sur un ton de jalousie: je baise aussi la main potel?e d'Annette, moins vite, avec une sensualit? moins timide. Apr?s une seconde de stupeur, elles se mettent ? rire et je puis librement reprendre les deux mains qu'on m'abandonne et les unir sous ma bouche dans un baiser durable et passionn?. Elles sont ?mues, mais pleines de courage; le jeu ira aussi loin que je voudrai, jusque-l? o? le jeu cesse de rire; mais je ne veux plus rien d?s qu'on m'a donn? tout ce que je peux prendre. Je n'irai pas jusqu'aux l?vres qui pourtant s'entr'ouvrent fi?vreuses sur les dents; je n'irai pas jusqu'? la gorge que pourtant je vois se gonfler sous l'?toffe l?g?re qui se plisse tour ? tour et se tend comme une voile sous l'effort de la vie... Nous entendons un cri d'appel. Joconde se dresse l?-bas, au-dessus des ajoncs. Anne se l?ve et lui fait un signe. Annette, cach?e par sa soeur, en profite pour me les tendre, ces l?vres que je me refusais, et j'ob?is, je bois la fra?cheur de cette petite bouche rouge et rieuse qui me faisait peur, je bois longtemps la petite ?me jeune qui se livre avec une candeur o? il y a de la vanit? et de la jalousie: cependant je sens sous ma main inconsciente et stupide la caresse soudaine d'une fleur dure qui se l?ve comme une mauvaise pens?e... Anne se retourne, mais Annette est d?j? debout, juch?e sur la pierre, et elle gesticule vers Joconde pendant que je regarde sa robe que le vent retrousse et des talons jaunes sous lesquels je voudrais mettre la main pour ?tre ?cras? un peu par cette fillette qui a le droit de me punir...
Paul Pelasge
ANNA DES LOGES A CLAUDE DE LA TOUR
Les Fr?nes, 21 ao?t.
Ch?re M?lancolie, je t'?cris encore du ch?teau des Fr?nes o? la chaleur a un peu troubl? ma joie de vivre; mais j'esp?re y achever l'?t? dans un repos voluptueux. Ici tout est d'un vert bien plus tendre qu'? Versailles et aux Tilleuls et je vis doucement au milieu de vieilles gens que j'aime et de jeunes filles dont le rire me pla?t et me rafra?chit. J'ach?ve de mettre au net les confessions que je t'ai promises, le <
Anna des Loges
PIERRE BAZAN A PAUL PELASGE
Paris, 22 ao?t.
... J'ai relu ce matin tes derni?res lettres qui m'avaient d'abord irrit?, car depuis huit jours j'?tais sans nouvelles de L?da et je la pleurais comme un sot. Mais aujourd'hui je me roule dans l'herbe avec toi, je participe ? tes plaisirs innocents et champ?tres. L?da est revenue. Ils sont install?s ? Vichy et il faut vraiment qu'elle m'aime bien pour s'?tre impos? la corv?e de cette rapide course. Blanche Patraque me posait une <
... Je suis tr?s heureux, mon cher ami, mais pourtant j'ai lu dans les yeux de L?da je ne sais quoi qui m'a troubl?. Elle ne souriait que si je la regardais et ce sourire ?tait comme une draperie jet?e sur un mannequin: je sentais en dessous quelque chose de morne et de froid. Je suis tr?s heureux: c'est-?-dire mes mains et mes yeux ont ?t? tr?s heureux; j'ai ador? la d?esse et la femme par tous les moyens qui sont au pouvoir d'un homme, par toutes les pri?res, par toutes les caresses, par tous les actes de l'esclavage le plus ing?nieux et de la luxure la plus farouche, et je n'ai pu ?ter des yeux mourants de l'amante une ombre ironique et tenace, d?sir inconnu, nuage au fond de l'eau silencieuse et bleue... Qu'en penses-tu? C'est la premi?re fois que j'aime une femme aussi compliqu?e... Je suis tr?s heureux, mais je voudrais bien que cela ne m'emp?che pas de peindre. Or, ce matin, j'ai envie de songer, d'?crire, de dormir, de sortir, mais pas de peindre; et je sens que je suis content de ne rien faire et de r?ver aux yeux de L?da... Est-ce qu'on ne peut donc pas ?tre heureux tranquillement, sans que cela d?range toute votre vie?...
P Bazan
CLAUDE DE LA TOUR A ANNA DES LOGES
Auvergne, 25 ao?t.
... On m'a renvoy? des Pins ta derni?re lettre. Je saurai donc le secret de ta vie heureuse! H?las! ce pays de vignes, de roches, de sapins et de ch?taigniers est encore trop souriant pour mon ennui... Je ne sais ce que je voudrais, ou cela est si vague et si ?trange que je n'y veux pas songer. Dis-moi bien ton <Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page