Read Ebook: Remarks upon the proposed destruction of the tower of the Parish Church of St. John Hampstead by Scott George Gilbert Sir
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Apr?s avoir doubl? le cap Vert, ils continu?rent leur course, en conservant toujours la vue de la terre. Ce c?t? du cap forme un golfe. La c?te en est basse et couverte de beaux arbres, dont la verdure s'entretient sans cesse, c'est-?-dire que, des feuilles nouvelles succ?dant sans intervalles ? celles qui tombent, on ne s'aper?oit jamais, comme en Europe, que les arbres se fl?trissent. Ils sont si pr?s de la mer, qu'on s'imaginerait qu'ils en sont arros?s. La perspective est si belle, qu'apr?s avoir navigu? ? l'est et ? l'ouest, l'auteur d?clare qu'il n'a jamais rien vu de comparable. Le pays est arros? de plusieurs petites rivi?res dont on ne peut tirer aucun avantage, parce qu'il est impossible aux vaisseaux d'y entrer.
Enfin ils arriv?rent ? l'embouchure d'une fort grande rivi?re. Dans sa moindre largeur, elle n'avait pas moins de trois ou quatre milles, et rien ne paraissait s'y opposer ? la navigation. Ils y entr?rent avec confiance, et le jour suivant ils apprirent que c'?tait la rivi?re de Gambie.
Les caravelles s'y engag?rent l'une ? la suite de l'autre. Mais ? peine eurent-elles remont? l'espace de trois ou quatre milles, qu'elles se virent suivies d'un grand nombre d'almadies, sans pouvoir juger d'o? elles venaient. Elles revir?rent de bord, et s'avanc?rent vers les N?gres, apr?s avoir pris soin de se couvrir de tout ce qui pouvait servir ? les d?fendre contre les fl?ches empoisonn?es. Le combat paraissait in?vitable. Les almadies se trouvaient d?j? sous la proue du vaisseau de Cadamosto, qui ?tait le plus avanc?; et, se divisant en deux lignes, elles le tinrent dans leur centre. Elles ?taient au nombre de quinze, qui portaient environ cent cinquante N?gres, tous bien faits et de belle taille. Ils avaient des chemises blanches de coton, et sur la t?te une sorte de chapeau blanc, relev? d'un c?t? avec une plume qui leur donnait l'air guerrier. ? la proue de chaque almadie, un N?gre, couvert d'un bouclier rond qui semblait ?tre de cuir, observait les objets et les ?v?nemens. Dans la situation o? ces barbares ?taient aux deux c?t?s du vaisseau, ils cess?rent de ramer; et, tenant leurs rames lev?es, ils regardaient la caravelle avec admiration. Ils demeur?rent ainsi tranquilles jusqu'? l'arriv?e des deux autres b?timens, qui s'?taient h?t?s de retourner ? la vue du p?ril. Lorsqu'ils les virent fort proches, ils abandonn?rent leurs rames; et, sans autre pr?paration, ils se mirent ? lancer leurs fl?ches. Les trois caravelles ne firent aucun mouvement; mais elles tir?rent quatre coups de canon qui rendirent les N?gres comme immobiles. Ils mirent leurs arcs ? leurs pieds; et, jetant les yeux de tous les c?t?s avec les derni?res marques de frayeur, ils paraissaient chercher la cause d'un bruit si terrible. Cependant, s'?tant rassur?s lorsqu'ils eurent cess? de l'entendre, ils reprirent courage, et recommenc?rent ? tirer avec beaucoup de furie. Ils n'?taient plus qu'? la distance d'un jet de pierre. Les Portugais leur envoy?rent quelques coups d'arquebuse, dont le premier per?a un N?gre au milieu de la poitrine, et le fit tomber mort. Sa chute effraya les autres; mais elle ne les emp?cha point de continuer leur attaque. On leur tua beaucoup de monde, sans perdre un seul homme sur les trois vaisseaux. Ils se retir?rent enfin.
Les commandans des trois caravelles n'en r?solurent pas moins de remonter la rivi?re l'espace de cent milles, dans l'esp?rance de trouver des peuples mieux dispos?s. Mais ils trouv?rent de la r?sistance dans leurs matelots, qui, dans l'impatience de retourner en Europe, d?clar?rent ouvertement qu'ils n'iraient pas plus loin. Cadamosto et les autres chefs, se d?fiant de leur autorit?, prirent le parti de mettre le lendemain ? la voile pour retourner au cap Vert.
Cadamosto fut plus heureux dans un second voyage qu'il fit au pays de Gambra, qu'il avait r?solu de mieux reconna?tre. Accompagn? de ce m?me G?nois qui l'avait suivi, il remonta la rivi?re, et mit dans sa chaloupe quelques interpr?tes qui parvinrent enfin ? inspirer quelque confiance aux N?gres. Deux d'entre eux, qui entendaient parfaitement le langage des interpr?tes, mont?rent sur le vaisseau de Cadamosto. Ils marqu?rent beaucoup de surprise en voyant l'int?rieur de la caravelle, avec toutes ses voiles et tous ses agr?s. Ils ne parurent pas moins ?tonn?s de la couleur et de l'habillement des ?trangers.
Cadamosto d?puta au prince, avec les deux N?gres, un de ses interpr?tes qu'il chargea de quelques pr?sens. Aussit?t que les messagers eurent expliqu? leur commission ? Batti-Mansa, il envoya quelques N?gres ? la caravelle. On fit avec eux un trait? d'amiti?, et divers ?changes pour de l'or et des esclaves; mais la quantit? d'or n'approchait pas des esp?rances qu'on avait con?ues sur le r?cit des peuples du S?n?gal, qui, ?tant fort pauvres, avaient une haute id?e des richesses de leurs voisins. D'ailleurs les N?gres de la Gambie n'estimaient pas moins leur or que les Portugais. Cependant ils marqu?rent tant de go?t pour les bagatelles de l'Europe, que les ?changes furent assez avantageux. Pendant onze jours que les caravelles demeur?rent ? l'ancre, il y vint des deux c?t?s de la rivi?re un grand nombre de ces barbares, les uns attir?s par la curiosit?, d'autres pour vendre leurs marchandises, entre lesquelles il se trouvait toujours quelques anneaux d'or. Ils apport?rent du coton cru et travaill?. La plupart des pi?ces ?taient blanches, quelques-unes ray?es de bleu, de rouge et de blanc. Ils avaient aussi de la civette, des peaux de l'animal du m?me nom, de gros singes et de petits, qu'ils donnaient ? fort bon march?, c'est-?-dire pour la valeur de neuf ou dix liards. L'once de civette ne revenait pas ? plus de neuf ou dix sous. Ils ne la vendaient point au poids, mais ? la quantit?.
Les caravelles ?taient continuellement remplies d'une multitude de N?gres, qui ne se ressemblaient ni par la figure ni par le langage. Ils arrivaient et s'en retournaient librement dans leurs almadies, hommes et femmes, avec autant de confiance que si l'on s'?tait connu depuis long-temps. Ils n'ont pas d'autres instrumens que leurs rames pour la navigation. Leur usage est de ramer debout, sans tenir les rames appuy?es sur le bord de la barque. Elles sont de la forme d'une demi-lance, longues de sept ou huit pieds, avec une planche ronde, de la grandeur d'une assiette, qui est attach?e ? l'extr?mit?. Ils s'en servent fort adroitement au long des c?tes et dans leurs rivi?res; mais la crainte d'?tre pris par leurs voisins et vendus pour l'esclavage, ne leur permet gu?re de se hasarder trop loin dans la mer.
Cadamosto, s'?tant aper?u que la fi?vre commen?ait ? se mettre parmi ses gens, fit consentir les autres chefs ? regagner l'embouchure du fleuve. Les soins qu'il avait donn?s au commerce ne l'avaient point emp?ch? de faire ses observations sur les usages du pays. Il avait remarqu? que la religion des N?gres de la Gambie consiste en diverses sortes d'idol?trie. Ils reconnaissent un Dieu, mais ils sont livr?s ? toutes les superstitions de la sorcellerie. On voit parmi eux quelques mahom?tans qui n'ont pas n?anmoins d'habitations fixes, et qui portent leur commerce dans d'autres contr?es, sans que les gens du pays connaissent leurs marches et leurs diverses relations. Il y a peu de diff?rence, pour les alimens, entre les N?gres de la Gambie et ceux du S?n?gal; mais ils mangent de la chair de chien, usage que l'auteur n'a vu dans aucun lieu, et que pourtant on retrouve ailleurs. Leur habillement est de toile de coton, qu'ils ont en abondance; ce qui est cause qu'ils ne vont pas nus comme au S?n?gal, o? le coton est plus rare. Les femmes sont v?tues comme les hommes; mais elles prennent plaisir dans leur jeunesse ? se faire sur les bras, sur le cou et sur l? poitrine, diff?rentes figures avec la pointe d'une aiguille chaude. La chaleur du climat est extr?me, et ne fait qu'augmenter ? mesure qu'on avance vers le sud. Cadamosto le trouva beaucoup plus chaud sur la rivi?re qu'au rivage de la mer, parce que la grande quantit? d'arbres qui couvrent ses bords y tient l'air renferm?. Il en vit un d'une grosseur prodigieuse, pr?s d'une source d'eau tr?s-fra?che o? les matelots faisaient leurs provisions. Ayant pris la peine de le mesurer, il lui trouva dix-sept coud?es de tour. L'arbre ?tait creux; mais son feuillage n'en ?tait pas moins vert, et ses branches r?pandaient une ombre immense. Il s'en trouve n?anmoins de plus grands encore; d'o? l'on peut conclure que le pays est fertile; aussi est-il arros? par un grand nombre de ruisseaux.
Il est rempli d'?l?phans, mais les N?gres n'ont encore pu trouver l'art de les apprivoiser. Pendant que les caravelles ?taient ? l'ancre dans le fleuve, trois ?l?phans sortis des bois voisins vinrent se promener sur le bord de l'eau. On y envoya aussit?t la chaloupe avec quelques gens arm?s; mais, ? leur approche, les ?l?phans rentr?rent dans l'?paisseur du bois. Ce sont les seuls que l'auteur ait vus vivans. Gnoumi-Mansa, seigneur n?gre, lui en fit voir un jeune, mais mort. Il l'avait tu? dans les bois, apr?s une chasse de deux jours. Les N?gres n'ont pour armes dans les chasses que leurs arcs et des zagaies empoisonn?es. La m?thode est de se placer derri?re les arbres, et quelquefois au sommet. Ils passent d'un arbre ? l'autre en poursuivant l'?l?phant, qui, de la grosseur dont il est, re?oit plusieurs blessures avant de pouvoir se tourner et faire quelque r?sistance. Il n'y a pas d'homme qui os?t l'attaquer en pleine campagne, ni qui p?t esp?rer de lui ?chapper par la fuite; mais cet animal est naturellement si doux, qu'il ne fait jamais de mal, s'il n'est offens?. Les dents de celui que l'auteur avait vu mort n'avaient pas plus de trois paumes de long, ce qui marquait assez qu'il ?tait fort jeune en comparaison de ceux qui ont les dents longues de dix ou douze paumes. Jeune comme il ?tait, il avait autant de chair que cinq ou six boeufs ensemble. Le seigneur n?gre fit pr?sent ? Cadamosto de la meilleure partie, et donna le reste ? ses chasseurs. Cadamosto, apprenant qu'il pouvait se manger, en fit r?tir et bouillir quelques morceaux, pour se mettre en droit de raconter dans son pays qu'il avait fait son d?ner de la chair d'un animal qu'on n'y avait jamais vu; mais il la trouva fort dure et d'un go?t d?sagr?able; ce qui ne l'emp?cha point d'en faire saler une partie, dont il fit pr?sent au prince Henri ? son retour. Il observe que l'?l?phant a le pied rond comme les chevaux, mais sans sabot, et qu'? la place il a re?u de la nature une peau noire, dure et fort ?paisse, avec cinq gros durillons sur le devant, qui ont la forme d'autant de t?tes de clous. Le pied du jeune ?l?phant avait une paume de diam?tre. Gnoumi-Mansa fit pr?sent ? Cadamosto d'un autre pied d'?l?phant qui avait trois paumes et un pouce de largeur, et d'une dent longue de douze paumes. L'auteur porta l'un et l'autre au prince Henri, qui les envoya peu de temps apr?s ? la duchesse de Bourgogne, comme une curiosit? des plus rares.
En quittant le pays du prince Batti-Mansa, les trois caravelles mirent peu de jours ? descendre la rivi?re. Elles emportaient assez de richesses pour inspirer le d?sir de s'avancer plus loin au long des c?tes; et personne ne marqua d'?loignement pour cette entreprise.
Ils remont?rent jusqu'? l'embouchure de la rivi?re nomm?e par les Portugais Rio-Grande: mais les N?gres du pays n'entendirent pas le langage de leurs interpr?tes. On acheta d'eux quelques anneaux d'or, en convenant du prix par signes. Rio-Grande fut le terme de ce second voyage de Cadamosto, qui retourna en Portugal.
Voyages d'Andr? Brue. Rufisque. N?gres S?r?res. N?gres de Cayor. N?gres du Siratik. Foulas. Royaume de Galam. N?gres de Mandingue. Presqu'?le et royaume de Casson. Canton de Dj?redja. Cachao. Bissao. Bissagos. Caz?gut. Roi de Cabo. Commerce de gommes. Maures du d?sert. Bambouk. Job Ben Salomon: d?tails sur son pays.
Le premier voyage de Brue est celui qu'il fit par terre de Rufisque jusqu'au Fort-Louis sur le S?n?gal. Rufisque est situ?e sur la c?te, ? trois lieues de l'?le de Gor?e. Cette ?le, voisine du cap Vert, l'?le d'Arguin, pr?s du cap Blanc, et le comptoir de Portendic, plus au sud, le fort Saint-Louis ? l'embouchure de la rivi?re de S?n?gal, et celui de Saint-Joseph sur le bord de cette m?me rivi?re ? trois cents lieues de son embouchure, pr?s des cataractes de Felou, ?taient comme l'on sait, les principales possessions des Fran?ais en Afrique.
La chaleur est insupportable ? Rufisque pendant le jour, surtout ? midi, dans le cours m?me du mois de d?cembre. Du c?t? de la mer, le calme est ordinairement si profond, qu'on n'y ressent pas le moindre souffle; et les bois arr?tent aussi les mouvemens de l'air du c?t? des terres: aussi les hommes et les animaux n'y peuvent-ils respirer, surtout au long de la c?te, dans la basse mar?e; car la r?verb?ration du sable y ?corche le visage et br?le jusqu'? la semelle des souliers. Ce qui rend encore cet endroit plus dangereux, c'est la puanteur prodigieuse de quantit? des petits poissons pourris que les N?gres y jettent, et qui r?pandent une mortelle infection. On les y met expr?s pour les laisser tourner en pourriture, parce que les N?gres ne les mangent que dans cet ?tat. Ils pr?tendent que le sable leur donne une sorte d'odeur nitreuse qu'ils estiment beaucoup.
Il n'y a pas de N?gres qui cultivent leurs terres avec autant d'art que les S?r?res. Si leurs voisins les traitent de sauvages, ils sont bien mieux fond?s ? regarder les autres N?gres comme des insens?s, qui aiment mieux vivre dans la mis?re et souffrir la faim que de s'accoutumer au travail pour assurer leur subsistance. Leur langage est diff?rent de celui des Iolofs, et para?t m?me leur ?tre tout-?-fait propre. Ils ont pour boisson le vin de palmier.
Les S?r?res re?urent le g?n?ral fran?ais avec beaucoup d'humanit?, et lui pr?sent?rent du couscous, du poisson, des bananes, avec d'autres alimens du pays. Il partit si tard de leur village, que l'exc?s de la chaleur le for?a de s'arr?ter apr?s avoir fait trois lieues; n'en ayant pu faire que sept dans le courant de la journ?e, il arriva le soir dans un village des Iolofs, qui ?tait la r?sidence d'un des plus grands marabouts, ou pr?tres du pays. Ce saint n?gre s'?tait attendu ? recevoir la visite et les pr?sens du g?n?ral fran?ais; mais il vit ses esp?rances tromp?es. L'alcadi de Rufisque, et une femme mul?tre qui avait suivi Brue avec quelques Fran?ais que la seule curiosit? conduisait, se mirent ? genoux devant le marabout, et lui bais?rent les pieds; apr?s quoi il prit la main de la signora, l'ouvrit et cracha dedans. Ensuite la lui faisant tourner trois fois autour de la t?te, il lui frotta de sa salive le front, les yeux, le nez, la bouche et les oreilles, en pronon?ant, pendant cette op?ration, quelques pri?res arabes. Il re?ut leurs pr?sens, et leur promit un heureux voyage. La signora fut raill?e de sa superstition ? son retour, et de s'?tre laiss? oindre de la salive du vieux marabout.
Le jour suivant, comme la marche ?tait fort lente, Brue se donnait le plaisir de la chasse en chemin. Au milieu des bois, il d?couvrit les traces de quelques ?l?phans, et bient?t il en aper?ut dix-huit ou vingt, les uns couch?s comme un troupeau de vaches, d'autres occup?s ? baisser des branches, dont ils mangeaient les feuilles et les petits rameaux. La caravane n'en ?tait pas ? la port?e du pistolet. Cependant, comme il ne paraissait pas qu'ils y fissent attention, les gens du g?n?ral leur tir?rent quelques coups de fusil, auxquels ils ne parurent pas plus sensibles qu'? la piq?re des mouches, apparemment parce que les balles ne les touch?rent que par-derri?re ou aux c?t?s, dans les endroits o? leur peau est imp?n?trable.
Ils arriv?rent le lendemain ? Makaya, une des r?sidences du damel, qui s'y ?tait rendu pour recevoir les Fran?ais. Devant la porte du palais ils trouv?rent une garde de quarante ou cinquante N?gres, avec un grand nombre de guiriots ou de musiciens, qui se mirent ? chanter les louanges du g?n?ral aussit?t qu'ils le virent ? port?e de les entendre. Les grands-officiers se pr?sent?rent pour le recevoir et l'introduire ? l'audience du roi. Il ne fut pas ais? ? Brue, qui ?tait d'une taille puissante, de passer par la porte de ce Versailles du royaume de Cayor; le guichet ?tait si bas, qu'il ?tait oblig? de se courber beaucoup. L'enclos contenait quantit? de b?timens, entre lesquels il y avait un kalde ou une salle d'audience ouverte de tous c?t?s. Le damel y ?tait assis sur un petit lit dont la compagnie fran?aise lui avait fait pr?sent; il se leva lorsque Brue fut entr?, et lui pr?sentant la main, il l'embrassa, avec beaucoup de remerc?mens de s'?tre d?tourn? si loin de sa route pour le voir. Le g?n?ral lui fit son compliment, et lui offrit les pr?sens de la compagnie, avec deux barils d'eau-de-vie. L'ordre fut donn? pour le traiter aux d?pens de la cour, et pour renvoyer ? Rufisque les chevaux et les chameaux qu'il y avait lou?s. Il fut conduit ensuite ? l'audience des femmes du roi. Ce prince en avait quatre l?gitimes, suivant la loi de Mahomet; mais ses concubines ?taient au nombre de douze, malgr? les remontrances des marabouts. Un jour qu'ils lui reprochaient cette intemp?rance, il leur r?pondit que la loi ?tait faite pour eux et pour le peuple, mais que les rois ?taient au-dessus. Cette r?ponse d'un petit prince barbare, et la r?ponse de Samuel aux Juifs lorsqu'ils lui demand?rent un roi, prouvent quelle id?e on s'est faite, en tout temps, de la royaut?, m?me dans les pays o? il semblait qu'on e?t moins ? en abuser.
Les femmes du damel ayant pris soin de fournir des provisions au g?n?ral, il se crut oblig? de leur faire quelques pr?sens. C'?tait le roi qui se chargeait lui-m?me de ces d?tails lorsqu'il avait la raison libre; mais sa passion pour l'eau-de-vie ne lui permettait pas d'?tre un moment sans en boire; il ?tait ivre aussi long-temps qu'il avait de cette liqueur. Quatre jours se pass?rent avant que le g?n?ral p?t le trouver en ?tat de l'entendre, et ses deux barils ?taient d?j? presque ?puis?s.
Enfin Brue partit avec toutes les commodit?s que le prince lui avait fait esp?rer pour son voyage, et apr?s avoir pris les arrangemens les plus favorables pour le commerce. Les bagages furent charg?s, et l'on partit sous la conduite d'un officier qui accompagna la caravane une partie du chemin.
On arriva le soir dans un village o? les gens du roi prirent un boeuf au milieu du premier troupeau qui se pr?senta; ils enlev?rent de m?me une vache et un veau: la chair en ?tait excellente; mais les ma?tres de ces animaux firent leurs plaintes au g?n?ral, qui leur donna, pour les consoler, un ou deux flacons d'eau-de-vie. Le jour suivant, apr?s s'?tre mis en marche de grand matin, on s'arr?ta vers midi pour faire reposer l'?quipage. Le hasard fit trouver un grand troupeau de vaches, dont le lait fut d'autant plus agr?able, qu'on n'avait apport? de Macaya que de l'eau fort mauvaise. On arriva de bonne heure dans le village d'un parent du roi, qui, ?tant averti de l'approche du g?n?ral, vint au-devant de lui avec un cort?ge de vingt cavaliers fort bien mont?s. Il montait lui-m?me un cheval barbe de haute taille qui lui avait co?t? vingt esclaves. La journ?e suivante fut fort longue, mais au travers d'un beau pays dont la plus grande partie ?tait cultiv?e; on y voyait des plaines enti?res couvertes de tabac. Le seul usage que les N?gres fassent du tabac est pour fumer, car ils ne savent ni le m?cher, ni le prendre en poudre.
On arriva le soir ? Bieurt, ? l'embouchure de la rivi?re de S?n?gal, pr?s du fort Saint-Louis. Brue, dans un voyage assez court, n'avait pas laiss? de recueillir quelques observations sur les ?tats du damel.
Quoique les N?gres de Cayor, pa?ens et mahom?tans, aient l'usage de la polygamie, il ne leur est pas permis d'?pouser deux soeurs. Le damel, se croyant dispens? de cette loi, avait deux soeurs entre ses femmes. Les marabouts et les mahom?tans z?l?s en murmuraient, mais secr?tement, parce que ce prince n'?tait pas traitable sur ce qui pouvait blesser ses plaisirs. Il ne doutait pas de l'existence d'un paradis; mais il d?clara naturellement ? Brue qu'il n'esp?rait pas d'y ?tre re?u, parce qu'il avait ?t? fort m?chant, et qu'il ne se sentait, disait-il, aucune disposition ? devenir meilleur. Effectivement, il s'?tait rendu coupable de mille actions cruelles; il avait d?pouill?, banni ou tu? ceux qui avaient eu le malheur de lui d?plaire. Comme il poss?dait deux royaumes, celui de Cayor et celui de Baol, il se croyait plus grand que tous les monarques d'Europe; et, faisant quantit? de questions ? Brue sur le roi de France, il demandait comment il ?tait v?tu, combien il avait de femmes, quelles ?taient ses forces de terre et de mer, le nombre de ses gardes, de ses palais, de ses revenus, et si les seigneurs de sa cour ?taient aussi bien v?tus que les seigneurs n?gres; et, lorsque Brue s'effor?ait de lui donner une id?e de la grandeur du roi de France, ce qui lui paraissait le plus incroyable, c'?tait qu'un si grand roi n'e?t qu'une femme. Il demandait comment il pouvait faire lorsqu'elle ?tait enceinte ou malade. Le g?n?ral r?pondit qu'il attendait qu'elle se port?t mieux. <
Un jour il fit pr?sent au g?n?ral d'une femme qui paraissait d'une condition sup?rieure ? l'esclavage. En effet, elle avait ?t? l'?pouse d'un des principaux officiers de sa cour. Son mari, la soup?onnant d'infid?lit?, aurait pu se faire justice de ses propres mains; mais, comme elle ?tait d'une famille distingu?e, il avait pris le parti de porter ses plaintes au roi, qui, l'ayant jug?e coupable, l'avait condamn?e ? l'esclavage, et l'avait donn?e ? Brue. Les parens de cette malheureuse femme vinrent solliciter les Fran?ais en sa faveur, et suppli?rent le g?n?ral d'accepter en ?change une esclave beaucoup plus jeune, dont il aurait par cons?quent plus de profit ? tirer. Il y consentit, et l'autre fut conduite aussit?t par sa famille hors des ?tats du damel. Cette rigueur dans la punition rend les femmes des grands assez chastes. Comme le droit de les vendre appartient au roi, apr?s leur correction, elles sont s?res de ne jamais trouver en lui qu'un juge inexorable, qui accorde toujours une prompte justice aux maris dont il re?oit les plaintes.
Le port de Rufisque ne recevant gu?re que des barques et des chaloupes, le damel, qui souhaitait beaucoup de voir un vaisseau, pria le g?n?ral d'en faire venir un pr?s de cette ville. Brue lui r?pondit qu'il ?tait f?ch? de ne le pouvoir, parce qu'il n'y avait point assez d'eau pour un b?timent tel qu'il le d?sirait; mais qu'il en ferait venir un de dix pi?ces de canon, qui servirait ? lui donner quelque id?e de ceux qui en portent jusqu'? cent pi?ces. Il fit amener effectivement une corvette appareill?e dans toute sa pompe, avec les pavillons d?ploy?s. Le damel et tous ses courtisans se rendirent sur le rivage pour jouir de ce spectacle. On fit faire quantit? de mouvemens ? ce petit vaisseau, et les Fran?ais s'?taient attendus que le roi monterait ? bord; mais, soit qu'il craign?t la mer, ou qu'ayant ? se reprocher ses extorsions et ses violences, il appr?hend?t qu'ils ne le retinssent prisonnier, il n'osa se procurer cette satisfaction. Lorsqu'il eut rassasi? sa curiosit?, il demanda au g?n?ral de combien les grands vaisseaux surpassaient celui qu'il avait vu. Sans r?pondre directement ? cette question, Brue lui conseilla d'envoyer de ses officiers pour ?tre plus s?r de ce qu'il voulait savoir, par le t?moignage de ses propres gens. L'ordre fut donn? ? quelques N?gres d'aller prendre les mesures. Ils revinrent tout charg?s des cordes qu'ils avaient employ?es, et qu'ils ?tendirent devant le damel. <
Le condi s'?tant mis ? la t?te de sa troupe, la disposa sur quatre rangs, et fit avertir le roi qu'il ?tait pr?t ? le recevoir. Ce prince ?tait dans le magasin que la compagnie avait fait b?tir ? Rufisque. Quoiqu'il ne f?t pas fort ?loign? de cette petite arm?e, il monta ? cheval, et, prenant sa lance, il fit les m?mes mouvemens que s'il e?t ?t? pr?s de combattre. Brue fut oblig? de prendre aussi un cheval pour l'accompagner. Ils s'avanc?rent jusqu'au milieu de la ligne. Le condi, ? la vue de son ma?tre, ?ta son turban; et, se jetant ? genoux, se couvrit trois fois la t?te de poussi?re; mais le roi, qui n'?tait plus qu'? dix pas, lui fit porter ses ordres par un de ses guiriots militaires. Le condi, apr?s les avoir re?us dans la m?me situation, se couvrit la t?te, et fit commencer les exercices. Ensuite il reprit sa premi?re posture, en attendant de nouveaux ordres qu'il re?ut encore, et qui ne produisirent que des mouvemens fort irr?guliers.
Les serpens sont fort communs dans tout le pays, depuis Rufisque jusqu'? Bieurt. Ils sont extr?mement gros, et leur morsure est fort dangereuse. Les grisgris passent dans l'esprit des N?gres pour un charme tout-puissant contre ces terribles animaux. Les voyageurs remarquent qu'il y a une esp?ce de sympathie entre les serpens et les N?gres. On voit ces monstres se glisser librement dans les cabanes, o? ils d?vorent les rats, et quelquefois la volaille. S'il arrive qu'un N?gre soit mordu, il applique aussit?t le feu ? la partie br?l?e, ou la couvre de poudre ? tirer, qu'il br?le dessus. Il s'y fait une cicatrice qui fixe le venin, lorsque le rem?de est assez promptement employ?; mais s'il vient trop tard, la mort est infaillible. La nation des S?r?res n'est pas si famili?re avec les serpens que les autres N?gres, parce que, n'ayant pas de marabouts ni de grisgris, elle ne se fie qu'? ses pr?cautions pour s'en garantir. Elle leur d?clare une guerre ouverte avec des trappes qu'elle tend avec beaucoup d'adresse, et qui en prennent un grand nombre. Elle mange leur chair, qu'elle trouve excellente.
Plusieurs de ces serpens ont jusqu'? vingt-cinq pieds de long sur un pied et demi de diam?tre; mais les N?gres pr?tendent que les plus grands sont moins ? craindre que ceux qui n'ont que deux pouces d'?paisseur et quatre ou cinq pieds de longueur. On a du moins plus de facilit? ? ?viter les premiers, parce qu'ils peuvent ?tre aper?us de plus loin, et qu'ils n'ont pas tant d'agilit? que les petits. Il y en a de verts qu'on a peine ? distinguer dans l'herbe. D'autres sont tachet?s, ou semblent briller de diff?rentes couleurs. On pr?tend qu'il s'en trouve de rouges, dont les blessures sont incurables. Les plus grands ennemis des serpens sont les aigles, dont le nombre est fort grand dans le pays. Il ne s'en trouve pas de si gros dans aucune r?gion du monde; mais il n'y a pas de lieu non plus o? leur repos soit moins troubl?; car la pointe des fl?ches ne fait pas plus d'impression sur eux que la morsure des serpens. Il faut que leurs plumes soient extr?mement fermes et serr?es. Ils portent un serpent entre leurs griffes, et le mettent en pi?ces pour servir de nourriture aux aiglons, sans en recevoir le moindre mal.
Les huttes des habitans sont de paille, mais plus ou moins commodes, suivant l'industrie du possesseur. La forme est ronde. Elles n'ont pour porte qu'un trou fort bas, comme la gueule d'un four, de sorte qu'ils ne peuvent y entrer qu'en rampant. Comme elles n'ont pas d'autre ouverture pour recevoir la lumi?re, et que le feu qu'on y entretient continuellement r?pand une ?paisse fum?e, il n'y a au monde que des N?gres qui puissent les habiter, surtout ? cause de la chaleur, qui vient ?galement de la vo?te et d'un fond de sable br?l? qui en fait le plancher. Leurs lits sont compos?s de petits pieux plac?s ? deux doigts l'un de l'autre, et joints ensemble par une corde; aux quatre coins, d'autres pieux un peu plus gros servent ? soutenir tout l'?difice. Les N?gres de quelque distinction mettent une natte sur ces ch?lits.
Brue ?prouva ? son tour les perfidies du damel. Ce prince, persuad?, comme tous les rois n?gres, du besoin qu'avaient les Europ?ens de commercer en Afrique et d'y chercher des esclaves, ne songeait qu'? mettre au plus haut prix possible la permission qu'il accordait ? ses sujets de leur fournir des vivres et de faire des ?changes avec eux. Il faisait sans cesse de nouvelles demandes ? la compagnie, qui ?taient ou rejet?es ou ?lud?es. Des brouilleries passag?res occasionnaient des r?conciliations ou de nouveaux trait?s toujours accompagn?s, suivant l'usage, de pr?sens et de quelques barils d'eau-de-vie. La concurrence des marchands anglais que Brue voulait ?carter rendit le damel encore plus fier et plus exigeant. Enfin il alla jusqu'? faire arr?ter Brue en trahison. Il fallut payer une somme pour lui faire rendre la libert?, et peut-?tre pour lui sauver la vie, car le damel mena?ait de lui couper la t?te. Brue s'en vengea en ?loignant de la c?te tous les vaisseaux qui voulaient en approcher pour faire le commerce; mais il fallut encore faire la paix, et Brue formait de nouveaux projets de vengeance, lorsqu'il fut rappel? dans sa patrie.
Brue re?ut dans son voyage un expr?s du siratik pour lui apprendre l'impatience que ce prince avait de le voir, ou plut?t de recevoir le paiement de ses droits. Il continua sa navigation jusqu'au village de Bourty, ? l'extr?mit? orientale de l'?le au Morfil, qui est s?par?e de l'?le de Bilbas par un bras du S?n?gal. L'?le de Bilbas est longue d'environ trente-cinq lieues sur deux et quatre de largeur. Le terroir ressemble beaucoup ? celui de l'?le au Morfil. Son principal commerce consiste aussi dans la multitude des dents d'?l?phans, qui s'ach?tent sur le pied de six sous pour le poids de dix livres. Les cuirs se donnent ? quarante sous pi?ce; les moutons et les ch?vres pour trois sous, et les autres alimens ? proportion; mais si les N?gres font un pr?sent, ils s'appr?tent ? recevoir le double. Par exemple, s'ils vous donnent un boeuf, ils s'attendent ? recevoir cinq ou six aunes d'?toffe; au lieu que, si vous l'achetiez au march?, il ne vous co?terait que vingt ou trente sous.
En arrivant au port de Ghiorel, situ? vis-?-vis l'?le de Bilbas, centre du commerce de ce canton, Brue fit tirer trois coups de canon pour annoncer son arriv?e. ? peine eut-il mouill? l'ancre, qu'il re?ut la visite du seigneur du village, nomm? Farba-Ghiorel. Ce N?gre, qui ?tait oncle du siratik, et qui avait toujours eu beaucoup d'affection pour les Fran?ais, fut re?u d'eux avec beaucoup de civilit?. Il promit au g?n?ral de d?p?cher sur-le-champ un expr?s au roi son neveu. D?s le m?me soir, Boucar Sir?, un des fils du siratik, qui avait ses terres entre Ghiorel et Goumel, r?sidence de son p?re, se rendit ? bord, et r?pondit au g?n?ral de l'amiti? que ce roi avait con?ue pour lui sur la seule r?putation de son m?rite. Ce compliment fut accompagn? d'un pr?sent de deux boeufs gras et d'une petite bo?te d'or du poids d'une once. Le g?n?ral fit aussi ses pr?sens au prince, et le salua de plusieurs coups de canon ? son d?part. Ensuite, ayant fait descendre ses facteurs pour commencer le commerce, il trouva dans le village tant d'avidit? pour ses marchandises, que ses barques furent bient?t charg?es des productions du pays.
Le siratik n'eut pas plus t?t appris l'arriv?e des Fran?ais, qu'il fit complimenter Brue par son grand bouquenet, c'est-?-dire par le grand-ma?tre de sa maison. Cet officier ?tait un vieillard v?n?rable, de fort belle taille, avec la barbe et les cheveux gris, ce qui marque, parmi les N?gres, une vieillesse fort avanc?e; mais il n'en paraissait pas moins vigoureux, moins vif, ni moins poli: son nom ?tait Baba Mil?. Apr?s les premiers complimens, il re?ut le paiement des droits et les pr?sens annuels; c'?taient des ?toffes noires et blanches de coton, quelques pi?ces de drap et de serge ?carlate, du corail, de l'ambre jaune, du fer en barre, des chaudrons de cuivre, du sucre, de l'eau-de-vie, des ?pices, de la vaisselle, et quelques pi?ces de monnaie d'argent au coin de Hollande, avec un surtout de drap ?carlate ? la mani?re de Brandebourg, et deux bo?tes pour renfermer la plus pr?cieuse partie du pr?sent. Le bouquenet re?ut aussi les droits qui revenaient aux femmes du prince, et qui montaient ? la moiti? des premiers, sans oublier ce qui lui revenait ? lui-m?me. Le kamalingo, ou le lieutenant g?n?ral du roi, qui est ordinairement l'h?ritier pr?somptif de la couronne, vint recevoir ? son tour le pr?sent ou le droit annuel qui lui devait ?tre pay?. Tous ces pr?sens pouvaient monter ? la valeur de quinze ou dix-huit cents livres. Ensuite le bouquenet offrit au g?n?ral, de la part du roi, trois grands boeufs; et l'ayant invit? ? se rendre ? la cour, il fit para?tre les officiers qui ?taient nomm?s pour le conduire. On avait d?j? pr?par? un grand nombre de chevaux pour les gens de sa suite, et des chameaux pour transporter son bagage.
Le jour suivant, Brue prit terre au bruit de son canon, et se mit en marche pour la cour du siratik. Son cort?ge ?tait compos? de six de ses facteurs, deux interpr?tes, deux trompettes, deux hautbois, et quelques domestiques, avec douze laptots, ou N?gres libres, bien arm?s. Il traversa un pays fort uni et bien cultiv?, plein de villages et de petits bois. En approchant de Boucar, il d?couvrit de vastes prairies, dont les parties basses se sentaient d?j? de l'inondation qui commen?ait ? gagner dans le pays. Ce qui restait de terrain sec ?tait si couvert de toutes sortes de bestiaux, que les guides du g?n?ral avaient peine ? lui faire trouver un passage: le convoi ne put arriver ? Boucar qu'? l'entr?e de la nuit.
Le prince Sir?, ? qui le village appartenait, vint au-devant des Fran?ais ? la t?te de trente chevaux: aussit?t qu'il eut aper?u le g?n?ral, il s'avan?a au grand galop en secouant sa zagaie, comme s'il e?t voulu la lancer; Brue l'aborda de la m?me mani?re, c'est-?-dire avec le pistolet en joue. Mais, lorsqu'ils furent pr?s l'un de l'autre, ils mirent pied ? terre et s'embrass?rent; ensuite, ?tant remont?s ? cheval, ils entr?rent dans le village, et le prince conduisit son h?te dans une maison qu'il avait fait pr?parer pour lui, dans le m?me enclos que celui de ses femmes. Apr?s l'avoir introduit dans son appartement, il le laissa seul; mais au m?me moment le g?n?ral fut conduit ? l'audience de la princesse: elle lui parut d'une taille m?diocre, mais tr?s-bien faite, jeune et fort agr?able; ses traits ?taient r?guliers, ses yeux vifs et bien fendus, sa bouche petite et ses dents extr?mement blanches; son teint couleur d'olive aurait beaucoup diminu? les agr?mens de sa figure, si elle n'e?t pris soin de la relever avec un peu de rouge.
Le village de Boucar est situ? sur une petite ?minence, au centre d'une grande plaine. L'air y est fort sain; les maisons ressemblent ? toutes celles du pays; elles sont rondes et se terminent en pointes, comme nos glaci?res de France; les fen?tres en sont fort petites, apparemment pour se garantir des moucherons, qui sont extr?mement incommodes dans tous les pays bas. Le folgar auquel Brue fut invit? se tint au milieu du village; il dura deux heures, et ne fut interrompu que par une pluie violente qui for?a tout le monde de se mettre ? couvert.
Le lendemain on vint, de la part du prince, s'informer de la sant? du g?n?ral; cette politesse fut suivie du d?jeuner. Le prince, ayant envoy? du couscous et du lait, parut aussit?t lui-m?me, et se mit ? table avec Brue; ensuite ils partirent ensemble, escort?s d'environ quarante chevaux. La route se trouva remplie d'une foule de peuple qui s'?tait rassembl?e de tous les lieux voisins pour voir les Europ?ens et pour entendre leur musique. En approchant de Goumel, Brue vit venir ? sa rencontre le kamalingo, suivi de vingt cavaliers, qui le compliment?rent au nom du siratik. Ce grand-officier de la couronne portait des hauts-de-chausses fort larges, avec une chemise de coton, dont la forme ressemblait ? celle de nos surplis. Autour de la ceinture il avait un large ceinturon de drap ?carlate, d'o? pendait un cimeterre dont la poign?e ?tait garnie d'or. Son chapeau et son habit ?taient rev?tus de grisgris, et dans sa main il portait une longue zagaie. Le g?n?ral le re?ut avec une d?charge de sa mousqueterie. Ils continu?rent leur marche, et travers?rent le village de Goumel pour se rendre au palais du roi, qui en est ?loign? d'une demi-lieue.
La demeure de ce prince est compos?e d'un grand nombre de cabanes, qui sont environn?es d'un enclos de roseaux verts entrelac?s, d?fendu par une haie vive d'?pines noires si serr?e, que le passage en est impossible aux b?tes sauvages. Le roi, inform? de l'approche du g?n?ral, envoya les principaux seigneurs de sa cour au-devant de lui; de sorte qu'en arrivant au palais, son train ?tait d'environ trois cents chevaux. Tout ce cort?ge descendit ? la premi?re porte, except? le g?n?ral, le prince Sir? et le kamalingo, qui entr?rent ? cheval, et qui ne mirent pied ? terre qu'? deux pas de la salle d'audience.
Brue trouva le siratik assis sur un lit, avec quelques-unes de ses femmes et de ses filles, qui ?taient ? terre sur des nattes. Ce prince se leva, fit quelques pas au-devant de lui la t?te d?couverte, lui donna plusieurs fois la main, et le fit asseoir ? ses c?t?s. On appela un interpr?te; alors Brue d?clara qu'il ?tait venu pour renouveler l'alliance qui subsistait depuis un temps imm?morial entre le siratik et la compagnie fran?aise; il protesta que dans toutes sortes d'occasions la compagnie ?tait pr?te ? l'aider de toutes ses forces. Il insista sur les avantages que les sujets du prince tiraient de cet heureux commerce; et, pour conclusion, il l'assura de ses sentimens particuliers de respect et de z?le. Pendant que l'interpr?te expliquait ce discours, Brue observa que la satisfaction du siratik s'exprimait sur son visage; il prit plusieurs fois la main du g?n?ral pour la presser contre sa poitrine. Ses femmes et ses courtisans r?p?taient avec la m?me joie: Les Fran?ais sont une bonne nation: ils sont nos amis.
Le siratik r?pondit d'un ton fort civil qu'il rendait gr?ce au g?n?ral d'?tre venu de si loin pour le voir; qu'il avait une v?ritable affection pour la compagnie, et pour sa personne en particulier; qu'il voulait oublier quelques sujets de plainte qu'il avait re?us des agens de la compagnie; que, dans la confiance qu'il prenait ? son caract?re, il lui accordait la libert? d'?tablir des comptoirs dans toute l'?tendue de ses ?tats, et de b?tir des forts pour leur s?ret?. Enfin il conclut en assurant les Fran?ais de sa faveur et de sa protection. Il combla le g?n?ral de caresses; il lui fit l'honneur de le faire fumer dans sa propre pipe; enfin il le reconduisit lui-m?me jusqu'? la porte de la salle.
Deux officiers, qui ?taient ? l'attendre, le men?rent ensuite ? l'audience des reines et des princesses, filles du roi. Il fit ? toutes ces dames des pr?sens moins consid?rables par le prix que par leur nouveaut?. Une des reines ayant observ? que pendant l'audience du siratik il avait regard? avec beaucoup d'attention une jeune princesse de dix-sept ans, qui ?tait sa fille, s'imagina qu'il avait pris de l'amour pour elle, et proposa au roi de la lui donner en mariage. Ce prince y consentit aussit?t, et fit offrir au g?n?ral les premiers postes de son royaume avec un grand nombre d'esclaves. Brue s'excusa sur ce qu'?tant mari?, sa religion ne lui permettait d'avoir qu'une femme: cette r?ponse fit na?tre quantit? de r?flexions et de discours entr? les dames n?gres sur le bonheur des femmes de l'Europe. Elles demand?rent ? Brue comment il pouvait vivre si long-temps sans la sienne, et ce qu'il pensait de sa fid?lit? dans une si longue absence.
Le lendemain le siratik se rendit ? la salle. d'audience pour y administrer la justice ? ses sujets, Brue, curieux d'assister ? ce nouveau spectacle, obtint d'?tre plac? dans un lieu d'o? il pouvait tout voir sans ?tre aper?u. Il trouva le siratik environn? de dix vieillards, qui ?coutaient les parties s?par?ment, et qui lui rapportaient ce qu'ils avaient entendu. Apr?s quoi ce prince, sur l'avis des m?mes conseillers, pronon?ait la d?cision. Elle ?tait ex?cut?e sur-le-champ. Brue n'aper?ut point d'avocat ni de procureur; chacun plaidait sa propre cause. Dans les causes civiles, il revient au roi un tiers des dommages. Il y a peu de crimes capitaux parmi les N?gres. Le meurtre et la trahison sont les seuls qui soient punis de mort. La punition ordinaire est le bannissement, c'est-?-dire que le roi vend les coupables ? la compagnie, et dispose de leurs effets ? son gr?. Un d?biteur insolvable est vendu avec toute sa famille jusqu'? la pleine satisfaction du cr?ancier, et le roi tire son tiers dans cette vente.
Quoique ce canton ne f?t pas le plus fertile du pays, la culture y faisait r?gner l'abondance. Les habitans sont beaucoup plus industrieux que le commun des N?gres. Ils font un commerce consid?rable avec les Maures du d?sert.
L'or qui se trouve dans le pays des Foulas leur vient de Galam; car il ne para?t pas qu'il y ait des mines dans les ?tats du siratik: mais ils ont l'ivoire en abondance. Le pays au sud de la rivi?re est rempli d'?l?phans, comme le c?t? du nord l'est de panth?res, de lions, et d'autres animaux f?roces. Ces peuples ont aussi quantit? d'esclaves, autant de leur propre contr?e que des r?gions voisines. Quoiqu'ils les emploient ? cultiver leurs terres, la n?cessit? les force quelquefois de les vendre.
Le pays des Foulas, depuis le lac de Cayor jusqu'au village de Dembakan?, c'est-?-dire, de l'ouest ? l'est, a pr?s de cent quatre-vingt-seize lieues. On ignore l'?tymologie de leur nom. La plupart sont d'une couleur fort basan?e; mais on n'en voit pas qui soient d'un beau noir, tel que celui des Iolofs au sud de la rivi?re. On pr?tend que leurs alliances avec les Maures ont imbu leur esprit d'une teinture de mahom?tisme, et leur peau de cette couleur imparfaite. Ils ne sont pas non plus si hauts ni si robustes que les Iolofs. Leur taille est m?diocre, quoique fort bien prise et fort ais?e. Avec un air assez d?licat, ils ne laissent pas d'?tre propres au travail.
Ils aiment la chasse, et l'exercent avec beaucoup d'habilet?. Leur pays est rempli de toutes sortes d'animaux, depuis l'?l?phant jusqu'au lapin. Outre le sabre et la zagaie, ils se servent fort adroitement de l'arc et des fl?ches. Ceux qui ont appris des Fran?ais l'usage des armes ? feu s'en servent aussi avec une adresse surprenante. Ils ont l'esprit plus vif que les Iolofs et les mani?res plus civiles. Ils sont passionn?s pour les merceries de l'Europe, et cette raison les rend fort caressans ? l'?gard de tous les marchands.
Ils aiment la musique, et les personnes du premier rang se font honneur de savoir toucher de quelque instrument, tandis que les princes et les seigneurs iolofs regardent cet exercice comme un opprobre. Ils en ont de plusieurs sortes, et leur symphonie n'est pas sans agr?ment. Leur inclination pour la danse leur est commune avec tous les N?gres. Apr?s des jours entiers d'un travail ou d'une chasse p?nible, trois ou quatre heures de danse servent ? les rafra?chir.
Leur habillement ressemble beaucoup ? celui des Iolofs; mais ils sont plus curieux dans le choix de leurs ?toffes. Leurs voisins donnent la pr?f?rence au rouge; le jaune est leur couleur favorite. Les femmes ne sont pas de haute taille; mais elles sont bien faites, belles, et d'une complexion d?licate.
Brue traversa une seconde fois les ?tats du siratik pour aller jusqu'au royaume de Galam.
Il partit du fort Saint-Louis avec deux barques, une grande chaloupe et quelques canots charg?s de marchandises les plus propres au commerce, et d'une provision de vivres pour trois mois. Les gens de son cort?ge ?taient choisis. Quoiqu'il lui manqu?t quelques marchandises particuli?res, stipul?es dans les articles du trait? pour le paiement des droits, et que les princes n?gres soient scrupuleusement attach?s ? ces conventions, il se flatta que la r?putation qu'il s'?tait ?tablie par sa conduite leur ferait agr?er tout ce qu'il voudrait offrir.
Sa petite flotte alla mouiller dans l'?le du Rocher, o? le g?n?ral fran?ais avait ?tabli un comptoir l'ann?e d'auparavant. Mais, trouvant que les Maures y ?taient venus, et qu'ils avaient emport? toute la charpente du magasin, il prit le parti d'abandonner un poste si dangereux pour transporter le comptoir ? Oualaldei, situ? quinze lieues plus bas.
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