Read Ebook: Frankenstein ou le Prométhée moderne Volume 1 (of 3) by Shelley Mary Wollstonecraft Saladin Jules Translator
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Ebook has 285 lines and 27868 words, and 6 pages
>>Rappelez-moi ? tous mes amis d'Angleterre.
>>Votre tr?s-affectionn?,
>>ROBERT WALTON>>.
LETTRE IV
? MADAME SAVILLE, EN ANGLETERRE.
< >>Lundi dernier , nous ?tions presque renferm?s par la glace qui entourait le vaisseau de tous c?t?s, et lui laissait ? peine un espace dans lequel il flottait. Un brouillard ?pais, dont nous ?tions envelopp?s, rendait notre situation assez dangereuse. Nous n'e?mes rien de mieux ? faire qu'? rester en place, jusqu'? ce qu'il y e?t un changement dans l'atmosph?re et le temps. >>Vers deux heures, le brouillard se dissipa, et nous v?mes flotter, de toutes parts, des ?les de glace immenses et irr?guli?res, qui paraissaient n'avoir pas de bornes. Quelques-uns de mes compagnons se lamentaient, et mon esprit commen?ait ? ?tre agit? d'inqui?tes pens?es, lorsque tout ? coup notre attention fut attir?e par un objet singulier, qui fit diversion ? l'inqui?tude que nous inspirait notre situation. Nous v?mes un chariot bas, fix? sur un tra?neau et tir? par des chiens, passer au nord, ? la distance d'un demi-mille: un ?tre, qui avait la forme d'un homme, mais qui paraissait d'une stature gigantesque, ?tait assis dans le tra?neau et guidait les chiens. Nous observ?mes, avec nos t?lescopes, la rapidit? de la course du voyageur, jusqu'? ce qu'il f?t perdu au loin parmi les in?galit?s de la glace. >>Cette vue excita parmi nous un ?tonnement dont nous ne p?mes nous rendre compte. Nous pensions ?tre ?loign?s de terre de plusieurs cents milles; mais cette apparition sembla prouver que la distance n'?tait r?ellement pas aussi grande que nous avions pu le croire. Cependant, cern?s par la glace, il nous fut impossible de suivre la trace de ce que nous avions observ? avec la plus grande attention. >>Environ deux heures apr?s cette rencontre, nous entend?mes le craquement de la mer; et avant la nuit la glace se rompit, et d?barrassa notre vaisseau. N?anmoins, nous rest?mes en place jusqu'au matin, dans la crainte de choquer, dans l'obscurit?, contre ces grandes masses d?tach?es qui flottent de tous c?t?s apr?s la rupture de la glace. Je profitai de ce moment pour me reposer pendant quelques heures. >>Dans la matin?e, cependant, d?s qu'il fut jour, je montai sur le pont, et trouvai tous les matelots rassembl?s d'un seul c?t? du vaisseau, et ayant l'air de parler ? quelqu'un qui ?tait dans la mer. En effet, un tra?neau semblable ? celui que nous avions vu auparavant, s'?tait dirig? vers nous, pendant la nuit, sur un large morceau de glace. Il ?tait conduit par un seul chien en vie, et portait un homme auquel les matelots t?chaient de persuader d'entrer dans le b?timent. Ce n'?tait pas, comme l'autre voyageur le paraissait, un habitant sauvage de quelqu'?le inconnue, mais un Europ?en. Lorsque je parus sur le pont, le contre-ma?tre lui dit: < >>En me voyant, l'?tranger m'adressa la parole en anglais, quoiqu'avec un accent ?tranger. < >>Vous devez concevoir mon ?tonnement, de m'entendre adresser une semblable question par un homme qui ?tait sur le bord de l'ab?me, et ? qui mon vaisseau devait para?tre un bien plus pr?cieux, que tous ceux dont on puisse jouir, sur la terre. Je r?pondis cependant que nous faisions un voyage de d?couverte vers le p?le du nord. >>Il parut alors satisfait, et consentit ? venir ? bord. Bon Dieu! Marguerite, si vous aviez vu l'homme qui capitulait ainsi pour son salut, vous n'auriez pu revenir de votre surprise. Ses membres ?taient presque gel?s, et son corps horriblement maigri par la fatigue et la souffrance. Je n'ai jamais vu d'homme dans un ?tat aussi pitoyable. Nous essay?mes de le porter dans la chambre; mais d?s qu'il eut quitt? le grand air, il s'?vanouit. Nous le report?mes donc sur le pont, et le rend?mes ? la vie en le frottant d'eau-de-vie et en le for?ant d'en avaler un peu. D?s qu'il montra signe de vie, nous e?mes soin de l'envelopper dans des couvertures, et de le placer aupr?s de la chemin?e du po?le de cuisine. Il recouvra lentement connaissance, et mangea une petite soupe qui le restaura merveilleusement. >>Deux jours se pass?rent ainsi, sans qu'il f?t capable de parler; et je craignais souvent que ses souffrances ne l'eussent priv? de la raison. Lorsqu'il fut un peu r?tabli, je le mis dans ma chambre, et eus pour lui autant de soin que mes devoirs purent me le permettre. Je n'ai jamais vu un ?tre plus int?ressant: ses yeux ont ordinairement une expression de fureur, et m?me de folie; mais, dans certains moments, quand on a une attention pour lui, ou qu'on lui rend le plus l?ger service, toute sa figure est adoucie, et sa physionomie respire un sentiment de bienveillance et de douceur tel que je n'ai jamais vu. Il est ordinairement plong? dans la m?lancolie et le d?sespoir; quelquefois m?me il grince les dents, comme s'il n'?tait plus capable de supporter le poids des malheurs qui l'accablent. >>Lorsque mon h?te fut un peu r?tabli, j'eus beaucoup de peine ? ?loigner ceux qui voulaient lui faire une foule de questions; car je ne voulais pas le laisser tourmenter par leur inutile curiosit?, dans un ?tat de corps et d'?me dont l'am?lioration d?pendait ?videmment d'un entier repos. Une seule fois, cependant, le lieutenant lui demanda pourquoi il ?tait venu si loin sur la glace, dans un ?quipage si singulier. >>Sa figure prit aussit?t l'expression du plus profond chagrin; et il r?pliqua: < >>Ce peu de mots ?veilla l'attention de l'?tranger; et il fit une multitude de questions pour savoir la route qu'avait tenue le d?mon . Bient?t apr?s, lorsqu'il fut seul avec moi, il me dit: < >>--Certainement; il serait tr?s-indiscret et tr?s-inhumain de ma part de vous faire de la peine pour satisfaire ma curiosit? personnelle. >>--Et cependant vous ni avez tir? d'une position ?trange et dangereuse; vous m'avez g?n?reusement rendu ? la vie>>. >>Ensuite il me demanda si je croyais que la rupture de la glace e?t an?anti l'autre tra?neau. Je lui dis que je ne saurais r?pondre avec certitude; car la glace ne s'?tait gu?re bris?e avant minuit, et le voyageur pouvait ?tre arriv? ayant ce temps en lieu de s?ret?; mais que je n'en pouvais juger. >>Depuis ce temps, l'?tranger paraissait tr?s-empress? ? ?tre sur le pont, pour ?pier le tra?neau qu'on avait vu auparavant; mais je l'ai engag? ? rester dans la chambre, car il est beaucoup trop faible pour soutenir la rigueur de l'atmosph?re. J'ai promis que l'on observerait pour lui, et qu'il serait averti sur-le-champ, si quelque nouvel objet s'offrait ? la vue. >>Voil? mon journal jusqu'aujourd'hui, sur ce qui a rapport ? notre ?trange rencontre. L'?tranger a insensiblement recouvr? la sant?, mais il est tr?s-silencieux, et parait embarrass? lorsqu'un autre que moi entre dans sa chambre. Cependant, ses mani?res sont si engageantes et si douces, que les matelots s'int?ressent tous ? son sort, quoiqu'ils aient eu tr?s-peu de communication avec lui. Pour moi, je commence ? l'aimer comme un fr?re; et son chagrin profond et continuel m'attire vers lui, et m'inspire de la compassion. Il faut qu'il ait ?t? un homme bien remarquable dans des jours plus heureux pour lui, puisque dans le malheur il est encore si attrayant et si aimable. >>Je disais dans une de mes lettres, ma ch?re Marguerite, que je ne trouverais pas d'amis sur le vaste Oc?an, et pourtant j'ai trouv? un homme que mon coeur aurait ?t? heureux d'aimer comme un fr?re, avant que son ?me eut ?t? bris?e par le malheur. >>Je continuerai de temps en temps mon journal sur cet ?tranger, si j'ai quelque chose de nouveau ? vous apprendre>>. < >>Il est maintenant tr?s-bien r?tabli, et il se tient continuellement sur le pont, pour ?pier sans doute le tra?neau qui a pr?c?d? le sien. Cependant, quelque malheureux qu'il soit, il n'est pas si enti?rement occup? de sa propre infortune, qu'il ne s'int?resse vivement aux occupations des autres. Il m'a fait beaucoup de questions sur mon projet, et je lui ai racont? franchement ma petite histoire. Il a paru charm? de la confidence et a fait sur mon plan plusieurs observations dont je pourrai faire mon profit. Il n'y a pas de p?danterie dans ses mani?res, et tout ce qu'il fait semble ne provenir que de l'int?r?t qu'il prend naturellement au bien-?tre de ceux qui l'entourent. Il est souvent abattu par le chagrin, et alors il s'observe beaucoup, et cherche ? chasser tout ce qu'il y a de sombre ou d'insociable dans son humeur. Ces paroxysmes fuient devant lui comme un nuage devant le soleil, quoique sa tristesse ne l'abandonne jamais. J'ai t?ch? de gagner sa confiance, et je crois y avoir r?ussi. Je lui parlais un jour du d?sir que j'avais de trouver un ami qui p?t sympathiser avec moi et me diriger de ses conseils. Je lui dis que je n'appartenais pas ? cette classe d'hommes qui s'offensent d'un avis. < < >>En disant ces paroles, sa figure prit l'expression d'un chagrin calme et profond, qui me toucha le coeur. Il se tut et se retira bient?t dans sa chambre. >>Malgr? l'abattement de son esprit, personne ne peut jouir plus vivement que lui des beaut?s de la nature. Un ciel ?toil?, la mer et toutes les vues que pr?sentent ces r?gions ?tonnantes semblent encore avoir le pouvoir d'?lever son ?me au-dessus de la terre. Un tel homme a une double existence: il peut supporter le malheur et ?tre accabl? par les revers; quand il est rentr? en lui-m?me, on dirait d'un esprit c?leste, entour? d'un nuage au travers duquel le chagrin ou la folie ne peuvent p?n?trer. >>Si vous riez de l'enthousiasme avec lequel je m'exprime sur cet aventurier extraordinaire, vous devez avoir certainement perdu de cette simplicit? qui ?tait autrefois votre charme caract?ristique. Cependant, si vous le voulez, souriez de la chaleur de mes expressions, tandis que j'ai tous les jours de nouveaux sujets de les r?p?ter>>. < >>Vous devez concevoir facilement que je fus enchant? d'une offre de ce genre. Cependant je craignais qu'il ne renouvel?t sa douleur par le r?cit de ses infortunes. Je sentis le plus vif empressement d'entendre l'histoire qu'il m'avait promise, tant pour satisfaire ma curiosit?, que par un grand d?sir d'am?liorer son sort, s'il ?tait en mon pouvoir. Je lui exprimai ces sentiments dans ma r?ponse. >>Je vous remercie, r?pliqua-t-il, de votre bonne volont?, mais elle est inutile; ma destin?e est presque accomplie. Je n'attends plus qu'une chose, et alors je reposerai en paix. Je vous comprends, continua-t-il, en s'apercevant que je voulais l'interrompre; mais vous vous trompez, mon ami, si vous me permettez de vous appeler ainsi; rien ne peut changer ma destin?e: ?coutez mon histoire, et vous verrez qu'elle est irr?vocablement fix?e>>. >>Il me dit alors qu'il commencerait le lendemain son r?cit, lorsque j'en aurais le temps. Cette promesse me fit faire de profondes r?flexions, et j'ai r?solu de consacrer mes loisirs du soir ? ?crire ce qu'il m'aura racont? pendant le jour, en rapportant autant que possible, ses propres expressions. Si je n'en ai pas le temps, je prendrai du moins des notes. Ce manuscrit vous fera sans doute le plus grand plaisir: mais pour moi, qui le connais, et qui apprendrai cela de sa bouche, avec quel int?r?t et quelle ?motion je le relirai un jour>>! CHAPITRE Ier Je suis n? ? Gen?ve, et ma famille est une des plus consid?rables de cette r?publique. Mes anc?tres avaient ?t?, depuis bon nombre d'ann?es, conseillers et syndics; et mon p?re avait rempli des fonctions publiques avec honneur et distinction. Il ?tait respect? de tous ceux qui le connaissaient, ? cause de son int?grit?, et de son application infatigable ? veiller aux int?r?ts de l'?tat. Il passa les ann?es de sa jeunesse continuellement occup? des affaires de son pays, et il n'attendit pas le d?clin de sa vie pour penser ? se marier, et ? laisser ? l'?tat des fils qui pussent transmettre ? la post?rit? ses vertus et son nom. Comme les circonstances de son mariage font honneur ? son caract?re, je ne puis m'emp?cher de les rapporter. Il comptait parmi ses plus intimes amis un n?gociant qui, d'un ?tat brillant, tomba dans la pauvret?, apr?s toutes sortes de malheurs. Cet homme, qui se nommait Beaufort, ?tait d'un caract?re orgueilleux et facile ? se d?courager. Il ne put soutenir l'id?e de vivre pauvre et oubli? dans le m?me pays o? il avait brill? par son rang et sa magnificence. Ayant donc pay? ses dettes de la mani?re la plus honorable, il se retira avec sa fille dans la ville de Lucerne, o? il v?cut inconnu et malheureux. Mon p?re aimait Beaufort de l'amiti? la plus vraie; et il fut profond?ment afflig? d'une retraite ? laquelle des circonstances malheureuses avaient donn? lieu, et qui le privait d'une soci?t? qui lui ?tait ch?re. Il r?solut d'aller le chercher et de l'engager ? recommencer le commerce, en profitant de son cr?dit et de son assistance. Beaufort avait pris toutes les mesures pour se cacher, et ce ne fut que dix mois apr?s que mon p?re d?couvrit sa demeure. Charm? de cette d?couverte, il se rend ? sa maison, qui ?tait situ?e dans une petite rue pr?s le Reuss; mais lorsqu'il entra, il eut sous les yeux le spectacle de la mis?re et du d?sespoir. Beaufort avait sauv? des restes de sa fortune, une tr?s-petite somme d'argent, mais qui ?tait suffisante pour le soutenir pendant quelques mois; il esp?rait alors obtenir un emploi respectable dans la maison d'un n?gociant. En attendant, il n'avait pas d'occupation; et, se livrant, dans son loisir, aux plus tristes pens?es, il fut en proie au chagrin le plus profond et le plus cruel, et tellement accabl? d'esprit, que trois mois apr?s, il fut sur un lit de douleur, incapable d'aucun mouvement. Sa fille le soignait avec la tendresse la plus touchante; mais elle voyait avec douleur que leur petite somme diminuait rapidement, et qu'ils n'avaient plus d'autre ressource. Caroline Beaufort avait une ?me d'une trempe peu commune, et elle s'arma de courage pour se soutenir dans son adversit?. Elle se procura une occupation honn?te, tressa de la paille, et, par diff?rents moyens, t?cha de gagner de quoi subvenir aux premiers besoins de la vie. Plusieurs mois se pass?rent ainsi. Son p?re devint plus mal; son temps ?tait plus occup? ? le soigner; ses moyens de subsistance diminuaient; et, en dix mois, son p?re mourut dans ses bras, la laissant orpheline et sans ressources. Ce dernier coup l'accabla; et elle ?tait ? genoux devant le cercueil de Beaufort, pleurant ? chaudes larmes, lorsque mon p?re entra dans la chambre. Il arriva comme un ange protecteur pour cette pauvre jeune fille, qui se confia ? ses soins; apr?s l'enterrement de son ami, il la conduisit ? Gen?ve et la confia ? une de ses parentes. Deux ans apr?s cet ?v?nement, Caroline devint sa femme. Lorsque mon p?re fut devenu ?poux et p?re, il se trouva tellement occup? par les devoirs de sa nouvelle position, qu'il abandonna plusieurs de ses fonctions publiques pour se vouer ? l'?ducation de ses enfants. J'?tais l'a?n?, et je devais lui succ?der dans tous ses travaux et dans ses fonctions. Personne n'eut de plus tendres parents que les miens. Mon ?ducation et ma sant? ?taient l'objet de leur sollicitude continuelle, et d'une sollicitude d'autant plus vive, que pendant plusieurs ann?es je fus leur unique enfant. Mais, avant de continuer mon r?cit, je dois rapporter un ?v?nement qui eut lieu lorsque j'?tais ?g? de quatre ans. Mon p?re avait une soeur qu'il aimait tendrement, et qui avait ?pous?, tr?s-jeune, un gentilhomme Italien. Peu de temps apr?s son mariage, elle avait accompagn? son mari dans son pays; et, depuis quelques ann?es, mon p?re n'avait eu que tr?s-peu de rapport avec elle. Elle mourut vers l'?poque dont j'ai parl?; et, peu de mois apr?s, il re?ut une lettre de son mari. Celui-ci lui faisait part de son intention d'?pouser une Italienne, et priait mon p?re de se charger de sa fille ?lisabeth, seul enfant qu'il eut eu de sa soeur. < Mon p?re n'h?sita pas, et alla aussit?t en Italie pour accompagner la petite ?lisabeth dans sa nouvelle demeure. J'ai souvent entendu dire ? ma m?re, qu'elle ?tait alors le plus bel enfant qu'elle eut jamais vu, et qu'elle montrait m?me un caract?re doux et aimant. Ces dispositions, et le d?sir de resserrer aussi ?troitement que possible les noeuds de l'amour domestique, d?termin?rent ma m?re ? regarder ?lisabeth comme ma femme future, projet dont elle n'eut jamais ? se repentir. D?s-lors ?lisabeth Lavenza devint ma compagne de jeu; et lorsque nous avan??mes en ?ge, elle fut mon amie. Elle ?tait dou?e d'un excellent naturel, aussi gaie et aussi fol?tre qu'un papillon. Quoiqu'elle fut vive et anim?e, ses sensations ?taient fortes et profondes; son caract?re prodigieusement aimant. Personne ne savait mieux qu'elle jouir de sa libert?, personne aussi ne se soumettait avec plus de gr?ce ? la n?cessit? et au caprice. Son imagination ?tait brillante quoiqu'elle f?t capable d'une grande application. Ses traits ?taient l'image de son ?me; ses yeux bruns, quoiqu'aussi vifs que ceux d'un oiseau, avaient une douceur attrayante; sa figure ?tait vive et anim?e. Capable de supporter une grande fatigue, elle avait l'air de la femme la plus d?licate du monde. Plein d'admiration pour son intelligence et son esprit, j'aimais ? la suivre, comme j'aurais pu le faire pour un animal favori; et je n'ai jamais vu tant de charmes dans la personne et dans l'esprit unis ? si peu de pr?tention. Tout le monde adorait ?lisabeth. Si les domestiques avaient quelque chose ? solliciter, c'?tait toujours par son intercession. Nous ?tions ?trangers ? toute esp?ce de d?sunion et de dispute; il existait, il est vrai, une grande diff?rence dans nos caract?res, mais il y avait m?me de l'harmonie dans cette opposition. J'?tais plus calme et plus r?fl?chi que ma compagne; cependant mon caract?re n'?tait pas aussi doux. Mon application durait plus long-temps; mais elle ?tait moins opini?tre pendant sa dur?e. J'aimais ? rechercher les faits qui ont rapport au monde physique; elle se plaisait ? suivre les inspirations hardies des po?tes. Le monde ?tait pour moi un secret que je d?sirais p?n?trer; pour elle, c'?tait un vide qu'elle cherchait ? peupler d'?tres de sa propre imagination. Mes fr?res ?taient bien plus jeunes que moi; mais j'avais dans un de mes condisciples un ami dont l'?ge r?pondait au mien. Henry Clerval ?tait fils d'un n?gociant de Gen?ve, intime ami de mon p?re. C'?tait un enfant d'un talent et d'une imagination extraordinaires. Je me souviens, qu'? l'?ge de neuf ans, il composa un conte de f?es, qui faisait les d?lices et l'?tonnement de tous ses camarades. Son ?tude favorite ?tait celle des romans et des livres de chevalerie; et, lorsque nous ?tions fort jeunes, je me rappelle que nous jouions des pi?ces qu'il composait lui-m?me d'apr?s ses livres, dont les principaux personnages ?taient Roland, Robin Hood, Amadis, et Saint-George. Personne n'a pu passer une jeunesse plus heureuse que la mienne. Mes parents ?taient indulgents et mes camarades aimables. Nos ?tudes n'?taient jamais forc?es; et, par quelques moyens, nous avions toujours devant nous un but qui nous excitait ? les poursuivre avec ardeur. Ce fut de cette mani?re, et non par l'?mulation, que nous pr?mes go?t au travail. Ce n'?tait pas la crainte d'?tre surpass?e par ses compagnes, qui excitait ?lisabeth ? s'appliquer au dessin; mais le d?sir qu'elle avait de plaire ? sa tante, en lui mettant sous les yeux quelque joli paysage qu'elle avait fait elle-m?me. Nous appr?mes le latin et l'anglais, afin de pouvoir lire les auteurs de ces deux langues; et, au lieu de nous rendre l'?tude odieuse par les punitions, nous ne cessions d'aimer l'application; nos distractions eussent ?t? des travaux pour d'autres enfants. Peut-?tre n'avons nous pas lu autant de livres, ou n'avons nous pas appris les langues aussi promptement que ceux qui sont enseign?s d'apr?s les m?thodes ordinaires; mais ce que nous avons appris nous est rest? plus profond?ment grav? dans la m?moire. Je place Henri Clerval dans la description de notre cercle domestique, car il ?tait constamment avec nous. Il allait ? l'?cole avec moi, et passait chez nous presque tous les apr?s-midi; son p?re qui n'avait que ce fils, ?tait bien aise qu'il trouv?t dans notre maison les camarades qu'il ne pouvait lui donner chez lui; aussi nous n'?tions jamais tout-?-fait heureux lorsque Clerval ?tait absent. J'ai du plaisir ? m'arr?ter sur les souvenirs de mon enfance, avant que le malheur n'e?t atteint mon esprit et chang? ses id?es lumineuses sur l'utilit? g?n?rale en des r?flexions sur moi-m?me, profondes et r?tr?cies. Mais, en tra?ant le tableau de mes jeunes ann?es, je ne dois pas omettre ces ?v?nements qui me conduisirent insensiblement au dernier degr? du malheur: car, lorsque je me rends compte de la naissance de cette passion qui r?gla ensuite ma destin?e, je la vois sortir de sources impures et presqu'oubli?es, comme un fleuve qui sort des flancs d'une montagne; mais, en croissant insensiblement, elle est devenue le torrent, qui, dans sa course, a d?truit toutes mes esp?rances et mon bonheur. La philosophie naturelle est le g?nie qui a r?gl? ma destin?e; je d?sire donc, dans ce r?cit, ?tablir les faits qui m'ont inspir? une pr?dilection pour cette science. J'avais treize ans, lorsque nous f?mes tous une partie de plaisir, aux bains pr?s de Thonon: le mauvais temps nous obligea de rester toute une journ?e renferm?s dans l'auberge, et le hasard fit tomber entre mes mains, dans cette maison, un volume des oeuvres de Cornelius Agrippa. Je l'ouvris avec indiff?rence; la th?orie qu'il cherche ? d?montrer et les faits ?tonnants qu'il rapporte, chang?rent bient?t ce sentiment en enthousiasme. Une nouvelle lumi?re sembla ?clairer mon esprit; je bondis de joie, et fis part de ma d?couverte ? mon p?re. Je ne puis m'emp?cher de faire remarquer ici les nombreuses occasions qu'ont les instituteurs, pour diriger les id?es de leurs ?l?ves vers des connaissances utiles, et qu'ils n?gligent enti?rement. Mon p?re regarda avec indiff?rence le titre de mon livre, et dit: < Si, au lieu de cette remarque, mon p?re e?t pris la peine de m'expliquer que les principes d'Agrippa avaient ?t? tout-?-fait rejet?s, et qu'on avait introduit un nouveau syst?me de science, bas? sur des raisonnements plus puissants que l'ancien, parce que ceux-ci ?taient chim?riques, tandis que les autres ?taient r?els et mis en usage; oh! alors, j'aurais certainement jet? Agrippa de c?t?, et, avec une imagination ?chauff?e comme la mienne, je me serais probablement appliqu? ? la th?orie d'alchimie, la plus raisonnable qui soit r?sult? des d?couvertes modernes. Il est m?me possible que le cours de mes id?es n'eussent jamais re?u la funeste impulsion qui m'a conduit ? ma perte. Mais le m?pris vague que mon p?re avait montr? pour mon livre, ne me prouvait nullement qu'il conn?t ce qu'il contenait, et je continuai de le lire avec la plus grande avidit?.
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