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Read Ebook: Les Dieux et les Demi-Dieux de la Peinture by Gautier Th Ophile Houssaye Ars Ne Saint Victor Paul De Calamatta Luigi Illustrator

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Ebook has 619 lines and 112898 words, and 13 pages

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Le seul reproche qu'on puisse adresser ? cette charmante figure, c'est une perfection pouss?e trop loin, un fini de pinceau qui sent encore les premiers efforts de l'art se cherchant lui-m?me.

Luini, Sala?, Melzi, Beltraflio et d'autres ont peint, dans la mani?re du Vinci, une foule d'H?rodiades, de madones et de Madeleines qui, sur les catalogues, portent le nom du ma?tre, et parfois ne sont pas indignes d'un tel honneur; nous-m?me, ? Burgos, dans la sacristie de la cath?drale, nous avons vu une Madeleine inond?e de longs cheveux soyeux et fins, ombr?e de demi-teintes admirablement m?nag?es, qu'on attribuait, non sans vraisemblance, ? L?onard, mais qui n'?tait pas de lui, car le sublime paresseux a peu produit. ? quoi bon, lorsqu'on a atteint la perfection, se r?p?ter inutilement?

Comment croire ? toutes ces oeuvres? L?onard mit quatre ans ? faire le portrait de la Monna Lisa, qu'il ne regarda jamais comme fini; il se pressait si peu que, pendant son s?jour ? Rome, ayant re?u une commande de L?on X, il commen?a par distiller des plantes pour composer un vernis destin? au tableau qu'il devait faire, et ne fit pas, selon son habitude; il lui suffisait de s'?tre prouv? ? lui-m?me, par quelques oeuvres, qu'il ?tait un grand peintre. Peut-?tre m?me tirait-il plus vanit? de ses talents d'ing?nieur, d'hydraulicien et de compositeur de musique.

Qui s'imaginerait que ce beau L?onard, si ?l?gant, si noble, si rare, si exquis, poss?d?t au supr?me degr? le don de la caricature? En ce genre, comme en tout autre, il a du premier coup atteint la perfection. Avec quelle force comique, quelle raillerie magistrale, quelle puissance grotesque il d?couvre l'angle singulier, le d?tail caract?ristique, le c?t? exorbitant, le tic imp?rieux de chaque physionomie! Comme il fait sortir le monstre cach? dans tout homme, et comme d'un coup de crayon pareil ? un coup de griffe il d?tache le visage pour laisser voir le masque cach? dessous! Il am?ne les passions, les vices, les folies, les ridicules ? la peau et les fait saillir par quelque prodigieuse exag?ration anatomique. Ses caricatures, qu'il ramassait dans les rues de Milan sur un calepin, ou qu'il griffonnait de m?moire sur les marges de ses manuscrits, ont ?t? recueillies et grav?es par Carlo Giuseppe Gerli: elles ont un caract?re bizarre et grandiose, une sorte de jovialit? terrible; un peu plus ces mascarons burlesques seraient effrayants, tant les os, les muscles, les veines s'accentuent avec une puissante difformit?, les m?choires inf?rieures avancent d'un pied, les nez se courbent comme des becs, les orbites se creusent en vo?tes profondes o? battent comme des ailes de chauve-souris les paupi?res flasques, les l?vres se plissent ou se renversent, montrant les gencives ?dent?es ou h?riss?es de crocs. Les pommettes pr?sentent des anfractuosit?s de rocher, le profil s'?gueule ou s'?br?che, ouvrant ou diminuant son angle facial avec une incroyable puissance de ridiculisation. Derri?re une vague apparence humaine d?file la hideuse m?nagerie des bestialit?s et des vices: le mufle, le museau, la hure, le grouin, le bec de li?vre pr?tent des masques difformes ? la m?chancet?, ? la gourmandise, ? la luxure, ? la paresse, ? l'idiotisme; mais ce qu'il y a de merveilleux, c'est que chacune de ces t?tes si pittoresquement monstrueuses, encadr?e de quelque feuillage ou de quelque volute d'ornement, ferait un superbe mascaron crachant l'eau d'une fontaine, m?chant un marteau de porte, ouvrant son rictus ? la clef d'une vo?te.

Une puissance formidable torture ces contours, creuse ces cavit?s, fait saillir ces muscles, am?ne du fond des chairs ces muscles ? la peau, accuse le squelette ? travers l'enveloppe, exag?re les pl?thores ou les maigreurs dans un but caricatural; c'est la jovialit? cruelle mais irr?sistible d'entra?nement d'un dieu jeune et beau qui se moque de la difformit? humaine.

S'il l'e?t voulu, L?onard de Vinci e?t pu ?tre Michel-Ange, comme il e?t ?t? Rapha?l; il fut lui, c'est assez. La gr?ce le s?duisait plus que la force, quoiqu'il f?t capable d'?tre fort: son carton de la bataille d'Anghiera balan?a celui de Michel-Ange; malheureusement il disparut dans les troubles de Florence, et il n'en reste qu'un fragment grav? par Edelinck d'apr?s un dessin de Rubens. Assur?ment Rubens est un grand ma?tre, mais jamais g?nie ne fut plus contraire ? celui de L?onard, et dans l'estampe on sent que le peintre d'Anvers a fait ronfler les contours ? la flamande, alourdi les croupes des chevaux, et vulgaris? ? sa fa?on les figures ?tranges des cavaliers.

La douceur, la s?r?nit?, la gr?ce, une gr?ce fi?re et tendre ? la fois, telles furent les qualit?s dominantes de L?onard. Il inventa ou plut?t trouva dans la nature une beaut? aussi parfaite que la beaut? grecque, mais sans aucun rapport avec elle. C'est le seul artiste qui ait pu ?tre beau sans ?tre antique. En cela consiste son m?rite supr?me; car tous ceux qui ont ignor? ces types ?ternels, ces canons de l'id?al, ou qui s'en ?loignent, restent entach?s de barbarie ou marchent ? la d?cadence. L?onard de Vinci a gard? la finesse gothique en l'animant d'un esprit tout moderne. Comme nous l'avons d?j? dit ailleurs, car si Virgile est l'auteur de Dante, L?onard est notre peintre, les figures du Vinci semblent venir des sph?res sup?rieures se mirer dans une glace ou plut?t dans un miroir d'acier bruni o? leur reflet reste ?ternellement fix? par un secret pareil ? celui du daguerr?otype. On les a d?j? vues, mais ce n'est pas sur cette terre, dans quelque existence ant?rieure peut-?tre dont elles vous font souvenir vaguement.

Pendant que la Monna Lisa del Giocondo posait, et elle posa longtemps, car L?onard n'?tait pas homme ? se d?p?cher avec un tel mod?le, des virtuoses ex?cutaient des concertos dans l'atelier. Le ma?tre par la musique et les joyeux propos voulait retenir sur ces belles l?vres le sourire pr?t ? s'envoler pour le fixer ? jamais sur sa toile. Ne trouvez-vous pas qu'il y a dans le portrait de la Joconde, sans vouloir jouer sur les tons et les notes, comme un ?cho d'impression musicale? l'effet est doux, voil?, tendre, plein de myst?re et d'harmonie, et le souvenir de cette adorable figure vous poursuit comme un de ces motifs de Mozart que l'?me se chante tout bas pour se consoler d'un malheur inconnu.

Tous ces dieux de la peinture s'emparent ainsi de notre ?me et y jouent ? tout jamais la divine musique, ?cho du monde radieux, surhumain o? nous voyons appara?tre le Beau.

FR? GIOVANNI DA FIESOLE

Il est des vies de saintet? et d'humilit? qui montent invisibles, vers le ciel, comme des fum?es d'encens. Celle d'Angelico n'a laiss? dans les l?gendes m?mes de son ordre qu'une vague odeur de v?n?ration. Quelques souvenirs de vertus et d'extases composent toute son histoire. Le clo?tre est le vestibule de l'?ternit?; il participe de son silence et de son myst?re.

Ce fut en 1387, ? l'?ge de vingt ans, qu'il entra dans le couvent des dominicains de Fiesole. On ne sait rien de ses premi?res ann?es; mais il est probable que sa jeunesse ne fut pour lui que le noviciat de la vie religieuse; il naquit pr?tre; sa robe de moine fut sans couture comme celle du Christ. Dieu a deux mani?res d'appeler ? lui les ?mes qu'il se r?serve: la vocation et la conversion. La conversion a quelque chose du rapt et de l'enl?vement; elle s'embusque sur le chemin de Damas, elle attaque, elle foudroie, elle renverse, elle d?pouille le vieil homme avec la violence d'un d?chirement, mais l'?me qu'elle a vaincue emporte dans sa vie nouvelle l'incurable plaie du souvenir. Les fant?mes nus des volupt?s romaines poursuivent saint J?r?me au d?sert; ils se glissent jusque dans le lit de sable, o? le vieil asc?te roule son corps meurtri.

La vocation, au contraire, a la douce fatalit? d'une attraction. Les ?tres qu'elle a choisis semblent prolonger en s'?veillant ? la vie un ravissement ant?rieur. Ils la traversent dans un ?tat de somnambulisme c?leste. Des ailes invisibles veillent sur le sommeil de leurs sens; des ?p?es de flammes s'interposent entre les ombres du monde et la s?r?nit? de leur coeur. Leur puret? native ressemble ? cette flamme du diamant aussi inaccessible aux souillures que celle des ?toiles, et qui est la substance m?me de la pierre qu'elle fait rayonner.

Dans l'histoire de la peinture, Fr? Angelico pr?sente peut-?tre l'unique ph?nom?ne de cette innocence immacul?e appliqu?e aux formes d'un art terrestre. Fr? Bartolomeo, lui aussi, fut un moine et un saint. Son oeuvre passe pour une des plus graves et des plus profondes expressions du g?nie catholique. Un jour, cependant, il peignit pour l'?glise du couvent de Saint-Marc un saint S?bastien qui, ? peine expos?, troubla la chastet? du sanctuaire. Le jeune martyr renvoyait les fl?ches de son supplice en effluves de volupt? au coeur des femmes prostern?es devant lui. Sa chapelle devint un s?rail de r?ves et de d?sirs profanes; la pri?re s'y noyait dans le soupir, l'agenouillement y languissait de mollesse. On fut forc? d'enlever bien vite l'image idol?tre; elle ti?dissait l'encens, elle corrompait l'autel. Le Frate n'?tait certes pas complice de sa tentation d'artiste, lui, un des pourvoyeurs de cet effrayant auto-da-f? plastique allum? par Savonarole, o? la Renaissance, dans un acc?s de mysticisme indien, se jeta sur un b?cher de tableaux et de statues, et faillit br?ler tout enti?re. Mais il avait travers? la vie et ses passions; il avait appris l'art ? l'?cole semi-pa?enne de L?onard; le clo?tre n'?tait pas son berceau, mais son refuge, et il y apportait malgr? lui les souvenirs et les reflets de son passage ? travers le monde.

Ce rapprochement n'est qu'un exemple pris au hasard; en ?tudiant l'un apr?s l'autre les ma?tres les plus asc?tiques de l'art chr?tien, nous surprendrions en chacun d'eux le point qui le rattache ? la terre.

Dans ces premi?res messes de la peinture qui se c?l?brent ? l'ombre des cath?drales et des basiliques, Angelico seul a consacr? et transsubstanti? la forme en l'?levant vers le ciel. Lui seul a accompli le myst?re du corps fait ?me sans mac?ration et sans fl?trissure. ? quoi attribuer ce miracle, si ce n'est ? la candeur d'une nature sans tache, qui purifiait la mati?re en la refl?tant.

Quelques historiens donnent pour ma?tre ? Fiesole, Gherardo Starnina, l'initiateur de l'Espagne au style italien; mais rien ne confirme cette conjecture incertaine. J'ai sous les yeux deux petits tableaux de Starnina dont le coloris fonc? et la familiarit? tudesque ne rappellent nullement la mani?re id?ale et l?g?re du peintre ang?lique. La tradition la plus s?re est qu'un fr?re de son couvent lui enseigna l'art tout claustral de la miniature, et qu'il d?buta par peindre des missels, des livres d'heures, jusqu'? des vignettes de reliquaires et de cierge pascal. La peinture, au moyen ?ge, s'?tait r?fugi?e dans le manuscrit sacr?, comme dans la chrysalide de sa formation. Elle y attendait l'heure du r?veil, au milieu des r?ves d'azur et d'or de la fantaisie catholique. Elle pr?ludait ? ses immenses cr?ations par de d?licats opuscules. Fiesole sortit peintre de ce na?f apprentissage, mais il transporta, dans ses tableaux en d?trempe, le z?le, la clart?, la scrupuleuse minutie de la miniature; il garda les colorations limpides, et la sainte simplicit? de son pinceau qui joue avec les moindres d?tails du sujet, comme la main d'un enfant avec les mouches et les brins d'herbes. Il n'appartient pas ? son si?cle; il plane sur son ?cole, il ne marche pas avec elle: il y appara?t entre Masaccio et Ghirlandajo, sans leur donner la main. Tandis qu'autour de lui les artistes florentins se passent en courant le flambeau hardi du naturalisme, lui continue ? peindre ? la lueur de l'astre mystique qui brilla sur Assise, cette cr?che de l'art chr?tien.

? cette ?poque, l'?cole florentine pr?pare tumultueusement la technique de la Renaissance. Tout est recherches, inventions, d?couvertes, activit? inqui?te, ?changes herm?tiques, dans cet atelier de la forme en travail. La peinture ?treint la sculpture et ressort en relief de cet ?nergique embrassement; le dessin imite les sinuosit?s de l'orf?vrerie et en reproduit les ar?tes; le g?om?tre taille avec son compas le crayon de l'artiste, et lui r?v?le les lois de la profondeur et de la distance. Paolo Ucello vient de soulever le ciel d'or byzantin, et de d?couvrir les horizons enchant?s de la perspective; Masolino de Panicale moule son model? sur les saillies du bronze, et le trempe hardiment dans le clair-obscur: Masaccio r?sume tous ces progr?s dans un admirable style: il dompte le raccourci, ?treint le nu, ?largit la couleur et fonde l'aplomb des figures; Filippo Lippi d?ploie les magnifiques exag?rations du grandiose et de l'h?ro?sme plastique. Seul au milieu des agitations de l'art, ivre des premiers secrets de la nature, Fr? Angelico reste dans sa cellule, fid?le, comme ? des voeux, aux chastes proc?d?s de l'?cole ombrienne: il la perp?tue en la perfectionnant; il est pour ainsi dire, la vestale de son ?toile vacillante aux grands souffles d'un si?cle nouveau.

Sur les gradins parall?les qui entourent le tr?ne, abondent les anges des Choeurs et des Hi?rarchies. Les uns soufflent dans ces longues trompettes d'or perpendiculaires, dont l'imagination croit entendre les sons purs, fins, clairs, prolong?s de sph?re en sph?re en r?pons de douceur et de psalmodie; les autres jouent de la viole, du psalt?rion, de la cithare ou d'autres instruments de gloire et de louange, dont la forme inconnue semble exprimer l'ineffable son. Fr? Angelico est en famille au milieu des anges; il les conna?t tous, depuis l'enfant ail? qui jonche de sa t?te rieuse la nimbe des Assomptions, jusqu'au S?raphin br?lant qui prend feu ? la pr?sence de Dieu et se consume d'ardeur devant sa face.

Comment aurait-il trouv?, sans une surnaturelle intuition, ces t?tes ravissantes qui figurent l'aspiration, l'?lan, la pri?re, et corporisent les parfums de l'?me dans leurs ar?mes les plus subtils, dans leurs plus silencieuses ?manations? Les anges de Rapha?l para?traient lourds aupr?s de ces cr?atures a?riennes, dont le sexe c?leste flotte entre la vierge et l'adolescent. Chacun d'eux a son caract?re et sa physionomie distincte, si l'on peut appeler de ces mots humains les nuances du bonheur. Il en est un qui embouche sa trompette en gonflant ses joues roses, avec l'all?gresse d'un ?ph?be grec sonnant un triomphe. D'autres r?vent, s'?tonnent, admirent, ou sourient na?vement ? la beaut? du paradis.

Au-dessous des choeurs ang?liques se groupent les patriarches, les saints, les docteurs, les martyrs; rang?es ?clatantes de tuniques, de robes, de chasubles, de scapulaires, de camails, d'o? sortent des t?tes rayonnantes de b?atitude. La procession aboutit ? un ?v?que splendide ? barbe byzantine, qui ?tale, comme l'envergure de son extase, une vaste chape, o? la Passion, peinte dans l'?toffe, se d?roule en versets d'?carlate. Ainsi drap? dans l'?vangile, ? genoux sur le parvis, la crosse en main, la mitre en t?te, dans l'attitude du pontificat triomphant, il fixe en plein le sacre de la Vierge. Vous diriez un mage catholique adorant le Soleil de justice et de v?rit?.

Elle prie et elle r?ve, attentive au choral des anges. Sa bouche s'entr'ouvre amoureusement connue pour aspirer l'hostie d'une communion invisible; ses yeux dorment dans leur lumi?re, son visage baigne dans sa f?licit?; on dirait que l'?me extravas?e a r?pandu sa ferveur sur ses joues diaphanes. Les anciens parlent d'un <> la robe rose qui languit sur elle semble faite avec de la pudeur. Aupr?s d'elle, sainte Catherine, appuy?e sur sa roue et comme ? peine r?veill?e de son martyre, regarde curieusement la blonde extatique. Elle semble la questionner sur les choses du ciel, et engager avec elle une de ces conversations ang?liques qui, selon Swedenborg, s'engagent et se poursuivent par la seule palpitation des paupi?res. Derri?re, une jeune reine ?lance, pour mieux voir, son doux profil sur un cou mince comme l'attache d'une fleur. ? l'air pr?cieux de sa jolie t?te, vous diriez qu'elle repr?sente, au milieu de ces effusions et de ces ardeurs, l'?l?gance de la saintet?, l'aristocratie du paradis.

La premi?re impression de ce tableau s?raphique est toute d'enchantement. L'oeil respire d?licieusement la puret? de ces douces figures: elle lui arrive comme le parfum des palmes et des lis d'une flore inconnue. Mais fixez-en l'ensemble par les yeux de l'?me, et bient?t le charme tout-puissant de foi qu'il rec?le produira sur vous l'effet d'une r?v?lation. Les dogmes catholiques se d?gageront de ces t?tes th?ologiques de pr?tres et de docteurs, frapp?es du reflet de la v?rit? qu'elles re?oivent; les spiritualit?s religieuses exprim?es par ces formes psychiques d'anges et de saintes--veilleuses transparentes des feux invisibles--vous p?n?treront de leurs suaves influences; les rayonnements des tiares, des mitres, des couronnes, des aur?oles, des ors merveilleux et vagues qui jonchent ces v?tements sublimes, prendront sous votre regard la splendeur du ciel ?toil?, et vous vous sentirez emport?, par cercles d'ascensions insensibles, jusqu'? cette r?gion de souffles, de battements d'ailes, de splendeurs dansantes, de lueurs vocales, de phosphorescences m?lodieuses, d'apparitions et de disparitions enflamm?es, o? Dante, cet aigle du mysticisme, a pu seul ravir la parole.

Un des prestiges de la peinture de Fiesole est sa couleur, dont la puret? radieuse n'a d'?quivalent dans la mani?re d'aucun autre artiste. N'y cherchez ni les jeux des reflets, ni les prestiges des ombres, ni les illusions de la chair, mais je ne sais quelle suavit? virginale. Il peint toujours ? la d?trempe; l'outremer est la base et comme le firmament de ses tableaux; les roses et les ors y abondent. Les teintes y semblent souffl?es plut?t qu'appliqu?es. L'effet est d'un indicible enchantement.

Si l'on me demandait le secret de cette couleur c?leste, j'irais le chercher dans les tabernacles qu'habitait son ?me, et je recomposerais sa palette sur l'autel m?me de son sacerdoce. La vie religieuse projette autour d'elle une nimbe d'?clats et de rayonnements. L'?glise n'est pas seulement un ?difice, c'est un climat sacr? qui r?fl?chit la nature au miroir ardent du symbole, pour en faire jaillir une flamme plus digne d'?tre offerte ? son Cr?ateur. Elle a l'ostensoir pour soleil, les cierges pour ?toiles, la fum?e des encensoirs pour atmosph?re. La lumi?re se transfigure au feu du vitrail, comme l'?me au creuset de la foi avant d'entrer dans son enceinte. Les montagnes de diamants de ses chasses, les fleurs sid?rales de ses reliquaires, les arbres enflamm?s de ses cand?labres, id?alisent la nature en la rappelant. Un cycle de f?tes triomphales, rev?tues des blancheurs du lin, des embrasements de la pourpre et des orfrois du brocart, y figure la r?volution du Soleil mystique, parcourant les signes de son zodiaque ?ternel. Les vases de ses sacrifices empruntent un ?clat surnaturel ? la lucidit? de leur m?tal, aux reflets des flambeaux qui les illuminent, aux gestes myst?rieux et lents des pr?tres qui les l?vent ou qui les abaissent. Le calice rayonne, la pat?ne miroite, le ciboire ?clate, les burettes scintillent. Les chants liturgiques roulent dans leurs strophes des flots de pierreries merveilleuses; le b?ryl, le sardonyx, la sardoine, incessamment nomm?s par l'Apocalypse et par les Proph?tes, jettent des feux ?blouissants dans l'imagination des fid?les. Quand le Christ, incarn? dans l'Eucharistie, s'?l?ve entre les mains du pr?tre ? la cime de l'autel flamboyant et vaporeux, il y appara?t, comme Dieu au d?sert, ? travers un buisson ardent.

Fiesole vivait dans l'?glise: ce fut de ses splendeurs qu'il composa sa palette. Le jour de son atelier vient du paradis.

Les mus?es de Florence renferment un grand nombre des tableaux de Fiesole, mais il faut le chercher surtout ? l'Acad?mie des beaux-arts, qui conserve huit grands tableaux en trente-cinq compartiments repr?sentant la vie de J?sus-Christ: ils d?coraient autrefois les volets de la sacristie de la chapelle de la Nunziata.

C'est l? qu'on peut admirer, dans tout l'ensemble de son g?nie, l'artiste bienheureux dont l'ex?cution m?me a la beaut? d'une vertu. Je n'h?site pas, pour ma part, ? y reconna?tre les types de dessin les plus ?l?gants et les plus purs que l'art italien ait produits avant Rapha?l. La composition des groupes et des sc?nes n'affecte pas la sym?trie p?dantesque des Byzantins; sa paix n'est point une l?thargie, sa lenteur n'a rien d'immobile; ses personnages s'entendent par signes, pour ainsi dire, mais par signes d'une finesse exquise, plus expressive que la parole. Les figures s'?lancent sans roideur, et entrelacent les inflexions d'un mouvement toujours choisi et bienvenu aux lignes d?li?es des formes ogivales. Leurs draperies suivent le contour du geste et de la pose, mais avec le lointain, le vague et le flottant du voile. Ne leur demandez pas de profanes caresses, ni de mat?riels embrassements; le peintre touche au corps avec les mains vierges du pr?tre: il l'abr?ge, il l'effile, il l'?vanouit, il n'en exprime que la t?te: on sent qu'il voudrait le vaporiser et donner ? son buste, au moyen du tissu id?al dont il l'enveloppe, l'innocence de la tige d'une fleur ou le myst?re d'une nu?e.

Cette glorification qui devance les m?tamorphoses de l'?ternit?, Fiesole l'accomplit surtout par cette couleur dont nous avons d?j? signal? la candide splendeur. Il la r?pand sur ses carnations en teintes blondes et claires dont le fondu ne peut se comparer qu'au trouble de ces tons dor?s qui naissent et expirent confus?ment ? la racine des jeunes chevelures. Presque toujours il cerne l'iris des yeux d'un cercle noir excessivement fin, ce qui donne au regard une inexprimable tendresse.

Les fonds de ses tableaux ont cet aspect mystique que l'?cole ombrienne pr?te ? la nature. Angelico donne ? ses paysages des horizons de parabole; il y creuse des vall?es ?r?mitiques, il y ?l?ve des montagnes o? J?sus pourrait enseigner, il y dessine des sentiers que l'on dirait fray?s par les sandales des anachor?tes, et qui semblent conduire aux grottes des P?res du D?sert. Comme Giotto, il cis?le en clair les feuilles de ses arbres, et donne ? leur svelte tige l'?lancement d'une aspiration vers le Ciel; comme lui encore, il profile, dans ses perspectives, des ?difices d'une d?licatesse fantastique, qui semblent exprimer par la t?nuit? et de leurs lignes le d?tachement de la terre et la vanit? des oeuvres de l'homme.

Mais la merveille de cet ?vangile histori?, c'est l'?me qui le comprend, l'imagination qui le devine, et qui semble avoir pour les choses divines le don d'empreinte d'un saint Suaire; c'est la succession d'id?es innocemment sublimes qui s'y d?ploie sans effort, avec l'effusion d'une belle ?me. Fiesole a du g?nie plein les mains, parce qu'il a de la saintet? plein le coeur; son inspiration n'est que la seconde vue de sa foi. Quelle surprenante id?e que celle d'avoir repr?sent? la C?ne sous la forme d'une communion: le Christ, sacrificateur de son sacrifice, c?l?brant sa propre messe, et distribuant aux ap?tres, de sa main de chair, le pain qui l'incarne et le multiplie!

Les sc?nes de la Passion sont peintes comme de la main d'un stigmatis?. On sait qu'il fondait en larmes chaque fois qu'il avait ? les retracer, et qu'on le surprit souvent d?faillant d'angoisse et de douleur au pied du tableau commenc?. Mais il n'est pas seulement le voyant, il est encore le po?te de l'?vangile. ? la reproduction textuelle du livre sacr? il ajoute presque toujours des paraphrases d'une gr?ce ou d'une m?lancolie p?n?trantes. Ainsi, dans la descente de J?sus aux limbes, il repr?sentera les saints de l'ancienne loi se pressant en foule au-devant du Sauveur arm? de l'?tendard de sa victoire sur la mort. Une mince cloison s?pare les limbes de l'enfer; une ?me--on dirait celle d'une femme, tant elle est svelte et fr?le--est accourue au bruit. Elle s'?lance, elle crie gr?ce, elle voudrait briser le mur qui la s?pare du pardon, de la d?livrance, du ciel peut-?tre! Oh! si le Christ pouvait l'entendre! mais un d?mon la retient dans son ?treinte, la pauvre ?me se d?bat toute palpitante; elle renverse en arri?re sa t?te ?perdue. Il y a dans le jet fr?missant de cette figure un sentiment de la damnation morale--de celle que sainte Th?r?se plaignait sublimement de ne pouvoir aimer--plus poignant que toutes les tortures de l'enfer dantesque.

Imperfection sublime! gaucherie touchante d'une main virginale qui ne savait que b?nir! On sourit d'abord, bient?t on admire. Cette puret? parfaite vous ?blouit comme un ph?nom?ne du monde spirituel. On se demande de quelle argile est p?trie la nature des saints, et si le Ciel n'envoie pas des anges sur la terre.

Il peignit jusqu'? son dernier jour, cr?ant par milliers les saints, les ap?tres, les s?raphins, les martyrs, avec la f?condit? b?nie de ces patriarches de la Bible qui engendraient des tribus sacr?es. Sa vie fut une ?chelle de Jacob dress?e vers le Ciel; il en peupla d'anges chaque degr?, comme pour les envoyer ? Dieu au-devant de lui, en messagers d'offrande et d'aspiration. Si Dante l'avait suivi, au lieu de le pr?c?der, dans quelle nuance limpide de son Paradis il aurait ench?ss? l'?me du saint artiste! Quelle canonisation d'effets de lumi?re et de scintillements ?toil?s il aurait faite au coloriste du Ciel!

L'art catholique avait donn? en Fiesole son enthousiaste et supr?me effort; il s'arr?ta apr?s l'avoir produit. Son plus pur disciple, le croissant de cet astre virginal, est Benozzo Gozzoli, le peintre du Campo Santo. Autour de sa tradition se group?rent encore Domenico di Michelino, Zanobio Strozzi et quelque autres: p?le constellation qu'absorbe bient?t l'?clatant soleil du seizi?me si?cle. Plus tard, la Renaissance, dans ses intervalles de pi?t?, vint s'agenouiller parfois, comme ? un prie-Dieu, devant l'oeuvre du peintre ang?lique; elle en rapporta quelques ?tincelles des premi?res ferveurs de l'art italien. Son dernier reflet vient expirer en chastes sourires sur les l?vres des Vierges de Rapha?l; il s'y est ?teint pour jamais. On rallume les flammes de la terre, on ne rallume pas les ?toiles ?teintes.

HEMLING

Ce fut donc pendant sa convalescence que Hemling composa ces divines peintures. Elles trahissent l'influence de cet ?tat particulier de la vie. Qui n'a ressenti ou observ? les ph?nom?nes qui accompagnent la convalescence! Le corps, att?nu? par la souffrance, se spiritualise en quelque sorte; sa trame grossi?re prend la finesse et la po?sie d'un voile; ses organes se raffinent en se ravivant; le pas est plus l?ger, le regard plus lucide, l'odorat plus exquis, l'oreille plus subtile: les nerfs fr?missent l?g?rement ? des sensations qui nagu?re ne les auraient pas effleur?s. D'une autre part, l'?me, ?chapp?e des ombres de la mort, rena?t ? la vie avec une innocence enfantine. De la tombe, dont il a effleur? les premiers degr?s, le malade l'apporte une m?lancolie religieuse m?l?e ? la joie de l'existence reconquise. Ce monde qu'il a cru quitter lui appara?t color? des teintes de l'?den. L'attendrissement qu'il ?prouve en le revoyant l'id?alise ? ses yeux. Il fait doux, pour lui, dans les couleurs, comme dans l'air, comme dans les bruits. Il jouit de la lumi?re comme le premier homme dut admirer la premi?re aurore. Le repos l'initie aux d?lices de la contemplation. Le chant d'un oiseau, la plainte d'une source, la gr?ce d'une fleur, le vol d'un insecte, la forme d'un nuage, le plongent dans une sereine r?verie. Les visages aim?s ou compatissants qui ont entour? son lit de douleur se rev?tent d'une ang?lique expression; les indiff?rents m?me lui semblent sympathiques; son ?me leur pr?te la bienveillance dont elle est remplie: il rentre dans le monde et dans la nature avec la reconnaissance d'un exil? auquel on a rouvert sa patrie.

La ch?sse de Bruges, comme beaucoup de reliquaires de l'?poque, a la structure d'une maison gothique. Sur ses parois, divis?es en quatre compartiments, le peintre a repr?sent? les ?pisodes du voyage d'Ursule et de ses compagnes. Les deux pignons encadrent les images de la Vierge et de la sainte. Sur le toit, il a peint son couronnement au milieu de la cour c?leste.

C'est d'abord le d?barquement d'Ursule ? Cologne, ? la t?te de son arm?e virginale. Elle descend du lourd navire, soutenue par ses compagnes. La troupe sacr?e d?file d?j? par la porte de la ville, qui d?coupe sur le clair du ciel les nefs de ses ?glises et le clocher de sa cath?drale. On croit voir entrer dans la J?rusalem c?leste les vierges qui <>--Les madones de l'Italie para?traient sensuelles aupr?s de ces saintes du Nord. La froideur particuli?re ? leur race s'illumine d'une puret? divine; c'est de la neige m?l?e ? de la lumi?re. Leur beaut? n'a rien de plastique: les joues sont rondes, les pommettes saillantes; les fronts ont cette largeur qui d?figurerait les d?esses pa?ennes, mais qui convient ? des saintes.--L'art chr?tien fait r?gner le front sur le corps; il l'?l?ve comme une ogive sur ce temple du Saint-Esprit.--Le charme des vierges d'Hemling est d'une qualit? presque incorporelle, leurs yeux clairs ont la fixit? distraite de l'extase; leurs tailles d?li?es s'?lancent avec la rectitude des grands lis; leurs gestes et leur maintien respirent une modestie solennelle. Rien n'?gale la bizarre ?l?gance de leurs costumes et de leurs coiffures. Ces saintes, qui vont au martyre, semblent des f?es partant pour un bal sur la bruy?re ou sur la nu?e.

Le second tableau nous les montre entass?es dans le vaisseau qui aborde ? B?le. Leurs t?tes blondes et candides, que la virginit? confond dans une charmante ressemblance, apparaissent serr?es l'une contre l'autre, comme des fruits au fond d'une corbeille. La reine s'?lance de cette agglom?ration de beaut?s, pareille aux Vierges des Assomptions planant sur un bouquet de t?tes d'anges.

Dans le tableau suivant, l'artiste a repr?sent? la jeune phalange arrivant ? Rome. Le pape s'avance pour la recevoir sous le p?ristyle d'une ?glise. Sa physionomie et son attitude sont empreintes de la gravit? de l'?piscopal. Ce n'est point le pontife royal et magnifique de la Renaissance; c'est le rigide repr?sentant de l'orthodoxie et du dogme. Je ne me figure pas autrement ce pape flamand qui, entrant au Vatican apr?s L?on X, se signait ? la vue des statues antiques. Les cardinaux qui l'entourent n'ont rien non plus de l'alti?re ?l?gance des princes de la cour romaine. Vraies t?tes th?ologiques, blanchies dans les m?ditations de la foi, on dirait les bourgmestres et les ?chevins de l'?glise.--Ursule, agenouill?e et voil?e, met ses mains jointes dans la main du pape, et la ferveur de son geste est telle, qu'on sent qu'elle y d?pose son coeur et son ?me. Sa douce figure, hardiment fix?e sur le visage du vieillard, respire l'exaltation du sacrifice accept?. Elle se livre, en sa personne, au Dieu des martyrs. Derri?re elle s'aligne le ravissant cort?ge de ses soeurs. Leurs physionomies dociles et placides refl?tent, avec d'imperceptibles variantes, la r?signation de leur reine. L'expression d'Ursule va s'att?nuant de figure en figure, comme un cri d'enthousiasme qui se r?percute d'?cho en ?cho, affaibli, mais non alt?r?. Il d?cro?t, il s'amoindrit, il s'efface... le dernier n'est plus qu'un soupir.

Le pape, suivant la l?gende, voulut guider lui-m?me les onze milles vierges au martyre; il se fit le p?tre de ce troupeau virginal pour le conduire ? la mort. Le peintre l'a repr?sent?, dans le tableau suivant, assis entre deux cardinaux, dans la barque qui va descendre le Rhin. ? sa droite si?gent des ?v?ques pensifs comme sur les bancs d'un concile; ? sa gauche prient les saintes inclin?es sur la proue du navire, comme sur le bord d'un prie-Dieu. Cette simple sc?ne prend, sous le pinceau d'Hemling, la majest? d'un symbole. Le bateau s'agrandit aux proportions de l'?glise. On croit voir la barque de Pierre parlant pour l'?ternit?.

Le martyre des onze mille vierges remplit les deux derniers compartiments de la ch?sse. Ce sont les plus faibles au point de vue de l'art, mais les plus touchants aux yeux de l'esprit. Hemling ne sait exprimer ni la violence ni la haine. Sa main, si habile ? exprimer les moindres nuances de la tendresse et de la piti?, devient comme celle de Fiesole d'une gaucherie charmante lorsqu'elle veut reproduire les mouvements du mal. Cette belle inaptitude que nous avons d?j? signal?e dans le g?nie du peintre ang?lique, est le privil?ge de presque tous les ma?tres des premi?res ?coles.

Hemling, comme Fiesole, ne sait que b?nir. Son doux g?nie r?pugne aux expressions de la cruaut? et aux angoisses de l'agonie mat?rielle. Dans le premier tableau, deux archers tirent ? l'arbal?te sur le colombier de saintes group?es, dans le vaisseau, autour de leur reine. Les unes re?oivent le trait de la mort avec ravissement, et comme elles recevraient l'hostie du viatique. D'autres se p?ment ou se cachent la t?te dans leurs mains, avec de gracieux mouvements d'enfants effray?s. Plus loin, Ursule, vis?e ? bout portant par l'arc d'un soldat, attend la fl?che mortelle, la bouche ouverte et les bras tendus, dans un recueillement qui ressemble au sommeil extatique des stigmatis?es. Des Barbares, en habits de Sarrasins, group?s sur le devant de leur tente, les voient mourir avec la jovialit? d?bonnaire de bourgeois flamands regardant des arbal?triers tirer ? l'oiseau, un jour de kermesse.

On peut ranger la ch?sse de sainte Ursule, parmi les merveilles de la main humaine: la d?licatesse du pinceau ?gaie l'id?alit? de la pens?e. Ces deux cents figurines, dont les plus grandes ont un pied et les plus petites six lignes de hauteur, sont d'une finesse radieuse, qui n'a d'analogie que dans la mani?re de Fiesole. C'est un m?lange ineffable d'?clat et de suavit?, l'ardeur du vitrail temp?r?e par la transparence de la miniature. En cr?ant ce monde surnaturel, Hemling l'a envelopp? de son atmosph?re. Les marines, les paysages, les villes que traverse le chaste cort?ge se colore du reflet de son innocence. Tout y est simple, lumineux, candide. Les fleuves roulent des eaux de cristal; les navires rappellent l'arche primitive; les montagnes ont quelque chose d'a?rien et d'immacul?; les ?difices semblent construits pour la cl?ture et pour la pri?re. Jamais le monde n'a ?t? contempl? par un regard si bienveillant et si doux. Tout se transfigure sous son pinceau, les visages, les corps, les v?tements, les ?difices, les eaux, les arbres et l'air m?me. En ?voquant dans ses tableaux les vierges et les saints, Hemling semble faire descendre avec eux le paradis sur la terre.

RAPHA?L

Ce serait un curieux p?lerinage ? faire que de suivre l'itin?raire de la Madone dans le monde de l'art. Sa plus antique image, r?cemment d?couverte dans une crypte des catacombes, nous la montre sous les traits sillonn?s et durs d'une parque chr?tienne. Grossi?re et grandiose ?bauche que l'on dirait ray?e dans la pierre par le pouce sanglant d'un martyr! Elle sue l'amertume, elle respire la mort; elle s'harmonise avec l'horreur sacr?e du labyrinthe s?pulcral; elle y pr?side du fond de son abrupte chapelle aux deuils, aux lamentations, aux fun?railles de l'?glise.

Ce type primitif se transforme ? peine, lorsque l'?glise d?livr?e fait sortir la Vierge avec elle du s?pulcre et l'installe solennellement sous le plein cintre des basiliques. Seulement sa vieillesse s'arr?te, se momifie, s'endurcit et devient de l'?ternit?. La Vierge byzantine n'a pas d'?ge; sa face impassible, prise dans les lin?aments rigides de la mosa?que comme dans la d?finition d'un dogme invariable, n'exprime que l'inflexibilit? de la foi. Jamais un sourire ne descelle ses l?vres d'?mail, jamais un regard d'amour ou de charit? n'attendrit ses yeux lapidaires. Entre elle et le fid?le agenouill? sur les pav?s de l'?glise, aucun autre rapport que celui d'une adoration lointaine. La duret? m?me de la mati?re sur laquelle elle est empreinte, la splendeur sombre et compliqu?e des ors vitrifi?s qui l'embo?tent, la magnificence myst?rieuse de sa dalmatique, lui donnent l'air d'une de ces imp?ratrices de Byzance constell?es d'agates, fleuronn?es de cabochons, incrust?es d'?maux, qui si?geaient inaccessibles et placides au centre d'une cour bizarre et d'une th?ologique ?tiquette.

Giovanni Cimabu?, le rude pr?curseur de la Renaissance, humanise un peu, mais sans l'embellir, cette Vierge terrible; elle garde dans ses fresques et dans ses tableaux le profil aigu, les angles ronds, les yeux hagards, les pieds et les genoux en pointe, la physionomie chagrine et morne de son effigie orientale. Giotto, enfin, la rev?t de gr?ce et de jeunesse; il la d?gage du moule ?crasant du plein cintre et la mod?le sur la forme svelte de l'ogive; il ?lance sa taille, il arrondit ses contours, il ?claire ses yeux, il r?pand sur ses traits la vie de l'expression, la pudeur du coloris et la lumi?re du sourire; il la d?livre des maigres ?treintes de la robe tombante et l'enveloppe des caresses et des ?claircies du voile.

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