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Read Ebook: The Haven Children; or Frolics at the Funny Old House on Funny Street by Foster Emilie

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Ebook has 148 lines and 28385 words, and 3 pages

C'Est une v?rit? cogneu? de tous, & des Infideles mesmes Que la perfection des hommes ne consiste point ? voir beaucoup, ny ? s?avoir beaucoup; mais en accomplissant le vouloir & bon plaisir de Dieu. Cette pensee a repu longtemps mon esprit en suspens ? s?avoir, si je devois demeurer dans le silence, ou agreer ? tant d'ames religieuses & seculieres, qui me sollicitoient de mettre au jour, & faire voir au public, le narr? du voyage que j'ay fait dans le pays des Hurons; pource que de moy-mesme je ne m'y pouvois resoudre. Mais enfin, apres avoir consider? de plus pres le bien qui en pouvoit reussir ? la gloire de Dieu, & au salut du prochain, avec la licence de mes Sup?rieurs j'ay mis la main ? la plume, & d?crit dans cet' Histoire & Voyage des Hurons, tout ce qui se peut dire du pays & de ses habitants. La lecture duquel sera d'autant plus agreable ? toutes conditions de personnes, que ce livre est parsem? de diversit? de choses les unes belles & remarquables en un peuple Barbare & Sauvage, & les autres brutales et inhumaines ? des creatures qui doivent avoir de la raison & recongnoistre un Dieu qui les a mis en ce monde, pour jouyr apres d'un Paradis. Quelqu'un me pourra dire que je devois me servir du stile du temps, ou d'une bonne plume, pour polir & enrichir mes memoires, & leur donner jour au travers de toutes les difficultez que les esprits envieux me pourroient objecter & en effet, j'en ay eu la pensee, non pour m'attribuer le merite & la science d'autruy; mais pour contenter les plus curieux & difficiles dans les entretiens du temps. Au contraire, j'ay est? conseill? de suyvre plustost la na?fvet? & simplicit? de mon stile ordinaire, que de m'amuser ? la recherche d'un discours poly et fard?, qui auroit voil? ma face, & obscurcy la candeur & sincerit? de mon Histoire, qui ne doit avoir rien de vain ny de superflu.

Je m'arreste icy tout court, je demeure icy en silence, & preste mon oreille patiente aux advertissements salutaires de quelques zelans, que me diront que j'ay employ? & ma plume & mon temps, dans un sujet qui ne ravist pas les ames comme un autre sainct Paul, jusqu'au troisiesme Ciel. Il est vray, j'advou? mon manquement & mon d?merite; mais je diray pourtant, & avec verit?, que les bonnes ames y trouveront dequoy s'edifier, & louer Dieu qui nous a fait naistre dans un pays Chrestien, o? son sainct nom est recogneu & ador?, au prix de tant d'Infideles qui vivent & meurent privez de sa cognoissance & se son Paradis. Les plus curieux aussi, & les moins devots, qui n'ont autre sentiment que de se divertir, & d'apprendre dans l'Histoire l'humeur, le gouvernement, & les diverses actions & ceremonies d'un peuple Barbare, y trouveront aussi dequoy se contenter & satisfaire, & peut-?tre leur salut, par la reflection qu'ils feront eux-mesme.

De mesme, ceux qui poussez d'un sainct mouvement desireront aller dans le pays pour la conversion des Sauvages, ou pour s'y habituer & vivre Chrestiennement, y apprendront aussi quels seront les pays ou ils auront ? demeurer, & les peuples avec lesquels ils auront ? traiter, & ce qui leur sera besoin dans le pays, pour s'en munir avant que de se mettre en chemin. Puis nostre Dictionaire leur apprendra d'abord toutes les choses principales & necessaires qu'ils auront ? dire aux Hurons, & aux autres Provinces & Nations, chez lesquels cette langue est en usage, comme Petuneux, ? la Nation Neutre, ? la Province de Feu, ? celle des Puants, ? la Nation des Bois, ? celle de la Mine de cuyvre, aux Yroquois, ? la Province des Cheveux Relevez, & ? plusieurs autres. Puis en celle des Sorciers, de ceux de l'Isle, de la petite Nation & des Algoumequins, qui la s?avent en partie, pour la necessit? qu'ils en ont, lors qu'ils voyagent, ou qu'ils ont ? traiter avec quelques personnes de nos Provinces Huronnes & Sedentaires.

Je responds ? vostre pensee, que le Christianisme est bien peu advanc? dans le pays, nonobstant nos travaux, le soin & la diligence que les Recollets y ont apport?, bien loin des dix millions d'ames que nos Religieux ont baptiz? ? succession de temps dans les Indes Orientales, & Occidentales, depuis que le bien-heureux Frere Martin de Valence, & les compagnons Recollets y eurent mis le pied, & fait les premiers la planche ? tous nos autres Freres, qui y ont ? present un grand nombre de Provinces, remplies de Couvents, & en suitte ? tous les Religieux des autres Ordres, qui y ont est? depuis.

C'est nostre regret & nostre desplaisir de n'y avoir pas est? secondez, & que les choses n'y ont pas si heureusement advanc?, comme nos esperances nous promettoient, foiblement fondees sur des Colonies de bons & vertueux Fran?ois qu'on y devoit establir, sans lesquelles on n'y advancera jamais gueres la gloire de Dieu & le Christianisme n'y sera jamais bien fond?. C'est mon sentiment & celuy de tous les gens de bien non seulement; mais de tous ceux qui se gouvernent tant soit peu avec la lumiere de la raison.

Excuse, si le peu de temps que j'ay eu de composer & dresser mes Memoires & mon Dictionaire y a fait escouler quelques legeres fautes ou redites: car y travaillant avec un esprit preoccup? de plusieurs autres charges & commissions, il ne me souvenoit pas souvent en un temps, ce que j'avois compos? & escrit en un autre. Ce sont fautes qui portent le pardon qu'elles esperent de vostre charit?, de laquelle j'implore aussi les prieres, ? ce que Dieu m'exempte icy de pech?, & me donne son Paradis en l'autre.

VOYAGE DU PAYS des Hurons situ? en l'Amerique, vers la mer douce, ?s derniers confins de la nouvelle France, dite Canada.

CHAPITRE PREMIER.

ALLEZ par tout le monde, & preschez l'Evangile ? toute creature, dit notre Seigneur. C'est le commandement que Dieu donna ? ses Apostre, & ensuitte aux personnes Apostoliques, de porter l'Evangile par tout le monde, pour en chasser l'Idolatrie, & polir les moeurs barbares des Gentils, & eriger les trophees des victoires de sa Croix par son Evangile & la predication de son sainct nom. La vanit? de s?avoir & apprendre les choses curieuses, & les moeurs & diverses fa?ons de philosopher, ont pouss? ce grand Thianeus Appollonius de ne pardonner ? aucun travail, pour se remplir & rendre illustre par la cognoissance des choses les plus belles & magnifiques de l'Univers & c'est ce qui le fit courir de l'Egypte toute l'Afrique, passer les colonnes d'hercules, traiter avec les grands hommes, & sages d'Espagne, visiter nos Druides ?s Gaules, couler dans les delices de l'Italie, pour y voir la politesse, grandeur & gentillesse de l'Empire Romain, de l? se couler dans la Grece, puis passer l'Elespong, pour voir les richesses d'Asie, & enfin penetrant les Perses, surmontant le Causase, passant par les Albaniens, Scythes, Massagettes: bref, apres avoir connu les puissans Royaumes de l'Inde, travers? le grand fleuve Phison, arriva enfin vers les Brachmanes, pour ouyr ce grand Hyarcas philosopher de la nature & du mouvement des astres: & comme insatiable de s?avoir, apres avoir couru toutes les provinces o? il pensa apprendre quelque chose d'excellent, pour se rendre plus divin parmy les hommes; de tous ses grands travaux ne laissa rien de memorable qu'un chetif livre, contenant les dogmes des Pytagoriens, fagot?, polly, dor?, qu'il feignoit avoir appris dans l'Entre trophonine, qui fut receu avec tant d'applaudissement des Anciates, que pour ?ternizer sa memoire ils le consacrerent au plus haut feste de leur plus magnifique Temple.

Ce grand homme, qui avait acquis par ses voyages tant de suffisance & d'experience, que les Princes, & entr'autres l'Empereur Vespasien, estimoit son amiti? de telle sorte, que, soit que ou par vanit?, ou ? bon escient, qu'il desira se servir de luy en la conduite de son grand Empire, il le convia de s'en venir ? Rome avec ses attrayantes paroles, qu'il luy feroit part de tout ce qu'il possedoit, sans en exclure l'Empire, pour monstrer l'estime qu'il faisoit de ce grand personnage; neantmoins il croyoit n'avoir rien remarqu? digne de tant de travail, puis qu'il n'avoit pu rencontrer une egalit? de justice en l'economie du monde, puisque par tout il avoit trouv? le fol commander au sage, le superbe ? l'humble, le querelleur au pacifique, l'impie au devot. Et ce qui luy touchoit le plus le coeur, c'est qu'il n'avoit point trouv? l'immortalit? en terre.

Pour moi, qui ne fus jamais d'une si enragee envie d'apprendre en voyageant, puis que nourry en l'escole du Fils de Dieu, sous la discipline reguliere de l'ordre S?raphique sainct Fran?ois, o? l'on apprend la science solide des Saincts, & hors celle-l? tout ce qu'on peut apprendre n'est qu'un vain amusement d'un esprit curieux. J'ay voulu faire part au public de ce que j'avois veu en un voyage de la nouvelle France, que l'obeyssance de mes Sup?rieurs m'avoit fait entreprendre, pour secourir nos Peres qui y estoient desja, pour tascher ? y porter le flambeau de la cognoissance du Fils de Dieu, & en chasser les tenebres de la barbarie & infidelit? suyvant le commandement que nostre Dieu nous avoit faict en la personne de ses Apostres, afin que comme nos Peres de nostre seraphique Ordre de sainct Fran?ois, avoient les premiers port? l'Evangile dans les Indes Orientales & Occidentales & arbor? l'estendart de nostre redemption ?s peuples qui n'en avoient jamais ouy parler, ny en cognoissance, ? leur imitation nous y portassions nostre zele et devotion, afin de faire la mesme conqueste, & eriger les mesmes trophees de nostre salut, o? le Diable avoit demeur? paisible jusqu'? present.

Ce ne sera pas ? l'imitation d'Appollonius, pour y polir mon esprit, & en devenir plus sage, que je visiteray ces larges provinces, o? la barbarie & la brutalit? y ont pris tels advantages, que la suitte de ce discours vous donnera en l'ame quelque compassion de la misere & aveuglement de ces pauvres peuples, o? je vous feray voir quelles obligations nous avons ? nostre bon JESUS, de nous avoir delivrez de telles tenebres & brutalite, & poly nostre esprit jusqu'? le pouvoir cognoistre et aymer, & esperer l'adoption de ses enfans. Vous verrez comme en un tableau de relief & en riche taille douce, la misere de la nature humaine, viciee en son origine, privee de la culture de la foy, destituee des bonnes moeurs, & en proye ? la plus funeste barbarie que l'esloignement de la lumiere celeste peut grotesquement concevoir. Le recit vous en sera d'autant plus agreable par la diversit? des choses que je vous raconteray avoir remarquees, pendant environ deux ans que j'y ay demeur?, que je me promets que la compassion que vous prendrez de la misere de ceux qui participent avec vous de la nature humaine, tireront de vos coeurs des voeux, des larmes & des souspirs, pour conjurer le Ciel ? lancer sur ces coeurs des lumieres celestes, qui seules les peuvent affranchir de la captivit? du Diable, embellir leurs maisons de discours salutaires, & polir leur rude barbarie de la politesse des bonnes moeurs, afin qu'ayans cogneu qu'ils sont hommes, ils puissent devenir Chrestiens, & participer avec vous de cette foy qui nous honore du riche titre d'enfans de Dieu, coheritiers avec nostre doux JESUS, de l'heritage qu'il nous a acquis au prix de son sang, o? se trouvera cette immortalit? veritable, que la vanit? d'Appollonius apres tant de voyages n'avoit pu trouver en terre, o? aussi elle n'a garde de se pouvoir trouver.

NOSTRE Congregation s'estant tenue ? Paris, j'eus commandement d'accompagner le Pere Nicolas, vieil Predicateur, pour aller secourir nos Peres, qui avoient la mission de la conversion des peuples de la nouvelle France. Nous partismes de Paris avec la benediction de nostre R. Pere Provincial, le dix huictiesme de Mars mil six cens vingt-quatre, ? l'Apostolique, ? pied & avec l'equipage ordinaire des pauvres Pere Recollets Mineurs de nostre glorieux Pere S. Fran?ois. Nous arrivasmes ? Dieppe en bonne sant?, o? le navire frett? & prest, n'attendoit que le vent propre pour faire voile, & commencer nostre heureux voyage: de sorte qu'? grand peine p?mes-nous prendre quelque repos, qu'il nous fallut embarquer le mesme jour de nostre arrivee, de sorte que nous partismes d?s la my nuict avec un vent assez bon mais qui par sa faveur inconstante nous laissa bien tost, & fusmes surpris d'un vent contraire, joignant la coste d'Angleterre, que causa un mal de mer fort fascheux ? mon compagnon, qui l'incommoda fort & le contraignit de rendre le tribut ? la mer; qui est l'unique remede de la guerison de ces indispositions maritimes. Graces ? nostre Seigneur, nous avions desja scillonn? environ cent lieu?s de mer, avant que je fusse contrainct ? ces fascheuses maladies; mais j'en ressentis bien depuis, & peut dire avec verit?, que je ne me fusse jamais imagin? que le mal de mer fust si fascheux & ennuyeux comme je l'experimentay, me semblant n'avoir jamais tant souffert corporellement au reste de ma vie, comme je souffris pendant trois mois six jours de navigation, qu'il nous fallut pour traverser ce grand & espouventable Ocean, & arriver ? Kebec, demeure de nos Peres.

Or pour ce que le Capitaine de nostre vaisseau avoit commission d'aller charger du sel en Brouage, il nous y fallut aller, & passer devant la Rochelle, ? la rade de laquelle nous nous arrest?mes deux jours, pendant que nos gens allerent negocier ? la ville pour leurs affaires particulieres. Il y avoit l? un grand nombre de navires Hollandoises, tant de guerre que marchands, qui alloient charger du sel en Brouage, & ? la riviere Suedre, proche de Mareine: nous en avions desja trouv? en chemin, environ quatre vingts ou cent en diverses flottes, & aucun n'avoit couru sus-nous, entant que nostre pavillon nous faisoit cognoistre; il y eut seulement un pirate Hollandois qui nous voulut attaquer & rendre combat, ayant desja ? ce dessein ouvert ses sabors, & fait boire & armer ses gens; mais pour n'estre assez forts, nous gaignasmes le devant ? petit bruit, ce miserable traisnoit desja quant-&-soy un autre navire charg? de sucre & autres marchandises, qu'il avoit vol? sur des pauvres Fran?ois & Espagnols qui venoient d'Espagne.

De la Rochelle on prend d'ordinaire un pilote de louage, pour conduire les navires qui vont ? la riviere de Suedre, ? cause de plusieurs lieux dangereux o? il convient de passer, & est necessaire que ce soit un pilotte du pays qui conduise en ces endroicts, pource qu'un autre ne s'y oseroit hazarder, il arriva neantmoins que ce pilotte de la Rochelle pensa nous perdre, car n'ayant voulu jetter l'anchre par un temps de bruine, comme on luy conseilloit, se fiant ? sa sonde, il nous eschoua sur les quatre heures du soir, ce fut alors piti?, car on pensoit n'en eschapper jamais, & de faict, si Dieu n'eust calm? le temps, & retenu notre navire de se coucher du tout, s'estoit faict du navire, & de tout ce qui estoit dedans; on demeura ainsi jusques environ les six ou sept heures du lendemain matin, que la maree nous mit sus pied; en cet endroict nous n'estions pas ? plus d'un bon quart de lieu? de terre; & nous ne pensions pas estre si proches, autrement on y eust conduit la pluspart de l'equipage avec la chalouppe pendant ce danger, pour descharger d'autant le navire, & se sauver tous, en cas qu'il se fust encore tant-soit-peu couch?; car il l'estoit desja tellement, que l'on ne pouvoit plus marcher debout, ains se traisnant & appuyant des mains. Tous estoient fort affligez, & aucun n'eut le courage de boire ny manger, encore que le souper fust prest & servy, & les bidons & gamelles des matelots remplis: pour moy j'estois fort debile, & eusse volontiers pris quelque chose; mais la crainte de mal edifier m'empescha & me fit jeusner comme les autres, & demeurer en priere toute la nuict avec mon compagnon, attendant la misericorde & assistance du bon Dieu: nos gens parloient desja de jetter en mer le pilotte qui nous avoit eschouez. Une partie vouloit gaigner l'esquif pour tascher ? se sauver, & le Capitaine mena?oit d'un coup de pistolet le premier qui s'y advanceroit, car sa raison estoit; sauver tout, ou tout perdre, & nostre Seigneur ayant piti? de ma foiblesse me fit la grace d'estre fort peu esmeu & estonn? pour le danger present & eminent, ny pour tous autres que nous eusmes pendant nostre voyage, car il ne me vint jamais en la pensee que deussions perir, autrement il y avoit grandement sujet de craindre pour moy, puis que les plus experimentez pilotes & mariniers n'estoient pas sans crainte, ce qui estonnoit tout plein de personnes, un desquels, comme fasch? de me voir sans apprehension pendant une furieuse tourmente de huict jours; me dit par reproche, qu'il avoit dans la pensee que je n'estois pas Chrestien, de n'apprehender pas en des perils si eminens, je luy dis que nous estions entre les mains de Dieu; & qu'il ne nous adviendroit que selon sa saincte volont?, & que je m'estois embarqu? en intention d'aller gaigner des ames ? nostre Seigneur au pays des Sauvages, & d'y endurer le martyre, si telle estoit sa saincte volont?: que si sa divine misericorde vouloit que je perisse en chemin, que je ne devois pas moins que d'en estre content, & que d'avoir tant d'apprehension n'estoit pas bon signe; mais que chacun devoit plustost tascher de bien mettre son ame avec Dieu, & apres faire ce qu'on pourroit pour se delivrer du danger & naufrage, puis laisser le reste du soin ? Dieu, & que bien que je fusse un grand pecheur, que je ne perdrois pas pourtant l'esperance & la confiance que je devois avoir ? mon Seigneur & ? ses Saincts, qui estoient tesmoins de nostre disgrace & danger, duquel ils pouvoient nous delivrer, avec le bon plaisir de sa divine Majest?, quand il leur plairoit.

Apres estre delivr?s du peril de la mort, & de la perte du navire, qu'on croyoit inevitable, nous mismes la voile au vent, & arrivasmes d'assez bonne heure ? la riviere de Suedre, o? l'on devoit charger du sel des marests de Mareine. Nous nous desembarquasmes, & n'estans qu'? deux bonnes lieu?s de Brouage, nous y allasmes nous rafraischir; avec nos Freres de la province de la Conception, qui y ont un assez beau Couvent, lesquels nous y re?urent & accommoderent avec beaucoup de charit?. Nostre navire estant charg?, & prest ? se remettre ? la voile, nous retournasmes nous y rembarquer, avec un nouveau pilote de Mareine, pour nous reconduire jusqu'? la Rochelle, lequel pensa encor' nous eschouer, ce qu'indubitablement nous aurions est?, s'il eust fait tant-soit-peu obscur, cela luy osta la presomption & vanit? insupportable de laquelle enfl?, il s'estimoit le plus habile pilote de cette mer, aussi estoit-il de la pretendue Religion, & des opiniastres, ainsi qu'estoit le premier qui nous avoit eschouez, quoy que plus retenu & modeste.

Vers la Rochelle il y a une grande quantit? de marsoins, mais nos mattelots ne se mirent point en peine d'en harponner aucun, mais ils pescherent quantit? de seiches, qui font grandement bonne bonnes fricassees, & semblent des blancs d'oeufs durs fricassez: ils prindrent aussi des grondins avec des lignes & hame?ons qu'ils laissoient traisner apres le navire, ce sont poissons un peu plus gros que des rougets, & desquels on faisoit du potage qui estoit assez bon, & le poisson aussi, pendant que je me trouvois mal cela me fortifia un peu; mais je me desplaisois grandement que le Chirurgien qui avoit soin des malades estoit Huguenot, & peu affectionn? envers les Religieux, c'est pourquoy j'aymois mieux patir que de le prier, aussi n'estoit-il gueres courtois ? personne. Passant devant l'Isle de R?on remplit nos bariques d'eau douce pour nostre voyage, on mit les voiles au vent, & le cap ? la route de Canada, puis nous cinglasmes par la Manche en haute mer, ? la garde du bon Dieu, & ? la mercy des vents.

A deux ou trois cens lieu?s de mer, un piratte ou forban nous vint recognoistre, & par mocquerie & menace nous dit qu'il parleroit ? nous apres souper, il ne luy fut rien respondu; mais party d'aupr?s de nous on tendit le pont de corde, & chacun se tint sur les armes pour rendre combat, au cas qu'il fust revenu, comme il avait dict: mais il ne retourna point ? nous, ayant bien opinion qu'il n'y avoit que des coups ? gaigner, & non aucune marchandise: toutes fois il fut encore trois ou quatre jours ? voltiger & roder ? nostre veu?, cherchant ? faire quelque prise & piraterie.

Il arriva un accident dans nostre navire, le premier jour du mois de May, qui nous affligea fort. C'est la coustume en ce mesme jour, que tous les matelots s'arment au matin, & en ordre font une salve d'escoupeterie au Capitaine du vaisseau: un bon gar?on, peu usit? aux armes, par mesgard & imprudence, donna une double ou triple charge ? un meschant mousquet qu'il avoit, & pensant le tirer il se creva, & tua le mattelot qui estoit ? son cost?, & en blessa un autre legerement ? la main. Je n'ay jamais rien veu de si resolu comme ce pauvre homme bless? ? la mort: car ayant toutes les parties naturelles coupees & emportees, & quelques peaux des cuisses & du ventre qui luy pendoient: apres qu'il fut revenu de pasmoizon, ? laquelle il estoit tomb? du coup, luy-mesme appella le Chirurgien, & l'enhardit de coudre sa playe, & d'y apliquer ses remedes, & jusqu'? la mort parla avec un esprit aussi sain & arrest? & d'une patience si admirable, que l'on ne l'eust pas jug? malade ? sa parole. Le bon Pere Nicolas le confessa, & peu de temps apres il mourut: apres il fut envelopp? dans sa paillasse, & mis le lendemain matin sur le tillac: nous dismes l'Office des morts, & toutes les prieres accoustumees, puis le corps ayant est? mis sur une planche, fut faict glisser dans la mer, puis un tison de feu allum?, & un coup de canon tir?, qui est la pompe funebre qu'on rend d'ordinaire ? ceux qui meurent sur mer.

Depuis, nous fusmes agitez d'une tourmente si furieuse, par l'espace de sept ou huict jours continuels, qu'il sembloit que la mer se deust joindre au Ciel, de sorte que l'on avoit de l'apprehension qu'il se vint ? rompre quelque membre du navire, pour les grands coups de mer qu'il souffroit ? tout moment, ou que les vagues furieuses, qui donnoient jusques par dessus la Dunette abysmassent nostre navire; car elles avaient desja rompu & emport? les galleries, avec tout ce qui estoit dedans; c'est pourquoy on fut contrainct de mettre bas toutes les voiles, & demeurer les bras croisez; portez ? la mercy des flots, & balotez d'une estrange fa?on pendant ces furies. Que s'il y avoit quelque coffre mal amarr?, on l'entendoit rouler, & quelquesfois la marmite estoit renversee, & en dinant ou soupant si nous ne tenions bien nos plats, ils voloient d'un bout de la table ? l'autre, & les falloit tenir aussi bien que la tasse ? boire, selon le mouvement du navire, que nous laissions aller ? la garde du bon Dieu, puis qu'il ne gouvernoit plus.

Pendant ce temps l?, les plus devots prioyent Dieu, mais pour les mattelots, je vous asseure que c'est alors qu'ils sont moins devots, & qu'ils taschent de dissimuler l'apprehension qu'ils ont du naufrage, de peur que venans ? en echapper ils ne soient gaussez les uns des autres, pour la crainte et la peur qu'ils auroient t?moign? par leurs devotions, ce qui est une vraye invention du diable, pour faire perdre les personnes en mauvais estat. Il est tres-bon de ne se point troubler, voire tres-necessaire pour chose qui arrive, ? cause qu'on en est moins apte de se tirer du danger, mais il ne s'en faut pas monstrer plus insolent, ains se recommander ? Dieu, & travailler ? ce ? quoy on pense estre expedient & necessaire ? son salut & delivrance. Or ces tempestes bien souvent nous estoient presagees par les Marsoins, qui environnoient nostre vaisseau par milliers, se jouans d'une fa?on fort plaisante, dont les uns ont le museau mousse & gros, & les autres pointu.

Au temps de cette tourmente je me trouvay une fois seul avec mon compagnon, dans la chambre du Capitaine, o? je lisois pour mon contentement spirituel les Meditations de S. Bonaventure, ledict Pere n'ayant pas encore achev? son office, le disoit ? genouils, proche la fenestre qui regarde sur la gallerie, qu'? mesme temps un coup de mer rompit un aiz du siege de la chambre, entre dedans, sousleve un peu en l'air le dit Pere, & m'enveloppe une partie du corps, ce qui m'esblouit toute la veu?; neantmoins, sans autrement m'estonner, je me leve diligemment d'o? j'estois assis, ? tastons, j'ouvre la porte pour donner cours ? l'eau, me ressouvenant avoir ouy dire qu'un Capitaine avec son fils se trouverent un jour noyez par un coup de mer qui entra dans leur chambre. Nous eusme aussi par fois des ressaques jusqu'au grand masts, qui sont des coups tres-dangereux pour enfoncer un navire dans l'abysme des eaues. Quand la tempeste nous prit nous estions bien avant au del? des isles Assores, qui sont au Roy d'Espagne, desquelles nous n'approchasmes plus pres que d'une journee.

Ordinairement apres une grande tempeste vient un grand calme, comme en effet nous en avions quelque fois de bien importuns, qui nous empeschoient d'advancer chemin, durant lesquels les Matelots jouoient & dansoient sur le tillac; puis quend on voyoit sortir de dessous l'orizon un nuage espais, c'estoit lors qu'il fallait quitter ces exercices, & se prendre garde d'un grain de vent qui estoit envelopp? l? dedans, lequel se desserrant grondant & sifflant, estoit capable de renverser nostre vaisseau sen dessus-dessous, s'il n'y eust eu des gens prests ? executer ce que le maistre du navire leur commandoit. Or le calme qui nous arriva apres cette grande tempeste nous servit fort ? propos, pour tirer de la mer un grand tonneau de tres-bonne huile d'olive, que nous appercusmes assez proche de nous, flottant sur les eaues, nous en apperceusmes encore un autre deux ou trois jours apres: mais la mer qui commen?oit fort ? enfler, nous osta le moyen de l'avoir: ces tonneaux comme il est ? conjecturer, pouvoient estre de quelque navire briz? en mer par ces furieuses tourmentes & tempestes que nous avions souffertes peu de temps auparavant.

Quelques jours apres nous rencontrasmes un petit navire Anglois, qui disoit venir de la Virginie, & de quelqu'autre contree, car il avoit quantit? de palmes, du petun, de la cochenille & des cuirs, il estoit tout desmat? des coups de vent qu'il avoit souffert, & pour pouvoir s'en retourner au pays d'Angleterre & d'Escosse, d'o? la pluspart de son equipage estoit, ils avoient accommod? leurs masts de mizanne qui seul leur estoit rest?, ? la place du grand masts qui s'estoit rompu, & les autres aussi. Il pensoit s'esquiver & fuyr; mais nous allasmes ? luy & l'arrestasmes, luy demandant, selon la coutume de la mer, ? celuy qui est, ou pense estre le plus fort: d'o? est le navire, il respondit d'Angleterre, on luy repliqua: amenez, c'est ? dire, abbaissez vos voiles, sortez votre chalouppe, & venez nous faire voir vostre cong?, pour en faire l'examen, que si on est trouv? sans le cong? de qui il appartient, on le faict passer par la loy & commission de celuy qui le prend: mais il est vray qu'en cela comme en toute autre chose, il se commet souvent de tres-grands abus, pour ce que tel feint estre marchant, & avoir bonne commission, qui luy mesme est pirate & marchant tout ensemble, se servant des deux qualitez selon les occasions & rencontres, & ainsi nos matelots desiroient-ils la rencontre de quelque petit navire Espagnol, o? il se trouve ordinairement de riches marchandises, pour en faire curee, & contenter leur convoitise: c'est pourquoy il ne faut s'approcher d'aucun navire en mer qu'? bonnes enseignes, de peur qu'un forban ne soit pris par un autre pirate. Que si demandant d'o? est le navire on respond, de la mer, c'est ? dire, escumeur de mer, c'est qu'il faut venir ? bord, & rendre combat, si on n'ayme mieux se rendre ? leur mercy & discr?tion du plus fort.

C'est aussi la coustume en mer, que quand quelque navire particulier rencontre un navire Royal, de se mettre au dessous du vent, & se presenter non point coste-?-coste; mais en biaisant, mesme d'abattre son enseigne sinon quand on approche de terre, ou quand il faut se battre.

Pour revenir ? nos Anglois, ils vindrent enfin ? nous, s?avoir leur maistre de marine, & quelques autres des principaux, non toutefois sans une grande crainte & contradiction, car ils pensoient qu'on les traitteroit de la mesme sorte qu'ils ont accoutum? de traiter les Fran?ois quand ils en ont le dessus: c'est pourquoy ce Maistre de navire offrit en particulier ? nostre Capitaine, moy present, tout ce qu'ils avoient de marchandise en leur navire, moyennant la vie sauve, & qu'ainsi despouillez de tout, fors d'un peu de vivres, on les laissast aller; mais on leu fit aucun tort, & refusa-on leur offre, seulement on accepta un baril de patates & un autre de petun, qu'ils offrirent volontairement au Capitaine, & ? moy un cadran solaire que je ne voulois accepter de peur de leur en incommoder: car mon naturel ne s?auroit affliger l'afflig?, bien qu'il ne merite compassion.

Le Capitaine de nostre vaissseau, comme sage, ne voulut rien determiner en ce faict de soy-mesme, sans l'avoir premierement communiqu? aux principaux de son bord, & nous pria d'en dire nostre advis, qui estoit celuy que principalement il desiroit suyvre, pour ne rien faire contre sa conscience, ou qui fust digne de reprehension. Pendant que nous estions en ce conseil, on avoit envoy? quantit? de nos hommes dans ce navire Anglois pour y estre les plus forts, & en ramener les principaux des leurs dans le nostre, except? leur Capitaine lequel estoit malade, de laquelle maladie il mourut la nuict mesme. Apres avoir veu tous les papiers de ces pauvres gens, & trouv? pr?s d'un boisseau de lettres qui s'adressoient ? des particuliers d'Angleterre, on conclud qu'ils ne pouvoient estre forbans, bien que leur cong? ne fust que trop vieux obtenu, attendu qu'outre qu'ils estoient peu de monde, & encor' fort foiblement armez, ils avoient quelques chartes parties, puis toutes ces lettres les mettoient hors de soup?on, & ainsi on les renvoya en leur navire, apres nous avoir accompagnez trois jours, & pleurans d'ayse d'estre delivrez de l'esclavage ou de la mort qu'ils attendoient; ils nous firent mille remerciemens d'avoir parl? pour eux, & se prosternoient jusqu'en terre, contre leur coustume, en nous disans adieu.

Je me r?creois parfois, selon que je me trouvois dispos?, ? voir jetter l'esvent aux baleines, & jouer les petits balenots, & en ay veu une infinit?, particulierement ? Gasp?, o? elles nous empeschoient nostre repos par leurs soufflemens & les diverses courses des Gibars & Baleines. Gibar est une espece de Baleine, ainsi appell?e, ? cause d'une bosse qu'il semble avoir, ayant le dos fort eslev?; o? il porte une nageoire. Il n'est pas moins grand que les Baleines, mais non pas si espais ny si gros, & a le museau plus long & plus aigu, & un tuyau sur le front, par o? il jette l'eau de grande violence, quelques-uns ? cette cause, l'appellent souffleur. Toutes les femelles portent & font leurs petits tous vifs, les allaitent, couvrent & contre-gardent de leurs nageoires. Les Gibars & autres Baleines dorment tenans leurs testes eslevees un peu hors, tellement que ce tuyau est ? descouvert & ? fleur d'eau. Les Baleines se voyent & descouvrent de loin par leur queue qu'elles monstrent souvent s'enfon?ans dans la mer, & aussi par l'eau qu'elles jettent par les esvans, qui est plus d'un poin?on ? la fois, & de la hauteur de deux lances, & de cette eau que la Baleine jette, on peut juger ce qu'elle peut rendre d'huile. Il y en a telle d'o? l'on en peut tirer jusqu'? plus de quatre cens barriques, d'autres six-vingts poin?ons, & d'autres moins, & de la langue on en tire ordinairement cinq & six barriques: & Pline rapporte, qu'il s'est trouv? des Baleines de six cens pieds de long, & trois cens soixante de large. Il y en a desquelles on en pourroit tirer davantage.

A mon retour je vis tres-peu de Baleines ? Gasp?, en comparaison de l'annee precedente, & ne peux en concevoir la cause ny le pourquoy, sinon que ce soit en partie la grande abondance de sang que rendit la playe d'une grande Baleine, que par plaisir un de nos Commis luy avoit faite d'un coup d'arquebuse ? croc, chargee d'une double charge; ce n'est neantmoins ny la fa?on, ny la maniere de les avoir: car il y faut bien d'autre invention, & des artifices desquels les Basques se s?avent bien servir, c'est pourquoy je n'en fais point de mention, & me contente que d'autres Autheurs en ayent escrit.

La premiere Baleine que nous vismes en pleine mer estoit endormie, & passant tout aupres on d?tourna un peu le navire, craignant qu'? son resveil elle ne nous causast quelque accident. J'en vis une entre les autres espouventablement grosse, et telle que le Capitaine, & ceux qui la virent dirent asseurement n'en avoir jamais veu de plus grosse. Ce qui fit mieux recognoistre sa grosseur & grandeur est, que se demenant & soutenant contre la mer, elle faisait voir une partie de son grand corps. Je m'estonnay fort d'un Gibar, lequel avec sa nageoire ou de sa queue, car je ne pouvois pas bien discerner ou recognoistre duquel c'estoit, frappoit si furieusement fort sur l'eau, qu'on le pouvoit entendre de fort loin, & me dit-on que c'estoit pour estonner & amasser le poisson, pour apres s'en gorger. Je vis un jour un poisson de quelque dix ou douze pieds de longueur, & gros ? proportion, passer tout joignant nostre navire: on me dit que c'estoit un Requiem, poisson fort friant de chair humaine, c'est pourquoy qu'il ne fait pas bon se baigner o? il y en a, pource qu'il ne manque pas d'engloutir les personnes qu'il peut attraper, ou du moins quelque membre du corps, qu'il couppe aysement avec ses deux ou trois rangees de dents qu'il a en sa gueule, & n'estoit qu'il luy convient tourner le ventre en haut ou de cost? pour prendre sa proye, ? cause que comme un Esturgeon, il a sa gueule sous un long museau, il devoreroit tout: mais il luy faut du temps ? se tourner, & par ainsi il ne faict pas tout le mal qu'il feroit, s'il avoit sa gueule autrement.

Assez proche du Grand banc, un de nos mattelots harponna une Dorade, c'est, ? mon advis, le plus beau poisson de toute la mer; car il semble que la Nature se soit delectee & ait pris plaisir ? l'embellir de ses diverses & vives couleurs de sorte mesme qu'esblouit presque la veu? des regardans, en se diversifiant & changeant comme le Cameleon, & selon qu'il approche de sa mort il se diversifie & se change en ses vives couleurs. Il n'avoit pas plus de trois pieds de longueur, & sa nageoire qu'il avoit dessus le dos luy prenoit depuis la teste jusqu'? la queu?, toute dor?e & couverte comme d'un or tres fin: comme aussi la queu?, ses aisleron ou nageoires, sinon que par fois il paroissoit de petites taches de la couleur d'un tres fin azur, & d'autres de vermillon, puis comme d'un argent?; le reste du corps estoit tout dor?, argent?, azur?, vermillonn?, & de diverses autres couleurs, il n'est pas gueres large sur le dos, ains estroict, & le ventre aussi; mais il est haut & bien proportionn? ? sa grandeur: nous le mangeasmes, & trouvasme tres-bon, sinon qu'il estoit un peu sec, quand il fut pris il suyvoit & se jouoit de nostre vaisseau, car le naturel ce ce poisson suit volontiers les navires: mais on en voit peu ailleurs qu'aux Molucques. Nous tirasmes aussi de la mer un poisson mort, de mesme fa?on qu'une grosse perche, qui avoit la moiti? du corps entierement rouge; mais aucun de nos gens ne peut jamais dire ny juger quel poisson c'estoit. J'ay aussi quelquesfois veu voler hors de l'eau des petits poissons, environ de la longueur de quatre ou cinq pieds, fuyans de plus gros poissons qui les poursuyvoient. Nos mattelots herponnerent un gros Marsoin femelle, qui en avoit un un petit dans le ventre, lequel fut lard? & rosty en guise d'un levraut, puis mang?, & la femelle aussi, laquelle nos servit plusieurs jours: ce qui nous fut une grande regale pour estre las des Salines, qui est la viande ordinaire de la mer.

Assez pr?s du Grand-banc il se voit un grand nombre d'oyseaux de mer de diverses especes, dont les plus frequents sont des Godets, Happe-foyes, & autres, que nous appelons Foucquets, ressemblans aucunement au pigeon, sinon qu'ils sont encor' une fois plus gros, ont les pattes d'oyes, & se repaissent de poisson. Ces oyseaux servent de signal aux mariniers de l'approche dudict Grand-Banc, & de certitude de leur droicte route: mais je m'esmerveille, avec plusieurs autres, o? ils peuvent faire leurs nids, & esclore leurs petits, estans si esloignez de terre. Il y en a qui asseurent, apres Pline, que sept jours avant, & sept jours apres le solstice d'hyver la mer se tient calme, & que pendant ce temps-l? les Alcyons font leurs nids, leurs oeufs, & esclosent leurs petits, & que la navigation en est beaucoup plus asseur?e: mais d'autres ne l'asseurent neantmoins que de la mer de Sicile, c'est pourquoy je laisse la chose ? decider ? de plus sages que moy. Nous prismes ? Gasp? un de ces Fouquets avec une longue ligne, ? l'ain de laquelle y avoit des entrailles de mollu?s fraisches, qui est l'invention dont on se sert pour les prendre. Nous en prismes encor' un autre de cette fa?on, un de ces Fouquets grandement affam?, voltigeoit ? l'entour de nostre navire cherchant quelque proye: l'un de nos matelots advis?, luy presente un harang qu'il tenoit en sa main, & l'oyseau affam? y descent, et le gar?on habile le prit par la patte, & fut pour nous. Nous le nourrismes & conservasmes un assez long temps dans un seau couvert, o? il s?avoit fort bien pincer du bec quand on s'en vouloit approcher. Plusieurs appellent communement cet oyseau Happe-foyes, ? cause de leur avidit? ? recueillir & se gorger des foyes des mollu?s que l'on jette en mer apres qu'on leur a ouvert le ventre, desquels ils sont si frians, qu'ils se hazardent d'approcher du vaisseau & navire pour en attrapper ? quelque prix que ce soit.

Le Grand-banc, duquel nous avons desj? parl?, & au travers duquel il nous convenoit passer: ce sont hautes montagnes, assises en la profonde racine des abysmes des eaux lesquelles s'eslevent jusqu'? trente, quarante et soixante brasses de la surface de la mer. On les tient de six-vingts lieu?s de long, d'autres disent de deux cens, & soixante de large, pass? lequel on ne trouve plus de fond, non plus que par-de??, jusqu'? ce qu'on aborde la terre. Nous y eusmes le plaisir de la pesche des mollu?s: car c'est le lieu o? plus particulierement on y en pesche grande quantit?, & sont des meilleures de Terre-neuve: en passant nous y en peschasmes un grand nombre, & quelques Flectans fort gros, qui est un fort bon poisson; mais il faict grandement la guerre aux mollu?s, qu'il mange en quantit?, bien que sa gueule soit petite, ? proportion de son corps, qui est presque faict en la forme d'un turbot ou barbu?, mais dix fois plus grand: ils sont fort-bons ? manger grill?s & bouillis par tranches. Cela est admirable, combien les mollu?s sont aspres ? avaller ce qu'elles rencontrent & leur vient au devant, soit l'amorce, fer, pierre, ou toute autre chose qui tombe dans la mer, que l'on retrouve par-fois dans leur ventre, quant elles ne le peuvent revomir, c'est la cause pourquoy l'on en prend si grand quantit?; car ? mesme temps qu'elles apper?oivent l'amorce, elles l'engloutissent; mais il faut estre soigneux de tirer promptement la ligne, autrement elles revomissent l'ain, & s'eschappent souvent.

Je ne s?ay d'o? en peut proceder la cause, mais il fait continuellement un brouillas humide, froid & pluvieux sur ce Grand-banc, aussi bien en plein Est? comme en Automne, & hors dudict Banc il n'y a rien de tout cela, c'est pourquoy il y seroit grandement ennuyeux & triste, n'estoit le divertissement & la recreation de la pesche. Une chose, entr'autres, me donnoit bien de la peine lors que je me portois mal une grande envie de boire un peu d'eau douce, & nous n'en avions point par ce que la nostre estoit devenu? puante, ? cause du long-temps que nous estions sur mer, & si le cidre ne me sembloit point bon pendant ces indispositions, & encor' moins pouvois-j user d'eau de vie, ny sentir le petun ou merluche, & beaucoup d'autres choses, sans me trouver mal du coeur, qui m'estoit comme empoisonn?, & souvent bondissant contre les meilleures viandes, & rafraischissemens: estre couch? ou appuy? me donnoit quelque allegement, lors principalement que la mer n'estoit point trop haute; mais lors qu'elle estoit fort enflee, j'estois berc? d'une merveilleuse fa?on, tantost couch? de cost?, tantost les pieds eslevez en haut, puis la teste, & tousjours avec incommodit? ? l'ordinaire, que si on se portoit bien tout cela ne seroit rien neantmoins, & s'y accoustumeroit-on aussi gayement que les mattelots: mais en toutes choses les commencemens sont tousjours difficiles, qui durent quelques-fois fort long-temps sur mer, selon la complexion des personnes, & la force de leurs estomachs.

Quelque temps apres avoir pass? le Grand-banc, nous passasmes le Banc ? vers, ainsi nomm?, ? cause qu'aux mollu?s qu'on y pesche, il s'y trouve des petits boyaux comme vers, que remuent & si elles ne sont si bonnes ny si blanches ? mon advis. Nous passasmes apres tout joignant le Cap Breton entre ledict Cap Breton & l'Isle sainct Paul, laquelle Isle est inhabit?e, & en partie pleine de rochers, & semble n'avoir pas plus d'une lieu? de longueur ou environ; mais ledit Cap-breton que nous avions ? main gauche, est une grande Isle en forme triangulaire, qui a 80 ou 100 lieu?s de circuit, & est une terre eslevee, & me sembloit voir l'Angleterre selon qu'elle se presenta ? mon objet; pendant les quatre jours que pour cause de vents contraires nous conviasmes contre la coste: cette terre du Cap-breton est une terre sterile, neantmoins agr?able en quelques endroitcs, bien qu'on y voye peu souvent des Sauvages, & ce qu'on nous dist. A la poincte du Cap, qui regarde & est vis-?-vis de l'Isle sainct Paul, il y a un Terre eslev? en forme quarr?e, & plate au dessus, ayant la mer de trois costez, & un foss? naturel qui le separe de la terre ferme: ce lien semble avoir est? faict par industrie humaine, pour y bastir une forteresse au dessus qui seroit imprenable, mais l'ingratitude de la terre ne merite pas une si grande despence, ny qu'on pense ? s'habituer en lieu si miserable & sterile.

Proche de la mesme Isle il y en a une autre plus petite, & presque de la mesme forme, sur laquelle quelques-uns de nos Matelots estoient montez en un autre voyage precedent, lesquels me dirent & asseurerent y avoir trouv? sur le bord de la mer, des poissons gros comme un boeuf, & qu'ils en tuerent un, en luy donnant plusieurs coups de leurs armes par dessous le ventre, ayans auparavant frapp? en vain une infinit? de coups, & endommag? leurs armes sur les autres parties de son corps, sans le pouvoir blesser, par la grande duret? de sa peau, bien que, d'ailleurs il soit quasi sans deffence & fort massif.

Il est de poil tel que le loup marin, s?avoir gris, brun; & un peu rougeastre. Il a le teste petite comme celle d'un boeuf, mais plus deschainee, & le poil plus gros & rude, ayant deux rangs de dents de chacun cost?, entre lesquelles y en a deux en chacune part, pendant de la machoire superieure en bas, de la forme de ceux d'un jeune Elephant, desquelles cet animal s'ayde pour grimper sur les rochers Il a les yeux petits, & les aureilles courtes, il est long de vingt pieds, & gros de dix, & est si lourd qu'il n'est possible de plus. La femelle rend ses petits comme la vache, sur la terre, aussi a-elle deux mammelles pour les allaicter: en le mangeant il semble plustost chair que poisson, quant il est fraiz vous diriez que ce soit veau: & d'autant qu'il est des poissons cetas?s, & portans beaucoup de lard, nos Basques & autres Mariniers en tirent des huiles fort-bonnes, comme de la Baleine, & ne rancit point, ny ne sent jamais le vieil, il a certaines pierres en la teste desquelles on se sert contre les douleurs de la pierre, & contre le mal de cost?. On le tue quant il paist de l'herbe ? la rive des rivieres ou de la mer, on le prend aussi avec les rets quand il est petit; mais pour la difficult? qu'il y a ? l'avoir, & le peu de profit que cela apporte, outre les hazards & dangers o? il se faut mettre, cela faict qu'on ne se ment pas beaucoup en peint d'en chercher & chasser. Notre Pere Joseph me dit avoir veu les dents de celuy qui fut pris, & qu'elles estoient fort grosses, & longues ? proportion.

Le lendemain nous eusmes la veue de la montagne, que les Matelots ont surnommee Table de Roland, ? cause de la hauteur; & les diverses entre coupures qui sont au coupeau, puis peu ? peu nous approchasmes des terres jusques ? Gasp? qui est estim? sous la hauteur de 40 degr?s deux tiers de latitude, o? nous posasmes l'anchre pour quelques jours. Cela nous fut une grande consolation: car outre le desir & la necessit? que nous avions de nous approcher du feu, ? cause des humiditez de la mer, l'air de la terre nous sembloit grandement so?ef: toute cette Baye estoit tellement pleine de Baleines, qu'? la fin elles nous estoient fort importunes, & empechoient nostre repos par leurs esvents. Nos Matelots y pescherent grande quantit? de Houmarts, Truites & autres diverses especes de poissons, entre lesquels y en avoit de fort laids, & qui ressembloient aux crapaux.

Toute cette contree de terre est fort montagneuse, & haute presque par tout, ingrate et sterile, n'y ayant rien que des Sapiniers, Bouleaux, & peu d'autres bois. Devant la rade, en un lieu un peu eslev?, on a faict un petit jardin, que les Matelots cultivent quand ils sont arrivez l?, ils y sement de l'ozeille & autres petites herbes, lesquelles servent ? faire du potage: ce qu'il y a de plus commode & consolatif, apres la pesche & la chasse qui est mediocrement bonne, est un beau ruisseau d'eau douce, tres-bonne ? boire, qui descend au port dans la mer, de dessus les hautes montagnes qui sont ? l'opposite, sur le coupeau desquelles me promenant par-fois, pour contempler l'emboucheure du grand fleuve sainct Laurens, par lequel nous devions passer pour aller ? Tadoussac: apres avoir doubl? cette langue de terre & Cap de Gasp?, j'y vis quelques lenteaux & perdrix, comme celles que j'ay veues du depuis dans le pays de nos Hurons: & comme je desirois m'employer tousjours ? quelque chose de pieux, & qui me fournir d'un renouvellement de ferveur ? la poursuitte de mon dessein, je gravois avec la poincte d'un cousteau dans l'escorce des plus grands arbres, des Croix & des noms de JESUS, pour signifier ? Sathan & ? ses suppost, que nous prenions possession de cette terre pour le Royaume de Jesus-Christ, & que doresnavant il n'y auroit plus de pouvoir, & que le seul & vray Dieu y seroit recogneu & ador?.

Ayant laiss? nostre grand vaisseau au port, & donn? ordre pour la pesche de la Mollue, nous nous embarquasmes dans une pinace nommee la Magdeleine, pour aller ? Tadoussac, la voile au vent, & le cap estant doubl? seulement au troisiesme jour, ? cause des vents & mar?es contraires, nous passasmes tousjours costoyans ? main gauche, la terre qui est fort haute & en suitte les Monts nostre Came, pour lors encore en partie couverts de neige, bien qu'il n'y en eust plus par tout ailleurs. Or les Matelots, qui ordinairement ne demandent qu'? rire & se recreer, pour addoucir & mettre dans l'oubly les maux passez, font icy des ceremonies ridicules ? l'endroict des nouveaux venus, un d'entr'eux contre-faict le Prestre, qui feint de les confesser, en marmotant quelques mots entre ses dents, puis avec une gamelle ou grand plat de bois, lui verse quantit? d'eau sur la teste, avec des ceremonies dignes des Matelots; mais pour en estre bien tost quittes & n'encourir une plus grande rigueur, il se faut racheter de quelque bouteille de vin, ou d'eau de vie, ou bien il se faut attendre d'estre bien mouill?. Que si on pense faire le mauvais ou le retif, l'on a la teste plong?e jusques par fois les espaules, dans un grand bacquet d'eau qui est la dispos? tout exprez, comme je vis faire ? un grand gar?on qui pensoit resister en la presence du Capitaine, & de tous ceux qui assistoient ? cette ceremonie; mais comme le tout se faict selon leur coustume ancienne, par recreation aussi ne veulent-ils point que l'on se desdaigne de passer par la loy, ains gayement & de bonne volont? s'y sous mettre, j'entends les personnes seculieres, & de mediocre condition, ausquels seuls on fait observer cette loy.

Continuant nostre route, & vogant sur nostre beau fleuve, ? quelques jours de l? nous arrivasmes ? la rade de Tadoussac, qui est ? une lieu? du port, & cent lieu?s de l'emboucheure de la riviere, qui n'a en cet endroict plus que sept ou huict lieu?s de large: le lendemain nous doublasmes la poincte aux Vaches, & entrasmes au port, qui est jusques o? peuvent aller les grands vaisseaux, c'est pourquoy on tient l? des barques & chalouppes exprez, pour descharger les navires, & porter ce qui est necessaire ? Kebec, y ayant encor environ 50 lieu?s de chemin par la riviere car de penser y aller par terre c'est ce qui ne se peut esperer, ou du moins semble-il impossible pour les hautes montagnes, rochers & precipices o? il se conviendroit exposer & passer: ce lieu de Tadoussac est comme un' ance ? l'entr?e de la riviere de Saguenay, o? il y a une mar?e fort estrange pour la vistesse, o? quelques fois il vient des vents imperieux, qui ameinent de grandes froidures: c'est pourquoy il y fait plus froid qu'en plusieurs autres lieux plus esloignez du Soleil de quelque degr?.

Ce port est petit, & n'y pourroit qu'environ 20 ou 25 vaisseaux au plus. Il y a de l'eau assez, & est ? l'abry de la riviere du Saguenay, & d'une petite Isle de rochers, qui est presque couppee de la mer, le reste sont montagnes hautes eslevees, o? il y a peu de terre, mais force rochers & sables, remplis de bois, comme Sapins & Bouleaux, puis une petite prairie & forest aupr?s, tout joignant la petite Isle de rochers, ? main droicte tirant ? Kebec, est la belle riviere du Saguenay, bordee des deux costez de hautes & steriles montagnes, elle est d'une profondeur incroyable, comme de 100 ou 200 brasses, elle contient de large demie-lieu? en des endroits, & un quart en son entree, o? il y a un courant si grand, qu'il est trois quarts de maree couru dedans la riviere qu'elle porte encore dehors, c'est pourquoy on apprehende grandement, ou que son courant ne resiste & empesche d'entrer au port, ou que la forte maree n'entraisne dans la riviere, comme il est une fois arriv? ? Monsieur de Pont-grav?, lequel s'y pensa perdre, ? ce qu'il nous dit, pour ce qu'il n'y peut prendre fonds, ny ne s?avoit comment en sortir, ses anchres ne luy servans de rien, ny toutes les industries humaines, sans l'assistance particuliere de Dieu, qui seul le sauva, & empescha de briser son infortun? navire.

A la rade de Tadoussac, au lieu appell? la Poincte aux Vaches, estoit dress? au haut du mont, un village de Canadiens fortifi? ? la fa?on simple & ordinaire des Hurons, pour craintes de leurs ennemis. Le navire y ayant jett? l'anchre attendant le vent & la maree propre pour entrer au port je descendis ? terre, fus visiter le village, & entray dans les Cabanes des Sauvages, lesquels je trouvay assez courtois, m'asseant par-fois aupr?s d'eux, je prenois plaisir ? leurs petites fa?ons de faire & ? voir travailler les femmes, les unes ? matachier & peinturer leurs robes, & les autres ? coudre leurs escuelles d'escorces, & faire plusieurs autres petites jolivetez avec des poinctes de porcs espics, teintes en rouge cramoisi. A la verit? je trouvay leur manger maussade & fort ? contre-coeur, n'estant accoustum? ? ces mets sauvages, quoy que leur courtoisie & civilit? non sauvage m'en offrit, comme aussi d'un peu d'eau de riviere ? boire, qui estoit l? dans un chaudron fort-mal net, dequoy je les remerciay humblement. Apres, je m'en allay au port par le chemin de la forest, avec quelques Fran?ois que j'avois de compagnie: mais ? peine y fusmes-nous arrivez, & entrez dans nostre barque, qu'il pensa nous y arriver quelque disgrace. Ce fut que le principal Capitaine des Sauvages, que nous nommions la Foriere, estant venu nous voir dans nostre barque, & n'estant pas content du petit present de figues que nostre Capitaine luy avoit faict au sortir du vaisseau, il les jetta dans la riviere par despit, & advisa ses sauvages d'entrer tous fil-?-fil dans nostre barque, & d'y prendre & emporter toutes les marchandises qui leur faisoient besoin, & d'en donner si peu de pelleteries qu'ils voudroient, puis qu'on ne l'avoit pas content?. Ils y entrerent donc tous avec tant d'insolence & de bravade, qu'ayans eux-mesmes ouvert les coutil, & tir? hors de dessous les tillacs ce qu'ils voulurent, ils n'en donnerent pour lors de pelleterie qu'? leur volont?, sans que les en peust empescher ou resister. Le mal pour nous fut, d'y avoir laiss? entrer trop ? la fois, veu le eu de gens que nous estions, car nous n'y estions lors que six ou sept, le reste de l'equipage ayant est? envoy? ailleurs: c'est ce qui fit filer doux ? nos gens, & les laisser ainsi faire, de peur d'estre assommez ou jettez dans la riviere, comme ils en cherchoient l'occasion, ou quelque couverture honneste pour le pouvoir librement faire, sans en estre blasmez.

Le soir tout nostre equipage estant de retour, les Sauvages ayans crainte, ou marris du tort qu'ils avoient faict aux Fran?ois, tindrent conseil entr'eux & adviserent en quoy & de combien ils les pouvoient avoir trompez, & s'estans cottisez apporterent autant de pelleteteries, & plus que ne valloit le tort qu'ils avoient faict, ce que l'on receut, avec promesse d'oublier tout le pass?, & de continuer tousjours dans l'amiti? ancienne, & pour asseurance & confirmation de paix, on tira deux coups de canon, & les fit on boire un peu de vin, ce qui les contenta fort, & nous encor' plus car ? dire vray, on craint plus de mescontenter les Sauvages, qu'ils n'ont d'offencer les Marchands.

Ce Capitaine sauvage m'importuna fort de luy donner nostre Croix & nostre Chappelet, qu'il appelloit JESUS pour pendre ? son col, mais je ne pus luy accorder, pour estre en lieu o? je n'en pouvois recouvrer un autre. Pendant ce peu de jours que nous fusmes l?, on pescha grande quantit? de Harangs & de petits Oursins, que nous amassions sur le bord de l'eau, & les mangions en guise d'Huitres. Quelques-uns croyent en France que le Harang frais meurt ? mesme temps qu'il sort de son element, j'en ay veu neantmoins sauter vifs sur le tillac un bien peu de temps, puis mourroient; les Loups marins se gorgeoient aussi par-fois en nos filets des Harangs que nous y prenions, sans les en pouvoir empescher, & estoient si fins & si rusez, qu'ils sortoient par-fois leurs teste hors de l'eau, pour se donner garde d'estre surpris, & voir de quel cost? estoient les pescheurs, puis rentroient dans l'eau, & pendant la nuict nous oyons souvent leurs voix, qui ressembloient presqu'? celles des Chats huans

Proche de l?, sur le chemin de Kebec, est l'Isle aux Allouettes, ainsi nommee, pour le nombre infiny qui s'y en trouve par-fois. J'en ay eu quelques-unes en vie, elles ont leur petit capuce en teste comme les nostres, mais elles sont un peu plus petits, et de plumage un peu plus gris, & moins obscur, mais le goust de la chair en est de mesme. Cette Isle n'est presque, pour la pluspart, que de sable, qui faict que l'on en tue un grand nombre d'un seul coup d'arquebuse car donnant ? fleur de terre, le sable en tue plus que ne faict la poudre de plomb, tesmoin celuy qui en tua trois cens & plus d'un seul coup.

Sur ce mesme chemin de Kebec, nous trouvasme aussi en divers endroicts plusieurs grandes troupes de Marsoins, entierement & parfaictement blanc comme neige par tout le corps, lesquels proche les uns des autres, se jouoyent, & se soustenans monstroient ensemblement une partie de leurs grands corps hors de l'eau, qui est ? peu pr?s, gros comme celuy d'une vache, & long ? proportion, & ? cause de cette pesanteur, & que ce poisson ne peut servir que pour en tirer de l'huile: l'on ne s'amuse pas ? cette pesche, par tout ailleurs nous n'en n'avons point veu de blancs ny de si gros: car ceux de la mer sont noirs, bons ? manger, & beaucoup plus petits. Il y a aussi en chemin des Echos admirable, qui repetent & sonnent tellement les paroles & si distinctement; qu'ils n'en obmettent une seule syllabe, & diriez proprement que ce soient personnes qui contrefont ou repetent ce que vous dites ou chantez.

Nous passasmes apres, joignans l'Isle aux Coudres, laquelle peut contenir environ une lieu? & demie de long, elle est quelque peu unie, venans en diminuant par les deux bouts, assez agreable, ? cause des bois qui l'environnent, distante de la terre du Nord d'environ demye lieu?. De l'Isle aux Coudres, costoyans la terre nous fusmes au Cap de Tourmente, distant de Kebec sept ou huict lieu?s: Il est ainsi nomme, d'autant que pour peu qu'il fasse de vent la mer s'y esleve comme si elle estoit pleine, en ce lieu l'eau commence ? estre douce, & les Hyvernaux de Kebec y vont prendre & amasser le foin en ces grandes prairies pour le bestail de l'habitation. De l? nous fusmes ? l'Isle d'Orleans, o? il y a deux lieu?s, en laquelle du cost? du Su, y a nombre d'Isles qui sont basses, couvertes d'arbres, & sont agreables, remplies de grandes prairies & force gibier, contenans les unes environ deux lieu?s, & les autres un peu plus ou moins. Autour d'icelles y a force rochers & basses, fort dangereuses ? passer, qui sont esloignees environ de deux lieu?s de la grand'terre du Su. Ce lieu est le commencement du beau & bon pays de la grande riviere. Au bout de l'Isle il y a un saut ou torrent d'eau, appell? de Montmorency, du cost? du Nord, qui tombe dans la grand'riviere avec grand bruit & impetuosit?. Il vient d'un lac qui est quelques dix ou douze lieu?s dans les terres, & descend de dessus une costes qui a pr?s de 25 toises de haut, au dessus de laquelle la terre est unie & plaisante ? voir, bien que dans le pays on voye des hautes montagnes qui paroissent, mais esloign?es de plusieurs lieu?s.

DE l'Isle d'Orleans nous voyons ? plein Kebec devant nous, basty sur le bord d'un destroit, de la grande riviere sainct Laurens, qui n'a en cet endroict qu'environ un bon quart de lieu? de largeur, au pied d'une montagne, au sommet de laquelle est le petit fort de bois, basty pour la deffence du pays, pour Kebec, ou maison des Marchands: il est ? present un assez beau logis, environn? d'une muraille en quarr?, avec deux petites tourelles aux coins que l'on y a faictes depuis peu pour la seuret? du lieu. Il y a un autre logis au dessus de la terre haute, en lieu fort commode, o? l'on nourrit quantit? de bestail qu'on y a men? de France, on y seme aussi tous les ans force bled d'inde & des pois, que l'on traicte par apres aux Sauvages pour des pelleteries: Je vis en ce desert un jeune pommier qui y avoit est? apport? de Normandie, charg? de fort-belles pommes, & des jeunes plantes de vignes qui y estoient bien-belles, & tout plein d'autres petites choses qui tesmoignoient la bont? de la terre. Nostre petit Couvent est ? demye lieu? de l?, en un tres bel endroict, & autant agreable qu'il s'en puisse trouver, proche une petite riviere, que nous appellons de sainct Charles, qui a flux & reflux, l? o? les Sauvages peschent une infinit? d'anguilles en Automne, & les Fran?ois tuent le gibier qui y vient ? foison: les petites prairies qui la bordent sont esmaill?es en Est? de plusieurs petites fleurs, particulierement de celles que nous appellons Cardinales & Mattagons, qui portent quantit? de fleurs en une tige, qui a pr?s six, sept, & huict pieds de haut, & les Sauvages en mangent l'oignon cuit sous la cendre qui est assez bon. Nous en avions apport? en France, avec des plantes de Cardinales, comme fleurs rares, mais elles n'y point profit?, ny parvenues ? la perfection, comme elles font dans leur propre climat & terre naturelle.

Nostre jardin & verger est aussi tres-beau, & d'un bond fond de terre: car toutes nos herbes & racines y viennent tres-bien, & mieux qu'en beaucoup de jardins que nous avons en France, & n'estoit le nombre infiny de Mousquites & Coufins qui s'y retrouvent, comme en tout autre endroict de Canada pendant l'Est?, je ne s?ay si on pourroit rencontrer une plus agreable demeure: car outre la beaut? & bont? de la contree avec le bon air, nostre logis est fort commode pour ce qu'il contient, ressemblant neantmoins plustost ? une petite maison de Noblesse des champs, que non pas ? un Monastere de Freres Mineurs, ayant est? contraincts de le bastir ainsi, tant ? cause de nostre pauvret?, que pour se fortifier en tout cas contre les Sauvages, s'ils vouloient nous en dechasser. Le corps de logis est au milieu de la cour, comme un donjon, puis les courtines & rempars faits de bois, avec quatre petits bastions faits de mesme aux quatre coins, eslevez environ de douze ? quinze pieds de raiz de terre, sur lequel on a dress? & accommod? des petits jardins, puis la grand-porte avec une tour quarr?e au dessus faicte de pierre, laquelle nous sert de Chappelle, & un beau foss? naturel, qui circuit apres tout l'alentour de la maison & du jardin qui est joignant, avec le reste de l'enclos, qui contient quelques six ou sept arpens de terre ou plus, ? mon advis. Les Framboisiers qui sont l? ?s environs, y attirent tant de Tourterelles que c'est un plaisir d'y en voir des arbres tous couvers, aussi les Fran?ois de l'habitation y vont souvent tirer, comme au meilleur endroict & moins penible. Que si nos Religieux veulent aller ? Kebec, ou ceux de Kebec venir chez nous, il y a ? choisir de chemin, par terre ou par eau, selon le temps & la saison, qui n'est pas une petite commodit?, de laquelle les Sauvages se servent aussi pour nous venir voir, & s'instruire avec nous du chemin du Ciel, & de la cognoissance d'un Dieu faict homme, qu'ils ont ignor? jusques ? present. On tient que ce lieu de Kebec est par les 46 degrez & demy plus sud que Paris, de pr?s de deux degrez, & neantmoins l'Hyver y est plus long, & le pays plus froid, tant ? couse d'un vent de Nor-ouest qui y ameine ces furieuses froidures quand il donne, que pour n'estre pas le pays encore gu?res habit? & desert?, & ce par la negligence & peu d'affection des Marchans qui se sont contez jusques ? present d'en tirer les pelleteries & le profit, sans y avoir moulu employer aucune despense, pour la culture, peuplade ou advance du pays, c'est pourquoy ils n'y sont gueres plus advancez que le premier jour, pour crainte, disent-ils, que les Espagnols ne les en missent dehors, s'ils y avoient faict valoir la contree. Mais c'est une excuse bien foible, & qui n'est nullement recevable entre gens d'esprit & d'experience, qui s?avent tres bien qu'on s'y peut tellement accommoder & fortifier, si on y vouloit faire la despense necessaire, qu'on n'en pourroit estre chass? par aucun ennemy; mais si on n'y veut rien faire davantage que du pass?, la France Antartique aura tousjours un nom en l'air, & nous une possession imaginaire en la main d'autruy, & si la conversion des Sauvages sera toujours imparfaicte, qui ne se peut faire que par l'assistance de quelques colonnes de bons & vertueux Chrestiens, avec la doctrine & l'exemple de bons Religieux.

CE lieu du Cap de la Victoire ou de Massacre, est ? douze ou quinze lieu?s au de?? de la Riviere des Prairies, ainsi nommee, pour la quantit? d'Isles plattes & prairies agreables que cette riviere, & un beau & grand lac y contient, la riviere des Yroquois y aboutit ? main gauche, comme celle des Ignierhonons, qui est encore une Nation d'Yroquois, aboutit ? celle du Cap de Victoire: toutes ces contr?es sont tres-agreables, & propres ? y bastir des villes, les terres y sont plattes & unies, mais un peu sablonneuses, les rivieres y sont poissonneuses, & la chasse & l'air fort bon, joint que pour la grandeur & profondeur de la riviere, les barques y peuvent aller ? la voile quand les vents sont bons, & ? faute de bon vent on se peut servir d'avirons.

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