Read Ebook: Ni ange ni bête by Maurois Andr
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Ebook has 1048 lines and 35320 words, and 21 pages
ANDR? MAUROIS
NI ANGE, NI B?TE
-- ROMAN --
PARIS
LIBRAIRIE BERNARD GRASSET
Tous droits de traduction, d'adaptation et de reproduction r?serv?s pour tous pays
Copyright by Andr? Maurois, 1919
PREMI?RE PARTIE
Pour devenir un parfait philosophe, il me manquait surtout une passion, ? la fois profonde et pure, qui me fit assez appr?cier le c?t? affectif de l'humanit?.
Auguste Comte.
Au temps o? le roi Louis-Philippe r?gnait sur les Fran?ais, M. Bertrand d'Ouville, rentier et arch?ologue abbevillois, revenant un matin d'Amiens en diligence, se trouva seul dans la voiture avec un jeune homme grave et barbu, dont le chapeau en tronc de c?ne et le gilet ? la Robespierre proclamaient assez na?vement les opinions r?publicaines.
--Excusez-moi, monsieur, dit le vieillard, d?s qu'ils eurent franchi le pav? bruyant des faubourgs, ne seriez-vous pas le nouvel ing?nieur de l'arrondissement d'Abbeville?
--Oui, monsieur, dit l'autre, tr?s surpris, et examinant sans bienveillance ce petit homme ? la voix pr?cieuse.
--Ce n'est pas par curiosit?, croyez-le, que je me suis permis de vous interroger. Je m'occupe d'arch?ologie, mes recherches me mettent en rapports assez fr?quents avec vos services et j'attendais votre arriv?e. Je me nomme Bertrand d'Ouville.
Le jeune homme salua et dit s?chement: <
--Vous paraissez tr?s jeune, reprit le vieillard, croisant lentement ses jambes maigres, vous venez sans doute de sortir de l'?cole?
--Oui, monsieur; Abbeville est mon premier poste.
--J'esp?re que vous vous y plairez. La soci?t? y est, sottement ? mon avis, tr?s ferm?e aux fonctionnaires. Mais j'avais fait ouvrir ? votre pr?d?cesseur quelques maisons agr?ables. Un ing?nieur n'est pas un pr?fet, et pourvu que vous ne parliez ici ni de religion, ni de science, ni d'art, ni de politique...
--Je vous remercie, monsieur, dit le jeune homme avec effort, mais je dois vous dire en toute franchise que mes opinions sont fort avanc?es. J'ai d? accepter un poste du gouvernement du Roi: je sais que cela m'oblige ? ne point conspirer, mais cela me laisse le droit de dire ma pens?e, ce qui me fera, je pense, peu d'amis.
Philippe Vini?s, apr?s ce petit discours, toussa l?g?rement et regarda le vieillard d'un air assez fier.
--H?las! dit celui-ci avec humilit?; il faut avouer que notre bonne ville n'entend rien aux r?volutions. Nos p?res y mirent jadis tant de n?gligence qu'ils ne guillotin?rent personne, et n'auraient m?me jamais arr?t? un ci-devant si la Convention, ?mue de ce scandale, n'avait envoy? ? Abbeville un repr?sentant en mission. Comme il paraissait brave homme, on consentit, pour lui faire plaisir, ? emprisonner deux nobles et un pr?tre. On dut attendre son d?part pour les remettre en libert?, mais pendant les quinze jours que dura leur d?tention, le ge?lier ne manqua pas un soir de les autoriser ? coucher chez eux.
--Vous admirez cette ti?deur, monsieur? dit Philippe Vini?s avec quelque ?pret?. Si vous ne veniez de m'apprendre vous-m?me qu'il ne faut pas ici parler de politique...
--Distinguons, monsieur, coupa le vieux provincial de sa voix mesur?e et satisfaite; tout ce que nous vous demandons, c'est de ne jamais mettre en danger la s?curit? de notre bonne ville. Rien de plus. Soyez d'ailleurs l?gitimiste ? Londres, r?publicain ? Paris; dites, si cela vous divertit, du mal de tous les gouvernements, mais qu'Abbeville sache bien clairement que vous ob?irez ? tous.
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Et M. Bertrand d'Ouville tira d'un panier une aile de poulet, du pain et du vin blanc: Philippe Vini?s d?veloppa une grappe de raisin qu'il se mit ? picorer.
--Puis-je vous offrir un peu de poulet, dit le vieillard: ma cuisini?re me charge toujours de vivres comme pour un escadron.
--Je vous remercie, je me nourris presque exclusivement de fruits et de laitage.
--Par hygi?ne?
--Non, par principe, par go?t et par habitude.
Le vieillard sourit et resta enfin silencieux; les cahots de la patache endormirent les deux hommes.
Quand Philippe se r?veilla, il vit que son compagnon mettait de l'ordre dans son sac.
Sous la brume bleut?e qui dessinait au long des coteaux la vall?e mar?cageuse de la Somme, on devinait maintenant la petite ville, bien assise au milieu des campagnes vassales. Les pentes des ravins et les courbes des routes convergeaient vers la masse ind?cise de ses toits bleus. Sur le ciel gris p?le et rose du couchant, deux belles ?glises se d?tachaient, spirituelles et vigoureuses.
<
Ils d?pass?rent quelques constructions isol?es et neuves qui jalonnaient un quartier nouveau, puis long?rent une vieille rue tortueuse aux maisons de bois ventrues. Sur le pas des portes les marchandes bavardes avaient le nez robuste et les grosses joues des bonnes femmes sculpt?es jadis sur les t?tes de poutres de leurs maisons.
< < La diligence tourna brusquement ? droite et s'arr?ta sur une place bord?e de hautes demeures aux lignes simples et solennelles. --Nous voici arriv?s, dit le vieillard, vous trouverez ma maison dans la rue des Minimes. Je compte que vous viendrez me voir: je suis grand marcheur et toujours pr?t ? vous accompagner. Adieu. Philippe Vini?s murmura quelques mots polis et, rest? seul, chercha des yeux le bureau des messageries pour s'enqu?rir d'un h?tel. Devant une ?picerie une vieille femme, appuy?e sur une canne, regardait ce personnage nouveau et, le voyant h?siter, s'approcha, curieuse et empress?e. --Vous cherchez quelqu'un, dit-elle. --Je cherche un h?tel. --Ah! c'est vrai, dit-elle avec un sourire satisfait, vous ?tes le nouvel ing?nieur. --Diable, pensa Philippe, quelle police. --L'h?tel de la T?te de Boeuf est rue Saint-Gilles: c'est ? deux pas, dit-elle, mais puisque vous ?tes pour rester, il vaudrait mieux prendre une chambre en ville. Cela vous co?tera moins cher et vous serez mieux. Il y en a une chez le G?n?ral, libre d'hier... L? vous serez bien. --Chez le G?n?ral? dit Philippe inquiet. Ah! non, certainement; j'aime mieux l'h?tel. --? votre aise, dit l'?pici?re vex?e: en ce cas, Jalabert va vous y conduire... Jalabert! Philippe vit arriver au pas de course un vieil homme ? cheveux gris qui debout au milieu de la place depuis l'arriv?e de la diligence avait suivi la sc?ne avec int?r?t. En arrivant devant l'ing?nieur, il fit claquer ses talons, salua militairement avec vigueur et s'empara de la valise. --Jalabert, conduis monsieur ? la T?te de Boeuf... Faites pas attention ? ce qu'il dit, ajouta-t-elle, il est un peu fou. Mais il conna?t bien la ville: c'est lui qui la montre aux Anglais. Philippe Vini?s suivit son guide au long des vieilles rues. Quelques passants s'en allaient d'un pas tr?s lent, le nez au vent, les mains dans les poches. --Belle place, Milord, dit le vieux soldat, belles maisons, b?ties par les Anglais...
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