Read Ebook: La tentatrice by Blasco Ib Ez Vicente Carayon Jean Translator
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Ebook has 2089 lines and 93076 words, and 42 pages
Translator: Jean Carayon
LA TENTATRICE
CALMANN-L?VY, ?DITEURS
DU M?ME AUTEUR
Format in-18.
AR?NES SANGLANTES 1 vol. FLEUR DE MAI 1 -- DANS L'OMBRE DE LA CATH?DRALE 1 -- TERRES MAUDITES 1 -- LA HORDE 1 -- LES QUATRE CAVALIERS DE L'APOCALYPSE 1 -- LES ENNEMIS DE LA FEMME 1 -- LA FEMME NUE DE GOYA 1 --
Droits de reproduction et de traduction r?serv?s pour tous les pays.
Copyright 1923, by CALMANN-L?VY.
E. GREVIN--IMPRIMERIE DE LAGNY
LA TENTATRICE
ROMAN TRADUIT DE L'ESPAGNOL
PAR
JEAN CARAYON
PARIS
CALMANN-L?VY, ?DITEURS
QUARANTE EXEMPLAIRES SUR PAPIER DE HOLLANDE,
AVERTISSEMENT DU TRADUCTEUR
JEAN CARAYON.
LA TENTATRICE
Comme il faisait tous les matins, le marquis de Torrebianca sortit tard de sa chambre et montra quelque inqui?tude ? la vue du plateau d'argent charg? de lettres et de journaux que son domestique avait laiss? sur la table de la biblioth?que.
Si les timbres des enveloppes ?taient ?trangers, il se rass?r?nait comme apr?s un p?ril esquiv?. Si les lettres venaient de l'int?rieur de Paris, il fron?ait le sourcil et se pr?parait ? mainte amertume, ? mainte humiliation. D'ailleurs, l'en-t?te de plus d'une lui rappelait le nom de cr?anciers tenaces et laissait deviner d'avance leur contenu.
Sa femme, la <
Ce matin l?, il y avait peu de lettres de Paris: une d'elles venait de la maison qui avait vendu ? la marquise sa derni?re automobile, payable en dix versements, et n'en avait encore re?u que deux; d'autres avaient ?t? ?crites par des fournisseurs ?tablis aux alentours de la place Vend?me, et par divers commer?ants plus modestes qui livraient ? cr?dit les articles n?cessaires ? la vie large et confortable du m?nage et de ses domestiques.
Ces derniers auraient ?t? bien fond?s d'adresser ? leur ma?tre des r?clamations identiques, mais ils se fiaient ? l'habilet? mondaine de madame, qui saurait bien un jour s'?tablir sur des positions solides; ils affectaient seulement, pour montrer leur m?contentement, plus de raideur et de componction dans leur service.
Bien souvent Torrebianca, apr?s avoir lu son courrier, regardait autour de lui avec ?tonnement. Sa femme donnait des f?tes et assistait aux plus c?l?bres r?unions de Paris; ils occupaient, avenue Henri-Martin, le second ?tage d'un ?l?gant h?tel; devant leur porte attendait une belle automobile; ils avaient cinq domestiques... Il n'arrivait pas ? comprendre en vertu de quelles lois myst?rieuses et par quels invraisemblables miracles d'?quilibre ils pouvaient soutenir ce luxe tandis que chaque jour les dettes s'accumulaient et que leur co?teuse existence exigeait des sommes toujours croissantes. L'argent qu'il apportait disparaissait comme un ruisseau dans le sable. Mais la <
Torrebianca fut tout heureux de trouver parmi les lettres des cr?anciers et les cartes d'invitation une enveloppe portant le timbre italien.
--C'est de maman, dit-il ? voix basse.
Il commen?a de lire, et un sourire parut ?clairer son visage. La lettre pourtant ?tait m?lancolique et s'achevait sur des plaintes douces et r?sign?es, de v?ritables plaintes de m?re.
Il revoyait en lisant le vieux palais des Torrebianca, l?-bas en Toscane: un ?difice ?norme et d?labr?, entour? de jardins. Les salles pav?es de marbres multicolores avaient des plafonds orn?s de fresques mythologiques, mais sur les murs nus, d'une p?leur poussi?reuse, se voyait seulement la trace des tableaux fameux qui les avaient orn?s en d'autres temps, avant d'?tre vendus aux antiquaires de Florence.
Le p?re de Torrebianca, quand il ne lui resta plus de tableaux ni de statues ? vendre, avait puis? dans les archives de sa maison; il avait mis en vente des autographes de Machiavel, de Michel Ange et d'autres florentins illustres qui avaient jadis ?chang? des lettres avec les grands personnages de sa famille.
Au dehors, des jardins trois fois s?culaires s'?tendaient au pied des vastes perrons de marbre dont les balustrades croulaient sous le poids des rosiers noueux. Les degr?s avaient pris la teinte de l'os et s'?taient d?sunis sous la pouss?e des plantes parasites.
Dans les avenues, des buis ancestraux, taill?s en forme d'?paisses murailles et d'arcs de triomphe profonds, ?voquaient les ruines noircies par l'incendie d'une m?tropole d?truite. Ces jardins, dont nul ne prenait soin depuis bien des ann?es, rev?taient peu ? peu l'aspect d'une for?t en fleurs. Sous le pas des rares visiteurs, ils r?sonnaient d'?chos m?lancoliques et on voyait alors s'?lancer des oiseaux comme des fl?ches, s'?pandre sur les branches des essaims d'insectes et courir des reptiles parmi les troncs.
La m?re du marquis, v?tue comme une paysanne et sans autre compagnie qu'une fillette du pays, passait sa vie parmi ces salles et ces jardins, en songeant au fils absent, pour qui elle cherchait ? se procurer de l'argent par des exp?dients nouveaux.
Seuls lui rendaient visite les antiquaires qui lui achetaient, un ? un, les derniers vestiges d'une splendeur que ses pr?d?cesseurs avaient d?j? largement mise ? profit. Elle avait toujours quelques milliers de lire ? envoyer au dernier Torrebianca qui, croyait-elle, occupait dans la soci?t? de Londres, de Paris, de toutes les grandes villes de la terre une place digne de son nom. Et, s?re que la fortune si favorable aux premiers Torrebianca finirait par sourire ? son fils, elle se contentait d'une nourriture frugale, qu'elle mangeait sur une petite table de bois blanc dress?e ? m?me le pav? de marbre d'un salon o? il ne restait plus rien ? prendre.
Emu ? la lecture de la lettre, le marquis murmura plusieurs fois le m?me mot <
<
Le marquis s'arr?ta de lire. Les plaintes si simples de la pauvre femme et l'illusion o? elle vivait lui faisaient mal; il en souffrait comme d'un remords. Elle croyait H?l?ne riche! Elle s'imaginait qu'il pouvait imposer ? sa femme une vie d'ordre et d'?conomie comme il avait essay? tant de fois de le faire dans les d?buts de leur vie conjugale!
L'entr?e d'H?l?ne coupa court ? ses r?flexions. Il ?tait plus de onze heures; elle allait faire sa promenade quotidienne, avenue du Bois, pour y saluer les gens de sa connaissance et ?tre salu?e ? son tour.
Elle arriva, v?tue avec une ?l?gance un peu indiscr?te et pr?tentieuse qui s'harmonisait assez bien avec son genre de beaut?. Elle ?tait grande et parvenait ? rester mince gr?ce ? une lutte continuelle contre l'envahissement de la graisse, et ? des je?nes fr?quents. Elle avait entre trente et quarante ans; mais elle devait aux mille soins pr?servateurs que comporte l'existence moderne cette troisi?me jeunesse qui, dans les grandes villes, prolonge la brillante saison de la femme.
Torrebianca ne voyait ses d?fauts que lorsqu'il vivait loin d'elle. Quand il la revoyait, le sentiment d'admiration qui s'emparait de lui, lui faisait accepter toutes ses exigences. Il re?ut sa femme avec un sourire; H?l?ne sourit elle aussi. Puis elle lui passa les bras autour du cou et l'embrassa: elle parlait avec un z?zaiement enfantin qui annon?ait toujours ? son mari quelque demande nouvelle; pourtant cet accent pu?ril avait chaque fois le pouvoir de le troubler profond?ment et d'annuler sa volont?.
--Bonjour, mon coco... Je me suis lev?e plus tard aujourd'hui; j'ai quelques visites ? faire avant d'aller au Bois, mais je n'ai pas voulu partir sans dire bonjour ? mon petit mari ador?... Encore un baiser, et je pars.
Le marquis se laissa caresser et sourit avec l'expression reconnaissante d'un bon chien fid?le. H?l?ne enfin se s?para de son mari; mais avant de sortir de la biblioth?que elle fit mine de se rappeler une chose sans importance et s'arr?ta pour dire:
--As-tu de l'argent?
Torrebianca cessa de sourire et son regard eut l'air de demander:
--Quelle somme d?sires-tu?
--Peu de chose. Huit mille francs ? peu pr?s.
Une modiste de la rue de la Paix lui montrait moins de respect pour cette dette qui ne datait gu?re que de trois ans et l'avait menac?e d'une plainte en justice. Voyant son mari accueillir avec une expression constern?e cette demande, elle perdit le sourire pu?ril qui ?cartait l?g?rement ses joues; mais elle gardait son accent de fillette pour g?mir d'un ton doucereux:
--Fr?d?ric, tu dis que tu m'aimes, et tu me refuses cette petite somme?
Le marquis indiqua du geste qu'il ne pouvait rien lui donner et lui montra les lettres de cr?anciers qui s'amoncelaient dans le plateau d'argent.
Elle eut un nouveau sourire, cruel cette fois.
--Je pourrais te montrer, dit-elle, bien des papiers pareils ? ceux-l?... mais tu es un homme, et les hommes doivent apporter beaucoup d'argent au foyer pour que leur petite femme ne soit pas malheureuse. Comment pourrai-je payer mes dettes si tu ne m'aides pas?
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