Read Ebook: Le crime des riches by Lorrain Jean
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Ebook has 876 lines and 52979 words, and 18 pages
OEUVRES DE JEAN LORRAIN
PO?MES
TH?ATRE
JEAN LORRAIN
PARIS PIERRE DOUVILLE, ?DITEUR 42, RUE DE TR?VISE, 42
IL A ?T? TIR? DE CET OUVRAGE
D?DICACE
JEAN LORRAIN.
Nice, ce 21 avril 1905.
LE CRIME DES RICHES
LA RIVIERA
AME DE FEMME
SUITES DE VEGLIONE
--Tu n'es pas encore couch?e, grand'm?re? A ton ?ge? Tu vas prendre mal.--Les cimeti?res sont donc ouverts la nuit?--Le service de la voirie est bien mal fait!--Il n'y a pas de police de morts, ? Nice?--Un beau domino, mais un fichu corset.--De 1840 au moins? Il date.--Madame est riche.--N'?te pas ton masque! Comme tu regardes les hommes, m?tin! quels yeux!--Ceux de ton temps ?taient mieux, avoue-le.--Combien tu regrettes... Ton temps perdu.--Laissez donc, madame en guette un petit de son ?ge.>>
Les sarcasmes pleuvaient sur le domino r?fugi?, cern?, accul? dans un angle du couloir. C'?tait au dernier veglione de Nice: une bande de joyeux f?tards avait fait cercle autour du camail et de la robe de moire d'un masque herm?tiquement clos: deux tours d'Alen?on soigneusement ramen?s et rabattus sur un loup, dont le satin jaune luisait.
La femme qui se dissimulait sous ce double voile n'?tait pas, ce soir de mardi gras, en qu?te d'aventure. Engonc?e de soie roide, la taille volontairement volumineuse... et m?connaissable sous les plis d'un domino ample, le masque d?visageait obstin?ment tous les hommes et d'un oeil de policier fouillait les recoins de la salle et des couloirs. L'inconnue allait, uniquement pr?occup?e de d?couvrir quelqu'un, et ce quelqu'un, le hasard s'obstinait ? ne pas le mettre sur ses pas. D?j? depuis deux heures, le domino jonquille r?dait inquisiteur, en arr?t devant tous les groupes, inventoriant dans un forcen? pourchas les consommateurs du buffet, les flirteurs du foyer et les danseurs du bal.
Son man?ge avait fini par intriguer quelques habits noirs. Indiff?rente ? toutes les attaques, ? la moindre tentative d'emprise la femme se d?gageait prestement, glissait comme une anguille entre les mains fureteuses, et, mur?e dans son silence, poursuivait sa chasse ? la porte des loges et dans les plus infimes couloirs.
Piqu?s au vif, quelques noceurs avaient r?solu d'en avoir le coeur net. Ils avaient guett? le domino jaune et, le cernant au bas d'un petit escalier, l'avaient accul? dans un coin. Le domino ?tait devenu cible, on le criblait maintenant de saillies mordantes. La main finement gant?e, l'?troitesse du pied moul? dans les jours d'un bas de soie noire avaient trahi une ?l?gante. La femme traqu?e ne disait pas un mot: ? petits coups cinglants d'?ventail elle d?courageait les mains entreprenantes et tenait en respect les oseurs: mais aux pires hypoth?ses sur son physique et sur son ?ge elle opposait un mutisme obstin?. En vain la l?chet? des m?les surexcit?s l'insultait-elle maintenant ? coeur joie; la goujaterie de ses agresseurs ne faisait pas tressaillir un pli du domino. Seulement, parfois, sous les dentelles et le satin du loup deux yeux d'acier flambaient ?trangement.
Des gens avaient fini par s'attrouper autour de ce combat d'une femme isol?e contre huit hommes, et de Bergues avait fait comme les autres, curiosit? ou d?soeuvrement, dans la tristesse tumultueuse et morne de ce bal.
D'autres dominos s'?taient mis de la partie: <
Le domino se taisait toujours, mais les ripostes de son ?ventail ?taient devenues rageuses. Un ?nervement gagnait l'inconnue, ses coups maintenant faisaient mal.
<
Le domino jonquille allait droit ? eux et d'un geste emport?, sans que rien n'e?t fait pr?voir une telle violence, en un clin d'oeil arrachait aux deux d?guis?s leurs loups. D?masqu?s, les deux dominos, un jeune homme et une jeune femme demeuraient fig?s de stupeur. C'?tait un toll? g?n?ral. On huait l'incorrection du domino jonquille.
La femme qui venait de commettre cet acte inqualifiable, balbutiait, tremblante et d'une voix ?trangl?e: <
<
La femme, atterr?e, ne se d?fendait plus. De Bergues, pouss? maintenant au premier rang des curieux, lisait dans la p?leur des yeux devin?s un tel effroi, une telle d?tresse qu'il s'en sentait tout remu?. Il ?cartait les agresseurs, et, s'emparant du bras de la mis?rable: <
L'assurance de son ton, son encolure et sa prestance en imposaient; la voix de de Bergues faisait taire les murmures. De vagues engueulades, des gouailleries de bal masqu? s'?teignaient dans une rumeur.
Le domino jaune avait pos? son bras sur celui de de Bergues. < La femme maintenant d?faillait: de Bergues devait la soutenir. Il descendait lentement l'escalier, un chasseur h?lait le fiacre, le jeune homme mettait le domino en voiture.--Votre nom, votre carte, monsieur, implorait un souffle, que je sache au moins ? qui je dois... Merci, merci. Voulez-vous dire au cocher de retourner o? il m'a prise, ? l'h?tel d'o? je viens.>> Et la porti?re se refermait sur l'inconnue. De Bergues avait tout ? fait oubli? cette aventure, quand, ? trois semaines de l?, le courrier du matin lui apportait une longue enveloppe de bristol r?sistant et bleu?tre timbr?e d'argent mat; l'?criture lui ?tait compl?tement ?trang?re. Le jeune homme faisait sauter le cachet. Le billet laissait le jeune homme r?veur. La Pergola, la duchesse d'Eberstein-Asmidof. De Bergues ne connaissait que trop de r?putation la ch?telaine de la Pergola. Ses d?portements ?taient depuis dix ans la fable et le scandale de la Riviera; le domaine d'Antibes avait lui-m?me sa l?gende. On y montrait la place o? le comte Zicco, un des amants de la duchesse, s'?tait tu? dans une chute de cheval, et cela dans une des all?es du parc. La monture emball?e avait but? contre un cactus g?ant, et l'homme d?sar?onn?, pris entre sa b?te et les dards ongl?s et coupants de la plante, ?tait mort. La duchesse avait fait enterrer son amant ? la place m?me du d?sastre. En Riviera on ne refuse rien aux millions et surtout aux millions des personnalit?s princi?res, et la duchesse ?tait par sa m?re une Scatelberg-Emerfield. De branche allemande, elle avait ?pous? ? seize ans le duc d'Eberstein-Asmidof qu'on disait impuissant. Les Asmidof n'avaient pas d'enfants. A la cour de Finlande on avait tout d'abord excus? les ?carts de la jeune femme, mais le scandale de ses caprices avait pris un tel retentissement, que le grand-duc r?gnant avait d? prier le jeune m?nage d'aller donner ailleurs le spectacle de ses fantaisies. La Riviera en avait h?rit?. Depuis dix ans cette Allemande, qui devait avoir maintenant d?pass? la quarantaine, trouvait moyen d'?tonner la C?te d'Azur; et la c?te est pourtant assez blas?e sur les excentricit?s de ses h?tes. Le duc d'Eberstein n'existait pas pour sa femme. Musicien accompli, piqu? m?me de la folie de la composition et tout acquis ? la mani?re de Wagner, il passait ses journ?es et une partie de ses nuits ? ?laborer de p?nibles op?ras que ne montait pas Monte-Carlo. Sa femme n'existait pas pour lui. Toutes ses pr?f?rences ?taient pour l'harmonie, le contre-point, la fugue et quelques vagues compositeurs ou musicastres qu'il h?bergeait ? tour de r?le ? la Pergola, jusqu'? concurrence de quelque nouveau favori, car les engouements du duc ?taient plut?t brefs. Ceux de la duchesse avaient plus de dur?e. Cette Allemande ?tait une passionn?e, mais elle avait la main malheureuse et ses amants avaient des fins assez tragiques. Ses amants... c'est-?-dire on en citait deux, le Hongrois, le comte Zicco, mort si malencontreusement ? la Pergola dans une promenade matinale, et le beau chevalier Contaldini, tomb? dans une crevasse pendant un s?jour du duc et de la duchesse ? Saint-Moritz. Le nouvel amant accompagnait, cet ?t?-l?, le couple dans les Alpes. La duchesse ?tait, bien entendu, ?trang?re ? tous ces tr?pas, et jamais un soup?on ne l'avait effleur?e, mais elle en gardait une aur?ole sinistre. Dans le pays cette exsangue et maigre duchesse Wilhena passait pour avoir le mauvais oeil. On lui pr?tait d'autres aventures. Un dimanche de Carnaval, o? elle s'?tait risqu?e sous le loup dans les rues de Cannes et s'?tait m?l?e au corso populaire, en qu?te, on le voulait..., d'?motions anonymes, elle aurait ?t? reconnue et d?masqu?e par des p?cheurs. L'intervention de la police l'avait seule pr?serv?e de l'insulte. Qu'y avait-il de vrai dans tout cela? L'amant actuel de la duchesse, un Am?ricain ? peau blanche tachet? de son, master Thomas Barret, un roux r?bl? ? mufle de dogue avec, dans les yeux bougeurs, la clart? d'eau de deux ?tranges prunelles vertes, la d?sesp?rait de ses frasques et lui co?tait des sommes. L'Am?ricain ?tait coureur et joueur. La mis?rable ?tait folle de cet amant, le dernier peut-?tre, car la duchesse n'avait jamais ?t? jolie, et maintenant la quarantaine l'alourdissait. Les sports, le surmenage d'une vie sentimentale et nerveuse, ses coups de t?te et de coeur avaient brouill? son teint, fl?tri ses yeux. Elle se cramponnait ? cet ultime amour avec l'?nergie d?sesp?r?e d'une femme qui se noie et n'en ?tait plus ? se compromettre. Elle avait d?j? tout os?, tout commis pour ce beau Saxon au mufle carr? et court. C'est ? tout cela et ? bien d'autres choses encore que songeait de Bergues dans le rapide de Nice ? Cannes. Il le quitterait ? Antibes pour se rendre ? l'invitation de la duchesse. Il s'?tait enfin d?cid? ? tenter le voyage; une certaine appr?hension lui ?treignait l'estomac et, plus ?mu qu'il n'e?t voulu se l'avouer, le jeune homme se laissait secouer par la tr?pidation des freins en se demandant qu'est-ce que pouvait bien lui vouloir l'Allemande de la Pergola. Sa fatuit? n'allait pas jusqu'? redouter pour lui un caprice de l'Altesse. Tout enchant? qu'il f?t de sa personne, de Bergues ?tait ?difi? sur son physique; il n'avait ni l'?l?gance rare d'un Zicco, ni les yeux admirables d'un Contaldini, ni le rable prometteur d'un Barett... mais tout de m?me, est-ce qu'on pouvait savoir avec ses cr?atures! Et d?contenanc?, de Bergues sentait sourdre en lui des effarements de Joseph. < UNE AME DE FEMME De Bergues traversait une enfilade de vastes salons; les mollets cambr?s d'un laquais en bas de soie le pr?c?daient; des escarpins ? semelles feutr?es glissaient sans bruit sur les parquets luisants, miroit?s de reflets. Des losanges et des rosaces, bois de rose et bois des ?les, aggravaient encore la solitude des pi?ces. Un valet de pied, debout contre une porte, en ouvrait les battants et introduisait de Bergues dans un fumoir. C'?tait une haute salle en rotonde et qu'une immense glace sans tain ?clairait toute, une glace incurv?e, dont l'?paisseur ?pousait la courbe de la muraille. Le bleu du ciel et le bleu du large entraient ? la fois par la baie, on se serait cru en pleine mer. Cette chambre de bord ?tait meubl?e de confortables si?ges anglais, divans de cuir et fauteuils de Maple. Il y r?gnait une atmosph?re de maryland, de tabac turc et d'opoponax; des tr?s beaux tapis d'Orient, fond rose et fond vert, et, sur une lourde table d'acajou, d'?normes roses Paul N?ron dans une buire de cristal ?taient le seul luxe de ce fumoir.
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