Read Ebook: Les caravanes d'un chirurgien d'ambulances pendant le siége de Paris et sous la commune by Joulin D Sir Joseph
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Ebook has 451 lines and 21748 words, and 10 pages
LES CARAVANES D'UN CHIRURGIEN D'AMBULANCES PENDANT LE SI?GE DE PARIS ET SOUS LA COMMUNE
PAR LE DR JOULIN PROFESSEUR AGR?G? DE LA FACULT? DE M?DECINE CHEVALIER DE LA L?GION D'HONNEUR
PARIS E. DENTU, LIBRAIRE-?DITEUR PALAIS-ROYAL, 17 ET 19, GALERIE D'ORL?ANS
PARIS.--IMP. SIMON RA?ON ET COMP., RUE D'ERFURTH, 1
A MONSIEUR
ARMAND DU MESNIL
OFFICIER DE LA L?GION D'HONNEUR
SOUVENIR AFFECTUEUX
LES CARAVANES
D'UN
CHIRURGIEN
D'AMBULANCES
Dans ce tohu-bohu militaire qui fut le si?ge de Paris, la chirurgie devait malheureusement jouer un grand r?le. Aussi, d?s le d?but, le corps m?dical organisa les secours avec un d?vouement dont je ne lui ferai pas l'injure de le f?liciter, car il fait partie de ses traditions, de ses devoirs, de ses habitudes. Le m?decin se d?voue aussit?t que surgit un malheur public qu'il peut soulager, et cela sans craindre d'?craser ses contemporains sous un lourd fardeau de reconnaissance, car il sait parfaitement qu'il est sans exemple dans l'histoire que le public ait jamais tenu compte au m?decin de son d?vouement une fois que le p?ril est pass?.
Les ambulances constituaient la question d'urgence, mais toute l'organisation en fut abandonn?e ? l'initiative ou ? l'inexp?rience individuelle. Chacun fit du mieux qu'il put, chercha ses ressources l? o? il esp?ra les prendre. Les uns, comme l'Internationale et la Presse, avec leurs puissants moyens d'action, re?urent des capitaux consid?rables et firent les choses tout ? fait en grand; d'autres, plus modestes, sollicit?rent ? domicile des souscriptions et un concours qui firent rarement d?faut. Enfin, le z?le de tous accomplit des prodiges de charit?.
L'administration sup?rieure, qui poussa l'incapacit? jusqu'au g?nie, eut le bon go?t de s'effacer et de nous laisser faire au d?but, et c'est une des rares choses dont on lui aurait su gr?, si elle avait eu l'intelligence de persister dans cet effacement. Malheureusement le gouvernement poss?de dans sa collection de rouages inutiles un vieux dieu, sans bras ni jambes, f?tiche perclus du cerveau, dur d'oreille et voulant tout engloutir dans ses vastes m?choires d?meubl?es. Ce dieu vorace et impuissant se nomme l'INTENDANCE.
Aussi longtemps que les ambulances furent en voie de cr?ation, l'intendance respecta religieusement cette phase p?nible de l'existence des choses nouvelles, mais aussit?t que les ambulances organis?es furent en ?tat de rendre des services, l'intendance, escort?e de ses riz-pain-sel, se fit porter au milieu de la route pour emp?cher les ambulanciers de passer et leur dit en langage administratif, que je traduis ici pour la commodit? du lecteur:
<
Nous verrons plus tard ce qu'il advint des outrecuidantes pr?tentions de l'intendance.
Les ambulances s'organisaient donc de tous les c?t?s. Une ambulance qui s'organise se compose de deux ?l?ments assez distincts; d'abord l'?tat-major, en g?n?ral fort dispos? ? croquer des marrons, ensuite les comparses, dont l'?ternelle destin?e semble de tirer du feu lesdits marrons. J'aurais pu mettre mon couvert du c?t? des croqueurs, c'est-?-dire de l'?tat-major, mais je n'aime ni ? tirer, ni ? croquer les marrons. Je restai donc un instant ? l'?cart, examinant comment je pourrais me rendre utile en conservant toute mon ind?pendance d'action, et en me cr?ant une situation sp?ciale o? je n'aurais ni trop ? commander, ni surtout ? ob?ir.
Apr?s avoir avec soin ?tudi? ce terrain nouveau pour moi, j'acquis la conviction que pour rendre la plus grande somme de services possible au combat, un chirurgien, muni d'appareils bien complets, devait diriger seulement deux voitures d'ambulance, l'une pour bless?s couch?s, l'autre pour bless?s assis, lesdites voitures constamment ? ses ordres et pr?tes ? se porter au feu chaque fois qu'il y a bataille.
C'est l? le v?ritable type de l'ambulance volante. Avec deux voitures on passe partout, on a son petit personnel tout entier sous la main, chacun sait d'avance le r?le qu'il doit remplir, les ordres sont rapidement ex?cut?s, et les soins d'autant plus efficaces qu'ils se font moins attendre. On fait le pansement complet et d?finitif sur place, on charge de suite ses bless?s sans leur faire subir une foule de transbordements toujours p?nibles et qui durent de longues heures, parfois m?me plusieurs jours; puis, les voitures pleines, on revient ? Paris et on exp?die les malades l? o? ils trouveront les soins d?finitifs les plus convenables, selon la gravit? de leurs blessures.
Dans cette situation, le chirurgien est absolument ind?pendant; il n'ob?it qu'? ses inspirations, ? sa fantaisie, ? son initiative; il ne subit d'autre contr?le que celui de sa volont?, et lorsqu'il a acquis un peu d'habitude dans le m?tier d'ambulancier, il ne perd pas sa journ?e.
Je dis quand il a acquis un peu d'habitude, car il faut encore un certain apprentissage; il ne suffit pas d'avoir un brillant ?quipage de chasse pour trouver le gibier, il faut en conna?tre les us et coutumes. Les trois quarts du temps l'?tat-major de la place semblait ne pas savoir o? on se battait ou m?me s'il y avait combat; il vous envoyait parfois au nord quand l'affaire ?tait au sud, et cela de la meilleure foi du monde. Aussi j'ai fait jusqu'? dix ou douze lieues dans une journ?e sans pouvoir mettre la main sur un bless?, ce qui n'?tait pas absolument agr?able par un froid de huit ou dix degr?s.
Donc, pour faire une bonne ambulance volante, outre un chirurgien bien ?quip?, il faut malheureusement deux voitures et des chevaux. Je dis malheureusement, parce que c'est justement l? que g?t la difficult?.
Pour la premi?re fois qu'une voiture entre en campagne, cela va encore; on empaume assez facilement les gens, on leur montre l'exp?dition exclusivement par son c?t? pittoresque, en leur cachant avec soin le c?t? laurier. Aussi le voyage, au d?part, se fait avec beaucoup d'entrain et de gaiet?; seulement il peut arriver un moment o? il n'est plus temps de feindre, la dissimulation serait absolument inutile: on peut tomber en plein drame militaire. Alors la mine du propri?taire de l'?quipage s'allonge; on entend des: <
Au retour, la conversation languit, vous sentez des regards hostiles et qui semblent dire: <
Mais ? mesure qu'on p?n?tre dans l'atmosph?re de Paris, ? mesure qu'on s'?carte du tapage et de la fum?e de la bagarre, le courage du n?ophyte rena?t, sa langue se d?lie, et bient?t il parle avec complaisance des dangers qu'on aurait pu courir, du sang-froid qu'on aurait d?velopp?.
Je n'ai pas besoin de dire que neuf fois sur dix on n'a couru aucune esp?ce de danger, et qu'au retour on s'est simplement montr? en famille d'autant plus t?m?raire que la peur avait ?t? plus grande.
Allez frapper ? une autre ?curie, celle-l? vous est ferm?e pour toujours.
Apr?s un certain nombre de tentatives dont les r?sultats pr?sentaient les diverses nuances qui s?parent un ?chec d'une r?ussite, je finis par mettre la main sur deux voitures fid?les et d?vou?es qui m'ont servi dans toutes les affaires depuis celle du Moulin-Saquet. Une appartenait ? M. Kerckoff, de la galerie d'Orl?ans; c'?tait un petit omnibus de famille, coquet, ? six places, tra?n? par un petit cheval tr?s-fin, tr?s-vigoureux, tr?s-ardent, et qui ne s'effrayait pas du bruit. Pierre, le cocher, compl?tait l'?quipage que je montais ordinairement.
Pierre ?tait un bon type; il avait ses jours de courage; mais parfois je le trouvais extr?mement nerveux et impressionnable. Il affectait alors une vraie tendresse pour le petit cheval, dont il ne voulait pas, disait-il, trop exposer la peau.
Mais comme la peau de Pierre ?tait toujours situ?e ? une tr?s-faible distance de celle du cheval, je crois sinc?rement que, lorsqu'il voulait ? tout prix sauver l'une, il pensait surtout ? l'autre.
Le jour de l'affaire de Ville-?vrard, Pierre avait ses nerfs. Nous d?bouchions par la route de Montreuil et nous passions au pied du fort de Rosny, qui faisait un feu d'enfer de tous ses canons. Pierre commen?a ? devenir r?tif. Je regardai son nez, c'?tait le barom?tre de son courage: quand il se sentait mal ? l'aise, son nez se creusait de petits plis longitudinaux et devenait blanc vers le bout. Le nez de Pierre ?tait, ce jour-l?, houleux, et il passait au blanc.
--Monsieur, nous ne pouvons pas aller plus loin.
--Pourquoi cela?
--Le petit cheval va avoir peur.
--Eh bien, il cache son jeu, car on ne s'en aper?oit gu?re.
--Je le connais, monsieur, il va avoir peur et va nous faire des cascades.
--Vous abusez de ce qu'il ne peut pas s'en d?fendre; sans cela il nous dirait que ce n'est pas lui qui a peur, mais que c'est vous.
--Moi!! quand j'?tais au si?ge de Rome, j'en ai bien vu d'autres!
Pendant que Pierre se retrempait dans ses souvenirs belliqueux du si?ge de Rome, nous avions d?pass? le fort, le petit cheval n'avait pas eu peur, et Pierre ?tait rassur?, car il avait entendu que les obus passaient ? une vingtaine de pieds au-dessus de notre t?te. Il n'y avait v?ritablement aucune esp?ce de danger.
Mais la journ?e avait mal commenc? pour lui, et il n'?tait pas au bout de ses transes. Nous arriv?mes ? 1 ou 2 kilom?tres de Neuilly-sur-Marne, sur la route qui conduit ? Joinville, route absolument d?couverte. Le plateau d'Avron ?changeait une violente canonnade avec les batteries prussiennes situ?es de l'autre c?t? de la Marne.
Les projectiles se croisaient au-dessus de la route et l'on cheminait sous un d?me, non pas de verdure, mais d'obus. Le cas se rencontrait assez fr?quemment, car les batteries ?taient en g?n?ral plac?es des deux c?t?s sur des points culminants. Ce cheminement ne pr?sentait du reste que bien peu de danger pour les voitures d'ambulances quand elles prenaient le soin de ne pas marcher pr?s des soldats en armes. On n'avait gu?re ? redouter que les obus trop press?s qui ?clataient en l'air; mais cela ?tait si rare qu'on n'avait pas ? en tenir compte. Avec un peu d'habitude on reconnaissait fort bien ? la m?lodie de son ronflement si l'obus qui rayait cette vo?te de mitraille ?tait ? nous ou... aux autres.
Les obus ronflaient donc au-dessus de la route, qui ?tait d?sert?e en ce moment par nos troupes; on y voyait seulement une charrette de cantinier escort?e de quelques gardes nationaux. Les Prussiens trouv?rent jovial de tuer ces braves gens. Ils envoy?rent sur la route un seul obus, mais si bien point? qu'ils crev?rent le cheval et ?ventr?rent deux des gardes nationaux de l'escorte. Je ne pus que constater leur mort; ils avaient ?t? tu?s sur le coup.
Je les fis d?poser sur le bord du chemin.
Ce spectacle n'?tait point fait pour calmer les ?motions de Pierre; son nez devint blafard et se creusa de v?ritables tranch?es.
--Monsieur, allons-nous-en, ces brigands vont tuer le petit cheval.
--Eh bien! et nos drapeaux d'ambulances qui sont sur les voitures!
--Ils s'en fichent pas mal des drapeaux! Allons-nous-en, monsieur, allons-nous-en.
Il portait sa peur avec tant de cr?nerie que je n'insistai pas trop pour le faire marcher en avant. Je craignais de le voir filer sur Paris et nous planter l? sans vergogne.
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