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Read Ebook: Les caravanes d'un chirurgien d'ambulances pendant le siége de Paris et sous la commune by Joulin D Sir Joseph

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Ebook has 451 lines and 21748 words, and 10 pages

Il portait sa peur avec tant de cr?nerie que je n'insistai pas trop pour le faire marcher en avant. Je craignais de le voir filer sur Paris et nous planter l? sans vergogne.

--Puisque vous manquez de courage aujourd'hui, mettez-vous ? l'abri, avec les voitures, au bas du remblai de la route; mettez ? terre le brancard et les instruments, et nous irons ? pied chercher les bless?s.

Pierre ne se le fit pas dire deux fois, et il se jeta en bas du remblai avec tant d'entrain qu'il engagea dans des branches d'arbres le drapeau d'ambulance de la voiture; il se cassa net. Je croyais le piquer d'honneur, mais il nous regarda impassiblement partir ? pied avec les brancardiers. Il avait l'air de dire: Je me suis ramass? assez de gloire au si?ge de Rome; laissons-en pour les autres.

Nous arriv?mes ? Neuilly-sur-Marne, mais ce n'?tait pas l? que se terminait l'affaire; il fallait aller toujours ? pied jusqu'? Ville-?vrard et faire filer un ? un les bless?s jusqu'aux voitures; c'?tait absolument impraticable. Je priai un des brancardiers d'aller chercher Pierre et de le ramener, n'importe comment, avec les ?quipages. Pierre n'osa pas refuser; son ?motion ?tait calm?e; mais, en route, il s'aper?ut qu'il n'avait plus de drapeau protecteur. Je n'ai pas besoin de dire que le petit cheval fit la route ventre ? terre.

De Neuilly ? Ville-?vrard, ce fut une nouvelle litanie. Chaque maison qu'on rencontrait sur la route excitait son admiration.

--Ah! monsieur, la charmante maison!

--Ma foi! je la trouve assez laide.

--Ah! monsieur, qu'on serait bien ici.

--Pour y passer ses jours?

--Oh! non, pour se mettre ? l'abri des obus.

Je dois, du reste, rendre justice ? Pierre: ce fut son dernier jour de faiblesse; quand les voitures allaient un peu trop loin, son nez p?lissait l?g?rement, se creusait de quelques rides, mais ses observations sur les chances de long?vit? du petit cheval ?taient simplement m?lancoliques, jamais il ne se permit la moindre opposition ? mes volont?s. L'affaire de la Ville-?vrard lui avait laiss? des remords.

H?las! sous la Commune, Pierre devait ternir ses lauriers. Un beau jour lui et son camarade me plant?rent l?, avec une invincible r?solution, ils tourn?rent sans retour le dos ? la gloire.

Mais passons ? l'?tude de ma seconde voiture.

La seconde voiture ?tait un grand fourgon de la maison Chevet, que tout le monde a rencontr? dans Paris, et dans lequel on peut transporter des bless?s couch?s. Le cheval ?tait vigoureux mais d?pourvu d'initiative; il marchait ? la suite et manifestait en toute occasion un profond m?pris pour les c?tes. Lorsqu'il ?tait forc? de choisir entre un foss? ou une c?te, jamais il n'eut un moment d'h?sitation, il d?posa toujours la voiture dans le foss? et tourna la croupe du c?t? de la mont?e.

Il commit, sans pudeur, cette incongruit? ? Avron, malgr? les regards s?v?res de l'assistance, et sans se laisser toucher par l'exemple de son petit camarade qui enlevait avec vigueur l'autre voiture sur le plateau.

Le cocher de M. Chevet ?tait un solide gaillard, d'une placidit? toute philosophique, ne se plaignant jamais, ni de son cheval, ni du froid, ni des Prussiens, et allant tranquillement l? o? je le menais sans daigner faire une observation.

Mon personnel ?tait compl?t? par un ou deux brancardiers. Pour eux, je n'avais que le choix, c'?taient des n?gociants, des amis, des clients qui s'inscrivaient chez moi avec beaucoup d'empressement. Il est certain que la curiosit? jouait un grand r?le dans leur empressement. Mais je dois dire que pas un seul n'a recul? devant la t?che qu'il avait accept?e et que j'avais toujours soin de bien expliquer au d?part.

MM. H?bert, Martin, n?gociants habitant ma maison, Laboureur, pharmacien, et son fils, M. Gauthier etc., ont fait sous ma direction le p?nible service de brancardiers.

Les brancardiers sont souvent indispensables; surtout lorsque la pluie a d?tremp? les terres, il est impossible alors d'aller ? travers champs jusqu'aux bless?s. Les voitures ne pourraient s'en tirer. On va donc recueillir, avec les brancardiers, les hommes tomb?s; on les panse et on les ram?ne aux voitures.

La cr?ation des compagnies de brancardiers organis?s en corps r?guliers ?tait une excellente id?e. Pour nous, elle avait cet avantage de ne pas nous obliger ? en emmener; il nous ?tait permis de conserver ainsi plus de places dans nos voitures pour les bless?s; sur le champ de bataille, elle avait l'immense avantage de diminuer la dur?e de cette p?riode d'angoisse qui s?pare pour le soldat le moment o? il tombe de celui o? il re?oit les premiers soins.

Malheureusement, on organisa les brancardiers vers la fin du si?ge, et lorsqu'ils furent organis?s, on ne sut point les utiliser convenablement.

Il est ?vident que toute troupe allant au feu devait ?tre accompagn?e de ses brancardiers. Je n'ai rien vu de semblable l? o? je me suis trouv?, ce qui n'est pas une raison pour qu'on ne l'ait pas fait ailleurs, car je ne veux parler que de ce que j'ai constat? par mes yeux, et dans les affaires militaires le champ d'observations est beaucoup plus restreint qu'on ne pourrait le croire. On ne sait jamais ce qui se passe ? un kilom?tre du point qu'on occupe.

Cependant je puis dire que, le jour de l'affaire de Montretout, je revenais sur Paris vers deux heures, naturellement avec mes voitures pleines; on se battait depuis le matin et la route de Rueil ? Courbevoie ?tait encore ?maill?e de longues files de brancardiers qui marchaient vers la bataille. C'?tait un peu tard. Je n'avais point eu ? constater leur pr?sence pr?s de l'ennemi, et mes bless?s, qui provenaient de l'attaque de la Malmaison, m'?taient apport?s par les cacolets.

Parmi les hommes et les choses qui, ce jour-l?, n'?taient pas ? leur place, je citerai certain grand aum?nier barbu mont? sur un joli cheval, et qui s'abritait avec soin derri?re un pan de mur pendant que je pansais mes bless?s. Il avait la mine alt?r?e d'un homme fort mal ? son aise.

Je me demandais quels services pouvait bien rendre, en pareilles circonstances, un aum?nier ? cheval qui s'abrite avec tant de soin derri?re un mur. Je ne pouvais pourtant pas lui envoyer mes bless?s ? confesser; j'en avais cependant un qui avait une mauvaise balle dans le ventre, et ils auraient pu en causer ensemble.

Je sais que, parmi les aum?niers, un grand nombre ont fait leur devoir; mais je crois qu'il ne faut pas g?n?raliser outre mesure les ?loges. A l'affaire de l'Hay, ils ?taient trois qui bavardaient entre eux, sans trop s'occuper du reste; et cependant les bless?s ne manquaient gu?re. J'en avais un surtout frapp? d'une balle dans la poitrine, une de ces plaies qui donnent quelques gouttes de sang, mais qui laissent largement passer la mort. Je n'osais pas le panser; il fallait le d?shabiller et j'avais peur de le voir expirer dans mes mains. Pauvre gar?on! il ?tait l?, mourant, ?tendu sur une mauvaise paillasse que les Prussiens nous avaient pr?t?e. Les brancards manquaient, et les Prussiens me signifiaient qu'ils ne voulaient pas que j'emportasse la paillasse.

--Pansez-moi, docteur, me disait-il d'une voix ?teinte.

Il lui semblait que l? ?tait le salut.

Je regardai du c?t? des aum?niers; ils bavardaient toujours, et cependant c'?tait bien pour eux le moment de dire quelques petites choses ? ce pauvre diable, avant qu'il part?t pour un monde o? l'on ne se bat pas.

Quand les brancards arriv?rent, le soldat ?tait mort. Les aum?niers causaient toujours.

Je vais maintenant exposer avec quelle simplicit? de m?canisme l'initiative des m?decins avait cr?? des ambulances, et je prendrai comme exemple celle du Ier arrondissement dont j'ai ?t? mieux ? m?me d'appr?cier le fonctionnement. On verra ensuite ce qu'il a fallu d'ineptie et d'incapacit? ? l'Intendance pour arriver ? porter le d?sordre dans une institution qui marchait admirablement.

Aux premiers bruits du si?ge, les m?decins de l'arrondissement furent convoqu?s sous la pr?sidence du professeur Las?gue. On leur demanda un concours qui fut naturellement accord? sans r?serve. Chacun devait fournir, dans la limite de ses moyens, des lits pour les bless?s et des secours de toute nature.

On d?cida d'abord qu'on fonderait un certain nombre d'ambulances dans des locaux sp?ciaux et o? on recevrait les bless?s assez gravement atteints, pour que de grandes op?rations pussent ?tre faites avec un personnel de chirurgiens habiles, d'internes, d'infirmiers, etc. Ces frais furent couverts par des souscriptions priv?es, qui s'?lev?rent ? environ 35,000 francs. D'un autre c?t?, les m?decins devaient solliciter leurs clients les plus ais?s de prendre chez eux les bless?s l?g?rement atteints. Ces bless?s devaient ?tre nourris, pourvus de toutes les choses n?cessaires aux frais de leur h?te et ?tre consid?r?s comme des membres de la famille.

Les m?decins se chargeaient naturellement de tous les soins n?cessaires. En quelques jours, et de cette fa?on, le Ier arrondissement disposa d'environ huit cent quatre-vingts lits qui ne co?taient absolument rien ? l'?tat. Il fournissait un bless?, on lui rendait un soldat bien portant. Je crois qu'il a rarement fait un march? aussi avantageux.

Le professeur Las?gue se trouva ?tre un organisateur de premier ordre, qui se d?voua ? l'oeuvre, lui et toute sa famille, avec une abn?gation et un z?le dont personne naturellement n'a song? ? leur savoir le moindre gr?.

Les dames dirigeaient la lingerie au bureau central de l'ambulance et op?raient les distributions de secours et de vivres.

Le pr?sident avait sous ses ordres les bureaux et organisait tous les services ? mesure que la n?cessit? s'en faisait sentir. Le m?canisme du fonctionnement ?tait d'une simplicit? ?l?mentaire. Les m?decins donnaient le nombre de lits vacants dans le p?rim?tre de leur quartier. Ces lits, centralis?s par le bureau, ?taient repr?sent?s par des bulletins. Le jour d'un combat, ? mesure que les bless?s ?taient amen?s au bureau, sans m?me les faire descendre de voiture, et selon la gravit? de leur blessure, ils recevaient un bulletin et ?taient dirig?s chez l'habitant, o? ils trouvaient un bon lit tout pr?t ? les recevoir, et une famille qui les accueillait avec empressement. On ne renvoyait le bless? que gu?ri et pr?t ? ?tre exp?di? ? son corps.

Ici se place un petit fait qui peint bien les intendants. Une partie des bless?s tomb?s aux combats de la Marne ?taient ramen?s ? Paris sur les bateaux omnibus. Pour ?viter les retards, on avait r?uni sur la berge les moyens de transports, et la distribution des bulletins fonctionnait aussi r?guli?rement qu'au bureau central. Un bateau de bless?s aborde; il en descend un intendant sup?rieurement galonn?.

--Qui est-ce qui dirige le service ici?

--C'est moi, dit M. Las?gue.

--Combien de lits?

--Quarante-cinq.

--Vous en avez cent.

--Quarante-cinq.

--Je vous dis que vous en avez cent.

M. Las?gue, froiss? de la roideur et de l'impertinence de ce monsieur qui ne savait pas un mot de l'?tat des choses, lui r?pondit froidement en remettant ses bulletins dans sa poche:

--S'il y a cent lits, cherchez-les. Et il lui tourne le dos en fumant son cigare.

L'intendant appela les brancardiers qui attendaient des ordres.

--Brancardiers, portez vingt bless?s au th??tre du Ch?telet.

--Il n'y a plus une place.

--Alors, allez ? Saint-Merry.

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