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Read Ebook: Mon amour by Boylesve Ren

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Ebook has 682 lines and 31885 words, and 14 pages

Elle a eu un mot assez raide. A sa m?re qui ne se rappelait plus la date d'un petit fait, elle a dit:

--Maman, voyons! c'?tait la veille du d?part d'Am?d?e.

On a un peu frissonn?. Mais le mot n'?tait pas pr?m?dit?; il correspondait ? sa pens?e, simplement: Am?d?e est parti ? telle date, personne ne l'ignore; pourquoi ne point dater du d?part d'Am?d?e? Elle le nomme Am?d?e: s'en ?tonne-t-on? Mais c'est qu'il a nom Am?d?e: elle ne va pas l'appeler <>... Tout de m?me, cela signifie qu'il n'est pas mort, qu'il n'est pas supprim?. Il est parti, mais sa qualit? de mari subsiste: le r?gne d'Am?d?e continue.

La voix de madame de Pons, il me semble qu'elle suspend le mouvement, la circulation, dans ma poitrine: tout s'arr?te en moi, pour entendre.

Quand sa longue jambe remue sous la soie l?g?re, j'?prouve une esp?ce de fr?missement qui me rappelle celui que certaines choses d'art m'ont caus?. Ce n'est cependant pas d'admiration que je suis ?mu, et je ne crois pas que ce soit de d?sir...

Elle m'a dit:

--Eh bien, ce voyage d'Avignon?

C'est moi qui l'avais oubli?... Est-ce que son malheur m'aurait troubl? plus qu'elle-m?me?

Avignon! c'est juste... Mais voil? que maintenant je ne trouve plus que la <> ressemble ? madame de Pons... Est-ce que la <> a cette cendre ?paisse de cheveux blonds? est-ce qu'elle a dans ses yeux clairs et minces cette honn?tet?? est-ce qu'elle a cette bouche?... Ah! ah! ah! cette bouche, est-ce qu'elle l'a, la pauvre <>...

Il y a des ?mes d?licates. Il serait curieux qu'il y en e?t eu, et qu'il n'en subsist?t pas une! L'affinement, dont on nous parle, consiste-t-il ? vivre, ? aimer comme les b?tes?...

Ce n'est point le scrupule religieux ni l'encha?nement au devoir d'?pouse qui cr?ent la plus belle pudeur de la femme, car la servitude volontaire enl?ve une certaine gr?ce, mais c'est ce go?t qu'un ?tre qui se sent libre a pour soi-m?me, pour la propret?, si j'ose dire, de son v?tement, pour l'?l?gance achev?e de sa personne. Tous les trait?s de morale ou d'amoralisme n'y feront rien: la pr?tendue libert? des moeurs n'y fera rien: la plupart des femmes sont n?es monogames. Leur instinct les voue ? un seul homme; leur pr?disposition ? ne subir qu'un m?le, un ma?tre unique, est plus forte que leur penchant ? l'amour. Elles peuvent faillir ? cette vocation d'unit?, mais interrogez-les: de leur aveu profond, leur id?al ?tait l?.

En me promenant dans Paris, j'ouvre les yeux comme un ?tranger, comme un enfant.

Quelqu'un est en moi. Un nouveau venu? pas tout ? fait. Quelqu'un arriv? de fort loin, qui se tenait coi, provisoirement, g?nant un peu, sans doute, mais ignorant de la langue et taciturne. Il sait la langue, ? pr?sent, et il parle: il faut tout lui dire. Il est curieux, insatiable. Je fais pour lui le guide dans Paris; moi-m?me, il me faut tout r?apprendre. Et il a des opinions: il m'?tonne, il me contredit, il me bouleverse. C'est qu'il s'impose!

Est-ce un autre que moi? est-ce moi? Tout est nouveau, tout est chang?.

Depuis quand? pourquoi cela? Ah ??, que s'est-il pass??

Voil?: il y avait un homme qui, aim? ou non, digne ou non, ?tait l?, tenant un r?le, intime peut-?tre, public, en tout cas, de mari. Cet homme est devenu indigne, aux yeux de sa femme, je veux le croire, aux yeux de la soci?t?, assur?ment. C'est tout.

Et ce qui germait en moi est ?clos, et pousse, et m'envahit.

Il y a des choses que je ne regardais pas. Je ne regardais pas l'eau de la Seine, les nuages sur le ciel, les canards au Bois de Boulogne. Je regarde tout cela, j'y vois des merveilles, et j'ai l'assurance que je suis seul ? les y d?couvrir. J'ai envie de dire ? tout le monde: <> Et j'ai envie de parler, longuement, d'expliquer tout ce que je vois. C'est que je projette sur toutes choses son image. C'est partout son image que je vois.

Madame Delaunay nous a retenus, quelques-uns, ? d?ner. Allons! ce n'est pas un deuil; la vie n'est pas interrompue; madame de Pons ne porte aucune trace apparente de l'?v?nement; nous avons pass? d'un appartement dans un autre; la pr?sence de la m?re est plus douce que celle du mari, et les convives vont ?tre tri?s peu ? peu: l'atmosph?re se purifie; le sens de la causerie est plus d?li?; et jusqu'? la contrainte, presque subtile, que nous impose la blessure de cette jeune femme, communique ? notre petit groupe un certain air qui me pla?t. Un homme sensible et fin y go?terait un rare plaisir, ? la condition de n'?tre pas amoureux.

Mais l'amour est turbulent, taquin, satirique; il est tout nerf et muscle, et il bouscule volontiers les gens assis paisiblement et devisant en cercle. J'ai envie de mordre, de dire des mots qui fassent mal ? quelqu'un, et de marcher, comme un gamin, sur un pois fulminant, au milieu de la r?union sereine. Puis cela passe, et je demanderais pardon de mes vell?it?s d'incartade.

Elle m'a dit:

--Vous ?tes m?chant. Que c'est laid!

D'autres fois, je me jetterais au cou de n'importe qui; j'embrasserais tout le monde; tout le monde, oui, mais non pas elle... A elle, j'aimerais, en m'inclinant tr?s bas, ? lui baiser pieusement ses petites mules, pas plus... Quand j'ai, devant elle, ce d?sir, je me couvre les yeux et le front avec la main, car il me semble qu'il est ?crit en feu sur mon visage.

Mon amour est d'une jeunesse qui m'?tonne. On dirait qu'il manque de pr?c?dent et qu'il a ? inventer de toutes pi?ces sa tenue et sa conduite futures. Il ne s'est pas encore exprim?, il n'a pas attaqu?; ce n'est pas du tout l'amour qui fonce sur l'objet. Il a des ?nervements et des langueurs. Tant?t il s'imagine heureux,--c'est bien facile!--et il est ivre; tant?t il a la vision d'obstacles insurmontables, qui l'?pouvantent: alors il se suicide et agonise th??tralement, sans qu'il ait ?prouv? ses forces.

Je suis parti inopin?ment pour un petit voyage arch?ologique en Bourgogne. A mon retour, je trouve un mot de madame de Pons, vieux de quatre jours, et me priant ? d?ner le lendemain. Je cours expliquer mon absence.

Elle m'a re?u. Elle m'a dit qu'elle ?prouvait le besoin que ses amis ne s'?loignent pas d'elle, m?me pour huit jours, sans la pr?venir; qu'elle s'appuyait sur eux, que, l'un d'eux manquant, c'?tait une br?che ? la rampe de l'escalier, tout ? coup, et que cela lui <>. Elle a port? la main ? sa poitrine, a pris une bribe d'?toffe entre deux ongles et l'a tortill?e: la marque en est demeur?e visible au drap, le temps de ma visite. Elle m'a dit:

--Vous comprenez?

Je comprenais que c'est une femme qui sent sa vie bris?e et ? qui les amiti?s fid?les sont pour le moment le plus efficace secours. Me trouvant pour la premi?re fois seul avec elle depuis son malheur, je remarquais combien l'?v?nement l'avait affect?e. Elle me l'avouait ? sa mani?re: en me disant combien elle tenait ? nous, elle confessait combien son mari lui manquait. Mais manquait-il ? son amour? ou manquait-il ? sa vie de femme du monde?... Comment savoir? Elle-m?me distinguait-elle?

Elle est sensible ? la n?gligence de quelques hommes qui se montrent moins depuis qu'elle habite chez sa m?re. Ce sont ceux qui, chez elle, autrefois, ?taient du groupe de son mari plut?t que du sien. Je m'effor?ai de lui faire entendre que ce n'?taient pas ceux-l? ses meilleurs amis, ? elle: ils ne l'estimaient pas ? sa valeur; elle-m?me, avec eux, n'?changeait point de propos qui comptent. Tout de m?me, elle les regrette; elle ne veut pas avouer qu'elle pr?f?rait les uns aux autres, bien que, ?videmment, elle les pr?f?r?t. Elle regrette surtout sa maison, son salon. Il est possible qu'elle ne regrette son mari qu'en tant qu'il ?tait celui qui lui donnait un nom, une situation dans le monde.

En me parlant, le coeur gros, de ces chagrins-l?, elle glissait peut-?tre ? de plus graves confidences. D'une chiquenaude, je l'y pouvais pousser; mieux m?me, en jouant un r?le passif, je voyais une femme s'attendrir et me r?v?ler d'un coup ce que j'eusse fait campagne pour d?couvrir. Mais je l'arr?tai.

L?chet? de ma part? Je ne sais. Crainte d'apprendre un secret du coeur redoutable? C'est possible. En v?rit?, je ne pourrais dire qui m'ordonna de faire d?vier la conversation. Quel que f?t le secret du coeur, favorable ou non ? mon sentiment, j'en pouvais profiter, car celui qui a re?u une confidence s'?l?ve au-dessus de celui qui l'a faite, et je me haussais de quelques degr?s dans l'intimit? de la femme que j'aime. Mais je fus si sec, je parus si ?tranger ? son d?sir d'effusion que, d'elle-m?me, madame de Pons s'arr?ta court et me dit:

--Voyons! causons arch?ologie...

A peine hors de chez elle, d?s mon premier pas dans la rue, voici l'attaque de d?sespoir, avec la reconstitution de ma visite ? madame de Pons, telle qu'elle aurait pu ?tre. Et mille petites circonstances de cet entretien, d?tails r?els, que je n'invente pas, dont j'ai ?t? t?moin, mais que ma conscience, occup?e ailleurs, a n?glig?s, se repr?sentent ? moi avec la nettet? d'une hallucination.

Son entr?e dans le petit salon, mon ?moi!... Ses entr?es ?branlent en moi un monde; je porte tout un peuple en alarme. C'est son regard qui m'impr?gne d'abord, puis je vois la couleur de sa robe, le relief d'un genou, celui de la poitrine, puis ses cheveux dans la lumi?re, puis sa bouche ?clatante et pure, sa main ? baiser, en m?me temps que son parfum m'atteint et m'enveloppe dans une nu?e dont je crois discerner et toucher la molle vapeur. Mais le son de sa voix rafle tout, toute ma sensibilit? est ? lui.

J'ai donc ?t? vis-?-vis d'elle, seul ? seule, par un hasard qui peut ne se pas pr?senter de nouveau. Jamais je n'ai ?t? aussi certain qu'elle e?t besoin d'affectueuses paroles, jamais invitation plus douce ne me fut faite ? les lui dire; jamais je n'?prouvai plus d?bordante envie de causer tendrement avec elle; jamais les mots ne me fussent venus, sans doute, meilleurs, plus inspir?s, jamais occasion ne s'offrira de les dire plus ? propos! Et non seulement je n'ai rien dit, mais, de ma vie, je ne parus plus indiff?rent. J'eusse ?cout? la premi?re venue, une mendiante dans un square, une prostitu?e narrant son infortune: je n'ai pas fait ? madame de Pons l'honneur de seulement l'entendre.

Je me repentirais moins d'une mauvaise action que de la sottise que j'ai commise. Quand on aime bien, ne dirait-on pas que c'est la premi?re fois qu'on aime?

Je me souviens d'avoir aim?! Cependant, si je songe ? madame de Pons, avoir aim? me para?t pu?ril. Chose curieuse: je ne songe pas ? ?tre l'amant de madame de Pons; si je le suis un jour, la force des choses aura d?termin? ce d?nouement; je n'ai pas l'intention de h?ter ce d?nouement; cependant je suis au d?sespoir si je viens ? m'aviser que je m'en ?loigne... Mon sentiment est d'une essence plus fine que ceux que j'ai ?prouv?s. Quel est-il donc? Je n'en sais rien; mais je sens en moi, profond?ment, je sens que le brutal Amour des carrefours, celui qui pr?side tout nu ? l'union des sexes, s'en rit; je l'entends, le gavroche: il m'appelle <>!

M?me jour.

A d'autres moments, le souvenir de la sottise que j'ai commise en mon t?te-?-t?te avec madame de Pons me revient sous un autre aspect: il me donne de la fiert?. J'ai sacrifi? le plaisir de manifester mon sentiment ? la joie hautaine de garder mon sentiment tout en moi. Ma bouche a voulu taire mes int?r?ts imm?diats: qui sait si elle n'a pas ob?i ? l'ordre obscur de la partie de mon ?me la mieux ?prise et, en d?finitive, la plus s?re gardienne de mon amour? L'amour a des fa?ons et un langage secrets qui nous ?chappent ? nous-m?mes; quand nous croyons qu'il a agi maladroitement, peut-?tre plaide-t-il avec la plus s?re ?loquence, et l'?me ? qui il s'adresse et que nous jugeons pour nous perdue, il l'a gagn?e, c'est possible!

La maison qu'habite madame Delaunay, rue du Bouquet-d'Auteuil, a un petit jardin, de quoi faire environ vingt pas de long en large, o? il y a l'amorce d'une all?e de charmes tr?s ancienne, qu'un mur et des constructions modernes ont coup?e. Elle part, la belle all?e, et aussit?t l'on est au bout. Jusqu'o? menait-elle autrefois?... De plus fortun?s que nous se sont promen?s l?-dessous, sans compter leurs pas; ils avaient devant eux l'espace, l'attrayant espace, qui est comme une garantie, une s?curit?: l'image du temps que la destin?e nous conc?de. Sous de longues charmilles, on ?tait moins press?: on avait le loisir de penser; on laissait m?rir et tomber ? son heure un grave aveu; des couples partis d'ici timides encore ont pu l?-bas, l?-bas, au fin bout de l'all?e ancienne, se toucher la main, et les l?vres ? leur retour, ayant dit tout ce qu'il fallait pour qu'ils en vinssent l?, d?cemment... On ne sait pas ce que nous avons perdu, avec les longues all?es des jardins! En rognant tout, on nous a fait le souffle court; nous nous h?tons: nos conclusions sont pr?matur?es et nos amours trop t?t cueillies ont go?t de vert.

--Voil? bien des ann?es, dit madame de Pons, que nous connaissons ces six arbres align?s au fond du petit jardin de maman: nous n'avons jamais song? qu'ils aient pu faire partie d'autre chose que de ce bout de jardin!...

J'ai offert de rechercher les vieux plans du ch?teau de Boulainvilliers et des d?pendances, afin d'y retrouver la charmille:

--Non! non! s'est ?cri?e madame de Pons, imaginons-la; comme c'est plus joli!

Cependant elle s'est int?ress?e soudain au jardin voisin, o? des marronniers et des ormes charg?s d'ann?es font une for?t de verdure vingt fois grande comme le jardin de madame Delaunay. Le mur est bas, un banc s'y adosse: elle a grimp? sur le banc; je l'y ai suivie; nos regards ont p?n?tr? ensemble dans l'ombre du sous-bois profond. Un petit lac refl?tant la lueur d'un bec de gaz, un vase blanc, un marbre, seuls, gardaient quelque apparence; un chat s'enfuit et fit plonger des grenouilles; peu ? peu nous discern?mes une muraille de lierre, les arcades d'une orangerie, une chaumi?re rustique; au bord de l'eau, un saule. L'air ?tait calme; nous f?mes taire madame Delaunay et quelques amis qui bavardaient; on entendait, par intervalles, dans les nu?es du feuillage, un oiseau frissonner. Je dis:

--Curieuse!... curieuse!...

Elle me toucha, d'un doigt, le dessus de la main, puis elle porta ? sa bouche--sans arri?re-pens?e, certes!--l'extr?mit? de ce m?me doigt et fit:

--Chut!...

Pour la mieux voir, je descendis du banc. Elle avait une robe de foulard, ? ramages, et la relevait, de la main gauche, en arri?re, jusqu'? la cheville; en se haussant, elle pliait la fine semelle des souliers vernis; du salon, une lampe, au travers d'un abat-jour rose, la caressait d'une lueur de veilleuse.

Je lui tendis la main, pour qu'elle m?t pied ? terre: elle sauta. Un instant, court, presque inappr?ciable, je l'ai soutenue, elle, tout son corps, par sa main, entre mes doigts...

On parle de vitesse: trains ?lectriques, transatlantiques, automobiles: mais la rapidit? de la fuite des jours! <> <>, <>, <> paroles de voyageurs! Et nous attendons demain, la semaine prochaine et la future ann?e avec impatience. Nous ne vivons pas, nous sommes sans cesse sur le point de vivre: <> <> <> ou bien: <>--O amour de l'?t? prochain!

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