Read Ebook: Pour l'Amour du Laurier: Roman by Gilbert De Voisins Auguste Lou S Pierre Author Of Introduction Etc
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Ebook has 1732 lines and 64073 words, and 35 pages
L'image lui revenait alors de ce parc o? il vivait jadis de fa?on si princi?re, du grand parc et de ses entours... oh! la prairie surtout! la prairie en pente qui menait aux reflets de la rivi?re. Dominant cet univers d'herbe douce, il y avait deux grands ch?nes qui bruissaient majestueusement...
Il fait dans la chambre une chaleur d'?tuve. Sylvius sent sa t?te peser. Les souvenirs sont toujours malsains. Il ouvre la fen?tre et s'assied sur le bord. De ce rez-de-chauss?e qu'il habite, on a une perspective de promeneur.
Des voitures passent, emportant de jolies personnes, plus jolies d'avoir pass? si vite. Une victoria vernie s'arr?te devant la maison d'en face. Deux femmes en descendent, minces, bien habill?es: deux gravures de modes. Des gens se retournent et regardent.--Les beaux manteaux! et ces chapeaux ? fleurs sombres!
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Et le d?fil? continue:
Voici un g?n?ral. Son cheval piaffe comme dans les tableaux de revue.
Voici un vieillard ? lunettes que Sylvius a entendu professer au Coll?ge de France. C'est un sage et un orateur.
Ah! cette figure joyeuse et ras?e qu'on dirait aplatie par un coup de poing! Sylvius a reconnu l'acteur en renom. Il l'a si souvent applaudi!
Vraiment, c'est comme si des symboles se promenaient.
Et cet autre! Il est anonyme, mais il repr?sente tant de choses! Il regagne son quartier en traversant des rues ennemies. La casquette basse, la d?marche balanc?e, le pantalon ?troit, un certain air malpropre et suffisant... On l'a vu, sur les boulevards ext?rieurs, surveiller les amours d'une fille blonde qui l'adore.
La gloire, tout cela!
Sylvius quitte la fen?tre et va d?ner. Il ne veut pas pr?ter trop d'attention aux sauces, au vin, aux fruits... Il r?ve ailleurs... Tr?s haut.
Ici, dans l'appartement de gar?on qu'il meubla avec tant de soin, c'est la vie m?diocre et facile, indulgente, paresseuse, douce ? l'homme... L?-bas, c'est l'action, la fi?vre, les soucis... mais, lorsqu'on passe dans la rue, les gens se retournent.
Le choix de Sylvius est fait. Il veut le laurier... Et Sylvius retourne ? la fen?tre ouverte d'o? l'on voit le monde.
La nuit est acide et mordante. La rue tranch?e de lumi?res et d'ombres, blafarde ou noire, froide, trop droite, va jusqu'? ce lointain o? elle se m?lange ? des brumes. Sylvius soupire. Un bec de gaz le consid?re, ironique, avec son oeil de cyclope clignant sous un sombre chapeau.
En v?rit?, le paysage n'a rien qui s?duise: des ?chafaudages autour d'une maison ? moiti? construite, des palissades, des pl?tras, une brume de fum?e... Et Sylvius, un peu transi, songe ? la prairie en pente qui m?ne ? la rivi?re.
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Persane pose un doigt sur sa tempe et ses l?vres ?bauchent des paroles:
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Qu'elle ?tait belle cette grande masse de feuillage poreux! Quand il la regardait jadis, l'esprit ? la d?rive, son r?ve, ? force d'?tre r?v?, prenait corps, et, bient?t, dans le monde sup?rieur de la verdure, des femmes paraissaient, nues et charmantes, qui lui souriaient entre les feuilles et lui chantaient parfois sa gloire future.
Sylvius pr?ta l'oreille aux bruits de la ville endormie pour les d?nigrer et les ha?r.--Il y en avait beaucoup, c'?tait tr?s compliqu?: un fracas de charrettes, une chemin?e en querelle avec le vent, des murmures, des pas de passants, mille autres choses...
Seuls, quelques sons indistincts lui plurent par certain air de chanson gracieuse et d?faillante. On e?t dit le cri d'un marchand ambulant: deux notes hautes d'abord, puis deux notes basses, et le reste en notes hautes avec une fin tout ? fait pointue.
Et le jeune homme vit, en se penchant vers la rue, la forme grise d'une vieille femme qui se h?tait. Elle portait sur l'?paule un long b?ton au-dessus duquel flottaient des choses rondes et color?es, assez semblables aux ballons que des vendeurs retiennent dans les all?es d'un parc ? la mode.
Deux noctambules d?pass?rent la vieille et ne parurent point l'avoir vue...
Sylvius soupira, songeant aux vagues murmures du feuillage, aux entretiens des rossignols, aux corolles des roses. La ville lui parut un lieu morne et lui-m?me se sentit d?sol?, plus d?sol? encore, parce qu'il ?tait trop seul. Il e?t d?sir? la caresse d'une chevelure, des gestes voluptueux, un nuage qui passe, le sourire du soleil, des paroles apaisantes, un champ de bl? o? les coquelicots mettent des points de sang clair, un baiser surtout, ce baiser qui fait toucher ? la gloire, ne f?t-ce qu'un instant... Pourtant n'?tait-ce point ? Paris que se distribuent les ?treintes et les couronnes?
Et, comme si cette incertaine nuit, elle-m?me, avait parl?, une voix ancienne, fine et tremblante, dit ? Sylvius:
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La femme aux ballons!
Sylvius tressaillit. Une interrogation faite de plain pied indispose d'ordinaire.
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Il n'avait point entendu cette vieille s'approcher. Avait-elle donc une d?marche aussi peu sensible que la fuite d'une feuille sur les eaux? Sa figure ?tait toute compos?e de rides, et l'on ne voyait en elle que des marques d'ann?es. Sur son ?paule ?tait appuy? un long b?ton, et, du nuage de grosses boules qui flottait au-dessus de sa t?te, sortait un murmure comme d'une soci?t? de moineaux, ou d'une lointaine ?cole la?que en promenade. Elle ?tait ainsi entour?e d'un bruissement, ou, mieux, d'un petit gazouillis de confessional.
Sylvius ne sut que penser de cette apparition impr?vue, mais il s'y habitua aussit?t. Le souvenir des belles dames qui vivaient, toutes nues, dans les ch?nes, avait mis son esprit en ?tat d'accepter la plus audacieuse fantaisie.--Avec cette vieille, si proprette, et dont les haillons avaient un air soyeux et compos?, il causa d'abord, comme il e?t fait, le soir d'un bal, avec un masque en intrigue.
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La vieille d?fripa d'un doigt vif les loques de sa robe et r?pondit:
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Durant qu'elle parlait, le jeune homme se sentait parcouru d'une ?trange souleur. Il y avait, dans la voix de cette vieille, un timbre sans pr?c?dent, des modulations inou?es, un ton de myst?re dont la surprise ?tait nouvelle, et c'?tait comme si le souffle d'une d?esse franchissait des l?vres sensibles et bien humaines, comme si se manifestait, dans une chair mortelle, l'essence de la f?e.
Sylvius pressentait quelque ?merveillement. Celle qui discourait ainsi, m?lodieuse, n'avait point l'esprit perdu. Encore moins avait-elle concert? les d?chirures de sa robe pour se distraire ? une plaisanterie sans t?moins. Cette femme ?tait trop pareille ? celles dont la lecture d'historiettes poussi?reuses lui avait appris ? peupler ses veilles et ses nuits... mais, quand il entendit qu'elle pronon?ait son nom, les syllabes qui le d?signaient au monde ?veill?rent en lui des notions pr?cises et, brusquement, il se reprit.
Dans quel cauchemar ?tait-il entr?? Quelle ?tait la qualit? de cette passante? Une frayeur indubitable et glac?e s'abattit sur lui. Il eut un geste qui repoussait ce prestige de l'ombre. Il essaya vainement de fermer la fen?tre, de s'enfuir, de crier,--mais la voix reprit, douce comme le vieil ?cho d'un ancien murmure:
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La chair rugueuse, les tempes moites, Sylvius b?gaya:
< --Comment je sais vos sentiments les plus intimes?... Ecoutez!...>> Elle tendit ses maigres doigts vers les yeux de Sylvius et dit: < --Mais... qui ?tes-vous donc? murmura Sylvius en un soupir rauque. --Marchande, mon ami, je suis marchande d'amours, et m?me j'oublie, ? causer avec vous, les devoirs de ma profession.>> Elle recula de quelques pas dans la rue et chanta: < On e?t dit que, dans un bois, une fl?te pr?ludait. En outre, la myst?rieuse musique qui planait au-dessus de la vieille se fit plus forte. On y distinguait maintenant le son de diverses petites voix.--Sylvius tomba dans un fauteuil et se mit ? pleurer d'?pouvante. Il ne pouvait d?tacher son regard de la figure ?trange de cette femme qui lui souriait, l?, tout pr?s, dans la rue... Tant de sensations nouvelles l'accablaient que de longues larmes gliss?rent sur ses joues. Qu'avait-il fait pour perdre ainsi la raison? Soudain, maigre et l?g?re, la vieille bondit sur le rebord de la fen?tre et de l? dans la chambre, entra?nant ? sa suite le nuage musical qui bourdonnait au bout du b?ton.
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