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Read Ebook: Variété I by Val Ry Paul

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Ebook has 319 lines and 58246 words, and 7 pages

VARI?T?

OEUVRES DU M?ME AUTEUR

?DITIONS DE LA NOUVELLE REVUE FRAN?AISE

SOUS PRESSE

Po?sies.

PAUL VAL?RY

VARI?T?

quatri?me ?dition

PARIS ?DITIONS DE LA NOUVELLE REVUE FRAN?AISE 3, rue de Grenelle,

EN OUTRE, IL A ?T? TIR? 20 EXEMPLAIRES HORS COMMERCE IN-4? TELLI?RE SUR PAPIER VERG? PUR FIL LAFUMA-NAVARRE, SOUS COUVERTURE SP?CIALE, DESTIN?S A VINGT SOUSCRIPTEURS PARTICULIERS A TOUS LES OUVRAGES DE PAUL VAL?RY QUI PARAITRONT D?SORMAIS, IMPRIM?S A LEUR NOM, ET CONTENANT UNE PAGE AUTOGRAPHE.

TOUS DROITS DE REPRODUCTION ET DE TRADUCTION R?SERV?S POUR TOUS LES PAYS Y COMPRIS LA RUSSIE.

COPYRIGHT BY LIBRAIRIE GALLIMARD 1924

NOTE DE L'?DITEUR

LA CRISE DE L'ESPRIT

PREMI?RE LETTRE

Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles.

Nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers, d'empires coul?s ? pic avec tous leurs hommes et tous leurs engins; descendus au fond inexplorable des si?cles avec leurs dieux et leurs lois, leurs acad?mies et leurs sciences pures et appliqu?es, avec leurs grammaires, leurs dictionnaires, leurs classiques, leurs romantiques et leurs symbolistes, leurs critiques et les critiques de leurs critiques. Nous savions bien que toute la terre apparente est faite de cendres, que la cendre signifie quelque chose. Nous apercevions ? travers l'?paisseur de l'histoire, les fant?mes d'immenses navires qui furent charg?s de richesse et d'esprit. Nous ne pouvions pas les compter. Mais ces naufrages, apr?s tout, n'?taient pas notre affaire.

Je n'en citerai qu'un exemple: les grandes vertus des peuples allemands ont engendr? plus de maux que l'oisivet? jamais n'a cr?? de vices. Nous avons vu, de nos yeux vu, le travail consciencieux, l'instruction la plus solide, la discipline et l'application les plus s?rieuses, adapt?s ? d'?pouvantables desseins.

Ainsi la Pers?polis spirituelle n'est pas moins ravag?e que la Suse mat?rielle. Tout ne s'est pas perdu, mais tout s'est senti p?rir.

Un frisson extraordinaire a couru la moelle de l'Europe. Elle a senti, par tous ses noyaux pensants qu'elle ne se reconnaissait plus, qu'elle cessait de se ressembler, qu'elle allait perdre conscience--une conscience acquise par des si?cles de malheurs supportables, par des milliers d'hommes du premier ordre, par des chances g?ographiques, ethniques, historiques, innombrables.

Alors,--comme pour une d?fense d?sesp?r?e de son ?tre et de son avoir physiologiques, toute sa m?moire lui est revenue confus?ment. Ses grands hommes et ses grands livres lui sont remont?s p?le-m?le. Jamais on n'a tant lu, ni si passionn?ment que pendant la guerre: demandez aux libraires. Jamais on n'a tant pri?, ni si profond?ment: demandez aux pr?tres. On a ?voqu? tous les sauveurs, les fondateurs, les protecteurs, les martyrs, les h?ros, les p?res des patries, les saintes h?ro?nes, les po?tes nationaux...

Et dans le m?me d?sordre mental, ? l'appel de la m?me angoisse, l'Europe cultiv?e a subi la reviviscence rapide de ses innombrables pens?es: dogmes, philosophies, id?aux h?t?rog?nes; les trois cents mani?res d'expliquer le Monde, les mille et une nuances du christianisme, les deux douzaines de positivismes: tout le spectre de la lumi?re intellectuelle a ?tal? ses couleurs incompatibles, ?clairant d'une ?trange lueur contradictoire l'agonie de l'?me europ?enne. Tandis que les inventeurs cherchaient fi?vreusement dans leurs images, dans les annales des guerres d'autrefois, les moyens de se d?faire des fils de fer barbel?s, de d?jouer les sous-marins ou de paralyser les vols d'avions, l'?me invoquait ? la fois toutes les incantations qu'elle savait, consid?rait s?rieusement les plus bizarres proph?ties; elle se cherchait des refuges, des indices, des consolations dans le registre entier des souvenirs, des actes ant?rieurs, des attitudes ancestrales. Et ce sont l? les produits connus de l'anxi?t?, les entreprises d?sordonn?es du cerveau qui court du r?el au cauchemar et retourne du cauchemar au r?el, affol? comme le rat tomb? dans la trappe...

La crise militaire est peut-?tre finie. La crise ?conomique est visible dans toute sa force; mais la crise intellectuelle, plus subtile, et qui, par sa nature m?me, prend les apparences les plus trompeuses , cette crise laisse difficilement saisir son v?ritable point, sa phase.

Personne ne peut dire ce qui demain sera mort ou vivant en litt?rature, en philosophie, en esth?tique. Nul ne sait encore quelles id?es et quels modes d'expression seront inscrits sur la liste des pertes, quelles nouveaut?s seront proclam?es.

L'espoir, certes, demeure, et chante ? demi-voix:

L'oscillation du navire a ?t? si forte que les lampes les mieux suspendues se sont ? la fin renvers?es.

Ce qui donne ? la crise de l'esprit sa profondeur et sa gravit?, c'est l'?tat dans lequel elle a trouv? le patient.

Je n'ai ni le temps ni la puissance de d?finir l'?tat intellectuel de l'Europe en 1914. Et qui oserait tracer un tableau de cet ?tat? Le sujet est immense; il demande des connaissances de tous les ordres, une information infinie. Lorsqu'il s'agit, d'ailleurs, d'un ensemble aussi complexe, la difficult? de reconstituer le pass?, m?me le plus r?cent, est toute comparable ? la difficult? de construire l'avenir, m?me le plus proche; ou plut?t, c'est la m?me difficult?. Le proph?te est dans le m?me sac que l'historien. Laissons-les-y.

Mais je n'ai besoin maintenant que du souvenir vague et g?n?ral de ce qui se pensait ? la veille de la guerre, des recherches qui se poursuivaient, des oeuvres qui se publiaient.

Eh bien! l'Europe de 1914 ?tait peut-?tre arriv?e ? la limite de ce modernisme. Chaque cerveau d'un certain rang ?tait un carrefour pour toutes les races de l'opinion; tout penseur, une exposition universelle de pens?es. Il y avait des oeuvres de l'esprit dont la richesse en contrastes et en impulsions contradictoires faisait penser aux effets d'?clairage insens? des capitales de ce temps-l?: les yeux br?lent et s'ennuient... Combien de mat?riaux, combien de travaux, de calculs, de si?cles spoli?s, combien de vies h?t?rog?nes additionn?es a-t-il fallu pour que ce carnaval f?t possible et f?t intronis? comme forme de la supr?me sagesse et triomphe de l'humanit??

Maintenant, sur une immense terrasse d'Elsinore, qui va de B?le ? Cologne, qui touche aux sables de Nieuport, aux marais de la Somme, aux craies de Champagne, aux granits d'Alsace,--l'Hamlet europ?en regarde des millions de spectres.

Mais il est un Hamlet intellectuel. Il m?dite sur la vie et la mort des v?rit?s. Il a pour fant?mes tous les objets de nos controverses; il a pour remords tous les titres de notre gloire; il est accabl? sous le poids des d?couvertes, des connaissances, incapable de se reprendre ? cette activit? illimit?e. Il songe ? l'ennui de recommencer le pass?, ? la folie de vouloir innover toujours. Il chancelle entre les deux ab?mes, car deux dangers ne cessent de menacer le monde: l'ordre et le d?sordre.

--Adieu, fant?mes! Le monde n'a plus besoin de vous. Ni de moi. Le monde, qui baptise du nom de progr?s sa tendance ? une pr?cision fatale, cherche ? unir aux bienfaits de la vie, les avantages de la mort. Une certaine confusion r?gne encore, mais encore un peu de temps et tout s'?claircira; nous verrons enfin appara?tre le miracle d'une soci?t? animale, une parfaite et d?finitive fourmili?re.>>

Je vous disais, l'autre jour, que la paix est cette guerre qui admet des actes d'amour et de cr?ation dans son processus: elle est donc chose plus complexe et plus obscure que la guerre proprement dite, comme la vie est plus obscure et plus profonde que la mort.

Mais le commencement et la mise en train de la paix sont plus obscurs que la paix m?me, comme la f?condation et l'origine de la vie sont plus myst?rieuses que le fonctionnement de l'?tre une fois fait et adapt?.

Tout le monde aujourd'hui a la perception de ce myst?re comme d'une sensation actuelle; quelques hommes sans doute, doivent percevoir leur propre moi comme positivement partie de ce myst?re; et il y a peut-?tre quelqu'un dont la sensibilit? est assez claire, assez fine et assez riche pour lire en elle-m?me des ?tats plus avanc?s de notre destin que ce destin ne l'est lui-m?me.

Une premi?re pens?e appara?t. L'id?e de culture, d'intelligence, d'oeuvres magistrales est pour nous dans une relation tr?s ancienne,--tellement ancienne que nous remontons rarement jusqu'? elle,--avec l'id?e d'Europe.

Tout est venu ? l'Europe et tout en est venu. Ou presque tout.

Or, l'heure actuelle comporte cette question capitale: l'Europe va-t-elle garder sa pr??minence dans tous les genres?

Qu'on me permette, pour faire saisir toute la rigueur de cette alternative, de d?velopper ici une sorte de th?or?me fondamental.

Consid?rez un planisph?re. Sur ce planisph?re, l'ensemble des terres habitables. Cet ensemble se divise en r?gions, et dans chacune de ces r?gions, une certaine densit? de peuple, une certaine qualit? des hommes. A chacune de ces r?gions correspond aussi une richesse naturelle,--un sol plus ou moins f?cond, un sous-sol plus ou moins pr?cieux, un territoire plus ou moins irrigu?, plus ou moins facile ? ?quiper pour les transports, etc.

Examinons maintenant non pas cette classification th?orique, mais la classification qui existait hier encore dans la r?alit?. Nous apercevons un fait bien remarquable et qui nous est extr?mement familier:

La petite r?gion europ?enne figure en t?te de la classification, depuis des si?cles. Malgr? sa faible ?tendue,--et quoique la richesse du sol n'y soit pas extraordinaire,--elle domine le tableau. Par quel miracle?--Certainement le miracle doit r?sider dans la qualit? de sa population. Cette qualit? doit compenser le nombre moindre des hommes, le nombre moindre des milles carr?s, le nombre moindre des tonnes de minerai, qui sont assign?s ? l'Europe. Mettez dans l'un des plateaux d'une balance l'empire des Indes; dans l'autre, le Royaume-Uni. Regardez: le plateau charg? du poids le plus petit penche!

Nous avons sugg?r? tout ? l'heure que la qualit? de l'homme devait ?tre le d?terminant de la pr?cellence de l'Europe. Je ne puis analyser en d?tail cette qualit?; mais je trouve par un examen sommaire que l'avidit? active, la curiosit? ardente et d?sint?ress?e, un heureux m?lange de l'imagination et de la rigueur logique, un certain scepticisme non pessimiste, un mysticisme non r?sign?... sont les caract?res plus sp?cifiquement agissants de la Psych? europ?enne.

Qu'a-t-il fallu faire pour r?aliser cette cr?ation fantastique?--Songez que ni les ?gyptiens, ni les Chinois, ni les Chald?ens, ni les Indiens n'y sont parvenus. Songez qu'il s'agit d'une aventure passionnante, d'une conqu?te mille fois plus pr?cieuse et positivement plus po?tique que celle de la Toison d'Or. Il n'y a pas de peau de mouton qui vaille la cuisse d'or de Pythagore.

Ceci est une entreprise qui a demand? les dons le plus commun?ment incompatibles. Elle a requis des argonautes de l'esprit, de durs pilotes qui ne se laissent ni perdre dans leurs pens?es, ni distraire par leurs impressions. Ni la fragilit? des pr?misses qui les portaient, ni la subtilit? ou l'infinit? des inf?rences qu'ils exploraient ne les ont pu troubler. Ils furent comme ?quidistants des n?gres variables et des fakirs ind?finis. Ils ont accompli l'ajustement si d?licat, si improbable, du langage commun au raisonnement pr?cis; l'analyse d'op?rations motrices et visuelles tr?s compos?es; la correspondance de ces op?rations ? des propri?t?s linguistiques et grammaticales; ils se sont fi?s ? la parole pour les conduire dans l'espace en aveugles clairvoyants... Et cet espace lui-m?me devenait de si?cle en si?cle une cr?ation plus riche et plus surprenante, ? mesure que la pens?e se poss?dait mieux elle-m?me, et qu'elle prenait plus de confiance dans la merveilleuse raison et dans la finesse initiale qui l'avaient pourvue d'incomparables instruments: d?finitions, axiomes, lemmes, th?or?mes, probl?mes, porismes, etc...

J'aurais besoin de tout un livre pour en parler comme il faudrait. Je n'ai voulu que pr?ciser en quelques mots l'un des actes caract?ristiques du g?nie europ?en. Cet exemple m?me me ram?ne sans effort ? ma th?se.

Comment ?tablir cette proposition?--Je prends le m?me exemple: celui de la g?om?trie des Grecs, et je prie le lecteur de consid?rer ? travers les ?ges les effets de cette discipline. On la voit peu ? peu, tr?s lentement, mais tr?s s?rement, prendre une telle autorit? que toutes les recherches, toutes les exp?riences acquises tendent invinciblement ? lui emprunter son allure rigoureuse, son ?conomie scrupuleuse de <>, sa g?n?ralit? automatique, ses m?thodes subtiles, et cette prudence infinie qui lui permet les plus folles hardiesses... La science moderne est n?e de cette ?ducation de grand style.

Cette denr?e, donc, se pr?parera sous des formes de plus en plus maniables ou comestibles; elle se distribuera ? une client?le de plus en plus nombreuse; elle deviendra chose du Commerce, chose enfin qui s'imite et se produit un peu partout.

R?sultat: l'in?galit? qui existait entre les r?gions du monde au point de vue des arts m?caniques, des sciences appliqu?es, des moyens scientifiques de la guerre ou de la paix,--in?galit? sur laquelle se fondait la pr?dominance europ?enne,--tend ? dispara?tre graduellement.

Ce ph?nom?ne naissant peut, d'ailleurs, ?tre rapproch? de celui qui est observable dans le sein de chaque nation et qui consiste dans la diffusion de la culture, et dans l'accession ? la culture de cat?gories de plus en plus grandes d'individus.

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