Read Ebook: Les Aspirans de marine volume 2 by Corbi Re Edouard
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Ebook has 471 lines and 29881 words, and 10 pages
LES ASPIRANS DE MARINE.
PAR ?DOUARD CORBI?RE, Auteur du N?grier.
SECONDE ?DITION.
D?NAIN ET DELAMARE, LIBRAIRES-?DITEURS, 16, rue Vivienne, ? l'entresol. 1834.
IMPRIMERIE DE COSSON, 9, rue Saint-Germain-des-Pr?s.
D?GOUT. D?LIRE.
C'?tait ainsi que quelque temps apr?s le dernier ?v?nement dont je viens de retracer les d?tails, mon ami Mathias m'exprimait les sentimens que lui inspiraient les haines trop r?elles que sa noble conduite avait soulev?es contre lui. En vain, pour apaiser son trop juste ressentiment, employais-je les meilleures raisons que je pusse trouver dans le peu de philosophie et de r?signation dont j'?tais pourvu moi-m?me: les raisons qu'il avait pour crier ? l'injustice, valaient toujours mieux que celles que j'all?guais pour l'engager ? prendre patience et ? esp?rer.
--Les malheureux! ce sont pourtant l? les chefs que l'on nous ordonne de respecter!
--Hier encore j'ai ?t? trouver le pr?fet maritime qui paraissait me vouloir un peu de bien. Je me suis plaint ? lui de la d?fiance avec laquelle on m'accueillait partout. Et sais-tu ce que le pr?fet m'a r?pondu?
--Que toutes les places sans doute ?taient prises ? bord des navires en armement!
--Pas du tout, il s'y est pris, je dois lui rendre cette justice, d'une mani?re plus franche que cela. Il m'a r?pondu qu'il croyait devoir me pr?venir, pour m'?pargner l'inutilit? de quelques d?marches p?nibles, que tous les commandans s'?taient entendus pour qu'aucun d'eux ne me pr?t ? son bord; qu'il ?tait le premier ? d?plorer cette r?solution injuste, mais qu'il ne pouvait que la bl?mer, sans qu'il lui f?t permis de chercher ? la vaincre.
--Et que lui as-tu dit alors?
--Quoi! tu l'as menac? devant le pr?fet maritime?
--Et en face de vingt ou trente brosseurs, d'habits galonn?s, accourus au bruit qu'avait d?j? fait cette sc?ne... Que veux-tu? Je ne me connaissais plus, et mon indignation a ?t? plus forte que le courage qu'il m'aurait fallu pour supporter tant d'insolence.
--Eh bien il ne manquait plus que celle-l?!... Et qu'a fait l'officier insult??
--Il a cri?, braill? comme ? l'ordinaire!... On a ordonn? aux officiers-majors et ? la garde de la pr?fecture maritime de me saisir... Mais doucement! Avec mon poignard je me suis fray? ais?ment une route entre tous ces arr?teurs, et sans ?tre oblig?, fort heureusement encore, de me servir de la pointe d'une arme que je r?servais pour une meilleure occasion... A pr?sent, me voil?, et j'attends...
--Non, il faut fuir, et pr?venir, pendant qu'il en est temps encore, le danger trop certain qui te menace!...
L'effervescence qui s'?tait empar?e graduellement des id?es de mon pauvre ami, pendant cet entretien si anim?, devint telle, que pour me prouver que je perdrais toutes mes peines ? essayer de vaincre la r?solution qu'il avait prise d'attendre son arrestation, il d?fit son habit et se jeta sur son lit.
--Allez rapporter ? l'officier sup?rieur qui a obtenu l'ordre de faire arr?ter M. Mathias, qu'il est trop tard, cria un de mes confr?res aux gendarmes; vous pourrez m?me ajouter que vous nous avez vus conduire ? l'h?pital l'aspirant qui a ?t? assez malheureux pour n'avoir pas ?t? coup? en deux par un boulet anglais!
L'HOPITAL MILITAIRE. FUITE.
Que dans l'?ge des passions ?go?stes et de l'ambition, un homme souffre, languisse et meure de la soif insatiable de la fortune et des honneurs, ce n'est l? subir qu'une de ces fatales destin?es r?serv?es ? l'infirmit? de notre esp?ce.
Qu'? cette d?plorable ?poque de la vie o?, d?sabus? des erreurs de la jeunesse et ?clair? sur la valeur r?elle de toutes les choses d'ici-bas, on se d?pouille de l'existence comme d'un habit us? par les ans et par le frottement de la soci?t?, il n'y a dans ce d?go?t de l'homme pour la terre rien qui puisse choquer profond?ment les coeurs d?senchant?s, dont le malheur est d'avoir trop v?cu. Mais qu'un enfant, ?lev? dans les habitudes s?v?res qui ont h?t? le d?veloppement de ses bouillantes facult?s, se sente d?vor?, ? l'?ge des illusions, d'une de ces maladies morales qui ne devraient attaquer que l'?ge m?r, et qu'il meure frapp? par l'injustice des hommes ou min? par l'ambition des dignit?s, voil? ce qui a droit d'affliger ?ternellement notre triste humanit?, et voil? le spectacle d?sesp?rant que n'offrait que trop souvent le d?lire des jeunes hommes lanc?s avec toutes leurs passions pr?coces dans la rude carri?re du service militaire.
Combien n'ai-je pas vu de mes amis adolescens, hommes avant le temps, ambitieux avant le terme marqu? pour l'ambition, terminer dans les langueurs d'un marasme moral, ou par un suicide plus affreux encore que ce marasme, une existence que l'injustice leur avait appris ? ne pas supporter! Quelle histoire lugubre on ferait de toutes les malheureuses passions qui ont co?t? la vie ? tant de jeunes hommes!
Un petit appartement, situ? ? l'extr?mit? d'une des salles de l'immense h?pital de Rochefort, re?ut notre camarade, presque inanim?; et bient?t, autour du lit dans lequel on nous dit de le d?poser, nous v?mes accourir les m?decins de la marine. Apr?s avoir gravement examin? l'?tat du jeune malade, le docteur en chef reconnut dans l'affection subite qui s'?tait d?clar?e chez lui, les sympt?mes caract?ristiques d'une fi?vre c?r?brale. Le traitement le plus ?nergique fut de suite ordonn?; et, ? l'empressement avec lequel tous les soins possibles se trouv?rent prodigu?s ? notre pauvre ami, nous p?mes juger de l'int?r?t g?n?ral qu'inspirait sa douloureuse situation. Le m?decin en chef, en sortant de la chambre de Mathias, manifesta du reste assez clairement le sentiment que lui faisait ?prouver tant d'esp?rance et de courage, sacrifi? ? une trop indigne et trop pu?rile jalousie.--<
Nous remerci?mes le v?n?rable m?decin en des termes qui parurent le toucher fort vivement; car, en nous quittant, il nous serra la main ? tous, et ce mouvement de sensibilit? fut d'autant plus remarqu?, que le docteur, nous dit-on, se livrait plus rarement ? des d?monstrations de ce genre.
Et ? toutes ces sombres folies produites par le d?lire de notre pauvre camarade, et ? toutes ces fantasques saillies de son imagination boulevers?e, nous pleurions, nous, enfans comme lui, au pied de son lit de douleur; nous pleurions de ces mots bizarres et ridicules qui, dans toute autre situation, auraient tant excit? la ga?t? naturelle de notre ?ge!
Dans les h?pitaux militaires, il existe de ces pieuses et saintes filles qui, apr?s avoir fait ? Dieu le sacrifice d'elles-m?mes, s'immolent encore une fois, pour prodiguer aux malades ce que les soins d'une femme ont de plus d?licat et de plus touchant, et pour offrir au premier malheureux venu, ce baume que le monde d?daignerait de verser sur les plaies repoussantes de la triste humanit?. L?, o? la piti? des autres hommes s'arr?te par ?go?sme ou par indiff?rence, la c?leste mission de ces chastes filles commence... C'est dans leurs bras qu'expire le moribond d?laiss?; c'est ? leur voix ang?lique que l'espoir rena?t dans le sein presqu'inanim? d'o? la vie semblait avoir fui... Le bless?, le phtisique, sur lesquels l'art des m?decins s'est ?puis? en efforts impuissans, deviennent leurs malades ? elles, d?s que tout au monde les a abandonn?s. Ce sont elles qui ?tudient les caprices de la souffrance pour les satisfaire, qui flattent le d?lire de la douleur pour en adoucir la poignante amertume; ce sont elles qui offrent l'appui de leurs bras infatigables, aux premiers pas du convalescent dont leur d?vouement a ranim? l'existence; et quand tout espoir s'est ?teint dans le coeur expirant du pauvre matelot ou du jeune soldat, ce sont elles encore qui re?oivent le dernier soupir de l'infortun?, pour l'offrir au ciel, avec la pri?re fervente qu'elles ?l?vent vers Dieu, au nom de celui que leur tendre z?le accompagne encore au-del? du tombeau.
Un de ces anges d'humanit? ne put voir, sans ?tre profond?ment ?mue, l'int?r?t que nous inspirait l'?tat presque d?sesp?r? de Mathias. La soeur Minime, affect?e, malgr? l'?clat de sa beaut? et de sa jeunesse, au service de la salle des officiers, ?tait parvenue sans peine ? commander, par ses nobles vertus, le respect qu'? son ?ge toutes les autres soeurs n'auraient pas obtenu peut-?tre au m?me degr? de tous leurs malades. Bienveillante sans familiarit?, r?serv?e sans mystique pruderie, elle remplissait ses devoirs les plus p?nibles avec une convenance et une bont? qui donnaient ? ses soins les plus simples un charme inexprimable. Pendant tout le temps que nous pass?mes aupr?s de notre ami, elle voulut partager nos veilles et nos fatigues; et, lorsque nous perdions tout espoir, c'?tait elle qui nous ranimait, en nous assurant avec cette confiance qu'elle puisait dans l'habitude d'observer les malades, que notre camarade ne mourrait pas...
La force physique du jeune malade, second?e par l'efficacit? d'un traitement h?ro?que, triompha de la gravit? du mal. Mathias, au bout de soixante-douze heures de souffrances inou?es et de d?lire continu, recouvra l'usage de ses sens et de sa raison... En renaissant pour ainsi dire ? la vie, il ne se montra nullement ?tonn? de nous retrouver aupr?s de lui. Il lui sembla que nous n'avions fait que ce qu'il aurait fait lui-m?me pour chacun de nous; et sa main affaiblie, en pressant la n?tre, nous dit tout ce qu'il avait ? nous dire... Peu de jours suffirent ensuite pour le conduire vers une convalescence que nous attendions avec la plus vive impatience; car il nous semblait, sans trop pouvoir encore nous expliquer le motif de nos vagues appr?hensions, que notre coll?gue ne serait en s?ret? que lorsqu'il aurait r?ussi ? quitter l'h?pital de Rochefort.
Nos craintes instinctives n'?taient, h?las! que trop bien fond?es.
Un matin, notre bon cur?, ainsi que nous l'appelions, arrive tout essouffl?. Il paraissait nous porter une grande nouvelle sur sa ronde et large figure. Il rassemble ? la h?te son conseil d'amis: la soeur Minime ?tait pr?sente.--Vous ne savez pas! nous dit-il avec myst?re; je viens d'apprendre que l'ordre d'arr?ter notre convalescent est donn?, et que cet ordre doit ?tre ex?cut? d?s que M. Mathias voudra sortir...
--Serait-il possible! nous ?cri?mes-nous.
--Tout ce qui est rigoureux est possible avec votre discipline militaire qui ne pardonne jamais, nous r?pond le v?n?rable eccl?siastique.
--Mais que faire, monsieur le cur?, dans cette inconcevable situation!
--Aller au devant des projets de ces mis?rables, dit Mathias, et me livrer ? eux, ? peine ?chapp? aux angoisses de la mort: ce sera plus beau!
--Ce serait une folie, m'empressai-je de lui r?pondre. Il faut, au contraire, leur ?chapper...
--Et comment encore? me demandent mes autres amis. Les portes de l'hospice sont si s?v?rement gard?es et toutes les issues si bien surveill?es...
Nous nous perdions en vaines recherches sur le moyen de soustraire notre camarade au nouveau danger qui le mena?ait. La soeur Minime n'avait encore rien dit. Elle attendait, avec ce tact si fin et si s?r qu'ont toutes les femmes, que nous eussions chacun exprim? notre avis pour dire le sien; et, lorsque nous en f?mes arriv?s ? repousser toutes les id?es que notre imagination nous avait d'abord sugg?r?es, la bonne soeur se contenta de regarder le vieil abb? en lui disant:--Quelques jeunes pr?tres entrent ? l'hospice et en sortent sans ?veiller aucun soup?on; et, ? votre place, monsieur l'abb?, il me semble que j'aurais d?j? trouv? le moyen d'?pargner peut-?tre un acte de rigueur ? la cruelle justice des hommes. Notre devoir, ? nous, c'est de nous sacrifier sans cesse pour la conservation des autres... On pourra condamner ici-bas notre charit?... mais notre justification est ailleurs...
--Je vous comprends ? merveille, ma soeur, reprend vivement le vieillard; mais comment voulez-vous que je m'expose?...
--Je ne veux rien, monsieur l'abb?... Je souhaite seulement que le ciel vous inspire, et je prie Dieu que l'infortun? que nous avons arrach? ? la mort, ne soit pas sit?t abandonn? par la divine providence.
Soeur Minime nous quitta en pronon?ant ces derniers mots, qui semblaient avoir jet? un trouble ind?finissable dans l'esprit de notre vieux pasteur... Nous lui parlons sans qu'il nous r?ponde; nous implorons son assistance sans que nous puissions deviner s'il nous ?coute et s'il nous comprend. A la fin le brave homme, ?chappant, comme par l'effet d'une explosion d'id?es, ? la stupeur dans laquelle nous l'avons cru plong?, nous dit avec r?solution et myst?re:--Ce soir, vous aurez de mes nouvelles... Et il nous laissa tout interdits de sa confidence et fort incertains sur le projet qu'il paraissait avoir si long-temps m?dit?.
Jamais pr?tre ne fut plus fid?le ? sa parole que notre respectable cur?. Le soir il nous arriva, dans la chambre du convalescent, plus volumineux que nous ne l'avions encore vu. Un jeune abb? l'accompagnait... Apr?s avoir ferm? en dedans la porte du cabinet, il tira de dessous sa robe une soutane, un petit chapeau et une ceinture noire.
En deux mots il nous eut bient?t instruits de son dessein, et indiqu? ? Mathias ce qui lui restait ? faire.--Allons, mon brave jeune homme, dit-il ? notre ami, faisons vite notre toilette de voyage... Je viens vous conf?rer tous les ordres en une minute. Monsieur l'abb?, que vous voyez, et qui a eu la bont? de m'accompagner dans notre exp?dition, restera ici pendant que vous passerez, sous son nom, les portes qu'il vient de franchir... Mais, jurez-moi bien que, sous le respectable habit que vous allez endosser pour un moment, il ne se passera rien contre la puret? de moeurs dont ce costume est l'indice et le symbole...
Le travestissement parut original ? Mathias; et il ne fallait rien moins qu'un exp?dient aussi bizarre pour l'engager ? renoncer ? la r?solution qu'il avait prise de ne pas fuir. Il promit au bon cur? tout ce qu'il voulut, en cachant son frac d'aspirant sous la soutane officieuse, et en nouant la ceinture noire ? franges sur le ceinturon de son poignard.
--C'est fort bien tout cela, lui dit le cur? d?s que ce changement de costume fut op?r?. Vous faites maintenant un fort joli pr?tre; mais, qu'allez-vous devenir une fois que vous aurez laiss? derri?re vous les portes de l'hospice?
--Ma foi, nous n'en savons rien encore, r?pondit Mathias; mais le ciel, qui doit veiller sur ceux qui sont devenus siens, nous assistera probablement; et, ma foi, je m'abandonne ? lui avec la plus enti?re confiance.
--Enfans que vous ?tes, r?pondit le vieux pr?tre; il faut donc encore penser pour vous ? toutes les choses de ce bas monde? Tenez, prenez cette lettre de recommandation, et lisez-moi cette adresse:
--Quoi! monsieur le cur?, ce capitaine de corsaire porte votre nom?
--Mais il me semble qu'on le porterait ? moins: c'est un de mes cousins-germains. Vous voyez qu'il est bon d'avoir des amis partout.
--Et des amis comme vous surtout.
Tous nous saut?mes au cou de notre obligeant ami. Mais qui ?tes-vous donc? lui demandions-nous en l'?touffant de nos caresses.
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