Read Ebook: Les Aspirans de marine volume 2 by Corbi Re Edouard
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Ebook has 471 lines and 29881 words, and 10 pages
Tous nous saut?mes au cou de notre obligeant ami. Mais qui ?tes-vous donc? lui demandions-nous en l'?touffant de nos caresses.
--Qui je suis, mes bons amis! nous r?pondit-il en nous poussant vers la porte et en pleurant de joie et d'attendrissement; un ancien corsaire, comme vous le serez peut-?tre un jour;... un vieux p?cheur converti qui veille, avec une ?me de p?re, sur tous les jeunes p?cheurs comme vous... Allons, partez en double, et que le bon Dieu vous pilote!... Adieu, adieu! bon voyage, et d?fiez-vous de la mar?e qui porte au vent. Adieu!
Cach? sous le costume d'emprunt qui recouvre son frac, et sous le tricorne abbatial qui ombrage sa figure encore p?le et souffrante, Mathias s'avance vers les portes de l'hospice. Le concierge, tromp? par le d?guisement qui favorise la fuite de l'aspirant, ouvre, en causant nonchalamment avec l'officier de garde, la grille qui nous s?pare encore de l'espace que nous br?lons de parcourir en libert?. L'officier, en me voyant suivre, ? la distance de quelques pas, le jeune abb? qui vient de sortir, me regarde sous le nez pour s'assurer de l'identit? de ma personne, et ne pas s'exposer ? laisser s'?vader le malade que l'on a signal? ? sa rigoureuse surveillance. Satisfait du r?sultat de son investigation, le chef du poste rentre au corps-de-garde, et moi je m'?lance, sans perdre de temps, sur les traces de mon heureux fugitif. Tous deux, en nous voyant r?unis, hors de toute atteinte et sans avoir ?veill? encore le moindre soup?on, nous nous embrassons comme deux prisonniers qui viennent de briser leurs fers; et puis, nous voil? courant les champs, au milieu de la nuit, et laissant derri?re nous l'hospice de Rochefort, dont la masse immobile va bient?t se perdre dans les t?n?bres qui nous environnent, en nous cachant enfin ? tous les yeux.
Ce ne fut qu'apr?s avoir march? jusqu'? l'?puisement de ses forces que Mathias me demanda o? nous allions.
--Et, une fois rendus l?, que ferons-nous?
--Ah bah! il n'est plus question de tout cela maintenant. Et le but que nous devons nous proposer, c'est d'arriver avant le jour ? Fouras.
--Oui, tout cela est bien facile ? dire... Arriver avant le jour! mais c'est la force qui me manque un peu.
--Eh bien, je te porterai quand tu seras au bout de la provision de vigueur qui t'est n?cessaire pour arriver ? bon port.
--Et puis, c'est aussi cette diable de soutane, qui contrarie ? tout moment mes fonctions ambulatoires. A chaque pas, elle s'engage dans mes jambes, qui d?j? ont assez de peine ? me porter. Vois plut?t, tiens.
--Et pourquoi ne la quittes-tu pas, ta soutane?
--La quitter, et jeter sit?t le froc aux orties! Non pas, s'il vous pla?t. Lisette... L'aventure est trop piquante pour ne pas pousser la farce jusqu'au bout. Un aspirant courant les champs, sous la d?froque d'un abb?, pour aller se r?fugier ? bord d'un corsaire! Je ne donnerais pas ma part de folie dans cette escapade grotesque, pour un galion d'Espagne charg? de lingots d'or. Allons, voyons: attrape ? jouer des fourchettes, ? pr?sent que me voil? un peu repos? des fatigues de la premi?re ?tape. En avant! monsieur l'aspirant de premi?re classe, en avant! L'abb? Mathias se fera un vrai plaisir de vous suivre et de naviguer dans vos eaux.
Les deux ou trois lieues que nous avions ? faire pour r?aliser notre projet d'embarquement, sont parcourues tant bien que mal. Nous arrivons, avec l'aube naissante, sur la c?te de Fouras. Quelques p?cheurs, encore ? moiti? endormis, pr?parent n?gligemment leurs bateaux pour quitter le tranquille rivage et aller chercher au large leur fortune de chaque jour. La brise venait de la mer, mais elle ?tait faible et douce, et ne pouvait emp?cher les barques de s'?loigner. J'aborde un des patrons avec l'air d'aisance que je cherche ? me donner...
--Allez-vous du c?t? de l'?le d'Aix? demandai-je ? ce bourru.
--Nous irons ou nous n'irons pas: c'est suivant comme ?a nous fera plaisir.
--Vous n'?tes gu?re poli, mon brave homme, avec des gens qui font pourtant le m?me m?tier que vous!
--Et ? quoi ?a servirait-il donc de prendre des mitaines pour parler ? un aspirant? Pourquoi venez-vous me demander si j'irons ou si je n'irons pas? Est-ce que ?a se dit, ?a?
--Mais ?a se dit quand on a des raisons pour vous demander si vous allez ? l'?le d'Aix ou si vous n'y allez pas!
--Et queux raisons encore avez-vous?
--Si vous m'aviez donn? le temps de m'expliquer, je vous aurais dit que nous cherchions une embarcation pour nous rendre en rade.
--En rade avec monsieur le cur??
--Pourquoi pas?
--Eh bien! on vous paiera votre p?che, et la journ?e, par cons?quent, ne sera pas perdue pour vous.
--Et combien est-ce que vous nous larguerez pour le fret de cette cargaison de cath?drale?
--Combien nous prendrez-vous pour le voyage? C'est ? vous de larguer le premier vos amarres.
--Vingt-cinq francs.
--Dix francs.
--Vingt francs: pas ? moins; et que la mal?diction du bon Dieu ne tombe pas sur le bateau! v'l? tout ce que je demande.
--Vingt francs pour si peu de chemin?
--Et donneriez-vous bien un sou par chaque coup d'aviron qu'il nous faudra h?ler, premier que de crocher l'?le d'Aix?
--Allons, voici quinze francs, et qu'il n'en soit plus parl?.
Le trajet fut long et p?nible; car, pendant deux heures il nous fallut ramer contre le vent et la mar?e. Le patron de la barque plac? ? la barre, profitant de la libert? d'esprit que lui laissait la mani?re dont nous naviguions, se prit ? nous accabler de questions, auxquelles, dans toute autre circonstance, nous nous serions fait un devoir de ne pas r?pondre. Mais, pour m?nager la susceptibilit? des quatre malotrus ? qui nous avions encore affaire, nous pr?mes le parti de ne pas trop mal accueillir leurs continuelles importunit?s.
--Sans ?tre trop curieux, nous demanda le ma?tre-p?cheur, pourrait-on savoir ce que va faire ? l'?le d'Aix M. le cur??
--Et pour qui faire encore, un ex-cl?siastique ? bord d'un corsaire? Pour leur-z-y dire la messe ? ce tas de r?n?gats?
--Non pas la messe! mais pour confesser un des officiers am?ricains qui a r?clam?, au lit de mort, les soins spirituels de monsieur.
--Catholiques, catholiques; ?a vous pla?t-z-? dire! C'est pas l'embarras, je me suis laiss? conter que c'?tait en partie des Fran?ais qu'il y avait ? bord de ce grand coquin de forban; et des ?cumeurs de mer, ?a peut bien ?tre des catholiques apostoliques et romains tout aussi bien comme nous!... Allons, avant un coup, mes gar?ons, nous ne sommes plus qu'? deux enc?blures de l'Am?ricain, et M. le cur?, ? ce qu'il m'a dit, a une double ration de sacr?-chien ? vous payer une fois rendus ? bord, sous sa vareuse d'?glise .
Le capitaine Moulson se promenait en cet instant sur le gaillard d'arri?re, et ce ne fut qu'apr?s avoir re?u le tr?s-humble salut de Mathias, qu'il sembla sortir de la pr?occupation ? laquelle il paraissait livr?, en faisant gravement les quinze ou vingt pas compris entre le grand m?t et le couronnement de son brick.
--A quelle circonstance dois-je l'honneur de votre visite, messieurs, nous demanda d'abord le capitaine?
--A une circonstance fort singuli?re, r?pondit mon ami, et cette lettre de votre respectable cousin va vous l'expliquer.
Le capitaine lut pr?cipitamment le petit mot que le cur? de l'h?pital nous avait donn? pour lui, et puis tendant cordialement la main ? Mathias, il s'?cria:
--H?las oui! mon capitaine, et vous voyez que je n'en suis pas plus fier pour cela.
--Et pourquoi cette friperie de pr?tre sur vos ?paules?
--Cette friperie m'a servi ? br?ler la politesse aux braves gens qui, pour prix de ma conduite, avaient pris tous les moyens n?cessaires pour me faire arr?ter ? la sortie de l'hospice.
--On l'a acquitt?.
--Et vous, on veut vous mettre la patte sur le collet, pour avoir fait ce qu'il aurait d? faire lui-m?me! Ah ?a! ils sont donc fous en France ? pr?sent!
--Mon Dieu non; ils ne sont que stupides, envieux et m?chans, et c'est ? vous que je viens demander un refuge contre les bont?s dont il leur a plu de m'accabler.
--C'est un aspirant de mes amis ? qui je dois le bonheur de me voir libre.
--Veut-il courir aussi bon bord avec vous?
--Merci, capitaine, pour le moment du moins. J'ai des raisons qui me retiennent encore dans la marine militaire.
--Tant pis, car ? mon bord, il y en a pour tout le monde. Mais si le coeur ne vous en dit pas, vous n'en mangerez pas, voil? tout, et la part sera plus forte pour les autres goulus... Ah ?a! dites donc, p?re Mathias, car c'est votre nom, n'est-ce pas? si vous voulez me faire plaisir, vous vous d?gr?erez en double de cet uniforme de pr?tre, qui commence ? faire rire trop nos gens. Tenez, les voil? tous, les gueux, ? crier d?j? qu'il y a un corbeau ? bord, et ces gaillards-l?, voyez-vous, sont si superstitieux...
--Qu'? cela ne tienne, capitaine; le d?sarmement, allez, ne sera pas long, et pour commencer je me d?pouille de ma robe et de mon rabat, ? moins cependant qu'il n'y ait quelqu'un ? confesser de ses p?ch?s ? votre bord...
--En douceur, en douceur, M. l'abb?... Tenez, donnez-moi toutes ces guenilles au mousse qui va aller les amarrer, comme un paquet pour effrayer les oiseaux, ? la paume du m?t de misaine... Cela sera plus farce que de les envoyer par dessus le bord, et j'ai dans l'id?e que ce cotillon de pr?tre nous portera bonheur, dans notre prochaine croisi?re.
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