Et notez que le brave homme de maire, qui a r?dig? et fait placarder cette ordonnance en 1886, se consid?rait comme ayant des id?es tr?s avanc?es.
Les murailles dans lesquelles vivaient les familles en ?tat d'inimiti? portaient l'indice plus ou moins apparent de leur situation; les ouvertures ?taient ? moiti? mur?es comme celles des monast?res et d?fendues par des m?chicoulis; les jardins ?taient entour?s de remparts: la terrasse b?tie au-dessus du toit ?tait prot?g?e par un parapet cr?nel?. Dans plusieurs localit?s, les habitations comportaient un four et un puits, afin qu'en cas de si?ge on p?t sans sortir faire face ? tous les besoins du m?nage. On reconnaissait facilement l'?tat d'inimiti? auquel ces demeures ?taient soumises lorsque, contrairement ? l'usage, on n'apercevait pas de linge ?tendu pour s?cher aux fen?tres et que celles-ci ?taient ferm?es comme dans les lieux o? r?gne la malaria.
L'?tranger, admis ? une hospitalit? g?n?reuse, s'?tonnait de voir le chef de famille se promener le long de la salle, s'avan?ant ou reculant tour ? tour d'une fen?tre ? l'autre dans l'attitude d'un ma?tre d'escrime. La l?gende a gard? le souvenir d'un pr?tre qui, par suite d'une inimiti? que lui avaient l?gu? ses anc?tres, resta dix ans en ?tat de quarantaine domestique. Fatigu? de compter et de mesurer sans cesse ses pas, il avait trac? des lignes de divers c?t?s pour marquer l'espace dans lequel il pourrait d?gourdir ses jambes sans risquer sa vie.
Dans certains villages, des g?n?rations presque enti?res pass?rent sans prendre aucune part ? la vie sociale. On assure que dans l'arrondissement de Sart?ne, de petits enfants, port?s sur les fonts baptismaux le jour de leur naissance, ne purent repara?tre ? l'?glise qu'apr?s que l'?ge eut blanchi leurs cheveux.
Quelquefois en approchant d'une maison d'aspect inhabit?, le voyageur lisait, coll?e sur un arbre, ? quelques m?tres de l'habitation, une affiche ainsi con?ue:
Ces avis ?taient g?n?ralement plus respect?s que ceux que placardent les agents de l'autorit?. Pour avoir contrevenu ? une interdiction de ce genre, un Lucquois eut l'oreille coup?e. Le moindre accident qui puisse arriver au d?linquant est d'?tre mis ? nu et fustig? avec un faisceau de verges et d'orties. L'ex?cution a toujours lieu en pr?sence de t?moins pour que l'exemple en soit salutaire.
LE BANDITISME
Cependant, l'acception injurieuse du mot se g?n?ralisant, les Corses, pour exprimer l'?tat d'un compatriote qui a pris le maquis, disent qu'<
Le bandit n'est pas toujours un criminel, pas m?me un meurtrier; les condamnations ? quelques jours de prison pour un simple d?lit, les contraventions les plus futiles, la loi du recrutement, auquel la population, malgr? ses go?ts belliqueux, se montrait assez r?fractaire, les luttes ?lectorales, plus chaudes en Corse que partout ailleurs, ont jet? des quantit?s d'insulaires dans le maquis. Tous n'y rest?rent pas, et nous pourrions citer plus d'un bandit qui a fourni par la suite une tr?s honorable carri?re dans l'administration ou dans l'arm?e. D'autres entra?n?s par les circonstances ont fait de nombreuses victimes et ont fini par porter leur t?te sur l'?chafaud. Cependant, on peut dire du banditisme, comme du journalisme, qu'il m?ne ? tout, ? la condition d'en sortir.
En 1768, la Corse ?tant pass?e sous la domination fran?aise, le nouveau r?gime se montra trop s?v?re, car il oublia souvent qu'il avait affaire non ? des criminels de droit commun, mais ? des hommes qui ne voulaient pas plus reconna?tre au roi de France le droit de les acheter qu'? la r?publique celui de les vendre.
Le premier ?dit concernant la vendetta est du mois de juin de 1769. Il est ainsi con?u: <
Les ordonnances de mars et de juin 1770 s'expriment ainsi:
< < La justice ne se contenta pas d'ex?cuter les ?dits ? la lettre; elle inventa des supplices nouveaux contre les gens qui portaient des armes sans permission. Quand on en trouvait, on pliait deux grosses branches d'arbres de fa?on ? les rapprocher, ? l'une on attachait les jambes, ? l'autre les bras du coupable, puis on rendait ? l'arbre sa libert?. Les branches en reprenant leur position naturelle brisaient le corps du supplici?. Il avait log? trois semaines chez un pr?tendu bourgeois qui avait de bonnes mani?res et une maison de belle apparence. Il lui laissa donc avec confiance sa cassette contenant pour 4.000 livres d'argenterie, de bijoux et d'argent qui, ? son retour, lui fut remise intacte. Jaussin sollicite sa gr?ce, et l'obtint sous condition qu'il servirait dans le Royal-Corse. Apr?s quelques mois, il d?serta pour retourner ? son premier m?tier. Ce respect de l'hospitalit? fut toujours un des points caract?ristiques de la race corse, m?me parmi les gens en ?tat d'inimiti?. Napol?on disait ? Sainte-H?l?ne: < Le gouvernement de la Restauration supposant, non sans quelque raison, que les Corses resteraient en grande majorit? attach?s ? la dynastie imp?riale, soumit malencontreusement l'?le ? des lois d'exception. Une maladresse du g?n?ral Berthier causa les premiers malentendus. Celui-ci, d?s 1814, frappait le d?partement d'une contribution extraordinaire de 500.000 francs sous pr?texte que les besoins imp?rieux du service public l'exigeaient. Les gros contribuables de Bastia prirent une r?solution ?nergique. L'un d'eux se rend chez le sous-pr?fet qui l'accueille ? peu pr?s en ces termes: < Il sortit en disant ces mots et rencontra sur l'escalier un des principaux chefs de la conspiration, qui montait ? la sous-pr?fecture. Ils retourn?rent ensemble pour avertir leurs amis et ameuter le peuple. Il ?tait onze heures du matin. Le sous-pr?fet et le maire, pour emp?cher le d?sordre, coururent chez le g?n?ral commandant la place, mais celui-ci n'avait pas encore mis ses bottes que la citadelle ?tait prise par les conjur?s. Ces maladresses, auxquelles s'ajout?rent de v?ritables d?nis de justice, indign?rent l'opinion publique. On manifesta ouvertement en faveur des bandits qui s'affili?rent aux soci?t?s secr?tes et se firent presque tous carbonari. D'anciens soldats de Napol?on, d'anciens officiers m?me se m?l?rent ? eux et les dirig?rent. Enfin, les trait?s d'extradition coupant aux bandits toute retraite, ils s'organis?rent en bandes et se donn?rent des chefs, des constitutions. Ils devinrent alors r?ellement redoutables. En 1816, le marquis de Rivi?re, gouverneur de la Corse, dans un acc?s de z?le intempestif, r?solut de saisir les diamants de Murat que celui-ci avait confi?s ? un ancien officier de l'empereur, le commandant Poli.--Ce dernier les avait mis en d?p?t; il ne refusa pas de les remettre ? Rivi?re, mais il all?gua qu'il ne pouvait toucher au d?p?t sans l'autorisation des h?ritiers du roi de Naples. Irrit?, le gouverneur fit perquisitionner chez toutes les personnes qu'il supposait avoir eu des relations avec Murat, chez leurs parents et leurs amis. Ce fut ainsi que la femme du g?n?ral Franceschetti, fille du notaire Colonna Ceccaldi, chez qui Murat avait d?j? re?u l'hospitalit? ? Vescovato, fut d?pouill?e de tous ses v?tements par ordre du pr?fet. On ne trouva rien. Rivi?re, accompagn? du g?n?ral Delaunay, commandant la division, et du pr?fet Saint-Genest, entreprit contre le commandant Poli, une bruyante exp?dition qui sombra dans le ridicule. Il perdit des hommes, se vit d?pouiller de ses bagages et s'enfuit en laissant un nombre important de prisonniers. Sans la pr?sence d'esprit d'un officier qui coupa la corde qui remorquait le gouverneur, celui-ci ?tait pris au lasso par un habile montagnard. D?consid?r? par cette burlesque exp?dition dont Rivi?re vengea la honte sur deux malheureux jeunes gens accus?s de carbonarisme, le gouvernement de la Restauration s'ali?na toutes les sympathies. Ce fut l'?ge d'or du banditisme. Ce fut l'?poque o? les bandits les plus notoires, condamn?s plusieurs fois ? mort, se montraient au th??tre dans une loge voisine de celle du pr?fet; o? l'administration et la justice rencontr?rent contre elles coalis?es toutes les forces de la Corse. Comme presque toutes les familles avaient quelqu'un de ses membres dans le maquis, le pouvoir eut tout le monde contre lui. Le maire d'une commune d'Ajaccio poss?dait une maison ? deux ?tages, le premier ?tait occup? par le propri?taire et par sa famille; il avait lou? le rez-de-chauss?e ? la gendarmerie et le second ?tait habit? par des locataires moins notoires, mais faisant tous profession de banditisme. Tandis que les gendarmes battaient nuit et jour la campagne, ceux-ci vidaient tranquillement quelques bouteilles, jouant ? la scopa avec le maire et ses adjoints. Cela dura pr?s d'une ann?e et quand on connut la retraite des bandits, on voulut proc?der ? leur arrestation. Inutile, avertis ? temps ils avaient chang? de domicile. Le cur? de Poggio-di-Nazza, dans le Fiumorbo, prenant, en 1818, possession de sa paroisse et sachant que ses ouailles nourrissaient des sentiments hostiles ? son ?gard, entra dans l'?glise arm? ? la fa?on des bandits. Comme on s'en ?tonnait, il d?posa son fusil contre l'autel en disant: < Les protestations contre lui furent d?s lors plus discr?tes. Dans le Fiumorbo, un chef de bande ?tait ? la fois juge de paix du canton et maire de son village. Quand on requ?rait ses bons offices, il s'avan?ait le chapeau ? la main: < On raconte que cet ?nergique individu, qui n'avait pas alors plus de vingt-cinq ans, est mort officier de la L?gion d'honneur et membre du conseil g?n?ral. Le plus c?l?bre chef de bande ?tait alors Th?odore Poli, surnomm? le Roi de la Montagne: tous les bandits sollicitaient l'honneur de servir sous ses ordres. Avec ses compagnons Gallocchio et Gambini, il s'empara un jour du bourreau de Bastia et le fit fusiller ? trois cents m?tres du tribunal, ? l'endroit m?me o? un de ses hommes avait ?t? ex?cut? quelques jours auparavant. Il n'avait aucun lien de parent?, m?me ?loign?e, avec le commandant Poli. La bande subvenait ? ses besoins par des contributions lev?es sur les fonctionnaires et les cur?s. < Les eccl?siastiques se soumirent, seul le cur? de Guillaza envoya brutalement promener le percepteur. Th?odore jugea que cette r?sistance ?tait d'un mauvais exemple et pouvait devenir contagieuse. Le lendemain, il se rendit en personne au presbyt?re. Le cur? ?tait un homme d?termin?, qui avait calcul? la port?e de ses actes, et s'?tait d?cid? ? ne plus sortir qu'avec son fusil. Il disait sa messe lorsque Th?odore, accompagn? de deux de ses lieutenants, entre dans l'?glise et s'agenouille pieusement. La c?r?monie termin?e, le Roi de la Montagne s'approche du cur? et lui dit: --Vous ?tes encore ? jeun, envoyez cet enfant dire ? votre servante de vous apporter ? manger. Seulement, il est inutile qu'elle vous apporte du vin, attendu que celui de ma gourde vaut probablement mieux que le v?tre. Seul contre trois, le cur? est forc? d'ob?ir; la servante arrive, il mange de bon app?tit, et fait m?me honneur au vin de Th?odore, pour lui montrer que sa pr?sence ne l'impressionne pas. Celui-ci, de son c?t?, a la discr?tion de ne faire aucune allusion ? l'objet de sa visite, mais d?s que le repas est termin?: --Eh bien, monsieur le cur?, ?tes-vous dispos? ? r?parer l'injure qu'hier vous m'avez faite et ? payer l'imp?t? --Moins que jamais. --Et pourquoi? --Parce que vous n'avez aucun droit de lever des contributions. --Il me serait p?nible d'user ? votre ?gard de mon autorit?; veuillez, s'il vous pla?t, nous ?pargner ? tous deux ce d?sagr?ment. --Je ne payerai pas. --C'est votre dernier mot? --Oui. --Saisissez monsieur le cur?, et couchez-le par terre. En un instant, l'eccl?siastique saisi par quatre mains de fer est ?tendu sur le dos. --Persistez-vous toujours? reprend le bandit.