Read Ebook: Les Xipéhuz by Rosny J H A N Rosny J H Jeune
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Ebook has 281 lines and 18263 words, and 6 pages
Produced by: John Routh, Delphine Lettau and the volunteers at Distributed Proofreaders Canada.
M DCCC XCVI
Tous droits r?serv?s
LES FORMES
C'?tait mille ans avant le massement civilisateur d'o? surgirent plus tard Ninive, Babylone, Ecbatane.
La tribu nomade de Pjehou, avec ses ?nes, ses chevaux, son b?tail, traversait la for?t farouche de Kzour, vers le cr?puscule du soir, dans l'oc?an de la mer oblique. Le chant du d?clin s'enflait, planait, descendait des nich?es harmonieuses.
Tout le monde ?tant tr?s las, on se taisait, en qu?te d'une belle clairi?re o? la tribu p?t allumer le feu sacr?, faire le repas du soir, dormir ? l'abri des brutes, derri?re la double rampe de brasiers rouges.
Les nues s'opalis?rent, les contr?es polychromes vagu?rent aux quatre horizons, les dieux nocturnes souffl?rent le chant berceur, et la tribu marchait encore. Un ?claireur reparut au galop, annon?ant la clairi?re et l'onde, une source pure.
La tribu poussa trois longs cris; tous all?rent plus vite: des rires pu?rils s'?panch?rent; les chevaux et les ?nes m?mes, accoutum?s ? reconna?tre l'approche de la halte d'apr?s le retour des coureurs et les acclamations des nomades, fi?rement dressaient l'encolure.
La clairi?re apparut. La source charmante y trouait sa route entre des mousses et des arbustes. Une fantasmagorie se montra aux nomades.
C'?tait d'abord un grand cercle de c?nes bleu?tres, translucides, la pointe en haut, chacun du volume ? peu pr?s de la moiti? d'un homme. Quelques raies claires, quelques circonvolutions sombres, parsemaient leur surface; tous avaient vers la base une ?toile ?blouissante comme le soleil ? la moiti? du jour. Plus loin, aussi excentriques, des strates se posaient verticalement, assez semblables ? de l'?corce de bouleau et madr?s d'ellipses versicolores. Il y avait encore, de ci, de l?, des Formes quasi-cylindriques, vari?es d'ailleurs, les unes minces et hautes, les autres basses et trapues, toutes de couleur bronz?e, pointill?es de vert, toutes poss?dant, comme les strates, le caract?ristique point de lumi?re.
La tribu regardait, ?bahie. Une superstitieuse crainte figeait les plus braves, grossissante encore quand les Formes se prirent ? onduler dans les ombres grises de la clairi?re. Et soudain les ?toiles tremblant, vacillant, les c?nes s'allong?rent, les cylindres et les strates bruiss?rent comme de l'eau jet?e sur une flamme, tous progressant vers les nomades avec une vitesse acc?l?r?e.
Toute la tribu, dans l'ensorcellement de ce prodige, ne bougeait point, continuait ? regarder. Les Formes abord?rent. Le choc fut ?pouvantable. Guerriers, femmes, enfants, par grappes, croulaient sur le sol de la for?t, myst?rieusement frapp?s comme du glaive de la foudre. Alors, aux survivants, la t?n?breuse terreur rendit la force, les ailes de la fuite agile. Et les Formes, mass?es d'abord, ordonn?es par rangs, s'?parpill?rent autour de la tribu, impitoyablement attach?es aux fuyards. L'affreuse attaque, pourtant, n'?tait pas infaillible, tuait les uns, ?tourdissait les autres, jamais ne blessait. Quelques gouttes rouges jaillissaient des narines, des yeux, des oreilles des agonisants, mais les autres, intacts, bient?t se relevaient, reprenaient la course fantastique dans le bl?missement cr?pusculaire.
Quelle que f?t la nature des Formes, elles agissaient ? la fa?on des ?tres, nullement ? la fa?on des ?l?ments, ayant comme des ?tres l'inconstance et la diversit? des allures, choisissant ?videmment leurs victimes, ne confondant pas les nomades avec les plantes ni m?me les animaux.
Bient?t les plus v?loces fuyards per?urent qu'on ne les poursuivait plus. ?puis?s, d?chir?s, ils os?rent se retourner enfin vers le prodige. Au loin, entre les troncs noy?s d'ombre, continuait la poursuite resplendissante. Et les Formes, de pr?f?rence, pourchassaient, massacraient les guerriers, souvent d?daignaient les faibles, la femme, l'enfant.
Cette tr?s rassurante remarque, bient?t confirm?e par cinquante faits, tranquillisa les nerfs fr?n?tiques des fuyards. Ils os?rent attendre leurs compagnons, leurs femmes, leurs pauvres petits ?chapp?s ? la tuerie. M?me, un d'eux, leur h?ros, abruti d'abord, effar? par le surhumain de l'aventure, retrouva le souffle de sa grande ?me, alluma un foyer, emboucha la corne de buffle pour guider les fugitifs.
Alors, un ? un, vinrent les mis?rables. Beaucoup, ?clop?s, se tra?naient sur les mains. Des femmes-m?res, avec l'indomptable force maternelle, avaient gard?, rassembl?, port? le fruit de leurs entrailles ? travers la m?l?e hagarde. Et beaucoup d'?nes, de chevaux, de b?tail, revinrent, moins affol?s que les hommes.
Nuit lugubre, pass?e dans le silence, sans sommeil, o? les guerriers sentirent continuellement trembler leurs vert?bres. Mais l'aube vint, s'insinua p?le ? travers les gros feuillages, puis la fanfare aurorale, de couleurs, d'oiseaux retentissants, exhorta ? vivre, ? rejeter les terreurs de la T?n?bre.
Le H?ros, le chef naturel, rassemblant la foule par groupes, commen?a le d?nombrement de la tribu. La moiti? des guerriers, deux cents, manquait, avait probablement succomb?. Beaucoup moindre ?tait la perte des femmes et presque nulle celle des enfants.
Quand ce d?nombrement fut termin?, qu'on eut rassembl? les b?tes de somme le H?ros disposa la tribu suivant l'arrangement accoutum?, puis, ordonnant de l'attendre, seul, p?le, il se dirigea vers la clairi?re. Nul, m?me de loin, n'osa le suivre.
Il se dirigea l? o? les arbres s'espa?aient largement, d?passa l?g?rement la limite observ?e la veille et regarda.
Au loin, dans la transparence fra?che du matin, coulait la jolie source; sur les bords, r?unie, la troupe fantastique des Formes resplendissait. Leur couleur avait vari?. Les c?nes ?taient plus compacts, leur teinte turquoise avant verdi, les Cylindres se nuaient de violet et les Strates ressemblaient ? du cuivre vierge. Mais chez toutes, l'?toile pointait ses rayons qui, m?me ? la lumi?re diurne, ?blouissaient.
La m?tamorphose s'?tendant aux contour des fastamagoriques Entit?s, des c?nes tendaient ? s'?largir en cylindres, des cylindres se d?ployaient, tandis que des strates se curvaient partiellement.
Mais, comme la veille, tout ? coup les Formes ondul?rent, leurs ?toiles se prirent ? palpiter; le H?ros, lentement, repassa la fronti?re de Salut.
EXP?DITION HI?RATIQUE
La tribu de Pjehou s'arr?ta ? la porte du grand Tabernacle nomade o? les chefs seuls entr?rent. Dans le fond rempli d'astres, sous l'image m?le du Soleil, se tenaient les trois grands-pr?tres. Plus bas qu'eux, sur les degr?s dor?s, les douze sacrificateurs inf?rieurs.
Le H?ros s'avan?a, dit au long la terrifique aventure de la for?t de Kzour, que les pr?tres ?coutaient, tr?s graves, ?tonn?s, sentant un amoindrissement de leur puissance devant cette aventure extra-humaine.
Le supr?me grand-pr?tre exigea que la tribu offr?t douze taureaux, sept onagres, trois ?talons au Soleil. Il reconnut aux Formes les attributs divins, et, apr?s les sacrifices, r?solut une exp?dition hi?ratique. Tous les pr?tres, tous les chefs de la nation zahelal, devaient y assister.
Et des messagers parcoururent les monts et les plaines ? cent lieues autour de la place o? s'?leva plus tard l'Ecbatane des mages. Partout la t?n?breuse histoire faisait se dresser le poil des hommes, partout les chefs ob?irent pr?cipitamment ? l'appel sacerdotal.
Un matin d'automne, le M?le per?a les nues, inonda le Tabernacle, atteignit l'autel o? fumait un coeur saignant de taureau. Les grands-pr?tres, les immolateurs, cinquante chefs de tribu, pouss?rent le cri triomphal. Cent mille nomades, au dehors, foulant la ros?e fra?che, r?p?t?rent la clameur, tournant leurs t?tes tann?es vers la prodigieuse for?t de Kzour mollement frissonnante. Le pr?sage ?tait favorable.
Alors, les pr?tres en t?te, tout un peuple marcha ? travers les bois. Dans l'apr?s-midi, vers trois heures, le h?ros de Pjehou arr?ta la multitude. La grande clairi?re roussie par l'automne, un flot de feuilles mortes cachant ses mousses, s'?tendait avec majest?; sur les bords de la source, les pr?tres aper?urent ce qu'ils venaient adorer et apaiser, les Formes. Elles ?taient douces ? l'oeil, sous l'ombre des arbres, avec leurs nuances tremblantes, le feu pur de leurs ?toiles, leur tranquille ?volution au bord de la source.
--Il faut, dit le grand-pr?tre supr?me, offrir ici le sacrifice: qu'ils sachent que nous nous soumettons ? leur puissance!
Tous les vieillards s'inclin?rent. Une voix s'?leva, cependant. C'?tait Yushik, de la tribu de Nim, jeune compteur d'astres, p?le veilleur proph?tique, de renomm?e d?butante, qui demanda audacieusement d'approcher plus pr?s des Formes.
Mais les vieillards, blanchis dans l'art des sages paroles, triomph?rent: l'autel fut construit, la victime amen?e--un ?blouissant ?talon, superbe serviteur de l'homme. Alors, dans le silence, la prosternation d'un peuple, le couteau d'airain trouva le noble coeur de l'animal. Une grande plainte s'?leva. Et le grand-pr?tre:
--?tes-vous apais?s, ? dieux?
L?-bas, parmi les troncs silencieux, les Formes circulaient toujours, se faisant reluire, pr?f?rant les places o? le soleil coulait en ondes plus denses.
--Oui, oui, cria l'enthousiaste, ils sont apais?s!
Et saisissant le coeur chaud de l'?talon, sans que le grand-pr?tre, curieux, pronon??t une parole, Yushik se lan?a par la clairi?re. Des fanatiques, avec des hurlements, le suivirent. Lentement, les Formes ondulaient, se massant, rasant le soi, puis, soudain, pr?cipit?es sur les t?m?raires, un lamentable massacre ?pouvanta les cinquante tribus.
Six ou sept fugitifs, ? grand effort, poursuivis avec acharnement, purent atteindre la limite. Le reste avait v?cu et Yushik avec eux.
--Ce sont des dieux inexorables! dit solennellement le supr?me grand-pr?tre.
Puis un conseil s'assembla, le v?n?rable conseil des pr?tres, des anc?tres, des chefs.
Ils d?cid?rent de tracer, au-del? de la limite du Salut, une enceinte de pieux, et de forcer, pour la d?termination de cette enceinte, des esclaves ? s'exposer ? l'attaque des Formes sur tout le pourtour successivement.
Et cela fut fait. Sous menace de mort, des esclaves entr?rent dans l'enceinte. Tr?s peu, pourtant, y p?rirent, par l'excellence des pr?cautions. La fronti?re se trouva fermement ?tablie, rendue ? tous visible par son pourtour de pieux.
Ainsi finit heureusement l'exp?dition hi?ratique, et les Zahelals se crurent abrit?s contre le subtil ennemi.
LES T?N?BRES
Mais le syst?me pr?ventif pr?conis? par le conseil, bient?t fut d?montr? impuissant. Au printemps suivant, les tribus Hertoth et Nazzum passant pr?s de l'enceinte des pieux, sans d?fiance, un peu en d?sordre, furent cruellement assaillies par les Formes et d?cim?es.
Les chefs qui ?chapp?rent au massacre racont?rent au grand conseil Zahelal que les Formes ?taient maintenant beaucoup plus nombreuses qu'? l'automne pass?. Toutefois, comme auparavant, elles limitaient leur poursuite, mais les fronti?res s'?taient ?largies.
Ces nouvelles constern?rent le peuple: il y eut un grand deuil et de grands sacrifices. Puis, le conseil r?solut de d?truire la for?t de Kzour par le feu.
Malgr? tous les efforts on ne put incendier que la lisi?re.
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