Read Ebook: Œuvres complètes de Gustave Flaubert tome 7: Bouvard et Pécuchet by Flaubert Gustave
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Ebook has 3761 lines and 102747 words, and 76 pages
L'?crivain regarde, t?che de p?n?trer les ?mes et les coeurs, de comprendre leurs dessous, leurs penchants honteux ou magnanimes, toute la m?canique compliqu?e des mobiles humains. Il observe ainsi suivant son temp?rament d'homme et sa conscience d'artiste. Il cesse d'?tre consciencieux et artiste, s'il s'efforce syst?matiquement de glorifier l'humanit?, de la farder, d'att?nuer les passions qu'il juge d?shonn?tes au profit des passions qu'il juge honn?tes.
Tout acte, bon ou mauvais, n'a pour l'?crivain qu'une importance comme sujet ? ?crire, sans qu'aucune id?e de bien ou de mal y puisse ?tre attach?e. Il vaut plus ou moins comme document litt?raire, voil? tout.
En dehors de la v?rit? observ?e avec bonne foi et exprim?e avec talent, il n'y a rien qu'efforts impuissants de pions.
Les grands ?crivains ne sont pr?occup?s ni de morale ni de chastet?. Exemple: Aristophane, Apul?e, Lucr?ce, Ovide, Virgile, Rabelais, Shakespeare et tant d'autres.
Si un livre porte un enseignement, ce doit ?tre malgr? son auteur, par la force m?me des faits qu'il raconte.
Flaubert consid?rait ces principes comme des articles de foi.
Le r?aliste est celui qui ne se pr?occupe que du fait brutal sans en comprendre l'importance relative et sans en noter les r?percussions. Pour Gustave Flaubert, un fait par lui-m?me ne signifiait rien. Il s'explique ainsi dans une de ses lettres:
... Vous vous plaignez que les ?v?nements ne sont pas vari?s,--cela est une plainte r?aliste, et d'ailleurs qu'en savez-vous? Il s'agit de les regarder de plus pr?s. Avez-vous jamais cru ? l'existence des choses? Est-ce que tout n'est pas une illusion? Il n'y a de vrais que les rapports, c'est-?-dire la fa?on dont nous percevons les objets.
Nul observateur cependant ne fut plus consciencieux; mais nul ne s'effor?a davantage de comprendre les causes qui am?nent les effets.
Son proc?d? de travail, son proc?d? artistique tenait bien plus encore de la p?n?tration que de l'observation.
Au lieu d'?taler la psychologie des personnages en des dissertations explicatives, il la faisait simplement appara?tre par leurs actes. Les dedans ?taient ainsi d?voil?s par les dehors, sans aucune argumentation psychologique.
Il imaginait d'abord des types; et, proc?dant par d?duction, il faisait accomplir ? ces ?tres les actions caract?ristiques qu'ils devaient fatalement accomplir avec une logique absolue, suivant leurs temp?raments.
La vie donc qu'il ?tudiait si minutieusement ne lui servait gu?re qu'? titre de renseignement.
Jamais il n'?nonce les ?v?nements; on dirait, en le lisant, que les faits eux-m?mes viennent parler, tant il attache d'importance ? l'apparition visible des hommes et des choses.
Le proc?d? de l'?crivain r?aliste consiste ? raconter simplement des faits arriv?s, accomplis par des personnages moyens qu'il a connus et observ?s.
Le m?decin de campagne, la provinciale r?veuse, le pharmacien, sorte de Prudhomme, le cur?, les amants, et m?me toutes les figures accessoires sont des types, dou?s d'un relief d'autant plus ?nergique qu'en eux sont concentr?es des quantit?s d'observations de m?me nature, d'autant plus vraisemblables qu'ils repr?sentent l'?chantillon mod?le de leur classe.
Et c'est l? un des c?t?s les plus singuliers de ce grand homme: ce novateur, ce r?v?lateur, cet oseur a ?t? jusqu'? sa mort sous l'influence dominante du romantisme. C'est presque malgr? lui, presque inconsciemment, pouss? par la force irr?sistible de son g?nie, par la force cr?atrice enferm?e en lui, qu'il ?crivait ces romans d'une allure si nouvelle, d'une note si personnelle. Par go?t, il pr?f?rait les sujets ?piques, qui se d?roulent en des esp?ces de chants pareils ? des tableaux d'op?ra.
Est-ce l? un roman? N'est-ce pas plut?t une sorte d'op?ra en prose? Les tableaux se d?veloppent avec une magnificence prodigieuse, un ?clat, une couleur et un rythme surprenants.
La phrase chante, crie, a des fureurs et des sonorit?s de trompette, des murmures de hautbois, des ondulations de violoncelle, des souplesses de violon et des finesses de fl?te.
Et les personnages, b?tis en h?ros, semblent toujours en sc?ne, parlant sur un mode superbe, avec une ?l?gance forte ou charmante, ont l'air de se mouvoir dans un d?cor antique et grandiose.
Ce livre de g?ant, le plus plastiquement beau qu'il ait ?crit, donne aussi l'impression d'un r?ve magnifique.
Est-ce ainsi que se sont pass?s les ?v?nements que raconte Gustave Flaubert? Non, sans doute. Si les faits sont exacts, l'?clat de po?sie qu'il a jet? dessus nous les montre dans l'esp?ce d'apoth?ose dont l'art lyrique enveloppe ce qu'il touche.
Bien que cet ouvrage lui ait demand? un travail de composition surhumain, il a l'air, tant il ressemble ? la vie m?me, d'?tre ex?cut? sans plan et sans intentions. Il est l'image parfaite de ce qui se passe chaque jour; il est le journal exact de l'existence; et la philosophie en demeure si compl?tement latente, si compl?tement cach?e derri?re les faits; la psychologie est si parfaitement enferm?e dans les actes, dans les attitudes, dans les paroles des personnages, que le gros public, accoutum? aux effets soulign?s, aux enseignements apparents, n'a pas compris la valeur de ce roman incomparable.
Seuls, les esprits tr?s aigus et observateurs ont saisi la port?e de ce livre unique, si simple, si morne, si plat en apparence, mais si profond, si voil?, si amer.
C'est l?, certes, l'effort le plus puissant qu'ait jamais tent? un esprit. Mais la nature m?me du sujet, son ?tendue, sa hauteur inaccessible rendaient l'ex?cution d'un pareil livre presque au-dessus des forces humaines.
Reprenant la vieille l?gende des tentations du solitaire, il l'a fait assaillir non plus seulement par des visions de femmes nues et de nourritures succulentes, mais par toutes les doctrines, toutes les croyances, toutes les superstitions o? s'est ?gar? l'esprit inquiet des hommes. C'est le d?fil? colossal des religions escort?es de toutes les conceptions ?tranges, na?ves ou compliqu?es, ?closes dans les cerveaux des r?veurs, des pr?tres, des philosophes, tortur?s par le d?sir de l'imp?n?trable inconnu.
Puis, aussit?t achev?e, cette oeuvre ?norme, troublante, un peu confuse comme le chaos des croyances ?croul?es, il recommen?a presque le m?me sujet en prenant les sciences au lieu des religions et deux bourgeois born?s au lieu du vieux saint en extase.
Deux copistes employ?s ? Paris se rencontrent par hasard et se lient d'une ?troite amiti?. L'un d'eux fait un h?ritage, l'autre apporte ses ?conomies; ils ach?tent une ferme en Normandie, r?ve de toute leur existence, et quittent la capitale.
Alors ils commencent une s?rie d'?tudes et d'exp?riences embrassant toutes les connaissances de l'humanit?; et, l?, se d?veloppe la donn?e philosophique de l'ouvrage.
Ils se livrent d'abord au jardinage, puis ? l'agriculture, ? la chimie, ? la m?decine, ? l'astronomie, ? l'arch?ologie, ? l'histoire, ? la litt?rature, ? la politique, ? l'hygi?ne, au magn?tisme, ? la sorcellerie; ils arrivent ? la philosophie, se perdent dans les abstractions, tombent dans la religion, s'en d?go?tent, tentent l'?ducation de deux orphelins, ?chouent encore et, d?sesp?r?s, se remettent ? copier comme autrefois.
Le livre est donc une revue de toutes les sciences, telles qu'elles apparaissent ? deux esprits assez lucides, m?diocres et simples. C'est en m?me temps un formidable amoncellement de savoir, et surtout une prodigieuse critique de tous les syst?mes scientifiques oppos?s les uns aux autres, se d?truisant les uns les autres par les contradictions des faits, les contradictions des lois reconnues, indiscut?es. C'est l'histoire de la faiblesse de l'intelligence humaine, une promenade dans le labyrinthe infini de l'?rudition avec un fil dans la main; ce fil est la grande ironie d'un penseur qui constate sans cesse, en tout, l'?ternelle et universelle b?tise.
Des croyances ?tablies pendant des si?cles sont expos?es, d?velopp?es et d?sarticul?es en dix lignes par l'opposition d'autres croyances aussi nettement et vivement d?montr?es et d?molies. De page en page, de ligne en ligne, une connaissance se l?ve, et aussit?t une autre se dresse ? son tour, abat la premi?re et tombe elle-m?me frapp?e par sa voisine.
La v?rit? d'aujourd'hui devient erreur demain; tout est incertain, variable, et contient en des proportions inconnues des quantit?s de vrai comme de faux. A moins qu'il n'y ait ni vrai ni faux. La morale du livre semble contenue dans cette phrase de Bouvard: <
Les premiers romans de Flaubert ont ?t? d'abord une ?tude de moeurs tr?s vraie, tr?s humaine, puis un po?me ?clatant, une suite d'images, de visions.
Et un comique tout particulier, un comique sinistre, se d?gage de cette procession de croyances dans le cerveau de ces deux pauvres bonshommes qui personnifient l'humanit?. Ils sont toujours de bonne foi, toujours ardents; et invariablement l'exp?rience contredit la th?orie la mieux ?tablie, le raisonnement le plus subtil est d?moli par le fait le plus simple.
Ce surprenant ?difice de science, b?ti pour d?montrer l'impuissance humaine, devait avoir un couronnement, une conclusion, une justification ?clatante. Apr?s ce r?quisitoire formidable, l'auteur avait entass? une foudroyante provision de preuves, le dossier de sottises cueillies chez les grands hommes.
Quand Bouvard et P?cuchet, d?go?t?s de tout, se remettaient ? copier, ils ouvraient naturellement les livres qu'ils avaient lus et, reprenant l'ordre naturel de leurs ?tudes, transcrivaient minutieusement des passages choisis par eux dans les ouvrages o? ils avaient puis?. Alors commen?ait une effrayante s?rie d'inepties, d'ignorances, de contradictions flagrantes et monstrueuses, d'erreurs ?normes, d'affirmations honteuses, d'inconcevables d?faillances des plus hauts esprits, des plus vastes intelligences. Quiconque a ?crit sur un sujet quelconque a dit parfois une sottise. Cette sottise, Flaubert l'avait infailliblement trouv?e et recueillie; et, la rapprochant d'une autre, puis d'une autre, puis d'une autre, il en avait form? un faisceau formidable qui d?concerte toute croyance et toute affirmation.
Ce dossier de la b?tise humaine formait une montagne de notes demeur?es trop ?parses, trop m?l?es, pour ?tre jamais publi?es en entier.
Il les avait cependant class?es; mais il devait revoir cette classification premi?re, la modifier, supprimer au moins la moiti? de cet amas de documents. Voici, toutefois, l'ordre dans lequel il a laiss? ces notes:
Morale. Amour. Philosophie. Mysticisme. Religion. Proph?tie. Socialisme . Critique. Esth?tique. {P?riphrases. Sp?cimens de style. {Palinodies. {Rococo.
{Classique. { {M?dical. {Scientifique. { { {Agricole. {Cl?rical. Style. {R?volutionnaire. {Romantique. {R?aliste. {Dramatique. {Officiel des souverains. {Po?tique officiel.
HISTOIRE DES ID?ES SCIENTIFIQUES.
{Du parti de l'ordre. {Des gens de lettres. Beaut?s. {De la religion. {Des souverains.
Opinions sur les grands hommes.
Les classiques corrig?s.
Bizarreries.--F?rocit?s.--Excentricit?s.--Injures.--Sottises.--L?chet?s.
Exaltation du bas.
Charabia officiel. {Discours. {Circulaires.
IMB?CILES.
C'est donc bien l? l'histoire de la b?tise humaine sous toutes ses formes.
Quelques citations peuvent faire comprendre la port?e et la nature de ces notes.
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