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Read Ebook: La neuvaine de Colette by Schultz Jeanne

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Ebook has 1126 lines and 47909 words, and 23 pages

pliment dont la persistance et la forme surtout ne sont point enviables, et je crois que ma m?re, d'apr?s ce que je devine de son existence, aurait volontiers achet? un peu de paix du sacrifice de beaucoup de ses charmes.

Cette horreur si puissante chez ma tante s'?tend d'ailleurs ? toutes les classes de la soci?t?, aussi bien qu'? tous les ?ges.

Le bruit d'une noce montant du village jusqu'ici la met hors d'elle, et dans ses rares sorties, si le hasard place sur sa route un couple de promis ou de jeunes ?poux un peu tendres, il est ? croire qu'ils n'oublient plus apr?s cela le regard qui les a suivis.

Ce qu'elle voudrait, somme toute, c'est que son sort et son ennui fussent le sort et l'ennui communs, et, tr?s logique en cela, elle a des tendresses et des soins caract?ristiques pour les laides, les disgraci?es, les oubli?es, toutes celles qui promettent ? son amour-propre des compagnes d'infortune.

Qu'une d'elles se marie pourtant, et le charme est aussit?t rompu!...

Telle est ma tante, et telles sont les causes singuli?res de la vie que je m?ne aupr?s d'elle.

Quelle catastrophe m'a livr?e tout enfant ? ce coeur si peu tendre, je ne le sais qu'? moiti?, et je crois que la mort de mon p?re, arriv?e brusquement, est le mal dont ma pauvre m?re est morte elle-m?me peu de temps apr?s.

De la famille, ma tante Aurore restait seule , et la garde de l'orpheline lui revenait de droit; mais de la fa?on dont elle portait la charge, le poids devait lui en ?tre l?ger, et je crois qu'elle se bornait ? m'ignorer jusqu'? l'heure o?, je ne sais par quel r?veil, elle s'avisa que l'ennemie traditionnelle ?tait entr?e chez elle en ma personne, et que, par une transformation assez naturelle, la fillette se ferait femme quelque jour. Si ce ne fut pas uniquement cette id?e qui d?termina notre brusque d?part pour Erlange, au moins la raison v?ritable et celle-l? durent-elles ?clore bien pr?s l'une de l'autre, car j'avais ? peine dix ans quand elle me transplanta soudainement dans ce milieu agreste, o? tout me charma, bien entendu.

L? s'?coula la phase n?buleuse de mon ?ge ingrat, phase suivie par ma tante avec un oeil que je voudrais qualifier de bienveillant, mais o? je crains plut?t qu'une curiosit? inqui?te n'ait domin?. Que sortirait-il, en effet, de ce teint brouill?, de ces yeux bistr?s, de ces pieds et de ces mains qui ne s'arr?taient pas de grandir?... Le doute ?tait permis!...

Par malheur, il en sortit ce que j'ai dit, et le jour o? j'eus secou? ma derni?re ?caille, ma tante me conduisit droit au couvent.

Ma pauvre m?re, qui pr?voyait sans doute l'avenir, avait exig? de sa soeur la promesse que, pendant deux ann?es au moins de mon temps de jeune fille, je vivrais ? Paris, et c'est la fa?on ing?nieuse dont celle-ci a trouv? moyen d'ex?cuter cet ordre d'outre-tombe sans sortir de ses propres voies. Pour rien au monde elle n'aurait voulu manquer ? sa parole, j'en suis persuad?e, mais elle l'a habill?e de ce froc, sans le plus l?ger scrupule, et il demeure convenu que j'ai vu de Paris tout ce qui se voit!

Le temps r?volu, elle est venue m'arracher ? mes mondanit?s, et elle a ramen? ? Erlange cette ni?ce dont nul n'a voulu et qui, avec la gr?ce de Dieu, marchera peut-?tre sur ses traces.

?tant donn? cela, on juge si ma proposition de ne plus quitter le couvent devait lui agr?er!... Religieuse, mais c'?tait la solution consolatrice qui ne devait froisser aucune des papilles toujours h?riss?es de son chatouilleux amour-propre!

Ce n'est point un mari, le voile! et fille et religieuse se touchent de bien pr?s quand on effeuille les marguerites, sans compter que tout le monde peut pr?tendre ? ce sort au m?me titre. Moins exigeant que les hommes, le couvent ne regarde pas ? la qualit? des minois qu'il enterre, et j'ai certainement agit? le coeur de ma tante, pendant ces vingt-quatre heures, plus que je n'y avais encore r?ussi depuis ma naissance...

Mais, pendant l'intervalle, ma vocation trop fragile s'?tait fondue comme on sait, et force a ?t? ? mademoiselle d'?pine de garder mes dix-huit ans ? ses c?t?s. Voisinage qui para?t lui peser si fort que je ne peux pas m'emp?cher de me figurer que, par un arri?re-mirage diabolique, sa pens?e la ram?ne, en nous voyant ensemble, au souvenir des freluquets d'autrefois--ces trop grands amateurs de bons mots--pour lui repr?senter le parti qu'ils auraient su tirer de ce rapprochement, et la fa?on dont ils auraient fait fleurir, dans leur langage imag?, un bouton frais sur les rameaux piquants, trop c?l?bres jadis!...

Si ce ne sont pas l? rigoureusement les termes dont elle s'est servie en me parlant, car peu de gens se donneraient eux-m?mes les ?trivi?res avec cette franchise d'allures, le sens en est scrupuleusement gard?, et je suis certaine que, tant avec mes propres souvenirs qu'avec ceux de Beno?te, et avec l'aide de ce que ma tante m'a dit elle-m?me, j'ai reconstitu? son personnage dans le pass?, le pr?sent et m?me, h?las! dans le futur!...

Je la laisse aller!... Mais, vive Dieu! comme disait le plus charmant de nos rois, qu'elle y prenne garde, car je ne suis pas encore morte, et je compte bien le lui prouver quelque jour.

Mon bon Jean Nicolas, il neige toujours plus fort et mon thermom?tre a encore baiss?! Est-ce parce qu'il dit vrai ou est-ce parce qu'en le reprenant ce matin ? la fen?tre, apr?s avoir d?jeun?, il a effleur? l'?paule de ma tante? Je ne sais plus, mais je songe ? br?ler mes chaises pour augmenter le feu de ma chemin?e!

Pour comble de malheur, les souvenirs des mois pass?s que j'avais ?voqu?s depuis trois jours ont d? s'?chapper de ma chambre comme un vol de chauves-souris ou de corneilles de mauvais augure, car l'aggravation d'humeur de ma tante ne peut s'expliquer autrement, et jamais ses pr?visions d'avenir n'ont pris un tour plus aimable.

Isolement et pauvret?, car il para?t que je suis pauvre; murailles de pierre et murailles d'oubli, elle r?sume tout ce qui me s?pare du reste des humains avec une joie qu'elle ne parvient pas ? cacher; et quand elle d?couvre dans ses paroxysmes de gaiet? ses longues tablettes o? la carie met des points de dominos, il me passe entre les deux ?paules un souvenir d'ogresse que je ne domine pas.

Tout n'est pas ombre cependant dans ses pr?visions; elle a des mots charmants quand elle me trace le tableau de nos deux vies se prolongeant ind?finiment ainsi, et s'achevant toujours ensemble, et j'ai besoin, dans ces cas-l?, pour ne pas pleurer, de regarder la fen?tre et de m'assurer qu'on n'y a point encore mis de ces barreaux qui emp?chent les petits oiseaux de s'envoler, quand ils n'ont plus ni courage ni force quitte ? mourir faute de grain sur la grande route.

Mon Dieu! les bonnes gens de la R?volution n'en demandaient pas davantage, apr?s tout. Ce qu'ils voulaient, c'?tait simplement que leur mis?re dev?nt la mis?re commune, et pour ?tre plus s?rs que personne ne d?nerait les jours o? ils avaient faim, ils prenaient le r?ti... Mais de l? ? penser qu'une demoiselle d'?pine coiff?t jamais le bonnet phrygien, il y avait un monde!...

En attendant, je me remeuble. Un hasard fortuit m'a r?v?l? ce que je soup?onnais depuis longtemps, ? savoir que mes fauteuils les plus douillets et mes armoires les moins d?labr?es ornent aujourd'hui la chambre de ma tante. Si ferm? que soit le sanctuaire, la porte en ?tait rest?e battante, et un de ces coups de vent qui ?parpillent les branches de nos arbres comme des f?tus sous le battoir l'a ouverte au moment o? je passais.

C'est un petit palais.

Ma tante a d? consacrer les deux ann?es de mon absence ? ouater son nid, tant il semble moelleux; seulement, elle l'a fait avec la laine d'autrui, comme un oiseau pillard, et je ne cherche plus les tapisseries de la salle ? manger ni les rares coussins du salon: je sais qu'elle leur a fait un sort!...

Dans ces conditions, la d?licatesse m'a paru hors de propos; aussi, me suis-je mise ? tirer chez moi tout ce qui n'a pas exc?d? la force de mes bras doubl?s de ceux de Beno?te: quatre bras qui en valent six! Et mes murs se repeuplent.

En revanche, les pi?ces interm?diaires se vident, et de l'aile gauche ? l'aile droite, ce n'est plus qu'un vaste d?sert o? l'on chemine en se guidant sur le feu de nos campements des deux extr?mit?s. La salle ? manger reste le seul terrain commun; aussi en ai-je respect? la vaisselle plate et toutes les chaises!... Les si?ges, d'ailleurs, ne me manquent plus, et j'en ai beaucoup, sinon de tr?s vari?s.

Mes trois canap?s, par exemple, sont tous pareils. Du ch?ne sculpt?, fouill? comme par des grignotements de souris, tant les d?tails des reliefs en sont menus, et comme couverture de grandes tapisseries vertes, o? des belles dames et des chevaliers bard?s de fer se d?bitent des fadeurs dans un jardin dont les all?es montent ? pic.

Les bonnets pointus des ch?telaines rejoignent souvent la cime des arbres, et toutes les figures sont vues de profil, les faces exigeant sans doute un travail trop difficile pour ?tre brod?es; mais l'ensemble n'en est pas moins gai...

Je les ai rang?s chacun dans un panneau, et ma chambre est si longue ? traverser, qu'en arrivant pr?s de l'un, j'ai oubli? comment ?tait l'autre. Depuis le premier, je devrais voir lever le soleil; du second, je fais face au couchant, et du troisi?me, je verrais la lune, si la lune se voyait encore; mais aujourd'hui, de tous les trois, je n'ai vu que tomber la neige, et j'aurais voulu en poss?der un quatri?me pour m'en aller pleurer dessus.

Mes tables ne se comptent plus; c'est ce que ma tante aime le moins, et le choix en ?tait innombrable. Il y en a de rondes, de carr?es, de toutes les formes et de toutes les couleurs, et <> qui a pris, j'en ai peur, quelque chose de mes d?sirs errants, essaye sa niche sous chacune d'elles successivement. Entre les pieds des plus petites, sa bonne grosse carrure l'arr?te, et il les entra?ne avec des bonds de col?re quand il se sent pris, en faisant voler les petits tiroirs et en aboyant comme un fou. Mais il me reviendra bient?t, je le sais, et je retrouverai le tapis dont mes pieds n'ont jamais eu plus besoin; sans cela, mon chien m?riterait-il le nom que je lui ai donn? depuis mon retour, et qui signifie tant de choses dans son unique syllabe?

Autrefois, pendant toute sa petite enfance, je l'appelais Pataud, un nom sans pr?tention que je lui avais choisi ? cause de sa gr?ce un peu lourde et de sa grosse t?te; mais je me connais mieux en individus aujourd'hui, et quand je me suis retrouv?e ici, et qu'au bout de quelques jours j'ai fait le compte des amis qui me restaient, qui pensaient encore ? moi et qui me le prouvaient... en tout et pour tout, il y en avait un, un seul, et c'?tait lui!... De l? son nom...

Pour en finir avec mon mobilier, je l'ai compl?t? par six prie-Dieu trouv?s d'un bloc, qui ont des colonnes torses en ch?ne noir et des coussins en velours cramoisi ? glands d'or, o? les genoux ont marqu? leur trace. Je m'ab?me devant ces deux petits ronds, cherchant l'histoire et les pens?es de ceux qui les ont faits; mais je ne sens qu'une affreuse odeur de poussi?re, d'o? sortent des papillons qui volent d'un air effar?, encore lourds de leur interminable gourmandise!...

Un de ces prie-Dieu, rendu ? sa destination premi?re, est plac? ? l'?cart, et des autres, ma foi, j'ai d? faire tout ce qui me manquait: des chaises basses, des chauffeuses, des r?veuses... qui ne se distinguent d'ailleurs entre elles que par les noms que je leur donne, mais qui me procurent l'illusion que je pourrais asseoir douze personnes ? la fois... si elles venaient.

Ma pauvre Beno?te perd son latin ? t?cher de me distraire. Quand elle me voit au dernier point de la m?lancolie, elle emploie son grand moyen, et elle me dit tout bas en guignant la porte pour se pr?server des surprises:

--Veux-tu faire des cr?pes, ma Colette?

Mais je me lasse vite d'arroser le feu avec la p?te et mes doigts avec le beurre, et je m'assieds sur l'?tre pendant qu'elle reprend ma place.

Parfois aussi elle essaye de me mettre entre les mains son tricot, une chausse interminable dont je compte les mailles sans me d?ranger, mais je n'aime pas plus ? travailler qu'? cuisiner, et la bonne vieille en vient ? recommencer ses contes de nourrice pour me faire rire. <> Mais, pour Dieu! o? donc sont-ils, ce roi et cette reine; et puisqu'ils n'avaient pas d'enfants, que ne m'ont-ils pas adopt?e pour fille?...

Ce matin, une diversion s'est produite, et j'en ris encore toute seule. La provision des salaisons ?tait ?puis?e, para?t-il, et ma tante, qui est tr?s friande de ces choses, avait fait dire au village qu'on en apport?t d'autres, de sorte que, vers neuf heures, une voiture couverte d'une toile, avec de la neige jusqu'aux cerceaux et tous ses grelots en branle, entrait dans la cour; c'?tait Bidouillet et ses provisions qui arrivaient.

Un nouveau visage, une nouvelle voix, du bruit sous la porte; il me semblait qu'on tirait un rideau devant moi, et je suis descendue jusqu'en bas comme une folle.

--Ah! monsieur Bidouillet, c'est vous! et vous apportez des saucisses?

--Mais pour vous servir, Mademoiselle!

Et le bonhomme se tournait vers moi, ahuri et stup?fait, avec sa bouche et ses yeux en plein ?bahissement, ses comestibles dans les bras et son bonnet fourr? qui lui caressait les sourcils, pendant que son fils, occup? ? r?veiller les jambes du cheval avec un bouchon de paille, s'arr?tait tout court, comme un jouet dont le ressort vient de se casser...

?videmment ils me trouvaient aussi singuli?re l'un que l'autre; la chaleur de ma r?ception les surprenait, et je suis certaine qu'ils me croient ? l'heure actuelle une passion de jambonneaux que je n'ai jamais connue; mais on n'a pas attendu trois mois son interlocuteur pour se rebuter quand on le tient, et pendant que Bidouillet, qui n'est pas grand causeur, suivait Beno?te, je m'en suis prise au gar?on, que j'avais emmen? se chauffer.

--Que faisait-on au village? Comment passait-on le temps? Et croyait-on l?-bas que la neige durerait encore longtemps?

Mais plus j'allais, plus le petit se retranchait dans son silence, fendant sa bouche dans un rire inextinguible, et s'amusant ? mes d?pens avec tant de bonne foi que sa gaiet? a fini par me gagner, et que nous voil? riant tous les deux comme des nigauds.

Apr?s ?a, la confiance est venue; il est arriv? ? me r?pondre, et je sais maintenant que dans la journ?e les gens d'en bas pr?parent les semences et remettent en ?tat les charrues et les outils, et que le soir ils voisinent sans fa?on, entre un tas de noix qu'il s'agit de casser et des pommes qu'on doit ?plucher. Quand c'est fait, on tire les marrons du feu, on d?bouche le vin blanc, et on s'en va coucher tout gai!... Il me semble que j'en sens le fumet depuis ici, et j'ouvrirai ma fen?tre ce soir pour ?couter rire de loin, comme ce pauvre h?re qui mangeait son pain ? l'odeur du r?ti qu'il enviait.

Quant ? la neige, dame! elle peut durer, comme aussi elle peut s'arr?ter, car il est s?r qu'il suffirait ? cette heure d'un seul rayon de soleil pour que ce soit fini. Je crois que j'en aurais trouv? autant, et je me figurais qu'il y avait parmi les paysans de vieux malins qui en savaient plus long...

--Et les soirs o? vous ?tes seuls, que fais-tu, mon bonhomme? ai-je demand? enfin.

--On dit le chapelet.

--Et quand on l'a fini?

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