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Read Ebook: La neuvaine de Colette by Schultz Jeanne

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Ebook has 1126 lines and 47909 words, and 23 pages

--Et quand on l'a fini?

--Quand on l'a fini, ah! dame! mam'selle Colette, y a longtemps que je dors!

Nous nous sommes mis ? rire, et de l? nous sommes pass?s aux b?tes.

--Les Bidouillet en ont-ils beaucoup? De quelles esp?ces sont-elles, et qui les soigne?...

Il m'a d?crit le troupeau par t?tes de b?tail comme un pasteur entendu, car c'est lui le berger; et comme il ajoutait que la peine allait se doubler cet ?t?, tant la bande s'?tait augment?e:

--N'auriez-vous pas besoin d'une berg?re? lui ai-je demand?. Dans ce cas-l?, moi j'en connais une qui s'engagerait volontiers et sans faire trop de difficult?s sur la question du salaire, encore!

Aussit?t il a pris l'air matois du paysan qui flaire une bonne affaire et, d'un ton indiff?rent:

--On pourrait voir, a-t-il dit; est-ce qu'elle est de chez vous, mam'selle Colette?

--Je crois bien qu'elle en est, lui ai-je r?pondu, car c'est moi-m?me!

Pour le coup, ?'a ?t? notre dernier mot! l'ahurissement a repris le dessus, et je ne lui ai plus arrach? un geste jusqu'au moment o? son p?re a cri? depuis l?-bas:

--Eh! gar?on! y es-tu?

Je laisse ? croire s'il y ?tait, et s'il en avait long ? raconter, encore!

--Pense ? moi quand vous chercherez, lui ai-je dit au moment o? la carriole passait la porte; c'est tr?s s?rieux, tu sais?

Et je suis remont?e jusqu'ici en courant, ravie de ma matin?e.

Tout ? l'heure, j'ai rencontr? Beno?te dans le corridor, et, malgr? la pile d'assiettes qu'elle tenait, je l'ai embrass?e ? pleins bras en lui criant:

--R?jouis-toi, Beno?te! aujourd'hui nous casserons des noix toute la soir?e.

--Des noix! m'a-t-elle dit, pourquoi faire? Est-ce que tu as envie d'en manger?

--Eh! non, ma pauvre vieille, c'est pour nous amuser! Il para?t que ?a fait rire, ce m?tier-l?.

Elle est partie en secouant la t?te; mais elle m'a promis de descendre un sac du grenier et de nous trouver deux marteaux pour taper au coin du feu!

Depuis huit jours, nos deux vaches sont malades. Le cas ne semble pas dr?le, ni m?me int?ressant, et il m'a cependant procur? la meilleure journ?e que j'aie pass?e depuis longtemps.

Le premier jour de la s?cheresse, on nous avait fait du th?, le second du caf?, et Beno?te parlait d'une soupe pour le troisi?me matin; mais mademoiselle d'?pine, peu amie des privations, a fait pr?venir une laiti?re du village qui, depuis lors, nous monte ? dos d'?ne la ration n?cessaire.

Ce matin, comme elle est venue en retard, j'?tais lev?e ? son arriv?e et je la regardais mesurer son lait quand ma tante a sonn? ? tour de bras. Rarement la cloche de cath?drale qui correspond de sa chambre ? la cuisine se fait entendre hors des heures r?gl?es; mais quand le fait se produit, c'est signe extraordinaire, et Beno?te, qui pressentait la cause de l'aventure, a pris ? tout hasard son flacon de baume, devinant le r?veil d'une douleur ? l'?paule gauche, qui r?clame, d?s qu'elle para?t, des frictions r?p?t?es et vigoureuses.

Pendant ce temps, la bonne femme avait vid? sa cruche, tous nos pots ?taient remplis, et elle s'appr?tait ? repartir.

--Vous en aviez donc mont? trop? lui ai-je dit, en voyant dans le second b?t une autre cruche encore pleine.

--Faites excuse, mam'selle Colette, il n'y a que le compte.

--Pour ici?

--Pas pour chez vous; pour d'autres gens dont les vaches ne donnent plus non plus.

--Comment! vous montez encore plus haut?

--Jusqu'au Nid-du-Fol, oui, Mam'selle.

Elle rechaussait ses sabots en me parlant, secouait ses ?paules en songeant au froid du dehors, reprenait sa mesure et ?tait d?j? presque sortie, quand tout d'un coup, irr?sistiblement, l'id?e m'a prise de m'asseoir sur sa b?te ? sa place, d'aller livrer son lait moi-m?me en son nom, et de faire ainsi une course adorable sous les gros flocons qui tombaient. Rien que la pens?e m'en rendait fr?missante d'aise; toute l'impatience de mes derniers jours de r?clusion bouillait dans mes veines, et je voyais l'?ne trottant dans la neige molle, le vent me fouettant les yeux, et l'?tonnement des gens de l?-haut en s'apercevant du changement de visage.

Aussi la bonne femme, ? qui j'avais dit mon plan en deux mots, avait beau faire, crier, protester et appeler Beno?te, je n'en tenais plus compte et je m'?quipais en poste. Nos murs, d'ailleurs, ne sont pas de ceux qui laissent passer la voix: j'?tais s?re que ma bonne n'entendrait mie, et je me savais de force ? lui faire dire oui quand elle aurait huit fois non dans l'esprit et dans la volont?.

En m?me temps, je tentais ma nouvelle patronne en l'asseyant pr?s du feu, je lui montrais qu'elle avait le nez rouge, les mains gourdes et les l?vres bleues, et qu'une heure de repos et de chaleur arriverait juste ? point pour la remettre. Je l'assurais de mes soins pour son bagage, de ma sollicitude pour son grison, de ma parfaite connaissance de la route et de la maison de ses clients, et, avant qu'elle ait pu trouver un mot de plus, j'avais sa mante sur les ?paules, son capuchon sur les yeux et dans la main sa houssine rustique, dont je me servais fort dextrement, ma foi!

Pendant le premier quart d'heure, ce ne fut qu'un enchantement: le trot de l'?ne ?tait doux, la neige qui me balayait les joues, soyeuse et l?g?re comme un duvet, et je chantais ? pleine voix, avec la gaiet? d'un muletier de profession. Mais peu ? peu le sentier se mit ? monter, les pierres cach?es sous la neige et que je ne pouvais pas voir commenc?rent ? nous faire butter, et au tournant d'un pli de terrain, le vent se chargea de mon affaire en deux coups le capuchon ? droite, la mante ? gauche, et moi, forc?e de sauter ? terre et de me rhabiller tant bien que mal pendant que l'?ne maudit continuait sa route et que je le poursuivais en ?puisant toutes les exclamations connues:

--Oh!... oh l?!... Ooooh l?! Oh l? donc!

Une fois repris, autre affaire pour se hisser: le b?t tourne, les points d'appui manquent, je mets le pied sur dix monticules avant d'en trouver un qui ne soit pas tout neige, et o? je ne m'enfonce pas jusqu'aux genoux; et enfin assise sur ce ch?teau branlant, quand je pousse un cri de triomphe, l'?ne est saisi de la fantaisie contraire; ses quatre pieds se fichent en terre, et j'ai beau y aller de la voix, de la houssine et du talon, c'est un soliveau moins les sauts de mouton qu'il ex?cute et qui font sortir le lait en gerbes, et jaillir de la neige m?l?e de terre jusqu'? mes oreilles... J'?gr?ne le chapelet en sens contraire.

--Allez! Hop! Hue! Hue donc! Prrr!--jusqu'au moment o? nos deux volont?s tombent d'accord et o? il repart subitement.

Au <>, la neige est un cyclone et le vent une trombe, et quand j'arrive aux premi?res maisons, mon nez et mes l?vres sont comme ceux de la fermi?re.

On s'exclame, on me r?chauffe, et comme on me dit que l'air fra?chit et qu'il y aura une temp?te avant longtemps, je repars presque aussit?t. Seulement, cette fois, nous avons vent debout, et ni mon ?ne ni moi n'aimons cela. La pente est dure ? redescendre, la neige se g?le, devient mauvaise et, de glissade en glissade, nous arrivons tant bien que mal jusqu'? mi-c?te, o? la catastrophe finale se produit.

L? les difficult?s augmentent; avec une sagacit? merveilleuse, mon ?ne comprend que le salut, impossible pour nous deux, est encore r?alisable pour lui; il manque des quatre pieds ? la fois, se roule et me d?pose dans une combe profonde o? la neige amass?e me re?oit comme un matelas, mais o? je reste plus emp?tr?e que dans un nid de plumes, pendant qu'il repart d'un galop qui fait trembler le sol.

C'?tait dr?le, certainement, et mon premier mouvement a ?t? de la gaiet?, d'autant plus que je croyais pouvoir me remettre sur pied facilement et d?s que je le voudrais... Mais le choc m'avait ?tourdie sans doute, car, malgr? tous mes efforts, cela me fut impossible, et je me sentais si maladroite que je me comparais, je me le rappelle, ? un hanneton renvers? sur le dos et agitant ?perdument ses pattes en l'air.

Je ne sentais plus aucune force dans mes membres, et, petit ? petit, il me semblait que mon coeur s'en allait en eau comme la neige qui fondait sous mes doigts et qu'on retirait pi?ce ? pi?ce tout ce que j'ai coutume de sentir dans ma t?te, tant elle se faisait vide...

A part cela, d'ailleurs, la situation n'?tait pas d?sagr?able; la profondeur de mon trou m'abritait de la rafale, et ma couche, malgr? sa fra?cheur, ?tait molle; si molle m?me que je m'y enfon?ais toujours davantage, et que, par petites poudr?es, d'autres flocons me recouvraient comme une morte qu'on ensevelit doucement.

A mesure que le temps passait, je sentais moins le froid; j'aimais ce sommeil qui m'envahissait et, malgr? la sensation tr?s nette que je gardais qu'on ne me retirerait jamais de l?, je n'avais nulle frayeur, et j'aurais souri volontiers. Seulement, mes l?vres s'y refusaient, et j'?prouvais ce que doivent ressentir les statues, si les statues s'avisent de penser, c'est-?-dire des volont?s de mouvements dans des bras en marbre qui ne peuvent pas se lever, des paroles qui veulent vibrer dans une gorge qu'on a oubli? d'animer, et des id?es qui cherchent ? ?clore dans une cervelle p?trifi?e o? rien ne peut s'imprimer. Puis, peu ? peu,... plus rien! et il me semblait que je n'?tais plus une femme en chair et en os, mais une masse de plomb tant cette lourdeur que je sentais devenait intense.

Quant ? la dur?e de cette suspension de vie, c'est ce que je ne peux pas estimer... A-t-elle ?t? d'une heure ou d'un jour, peu importe, car je crois que je n'en aurais souffert ni plus ni moins si elle s'?tait prolong?e; et quand j'ai repris mes esprits, je n'?tais m?me pas ?loign?e de me f?cher qu'on interromp?t un si bon repos!...

D'un c?t? de mon lit, on se d?sole: c'est ma pauvre Beno?te; de l'autre, je sens un museau humide qui se glisse sous mes draps, et c'est ainsi que je me r?veille entre mes deux plus ch?res affections... Sur un de mes canap?s, au m?pris de la dignit? de mes belles dames, la laiti?re sanglote, et ma premi?re sensation de connaissance est de remarquer qu'elle a toujours les mains aussi rouges. Comment n'est-elle pas arriv?e ? les r?chauffer pendant tout ce temps?...

Cependant je flotte encore dans le doute; mon matelas est-il de neige ou de laine?... Mais, en ?tendant les mains, je rencontre ? droite et ? gauche des bouteilles d'eau chaude pos?es contre moi, puis d'autres apr?s, et le chapelet se continue ainsi jusqu'? mes pieds. C'est une cr?mation!... Et on a beau parler des effets de la r?action, ?prouv?s apr?s un grand froid, je n'aurais s?rement pas trouv? cela dans mon foss?. Je crois d?cid?ment que je suis chez moi.

D'ailleurs, la seule figure famili?re qui manquait encore au tableau sort de l'ombre, et j'entends la voix de ma tante.

--Elle est folle, archi-folle, et je vous r?p?te que je ne peux rien pour elle!... Mais vraiment, elle aurait pu se rappeler que nous ne sommes pas organis?es pour avoir quelqu'un de gel? dans la maison!

Ainsi, je suis gel?e; cette id?e m'impressionne, et pendant que la porte retombe sous la main aimable que je connais bien, toutes les histoires que j'ai entendu raconter me reviennent ? l'esprit, et j'ai des visions de doigts de pieds arrach?s avec les bottines et de mains tombant avec le gant qui me font fr?mir! O? a-t-on laiss? les miennes, bon Dieu?... Il me semble que je suis en verre fil?, et, prise de peur en pensant ? ma fragilit?, je n'ose plus remuer jusqu'? ce qu'un cri de joie que jette ma pauvre vieille bonne en m'entendant respirer me fasse rire malgr? moi.

Mes l?vres ont tenu bon; je hasarde mes bras dehors pour les lui tendre, et je retrouve avec plaisir tous mes doigts attach?s au bout. C'est un bon moment!

Puis vient mon histoire, une histoire terrible, comme les sauvetages du mont Saint-Bernard, o? le terre-neuve oblig? joue son r?le en la personne de Un, et o? j'apprends qu'apr?s mon chien, je dois mon salut ? la fermet? du galop de l'?ne pendant son retour.

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