Read Ebook: Sauvageonne by Theuriet Andr
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Ebook has 737 lines and 38997 words, and 15 pages
Il accompagna ces paroles d'un long regard attrist?.
--Adieu! fit-il encore en s'inclinant et en se dirigeant lentement vers la porte.
Elle songea qu'il s'en allait froiss? et humili?, qu'il ne reviendrait plus ? la Mancienne, que tout serait fini entre eux... Son coeur se serra, et, l'amour triomphant de sa prudence, elle le rappela:
--Monsieur Pommeret, s'exclama-t-elle, je ne veux pas que nous nous quittions f?ch?s... Ne partez pas ainsi!
Il s'arr?ta.
--Vous m'en voulez de vous avoir parl? aussi franchement? reprit-elle d'une voix singuli?rement amollie.
--Non, madame.
--Alors pourquoi me quittez-vous si brusquement?
--Parce que, du moment o? nous ne devons plus nous voir, une brusque s?paration est le parti le plus sage... le moins cruel... pour moi, du moins.
Elle avait d?tourn? la t?te et fixait obstin?ment les yeux sur les fleurs du store:
--Vous dites cela, continua-t-elle, avec une amertume qui me prouve combien je vous ai irrit?.
--Je ne suis irrit? que contre les gens dont les comm?rages vous ont caus? tout cet ennui.
--Oui, c'est odieux! murmura-t-elle en se tordant nerveusement les mains; oui, il y a des gens qui ont l'esprit si m?chant qu'ils voient le mal dans tout!... Si on les ?coutait, on finirait par croire ? des choses auxquelles on n'avait jamais pens?.
Francis avait de nouveau pos? son chapeau sur un gu?ridon et il se rapprochait peu ? peu de Mme Adrienne.
--On m'a donc bien noirci dans votre esprit? demanda-t-il d'une voix insinuante.
Elle haussait les ?paules et gardait le silence.
--De quel crime m'accuse-t-on?
--Il ne s'agit pas d'un crime... N'insistez pas... Je rougirais de vous r?p?ter les absurdit?s qu'on a imagin?es.
--Je d?sire pourtant que vous me les r?p?tiez, poursuivit-il en dardant vers Mme Lebreton un regard tr?s tendre qui la troubla d?licieusement; un accus? a le droit de conna?tre les m?faits qu'on lui reproche.
--Non, je ne peux pas! balbutia-t-elle.
--Laissez-moi au moins essayer de les deviner... On incrimine mes visites ? la Mancienne?
--C'est vrai.
--Et on ajoute qu'elles sont compromettantes, parce que j'ai trop de plaisir ? vous voir... parce que je vous aime?
Elle fit signe que oui, et, sa confusion augmentant, elle s'assit ? l'extr?mit? du divan et se couvrit les yeux avec l'une de ses mains.
--Eh bien! on a raison! s'?cria-t-il, et c'est l'exacte v?rit?... Je vous aime!
Elle restait immobile, confuse, ?tourdie. Cet aveu d'amour,--le premier qu'on lui e?t adress?,--l'effrayait ? la fois et l'enivrait. Elle l'?coutait comme une musique ?trange et suave; elle n'osait remuer, comme si elle e?t craint, au moindre mouvement, de faire envoler cette sensation nouvelle, qu'elle savourait avec la volupt? inqui?te particuli?re aux joies d?fendues.
--Oui, continua-t-il en se penchant vers elle, je vous aime!... Et vous l'auriez toujours ignor?, si d'autres, plus clairvoyants que vous, ne s'en ?taient aper?us.
Involontairement, elle fit un signe de t?te. Etait-ce pour affirmer sa compl?te ignorance ou, au contraire, pour insinuer qu'elle avait tout devin? bien avant les autres?... Ce fut dans ce dernier sens que Francis Pommeret interpr?ta ce geste myst?rieux, car, avec une hardiesse qui d?mentait l'humilit? de ses paroles, il s'assit pr?s d'elle.
--Quoi! vous le saviez? s'?cria-t-il.
Elle ne pouvait parler; les mots s'arr?taient dans sa gorge s?che. Pour toute r?ponse elle joignit ses deux mains avec une expression suppliante, comme pour lui demander de ne pas la questionner davantage. Ce mouvement laissa ? d?couvert son visage, et, dans ses yeux profonds, Francis vit rouler deux larmes qui ne tomb?rent pas, mais qui disparurent d?vor?es par la flamme des regards et par la chaleur des joues couvertes de rougeur.
--Vous le saviez? r?p?ta-t-il, et je vous fais pleurer!... Ah! laissez-moi vous demander pardon de tout le chagrin que je vous cause.
La vue de ces yeux brillants et humides, de ces joues br?lantes lui faisait perdre le sang-froid ? son tour. Il s'?tait agenouill? devant Mme Adrienne, et, malgr? une muette r?sistance, il avait d?nou? les mains de la jeune femme et les serrait dans les siennes.
Maintenant le p?ril du t?te-?-t?te se compliquait de sensations plus aigu?s et plus troublantes. La pression des mains ?troitement serr?es, le fr?lement de cette robe de d?vote, le contact des genoux d'Adrienne, tout cela formait un ensemble de s?ductions irr?sistibles pour un jeune homme rendu plus entreprenant par six mois de sagesse. Mme Lebreton lui semblait plus charmante encore que le jour de leur promenade au clair de lune, et il en ?tait positivement amoureux. Quant ? elle, jamais elle n'avait ?prouv? ce qu'elle ressentait en ce moment. Cette brusque explosion d'amour la prenait au d?pourvu; toute neuve ? de pareilles ?motions, elle restait d?sarm?e et prise de vertige. La lourdeur endormante produite par l'atmosph?re de cette chaude apr?s-midi de juillet la rendait plus faible encore.--Un silence profond r?gnait dans la petite pi?ce herm?tiquement close; derri?re les persiennes et le store, on devinait, ? une vague r?verb?ration dor?e, la violence du soleil du dehors, baignant de sa clart? implacable le jardin aux fleurs ? demi p?m?es. Entre la vitre et la mousseline du rideau, une mouche emprisonn?e bourdonnait, se taisait et bourdonnait de nouveau. Et ? travers ce silence, Francis, toujours agenouill? et de plus en plus gris?, jetait de br?ves paroles, d?cousues, ? peine articul?es, comme un refrain toujours pareil et toujours d?licieux:
--Je vous aime!... Vous ?tes ma seule pr?occupation... ma seule adoration!
Elle ?coutait, les yeux ferm?s, ces mots d'amour dont les syllabes caressantes coulaient comme un philtre dans ses oreilles, vierges encore d'une pareille musique. Elle se laissait bercer et endormir par cette tendre litanie, et ses l?vres, devenues lourdes, ne s'ouvraient que pour murmurer, comme dans un r?ve, de vaines et craintives supplications.
--Prenez garde!... Relevez-vous, je vous en prie... Si l'on venait!
Il n'y avait dans ces protestations rien qui f?t de nature ? refroidir l'?lan de Francis; au contraire, il y trouvait presque une autorisation tacite ? pousser plus avant. Maintenant il couvrait de baisers les mains qu'il tenait toujours prisonni?res et il r?p?tait:
--Je n'ai jamais aim? que vous!
--Ne vous moquez pas de moi! murmura-t-elle en se r?veillant ? demi, soyez raisonnable... ne restez pas ? genoux!
Il se releva en effet, mais ce fut pour s'asseoir tout contre Mme Lebreton, et, ? un mouvement effarouch? qu'elle fit, il la prit dans ses bras. Elle fut si abasourdie de cette nouvelle hardiesse qu'elle se d?fendit ? peine. Elle avait referm? les yeux, et derri?re ses paupi?res closes, elle entrevoyait, comme dans un lointain confus, la boiserie sombre du confessionnal, elle entendait vaguement la voix du cur? irrit? lui disant:--Ce jeune homme vous aime!--Et c'?tait bien vrai, il l'aimait, et il ?tait l? qui le lui chuchotait tout bas contre l'oreille.
--Ah! balbutia-t-elle, c'est mal! c'est mal!... Pourquoi vous ai-je connu?
--Laissez-moi! ajouta-t-elle avec un long fr?missement de tout le corps et en s'arrachant ? l'?treinte du garde-g?n?ral.
Au moment o? elle se d?battait et reprenait possession d'elle-m?me, on frappa discr?tement deux coups ? la porte du petit salon. Francis s'?tait instinctivement recul?, et Mme Lebreton s'?tait lev?e...
--Entrez! dit-elle d'une voix sourde.
C'?tait Z?lie, la femme de chambre, dont la figure discr?te et un peu hypocrite s'encadra dans l'entre-b?illement de la porte.
--Pourquoi avez-vous frapp?? demanda avec irritation Mme Adrienne, dont l'orgueil s'?tait soudain exasp?r? ? la pens?e de cette pr?caution inusit?e et injurieuse... Ne pouviez-vous entrer tout simplement comme d'habitude?
--Je venais annoncer ? madame que le d?ner ?tait servi, et je croyais, je craignais...
--Cela suffit!... Une autre fois dispensez-vous de ces exc?s de z?le...
Et, comme pour prouver qu'elle ?tait au-dessus de pareilles suppositions, elle ajouta en se tournant ? demi vers Francis:
--Mettez un second couvert; M. Pommeret d?ne avec moi.
Les premi?res semaines d'ao?t avaient ?t? tr?s orageuses; la pluie ?tait tomb?e en abondance, et les jardins de la Mancienne en ?taient encore tout ruisselants. L'Aubette, brusquement grossie, ayant chang? en torrents les cascatelles du parc, les pelouses gardaient les traces limoneuses de ce soudain d?bordement. L'ouragan avait endommag? les arbres; des jonch?es de brindilles et de feuilles vertes couvraient la surface de la pi?ce d'eau, et les rosiers, courb?s au ras du sol, laissaient tra?ner dans le sable leurs touffes de roses ?panouies.--Nu-t?te, les jupes relev?es au-dessus de la cheville, Mme Lebreton visitait les plates-bandes mouill?es, constatant les d?g?ts, promenant ses mains prot?g?es par de vieux gants dans les troch?es terreuses, relevant ici une tige couch?e, donnant plus loin un coup de s?cateur. Elle avait coup?, chemin faisant, deux oeillets rouges et les avait attach?s ? son corsage. Sa d?marche avait quelque chose de plus l?ger et de plus all?gre que de coutume. Ses yeux bruns scintillaient, ses joues mates s'?taient nuanc?es de rose. De m?me que l'orage avait rafra?chi l'air et la verdure, on e?t dit qu'il avait donn? ? Mme Adrienne un revif de jeunesse et d'?panouissement. Tandis qu'elle visitait ses massifs effondr?s et ses parterres d?fonc?s, elle entendit le sable crier sous un pas lent et mesur?; elle tourna la t?te et aper?ut l'abb? Cartier ? l'extr?mit? d'une all?e.
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