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Read Ebook: La Querelle de l'Orthographe by Boulenger Marcel

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Ebook has 108 lines and 18779 words, and 3 pages

PETITE COLLECTION "SCRIPTA BREVIA"

MARCEL BOULENGER

La Querelle de l'Orthographe

PARIS BIBLIOTH?QUE INTERNATIONALE D'?DITION E. SANSOT et Cie 53, Rue Saint-Andr?-des-Arts, 53 1906

Droits de traduction et de reproduction r?serv?s pour tous pays y compris la Su?de, la Norw?ge et le Danemarck.

La r?forme de l'orthographe peut nous ?tre impos?e demain par ordre. Le Ministre est un puissant dieu. Mais la querelle de l'orthographe, en revanche, peut durer ind?finiment. Elle a mis jusqu'ici en pr?sence, d'une part l'Acad?mie Fran?aise, les gens de lettres et une grande majorit? d'hommes raisonnables; d'autre part, un bataillon de fougueux philologues et de chartistes indompt?s.

Puis il ne faut jamais d?serter un combat, d?t-on n'y jouer, dans le rang, que le r?le du plus modeste fusilier.

M. B.

Avril 1906.

LA QUERELLE

L'ORTHOGRAPHE

Il est permis de croire qu'on ne sait pas tr?s bien, chez nous, ce que c'est qu'un philologue. On n'en a qu'une id?e confuse et prestigieuse: celle, par exemple, d'un homme ?g?, tr?s savant, qui fait des cours ? la Sorbonne ou au Coll?ge de France, et qui parle couramment le latin, le grec, l'h?breu et le sanscrit, non moins que toutes les langues vivantes, sans en excepter les dialectes hindous, ceux des Lapons ou des n?gres d'Afrique, et m?me aussi le fran?ais, notre fran?ais. D?s lors, qu'arrive-t-il? C'est qu'? la moindre inqui?tude, pour la moindre h?sitation, pour le plus insignifiant probl?me ? propos de grammaire ou d'orthographe, on court se jeter aux pieds d'un pareil polyglotte: <>

Eh bien, cette ?trange coutume, qui depuis peu devient la n?tre, d'attribuer aux philologues quelque autorit? en mati?re de langage contemporain, alors qu'il n'y a pas la moindre raison pour cela, prouve jusqu'? l'?vidence qu'on ignore enti?rement, dans le public, dans les journaux, parmi les lettr?s eux-m?mes, et malheureusement aussi au minist?re de l'Instruction publique, la nature des services que ces messieurs des Chartes et de l'Universit? se trouvent en ?tat de rendre ? leur pays. Car on leur pr?te des lumi?res qu'ils n'ont point n?cessairement, un tact, un jugement raffin?--ne s'agit-il pas en effet de d?cider, de choisir, d?s qu'on dispute du langage courant?--un go?t enfin que leurs ?tudes sp?ciales ne doivent pas du tout leur avoir forc?ment donn?s. S'il arrive qu'un linguiste ?minent t?moigne parfois d'un dilettantisme d?licat et d'une vive sensualit? artistique, c'est par une co?ncidence dont il doit rendre gr?ces aux Muses divines, mais non par un effet de ses longues et implacables, on pourrait m?me dire brutales ?tudes. M. Michel Br?al, par exemple, montre en toute occasion un sens exquis de la langue fran?aise, de son charme, de sa dignit?, de sa gr?ce; lui-m?me l'?crit avec une perfection, une aisance bien savoureuses: cela vient de ce qu'il naquit dou? de susceptibilit?s inconnues ? trop d'autres, et point de ce qu'il apprit le syriaque, le chald?en, le celtique ou le proven?al. M. Paul Meyer, au contraire, solennellement consult? voici quelques mois sur l'orthographe, d?cida qu'il fallait ?tre dor?navant raisonnable, et par cons?quent tout bouleverser: un ?crivain, un amoureux, ou, si c'est trop dire, un simple amateur de notre litt?rature nationale n'e?t jamais rien souhait? de tel. Mais pourquoi voulez-vous que M. Paul Meyer pr?f?re le fran?ais au basque ou au chinois? Non, la raison d'abord, la beaut?, la <> ensuite, dans l'esprit d'un philologue. Le regrett? Gaston Paris avait, lui aussi, toujours r?v? d'une r?forme orthographique. Mais, justement, cet admirable ?rudit montra-t-il jamais en ses ?crits qu'il comprenait les nuances derni?res ou la personnalit? des mots, la splendeur presque <> de certaines phrases, la d?sinvolture, la <> de tel ou tel tour de syntaxe? Et aussi bien, ce n'?tait pas son m?tier que de savoir ?crire. Il avait mieux ? faire, si l'on veut, autre chose en tout cas.

La philologie est une science exacte, au sens rigoureux du terme. Et le philologue appara?t comme un logicien redoutable, le plus souvent m?me irascible, qui, apr?s avoir observ?, au cours d'un h?ro?que et continuel travail, la d?composition des vieilles langues et la formation des jeunes, en d?duit des r?gles g?n?rales avec ce que l'on nomme une ?l?gance math?matique. Si bien que demander ? l'un de ces naturalistes aust?res son opinion sur une question qui touche ? la bonne gr?ce ou ? la belle tenue du langage contemporain, c'est un peu la m?me chose que d'interroger, je suppose, un g?om?tre sur un dessin de Michel-Ange, ou un expert chimiste en couleurs sur un tableau du V?ron?se.

Un grammairien n'entend point les idi?mes ?trangers, non plus qu'aucun dialecte aboli, non plus que les patois. Il n'a qu'un ennemi: le jargon; qu'une passion: l'expression pure, la phrase exquise; qu'un seul ma?tre: l'usage... Il conserve pieusement, surveille, r?pare, dirige le langage noble ou familier; il rapproche des exemples, ?coute des sons, choisit entre les exceptions, s'arr?te tendrement sur quelques gallicismes, puis ayant bien travaill?, s'endort chaque soir, las, mais fort content de sa journ?e: il a formul? de belles r?gles. C'est le fleuriste de La Bruy?re, en extase devant ses tulipes.

Consultez un tel homme. Demandez-lui s'il faut modifier brusquement l'aspect sous lequel, ? peu de chose pr?s, se pr?sentent ? nous depuis trois si?cles tant de chefs-d'oeuvre, honneur et merveille de notre litt?rature? Il restera saisi d'indignation, de stupeur en face d'un pareil attentat! Tandis que le philologue va nous r?pondre au contraire: <> M. Homais, dans sa pharmacie, entend ce valeureux conseil. Le voil? dans l'enthousiasme! Et il ?crit aussit?t ? son d?put? pour exiger le <> de l'orthographe, h?ritage r?voltant de l'ignorantisme f?odal.

Leurs arguments ne valent pas grand'-chose, en v?rit?. Le principal, le meilleur en apparence, c'est celui qu'ils tirent de l'absurdit?. Car les ennemis de l'orthographe ne cessent de la proclamer absurde. Mais c'est vraiment trop simple, ce reproche! Et surtout, comme il est barbare! Lorsqu'on parle ? une seule personne, et que n?anmoins on lui dit <>; quand on s'efface pour laisser passer un ?gal devant une porte; si m?me, ? l'?ternuement de quelque interlocuteur, on r?pond encore c?r?monieusement: <>--tout cela n'est-il pas bien absurde aussi? Voil? pourtant certains usages qui ne choquent point, et que nul n'a jamais song? ? r?former. Il y a dans <> quelque chose d'affectueux, de v?n?rable, de d?licat, et qui touche. L'orthographe, comme la grammaire, y trouve apr?s tout sa force de loi. Conc?dons ? des logiciens, s'ils y tiennent, que cela est absurde...

Lisez ici: <>

Cependant les adversaires de l'orthographe traditionnelle s'appuient en outre sur deux autres raisons, d'un ordre plus pratique. Les ?trangers, pr?tendent-ils, ?prouvent beaucoup de difficult?s ? ?crire notre langue, h?riss?e de chinoiseries grammaticales. Ils s'en trouvent g?n?s, et d?s lors s'en servent moins volontiers. Allons donc! Les ?trangers ?crivent en leur idiome le plus souvent, s'il s'agit de commerce. Ceux d'entre eux qui veulent traiter de litt?rature, de critique ou d'art, savent tous le fran?ais, et s'en servent tr?s naturellement. Le fran?ais est la langue litt?raire universelle. Nos ?crivains ont men?, ont charm? le monde, et leur prestige dure encore. Qu'on nous laisse au moins intacts les mots magiques avec lesquels nos ma?tres, jadis, ont su faire des miracles.

Enfin, voici venue la derni?re, la grande, la toute puissante raison, le fin du fin: on d?plore que les enfants perdent ? apprendre l'orthographe un temps consid?rable, temps qu'ils pourraient employer ? se perfectionner dans l'?tude de la m?canique, de la g?ographie, de l'anglais, de l'allemand, de la banque, du courtage, de l'?loquence politique, sinon ? se former d?j? dans l'art de plonger un doigt ing?nieux au milieu de l'assiette au beurre, comme on dit. ?videmment, voil? qui est f?cheux. Mais pourquoi tant de futurs brasseurs d'affaires, d'apprentis conseillers municipaux ou d'?l?ves coulissiers apprennent-ils l'orthographe? Nul ne serait pein? qu'ils ne la connussent point. Ou si, dans un ?tat s?rieux et bien organis?, il est intol?rable qu'une in?galit? quelconque, en principe, se puisse ?tablir entre les citoyens, f?t-ce en la fa?on mat?rielle d'?crire un billet, ne saurait-on donc en ce cas engager tout simplement tous les juges d'examens ? se montrer sur ce point d'une tol?rance et d'une indulgence extr?mes?

Une faute d'orthographe, quelle importance cela peut-il avoir? Aucune. Les femmes y font preuve d'une imagination impr?vue et d?licieuse. Admettons leurs libert?s, leurs fantaisies. Mais que, pour all?ger la besogne des instituteurs primaires, on s'en vienne officiellement et solennellement mettre en p?ril les mots cisel?s, amenuis?s ou empanach?s, que nos a?eux nous ont transmis--non vraiment, ce serait un forfait de sauvages, un acte de bien pauvre patriotisme et presque une f?lonie!

Soyons charitables en mati?re d'orthographe, ne comptons plus s?v?rement les fautes, gardons-nous m?me d'en sourire, pardonnons ? toutes les licences--mais ne d?pouillons pas follement nos mots fran?ais de tout ce qui leur pr?te du caract?re, du charme o? de la beaut?.

Et surtout, ne consultons plus d?sormais que les gens de go?t, ? d?faut des grammairiens qui nous manquent, quand il s'agira de notre langue fran?aise. Laissons les philologues ? la philologie. A chacun son m?tier, s'il vous pla?t.

Pouse par l'insaci?bl? dezir d? savoir, qu'a mis an lui la Nat?r?, l'h?m? av?nc? fievr??zemant dans la decouv?rt? d? tous les probl?m?s qu'il lui est done d? rezo?dr?. D?j?, la vap?ur et l'electricite lui ob?is?nt...

Une soci?t? malade peut se tromper sur les causes de son mal, mais ?le sait toujours d'avance qels sont ceus qi doivent recueillir son ?ritage. Une vois secr?te, un infaillible instinct les lui d?signe, et on les nome les ?nemis de la soci?t?. Le monde antiqe se sentit menac? d?s le jour o? le cristianisme eut un nom dans l'istoire. Sous N?ron, l'incendie de Rome est atribu? aux cretiens...

D?cid?ment, il avait la fi?vre. Tout ?a, c'?tait des b?tizes... Quoi! parceque ce Flamand avait dit, en plaizantant ? coup s?r, qu'il voulait se marier avec Lize, il ?tait parti ? se forjer toutes sortes de chim?res, ? se creuzer bien inutilement la cerv?le... Il n'y falait plus penser! C'est pourquoi le jeune home ne pensa plus ? autre choze... ?le n'avait cess? de lui t?moigner l'afecsion sinc?re et d?vou?e d'une soeur... Les trois fames, une fois le couvert enlev? et tous les objets n?toy?s...

Faizons que la Justice, en c?te r?publique, Sa balance en ?veil, pezant comme il convient, D?termine la part qui ? chacun revient, Dans les charjes d'?tat, la fortune publique. Banissons la Routine, un moral esclavaje, Faizons du producteur le hardi combatant Qui doit produire plus sans d?penser autant, Pour qu'il vende moins cher, en gagnant davantaje.

Les fames sont extr?mes: ?les sont meilleures ou pires que les homes. F?don a les yeus creus, le teint ?chauf?, le cors sec et le visaje maigre. C?te fatuit? de quelques fames de la vile, qui cause en ?les une mauvaise imitacion de c?les de la cour, est quelque chose de pire que la grosi?ret? des fames du peuple et que la rusticit? des vilajoizes: ?le a sur toutes deus l'afectacion de plus.

Orthographe nouvelle selon le Rapport de M. PAUL MEYER.

Tel est l'aspect aimable sous lequel certains r?formateurs souhaiteraient que d?sormais le fran?ais f?t ?crit. Nous avons tous appris, avec plus ou moins de peine, notre grammaire fran?aise et la fa?on dont il convient de former les mots sur le papier. Nos enfants continuent pr?sentement ? ?peler, ? lire, puis ? se mettre en t?te un certain nombre de r?gles et d'exceptions: ce travail, comme d'ailleurs tout autre, leur semble fastidieux, et l'on peut croire qu'ils pr?f?reraient s'en aller jouer aux barres, ? la toupie ou ? la poup?e. Mais enfin ils s'y sont accoutum?s, et depuis un si?cle ou deux, beaucoup d'entre eux sont devenus par la suite de grands hommes dans les sciences et dans les lettres, sans que l'?tude de l'orthographe semble avoir retard? de fa?on appr?ciable le d?veloppement de leurs jeunes cervelles. Mais les philologues pensent que tout n'est pas pour le mieux. Leur z?le les pousse ? pr?server la France d'un grand et prochain d?sastre: et une commission pr?sid?e par M. Paul Meyer, directeur de l'?cole des Chartes, a soumis au ministre de l'Instruction publique un projet de r?forme orthographique.

Le ministre timide n'a pas accept? ce projet d'embl?e. Il a consult? l'Acad?mie fran?aise, qui, dans sa s?ance du 9 mars 1905, a d?cid? de ne rien modifier ? son Dictionnaire, tout en admettant, comme il est raisonnable, une tol?rance pour cent cinquante mots d'une <> par trop injustifiable. Telle est l'opinion de l'Acad?mie, cette <>, comme la qualifie avec m?pris M. Louis Havet . Le Conseil sup?rieur de l'Instruction publique doit encore ?tre saisi de la question. M?me si cette haute assembl?e repousse les mutilations de la langue fran?aise, dont elle a mission de surveiller et de diriger l'enseignement, il nous faudra cependant tout craindre encore des phon?tistes. <>? Ainsi s'exprimait M. Paul Meyer dans une conf?rence aux Soci?t?s savantes.

Toutefois, ne pr?tons pas ? tous les philologues <> des opinions qui ne sont pas encore les leurs, ni des desseins enti?rement r?volutionnaires auxquels ils ne songeront, ou auxquels ils n'auront fait songer que dans quelques ann?es: ils ne demandent pas encore que le fran?ais s'?crive en orthographe absolument phon?tique, c'est-?-dire en ne traduisant pour les yeux que les sons per?us par l'oreille, <>. La plupart des r?formistes s'en tiennent pour l'heure ? un certain compromis entre l'?tat de choses actuel et un ?tat <>, qui serait beaucoup meilleur ? leur gr?. Ils ne veulent que supprimer la plupart des lettres qu'ils trouvent inutiles, celles dont on ne tient pas compte en parlant. Respectant la tradition quand elle ne les g?ne pas, ils souhaitent seulement qu'on l'oublie chaque fois qu'une simplification rapprochera l'?criture de la prononciation. Ils sont satisfaits de constater qu'une telle op?ration est logique, et ils admirent la s?ret? d'une m?thode qui leur permet de d?figurer notre style ?crit, en faisant gagner aux enfants trois ou quatre mois sur les huit o? dix ans que ceux-ci passeront dans les coll?ges.

Pr?cisons mieux encore. Les r?formistes nous apportent un projet de r?volution dans la langue fran?aise ?crite, ils demandent que nous l'acceptions; ils veulent que le gouvernement l'adopte; cette r?volution est l?gitime, disent-ils en tant que savants; elle sera bonne et utile, ajoutent-ils en tant que simplificateurs d?mocratiques.

Contredire des savants, des philologues, ne va pas sans danger. C'est entrer dans le parti qu'ils nomment avec d?go?t celui des journalistes, celui de la <>. Il faut pourtant reconna?tre que leur mani?re d'envisager la question, comme savants, n'est pas irr?prochable.

L'histoire du fran?ais, ce sera donc d'une part l'histoire du d?veloppement qui, de la langue du l?gionnaire, du colon ou de l'esclave romain, a fait la langue parl?e aujourd'hui par un faubourien, un <>, ou ?crite par un acad?micien. Nous appellerons cette histoire l? l'histoire interne.

L'histoire de la langue fran?aise, ce sera d'autre part l'histoire de tous les succ?s et de tous les revers de cette langue, de son extension en dehors de ses limites originelles--si on peut les fixer. Nous appellerons cette partie l'histoire externe.

On aper?oit, par ces simples d?finitions, ce que contiennent l'une et l'autre de ces portions d'histoire. De Plaute ? Labiche, quelle distance! Tout ce qui fait une langue, les sons, les mots, les formes et les rapports de ces mots a ?t? boulevers?.

Heureusement tout n'est plus ? d?couvrir, tant s'en faut, dans cette longue et vaste histoire. D'abord, chose capitale, depuis les travaux de Dietz, la m?thode est assur?e: la phon?tique contemporaine a fait appara?tre une s?rie relativement limit?e de transformations progressives, naturelles, r?guli?res, l? o? longtemps on n'avait vu qu'un chaos de ph?nom?nes incoh?rents, arbitraires et contradictoires. Du coup la recherche m?thodique s'est substitu?e aux t?m?rit?s et ? la fantaisie des hypoth?ses. Des mots, des formes rebelles ? toute investigation ont livr? le secret de leur origine et de leurs m?tamorphoses. Si bon nombre r?sistent encore, c'est que dans ce compos? qu'est une langue, il faut que la science se r?solve provisoirement ? faire encore la part de l'inconnu, sinon de l'inconnaissable.

La d?couverte de la phon?tique exp?rimentale, telle que l'a cr??e M. l'abb? Rousselot, nous rend plus exigeants encore, avec ses instruments de pr?cision, qui apportent dans l'analyse du langage contemporain l'exactitude des examens microscopiques, qui nous font voir de nos yeux, sur des graphiques o? tout peut se nombrer et se calculer, les diff?rences infiniment petites qui s?parent les parlers, en apparence tout semblables, de deux compatriotes, qui nous montrent ainsi comment la succession insensible des ph?nom?nes inaper?us vient, apr?s des g?n?rations ?coul?es, aboutir ? une transformation, celle-l? sensible ? l'oreille, telle que la phon?tique historique nous en pr?sente des centaines. Cette phon?tique nouvelle nous fait sentir le vide immense, impossible ? combler par des inductions, que laisse ? la science la disparition des g?n?rations sur lesquelles on e?t pu observer la modification progressive des ph?nom?nes, dont nous ne conna?trons jamais que l'?tat initial et l'?tat final.

Or, de toutes les parties de l'histoire de la langue, c'est incontestablement l'histoire des sons, la phon?tique qui est la plus avanc?e, et cela est fort heureux, puisqu'elle est la base et la condition de toute recherche, lexicologique, morphologique ou syntaxique, que le d?veloppement d'une forme ou d'un tour s'explique tr?s souvent par un fait de prononciation qui a atteint une syllabe, une d?sinence par exemple. Il n'en est pas moins vrai que l'histoire immat?rielle de notre langage est en retard sur l'histoire mat?rielle.>>

<

Nous sommes sortis de la p?riode h?ro?que de la philologie romane, gr?ce aux grands et durs travaux de nos devanciers. Mais si nous avons en main de bons outils et de bonnes m?thodes, il s'en faut bien que le champ entier soit en pleine culture, et il reste encore d'immenses friches ? travailler, et m?me ? d?couvrir.>>

Nous voil? donc pr?venus. Cette longue mais capitale citation ?tait n?cessaire pour bien nous avertir que la <> de la langue fran?aise n'existe pas, que les sciences de la philologie fran?aise commencent ? peine, et que l'une d'elles seulement, la phon?tique, est arriv?e par des m?thodes et des instruments pr?cis ? quelques r?sultats encore discut?s. Quand on vient nous parler d'une r?forme scientifique de l'orthographe, il faut savoir qu'au prix de la r?alit? des faits, comme dit excellemment M. Brunot, les philologues n'ont encore en mains que des squelettes <>: et c'est de l'?tude de ces squelettes fossiles que l'on veut tirer une hygi?ne pour cet ?tre vivant qu'est notre langue!

La phon?tique exp?rimentale, comme dit encore M. Brunot, a <> N'allons donc pas nous ?tonner que cette microbiologie du langage ait conduit certains savants aux m?mes r?ves que la microbiologie du corps humain. <> Ainsi parlait un jour M. Metchnikof: nos phon?tistes, pour cet autre organisme qu'est la langue, ne nous disent pas autre chose.

Les microbiologistes du corps et du langage nous ont rendu et nous rendent de grands services: respectons-les, admirons-les jusque dans leurs ?carts les plus impr?vus; mais peut-?tre n'y a-t-il pas lieu de risquer toutes les op?rations qu'ils nous conseillent. Ce corps thyro?de, dont le microscope ni les autres instruments scientifiques ne peuvent nous d?montrer l'utilit?, mais dont le go?tre et autres maladies nous prouvent quelquefois au contraire les d?savantages,--dans les mots, il est des corps thyro?des aussi, qui trop facilement donnent naissance ? ces go?tres de l'?criture qui sont les fautes d'orthographe,--donc ce corps thyro?de, quand il ?tait visiblement g?nant, nos chirurgiens entreprirent de l'extirper, et leurs proc?d?s scientifiques leur donn?rent des r?sultats admirables: la statistique prouva que, sur vingt cas, dix-neuf fois l'op?ration r?ussissait; le cou go?treux reprenait sa ligne et sa gr?ce; mais au bout de quelques ann?es, par un ph?nom?ne dont nos savants cherch?rent vainement la cause, et que le vulgaire, sans microscope, pouvait journellement constater, les go?treux op?r?s tournaient ? l'idiotisme, etc... M?fions-nous des chirurgiens phon?tiques: et, pour la r?gularit? du cou, ne risquons pas l'int?grit? du cerveau.

Parmi les premiers initiateurs du mouvement d'?mancipation, plusieurs avaient bien eu une claire intuition que, pour r?ussir ? supplanter le latin, la langue fran?aise devait se hausser jusqu'? lui, et ne comptant point que le temps et l'usage y suffiraient, ils se mirent ? l'oeuvre, po?tes, grammairiens, imprimeurs, avec un enthousiasme na?f et un touchant amour. Assurer ? leur vulgaire un peu d'uniformit? en transformant les graphies variables en une orthographie constante et fid?le, lui donner la fixit? en r?glant la grammaire, le rendre capable d'exprimer toutes les id?es les plus hautes, et les sentiments les plus d?licats en ?tendant son vocabulaire, ces rudes ouvriers, dont Ronsard e?t d?j? voulu voir les statues sur la place publique, ont tout os? et entrepris ? la fois.

Il s'en faut bien que leur effort ait ?t? compl?tement perdu. Mais, si on nous a dit comment Meigret et tous ceux qui comme lui voulaient une orthographe rationnelle alors possible ont ?t? vaincus, au grand dommage de notre langue, nous ne voyons pas au juste par qui, nous ne pouvons suivre nulle part la formation de cette orthographe qui tend depuis lors de plus en plus ? l'unit?, dont seule une histoire critique et d?taill?e des oeuvres sorties de chaque atelier d'imprimerie, compar?e ? celle des autographes de l'?poque pourrait nous faire conna?tre la constitution, les progr?s et les reculs.>>

D?s lors faudra-t-il qu'apr?s avoir oubli? notre orthographe actuelle et appris une orthographe scientifique pour plaire aux phon?tistes, notre vie se passe ? oublier cette orthographe scientifique pour une seconde, une troisi?me, une quatri?me?... Il est vrai que la r?forme phon?tique aurait peut-?tre le r?sultat de tuer dans l'oeuf quelques-unes de ces sciences ? venir: d?j? pour l'une des sciences pr?sentes, les suites de la r?forme pourraient n'?tre qu'? moiti? favorables, car on ne voit pas que les ?tymologistes aient ? se louer de la suppression de ces lettres, inutiles au vulgaire sans doute, mais qui suscitent aux yeux des savants les probl?mes, et sont comme un constant rappel des myst?rieuses transformations que les mots ont d? subir ? travers les si?cles.

BAUME B?M'

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