Read Ebook: Le paillasson: Mœurs de province by Tailhade Laurent
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Ebook has 136 lines and 21403 words, and 3 pages
BOOK II
J'arr?te ici l'examen litt?raire de l'?lucubration Ignace Papulard. Pour la fin, j'ai r?serv? la phrase unique, la phrase parangon, le Kohinnor des phrases, dont s'empanache l'inaccessible p?roraison.
Oyez la d?votement:
Puissent-ils poser sur sa t?te les suffrages des bons ruraux!
En le proclamant souverain d?finitif de la Barousse, les terriens de Loures manifesteront une jugeotte extraordinaire: car jamais dans le vaste monde, ils n'en pourraient trouver un autre aussi complet.
LES GENTILSHOMMES DU RATEAU
Faites vos jeux, messieurs. Tout va. Messieurs, faites vos jeux. Les jeux sont faits. Rien ne va plus.
Et du soir au matin, l'homme psalmodie l'imperturbable rengaine, tr?s empes?, nonobstant la v?cherie des joueurs. La voix neutre, le regard p?le, ce Kapellmeister de la ruine m?ne paisiblement la symphonie du baccara. De tout ce qui remue autour des tables vertes, de toutes les avarices, de toutes les fi?vres, de tous les d?sastres, il extrait en pi?ces de cent sous sa vie atone et r?guli?re. Impassible, en la folie des gageures, au souffle d?mentiel courbant les pontes ?nerv?s, il op?re et trafique, selon le rituel de son industrie. Il conna?t le flux et le reflux de l'or entre les mains f?briles et, des vices ambiants, extrait des rentes, comme d'une port?e de lapins. D'un coup de palette ou de r?teau, il ex?cute les arr?ts du hasard--nul frisson n'avivant son masque saturnien. Lorsqu'il m?le, indiff?rent, les lourdes port?es de cartes, lorsque d'un art prestigieux, il enchev?tre les s?quences, ou, correctement les ?tale sur le tapis, aucune terreur ne lui vient de ces figures aux poses sacerdotales et farouches, teintes de rouge et de noir, marqu?es aux couleurs du sang et du deuil.
Sans broncher, il adjuge les banques, ramasse ou distribue les enjeux et r?clame le silence quand les conversations s'?l?vent ou que les col?res s'exaltent. Si quelque malheureux, ne sachant pas encore l'art de tomber avec gr?ce, lac?re les cartes apr?s un coup perdu, et les lui jette au visage, il ne s'en ?meut pas autrement. Le m?tier veut ?a. Seul, il n'est pas ivre et garde sa bienveillance d'homme sobre pour tous ces malheureux in?bri?s d'avarice et de fureur. Il sait les jurons que la malchance apprend aux gens distingu?s, le dictionnaire des tripots, cette langue b?te et puante comme le lieu o? elle s'?veille, dans l'empouacrement du tabac et l'infection de la sueur humaine. Il compatit aux superstitions de ces cr?tins, qui, ? l'heure de prendre une main, observent des rites f?tichistes ? d?concerter un bonze. Appliqu? ? ronger l'opulente mo?lle de sa sottise, il a pour ses vagissements et ses d?lices des caresses de belluaire pr?sidant au repas des animaux.
Le croupier n'a pas d'?ge--peut-?tre n'a-t-il pas de sexe. Il est indiff?remment blond ou brun, laid ou beau, jeune ou vieux. Cependant un air de maturit? ne lui messied pas, non plus qu'un peu de calvitie, sa fonction ?tant grave. Son costume varie ? l'infini, depuis la mise sobre du gentleman habill? chez Renard, jusqu'aux fantaisies bariol?es, sous quoi le hideux Alphonse d?robe ses nageoires. Toutefois le go?t des cha?nes de montre et des bagues volumineuses l'accompagne dans ses avatars. Quel que soit le milieu o? vous le rencontrez, d'amples orf?vreries s'accrochent ? son gilet ou fulgurent ? ses mains noires de la crasse des tapis.
Au demeurant, il pense bien. Il est pour l'ordre avant tout et soutient la religion.
Les yeux mouill?s, le coeur ?mu d'une all?gresse pie, il r?ve au temps o? son ?pargne lui fera des loisirs, o?, b?at et monseigneuris?, il ?panouira sa ventripotence dans le congr?s des notables philistins. Lorsque cette mod?ration lui d?faille et qu'il se sent promis ? de plus hauts destins, l'avenir n'en reste pas moins couleur de roses et les portes b?antes devant lui. Son ?toile se d?gage et, sans encombre, il succ?de ? son entrepreneur. Ainsi commenc?rent tant d'illustres, ? qui les grives pleuvent ? pr?sent toutes ros?es, d?crotteurs pass?s millionnaires, et v?n?r?s ? l'?gal des patriarches dans le monde du carton.
La femme du croupier ne se distingue en rien de la bourgeoise ordinaire et pr?coce. Elle fait des enfants, de la cuisine et tout ce qui concerne son ?tat. Elle peut ?tre accoucheuse, modiste ou ma?tresse de piano. Dans les casinos baln?aires, il lui arrive, pendant que son mari travaille, d'assister aux spectacles et aux bals, ce qui ne laisse pas de jeter quelque ?moi dans la sous-pr?fecture, surprise de tant d'immodestie. A part cette d?bauche, elle vit chez elle en matrone romaine. Elle ?l?ve sa prog?niture, dans les saines doctrines et souhaite mourir au milieu d'une post?rit? d'ing?nieurs et d'avocats.
IMPRESSIONS DE TAPIS VERT
Au Casino de Bagn?res. Le cotillon du bal des Pauvres finissait et les derni?res figures se d?roulaient dans la maussaderie g?n?rale, la d?bandade des cavaliers laiss?s seuls sur leurs banquettes par le d?part de leurs danseuses. Encapuchonn?es de blanc, le corps noy? dans l'?paisseur des pelisses de bal et des fichus de blonde, des femmes traversaient le grand salon d'un pas frileux et rapide comme si le vent du matin e?t d?j? mordu les places nues de leur chair. Au dehors, des roulements de voitures s'?loignaient, m?l?s au claironnement des coqs, au tintement obstin? d'une cloche conventuelle sonnant le lever des religieux. Un rideau soulev? montrait ? une fen?tre la tache grise de l'aube. Les flammes du gaz d?faillaient dans les lustres enguirland?s de tra?nes de lierre, dans les girandoles o? se fanaient des sorbes en bouquets. Une impalpable vapeur enveloppait les choses d'un brouillard subtil couvrant d'une teinte uniforme de poussi?re les couples attard?s dans la d?b?cle de la nuit. Et c'?tait dans la salle maintenant trop vaste, une odeur fauve et troublante, un effluve de fleurs br?l?es par la sueur des poitrines et la chaleur des haleines, un fumet de champagne r?pandu et de parfums ?vapor?s. Sur la sc?ne que masquaient de leurs v?g?tations fr?les des bambous et des ph?nix, ? travers les cloches orang?es et blanches d'abutilons aussi hauts que des arbres, les musiciens ?reint?s rabotaient avec r?signation une valse quelconque. Malgr? l'ennui croissant on dansait encore. Le conducteur du cotillon gravement distribuait les accessoires, consultait de temps ? autre une note ?crite sur un carnet de bal. Les commissaires de la f?te, une cocarde bleue ? la boutonni?re, causaient dans l'embrasure des portes, riant tr?s haut, la verve chauff?e par le vin de Bordeaux municipal. Par une porti?re ouverte, apparaissait en pleine clart?, le pillage du buffet, la d?route des bouteilles vid?es, tandis qu'au centre de la pi?ce, avec sa nappe ?burn?enne et son surtout de fleurs, une grande table s'offrait aux soupeurs attard?s.
Seul, en un coin, perdu et comme absent, un jeune homme somnolait dans une attitude veule, le dos au mur. Les jambes pendantes, le claque gliss? ? terre, dans un avachissement d'ennui, il attendait la fin du bal, sans doute pour manger. Il ?tait entr? dans le salon de danse avec une poign?e de joueurs d?cav?s et affam?s, expectant pour se faire servir, l'invitation de quelque obligeant ami. Et comme la sauterie ne s'achevait pas et que les intr?pides mena?aient de la prolonger pendant une heure ou deux, avec un beau sans-g?ne, il travaillait ? s'endormir.
Petit, court, la t?te au niveau des ?paules, il ?talait dans toute sa hideur, un joli visage d'imb?cile aim? des femmes, avec sa moustache blonde, ses yeux de lin aux paupi?res sigill?es et l'enfantine douceur de son sourire b?te. Une graisse de volaille morte, emp?tait ses joues aux paupi?res meurtries, enflait ses membres gourds. C'?tait un habitu? des tapis verts, une figure continuellement rencontr?e dans les tripots. H?t?roclite et vague, il passait plus effac? qu'une ombre parmi les comparses du jeu. Un des premiers ? commencer la partie, il ne se retirait qu'? l'heure o? les gar?ons du cercle ?teignent les quinquets; une d?veine tenace le poursuivait. Pendant des mois entiers, il perdait en d?tail les sommes qu'il empruntait de tous c?t?s. Avec une abn?gation infinie, il recommen?ait les m?mes coups qui rataient invariablement, sans une plainte, sans une col?re, sans une de ces fulgurations de d?pit qui secouent en des spasmes rapides les joueurs les plus sto?ques, mettant des flammes dans leurs regards et des lambeaux de chair ? leurs ongles. Il n'en voulait pas ? la fortune de lui ?tre mauvaise, ni ? ses vices de l'appauvrir.
Malgr? tous les d?boires de son existence, il gardait la foi des lendemains, l'espoir d'un retour de chance qui le vengerait. Et souvent les derniers rest?s du fun?bre <
Son histoire ?tait connue de tous et lui-m?me la racontait volontiers. C'?tait inepte, triste et sale comme la vie. Apr?s avoir scandalis? Bordeaux, la ville des cravates blanches, o? son p?re gagnait passablement d'argent ? fabriquer du Ch?teau-Laffite dans les prix doux et avoir affich? une liaison ignoble, au point que sa famille avait d? le chasser, il tra?nait sa mis?re et ses amours, dans tous les recoins des Pyr?n?es. La boh?me des villes d'eaux, le renouvellement de ces milieux cocasses, l'abritait un peu, lui permettait de demander au baccara de quoi payer l'auberge de l'exil. Mais les cartes n'?taient pas prosp?res, les notes ch?maient longtemps et les h?teliers assaisonnaient d'insolences les repas qu'ils lui servaient. Heureusement il avait le coeur et l'app?tit robustes et ne se d?courageait pas pour si peu. Partout il ?tait chez lui et perp?tuait ses installations, habitu? aux vides que creusent, dans les stations thermales, les saisons finissantes, acharn? jusqu'au dernier jour ? subjuguer la fortune. A Cauterets, ? Luchon, ? Bagn?res, partout o?, sous couleur d'hydroth?rapie, on tripote du carton et l'on soupe avec des filles, il s'?ternisait, d?nant aux tables d'h?te, se gargarisant aux buvettes, expliquant aux nouveaux venus les paysages et les douches de l'endroit. Cela durait depuis des ann?es. Depuis des ann?es, aussi, il remorquait cette ma?tresse par qui ses d?boires avaient commenc?, une grande brune laide, fan?e, sans race et sans gr?ce, dont le nez suintait sous un enchifr?nement perp?tuel et qu'il adorait. C'?tait pour elle qu'il s'?tait condamn? ? tant de grotesques souffrances, qu'il avait r?pudi? toute vergogne, frayant avec les grecs, tutoy? par des croupiers, si d?chu que m?me dans le monde des joueurs, on le prenait en piti?. Et ce crucifi? d'amour gardait parmi tous les hasards sa s?r?nit? stupide de gros b?b?. Sans le sou, ne poss?dant pour vivre que l'argent des cartes, il en ?tait venu ? garder les louis que <
Mais une fanfare jaillit de l'orchestre subitement r?veill?. Le cotillon ?tait fini. Deux par deux, les couples d?filaient pour la promenade finale, arm?s d'engins charivariques, mirlitons, cr?celles, trompettes et violons ? quatre sols. Sur un signe du conducteur, les pistons attaqu?rent la marche du Proph?te et ce fut un vacarme ?pouvantable qui jaillit de toute la salle, accompagnant le th?me auguste de Meyerbeer.
BOURGEOIS DE BAGN?RES DE BIGORRE EN 1886
J'ai sous les yeux cette furieuse estampe de Rembrandt: Saint Jean dans le D?sert. Un plateau cendreux, aduste, et comme vitrifi? par endroits, que surplombent de noires falaises. L'aride et le nu du roc vif, sans eau ni v?g?tal. Un peuple ?reint? de sommeil, prostr? devers le sol, regardant avec des yeux vides l'hallucin? qui le harangue. Debout, sur un mamelon effrit?, le pr?curseur clame son r?ve messianique, insoucieux de toute chose hormis de l'id?al. Le souffle de la mort r?tracte ses l?vres d'o? fulgure sur le vieux monde l'orage des mal?dictions. Son maigre corps, serr? dans une loque, le capuchon nimbant sa t?te creuse, le geste fanatique et bourru, tel surgit, en sa laideur fi?vreuse, l'anc?tre des moines tourmenteurs!
A vrai dire, pr?s d'un tel homme, le p?re Janvier semble un peu terne et le comte de Mun tout ? fait idiot.
--Qu'importe ? l'asc?te l'horreur br?lante de sa tani?re, l'obtuse indiff?rence des auditeurs! Une voix lui parle. Hors du contingent et du concret, l'extase le ravit. Un dieu l'emporte vers les c?mes, lui d?couvre une justice nouvelle et, hu?es du farouche Thabor, les hordes noires des Barbares ? venir, les destructeurs de toute harmonie sociale et de toute beaut?.
Au premier plan, dans une lumi?re--on dirait--apais?e, trois bourgeois p?rorent avec un d?go?t manifeste, improuvent ces ardeurs de col?re et de foi. Leurs v?tements sont amples, lev?s dans des ?toffes opulentes et durables--et faits d'un air cossu qui, d'abord, les signale pour des gens arriv?s. De larges tiares, copieuses en broderies, cerclent leurs tempes gris?tres et leur personne enti?re montre un air de d?lib?ration, effet de la richesse autant que de l'estime o? chacun les tient. Pour les visages, rien ne se peut imaginer de plus bassement laid. Pas un scrupule d'intelligence ou de passion. Ce sont bien l? des marchands, inaccessibles ? toute v?rit? d'ordre surnaturel. L'astuce, la goinfrerie, la l?sine, la sottise poltronne d?prim?rent ces faces, creus?rent ces rides, ignoblement. A coup s?r, ce sont des gens pieux, madr?s en leur n?goce et qui reluisent aux fins de mois. Aussi de quel m?pris toisent-ils le mangeur de sauterelles, l'ess?nien pr?chant la d?testation du riche et la communaut?. L'ahurissement du pleutre qui ne saisit pas, s'unit en leurs discours ? la haine du banquier menac? dans son argent. Pourtant, ici, le grotesque domine, le trio de pieds-plats fait songer ? certaines planches de Daumier, le cruel historien des bureaucrates; d'un Daumier gigantesque et promu ? la vie sublime du grand art.
J'ai retrouv?, sur mainte hure bagn?raise l'expression lamentable et caricaturale de mes trois pharisiens. Un arr?t? du pr?fet de police, le grand architinclin des belles petites et des chevaliers du r?teau, vient d'interdire ? grand tapage les jeux dits de hasard, dans les stations thermales. On a saisi les engins de toute esp?ce, les r?teaux, les jetons, les chevaux de bois, les mascottes, ing?nieux d?guisement de la roulette proscrite, et renvoy? ? leurs ch?res ?tudes, les filous cosmopolites dont se parent les Kursaals. L?-dessus, cris, fureurs, mal?dictions. On se f?t cru dans Rama, au temps que Rachel lamentait ses enfan?ons. A Bigorre, comme ailleurs, l'ex?cution n'alla point sans quelque tapage et grincements de dents. Des voix ?plor?es g?mirent chez Veaudelet. Polycarpe Remora, dit le bourreau des gueux, Polycarpe dont le claque-dents pr?tait asile au monde des petits baigneurs, des ouvriers et des gens de peine, curieux d'?tre d?valis?s, pleure des larmes de crocodile sur son industrie m?chamment mise ? mort. Le tenancier du casino, drap? dans sa majest? de p?re-noble, tonitrue avec les gestes du cardinal Brogni et menace de fermer sa boutique.
L'esprit s'accoutume avec peine ? la superlative barbarie d'un pareil ch?timent.
Pour mettre fin ? ce scandale, et rendre aux amateurs passionn?s de musique les organes ?oliens qui tant nous ont charm?s, les ?phores de la ville se d?boutonn?rent d'une protestation vraiment ing?nieuse, o? la moralit?, l'organisation savante et la d?licatesse du cercle de Bagn?res sont exalt?es comme il faut. Une localit? si bien pensante, en effet, ne peut tenir un vulgaire brelan. C'est avec des tarots pr?sanctifi?s que l'on cartonne sur ses tapis. Un tripot, le casino de Bagn?res! Oh! que nenni, mais une acad?mie ferm?e ? double tour, aristocratique et pieuse, moiti? salon, moiti? sanctuaire, o? l'on ne coudoie que fleurs h?raldiques, o? l'on n'entend que propos ? la Champcenetz. Depuis l'affaire Tigaud--un gentleman retir? dans sa villa de Poissy--l'on garde les cartes comme des infantes. On les environne de pr?cautions merveilleusement combin?es qu'un escroc de m?diocre intelligence les peut conna?tre en un clin d'oeil. Le reste n'est qu'un jeu pour l'adresse des philosophes ? qui d'ailleurs le personnel des tables chaudes est toujours pr?t ? servir du g?teau, malgr? l'honn?tet? de quelques subalternes et la vigilance des ayants-droit. Mais c'est un fait ind?niable, que jamais un grec ne p?n?tra dans Bagn?res, que ses habitants professent une aversion marqu?e pour la poussette et le louis qui tombe, que sa maison de conversation est un site o? les moeurs s'?purent, en m?me temps que l'esprit se familiarise avec les chefs-d'oeuvre escarp?s.
Le document de nos <> a trouv? pr?s de l'administration pr?fectorale, un concours d'autant plus suave que des schismes politiques divisaient ces pouvoirs. On combla les foss?s,--l'on oublia les querelles et l'on s'embrassa, comme, apr?s la mort de Juliette, les Capulets et les Montaigus. Que les <
Et peut-?tre, un soir, apprendrons-nous--sans chagrin du reste--que les vertueux d?fenseurs de la cagnotte y laiss?rent, par la main de leurs enfants, quelque formidable ran?on.
Alors, les yeux dessill?s par une m?saventure personnelle, ils comprendront, sans doute, ? quel singulier r?le ils se voulurent commettre, et que l'ignorance est un crime aussi.
Car enfin que r?pondraient-ils, ces chevaliers, ces purs, ces catholiques, si quelqu'un leur proposait en face de tenir--m?me par procuration--un ?tablissement de filles ou un comptoir de bonneteau?
BULLETIN DE VOTE.
J'ai re?u, ce matin, un imprim? de forme oblongue, contenant mes nom, pr?noms, domicile et vertus, mais d'une r?serve charmante, au sujet de mes ans. Cela remis par un sergot--irisurbaine--et d?nud? de toute enveloppe. Mon coeur ?lectoral a tressailli; car vous supposez bien que ce papier fatidique, n'?tait rien moins que la carte m'autorisant ? circuler sur le trottoir du suffrage universel. Dimanche et quelque peu les jours suivants, s'il pla?t aux candidats couch?s dans le hamac du ballottage, les entendoires bagn?rais auront ? prononcer entre Monsieur Troussem?tre, qui en sa qualit? d'arpenteur, doit tenir un plan, et le docteur Cazalas, jaloux de m?dicamenter notre belle patrie. A vrai dire, je dois beaucoup ? ces messieurs, pour le soin qu'ils prennent d'?gayer les murs de proclamations versicolores. Je n'ai point lu le texte de leurs papiers, ? cause que le verbe constitutionnel n'entame point, sans douleur, ma caboche ignorante. Mais les beaux placards, usit?s pour le raccrochage des suffrageants, amusent l'oeil de leur polychromie, et le pr?parent aux oiseaux impr?vus, aux ?toffes estomirantes, qu'importent dans nos murs les Landes et le Gers.
Pour le restant, Bagn?res montre la gaiet?, d'un champ de betteraves, dans un jour brumeux. Le Casino, peu sorti de ses fondations, unit agr?ablement les pl?triers aux dames indig?nes, de quoi r?sultent force erreurs et confusions de maquillages. Les com?dies fossiles alternent dans la salle des f?tes avec les ren?clements du t?nor sans voix et les ing?nuit?s de chanteuses quinquag?naires. Joignez la laideur crue du badigeon, la pr?sence in?luctable des m?mes spectateurs, et vous imaginerez sans doute l'allure p?nitentiaire de ces divertissements.
L'obstination qui caract?rise les h?tes du Casino avec l'inamovibilit? du r?pertoire, y donnent une sensation macabre d'ennui r?trospectif. Les visages restent les m?mes, all?g?s d'incisives et soulign?s de pattes d'oie; les tailles se d?forment, et telle qui s'essouffle aujourd'hui en des valses comm?moratives, bondissait aux rythmes printaniers, voici quelque dix-huit ans.
Le ciel tout gris, le ciel ouateux d'apr?s l'orage, descend en brume fine jusqu'au ras des coteaux. Les blanches routes aux candeurs marmorales ignorent les sveltes promeneuses et le gai fracas des excursions. Un petit ?ne charg? de bois, un p?tre sur le chemin de hautes bergeries et dans leurs tape-culs, les courtiers d'?lection, promenant la sottise au grand air, voil? pour le paysage. La campagne s'endort au clapotement des eaux troubles, au gargouillis des branches ?goutt?es. La pluie incessante avive et rajeunit le ton laqu? des feuilles, depuis le vert noir des aunes, jusques au p?le argent de l'osier.
Et c'est une gloire verte des bois et des prairies, des gazons o? s'enorgueillit la claire dentelle des fr?nes, la d?coupure savante des yeuses, la pourpre jaune des sorbiers, l'aile tremblante des sycomores. Renaisse le bon soleil, ami des plantes et des hommes, le soleil qui fait bourdonner aux blessures des ch?nes les scarab?es de lapis et d'or! Renaisse le bon soleil et tremblantes dans leurs robes de printemps, les belles dames inscriront sur les h?tres d?bonnaires des chiffres de jeunesse et de coquet amour.
CONCERT NOCTURNE
C'?tait une merveilleuse assembl?e et digne en tous points du spectacle attendu. Le gong des crapauds annon?ait les entr'actes. Une escorte de lucioles ramenait ? leurs carrosses les belles invit?es, piquait dans l'herbe mille torches vivantes.
A vrai dire, la f?te manquait un peu de cette animation ch?re ? nos joviales compatriotes et maintes corolles sp?ciales ? leurs chapeaux ne l'honoraient point de leur pr?sence. Mais ce sont l? des revers sur quoi l'on se r?signe volontiers.
Les pieds poudreux, un brin de ch?vrefeuille aux dents, l'oreille pleine de souffles harmonieux et la poitrine ?largie aux brises de l'?t?, vous ou?rez demain la symphonie lunaire, vous boirez aux calices patents le vin fantasque de la nuit.
et vous ne me demanderez plus quels couvreurs en retrait d'emploi, quels mineurs matrinicides, chantent, de huit ? onze, la m?re Godichon, sous peine d'?tre class?s bien au-dessous des mollusques gast?ropodes, au niveau des lecteurs de M. Georges Ohnet.
F?TE NATIONALE
Les embellissements du Casino marchent avec lenteur, en d?pit de la canicule. Soigneusement ?pil? de tout feuillage, le parc offre l'aspect gracieux d'un steppe au grand soleil. Par contre, aux jours de pluie, les talons s'impriment en boue de la fa?on la plus mar?cageuse qui soit. Les scies grincent dans la pierre et la truelle s?vit, comme aux beaux temps de la concession. Un progr?s toutefois s'impose en ce jardin: c'est de complanter la ma?tresse pelouse avec des tessons de bouteilles, relev?s ?? et l? de quelques plumeaux touffus, ? l'ombre de quoi, l'on acclimaterait ais?ment la vip?re b?rus et le serpent ? sonnettes.
BAGN?RES DE BIGORRE
Notre petite ville si riante au cours de la saison, montra, ces jours pass?s, une surprenante animation. L'on e?t dit, que pour faire accueil ? ses visiteurs, Bagn?res se f?t mise en frais de coquetterie, en multipliant sous leurs pas, les amusements de toutes sortes. A l'instar des grandes stations, notre paisible <
Donc la chevauch?e ? laquelle se complurent nos compatriotes et leurs amphitryons, naquit d'un sien concept, uni au d?sir de quelques ?ph?bes cagneux, jaloux d'exhiber, en tutus roses, leurs secr?tes difformit?s. Le succ?s d?cora leurs efforts et la recette--nous dit-on--atteignit un chiffre inesp?r?. Qu'ils go?tent la pure joie d'adoucir quelques mis?res; la journ?e fut deux fois bonne, pour le plaisir et pour la charit?.
Les ?trangers affluent dans nos murs: le modeste <
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