Read Ebook: La Guerre est morte: roman by Delluc Louis Wegener Gerda Illustrator
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Ebook has 1958 lines and 39495 words, and 40 pages
--Qu'est-ce que vous voulez?
Il ne veut sans doute pas r?pondre. Il se d?robe par un:
--Je trouve impayable que vous ne m'ayez pas reconnu...
--Avouez, dis-je, mon cher monsieur...
--Et il m'appelle Monsieur, bouffonne ce terrible humoriste.
Pendant ce temps je m'habille. Que feriez-vous ? ma place? Je suis compl?tement ?veill?, mon lit s'est refroidi, il n'y a pas de feu dans ma chambre, je n'ai plus qu'une envie: avoir chaud.
--Ce complet vient de Londres, constate Cobral qui consid?re minutieusement tous mes gestes.
Il ajoute:
--Moi aussi.
Je ris sottement.
--Vous venez de Londres? Que c'est curieux!
Pourquoi ai-je dit cela? Il n'y a pas de sens dans mes paroles.
Cobral va et vient par la pi?ce.
--Vous ne m'avez pas reconnu et vous ?tes venu chez moi bien souvent... Vous avez pris une drogue pour dormir si absolument? Moi je ne suis venu ici qu'une fois et je reconnais toutes choses.
Il regarde autour de lui avec des yeux de ma?tre.
--Derri?re cette porte, votre cabinet de travail. Vous n'y ?tes jamais parce que vous travaillez tr?s peu. Vous ?tes un peu paresseux, et je sais que les journalistes travaillent n'importe o?, n'importe comment et n'importe quand... Je ne m'explique pas, mon cher, pourquoi vous, journaliste, vous ne suivez pas les arm?es, celles d'Orient par exemple.
Je lui r?v?le:
--Je ne suis plus journaliste. C'est-?-dire que je ne suis attach? ? aucun journal, en ce moment.
--Je le sais, autant qu'on peut le savoir, gronda-t-il. Serais-je venu si je ne le savais pas?
Il plonge encore ses yeux dans les miens. C'est d?sagr?able ? un point qui ne se peut dire. Mais il se remet ? sourire et ? marcher.
Il s'arr?te devant un petit meuble en marqueterie qui flanque mon chevet.
--Et ?a, dit-il, me prouverait que vous n'?tes point un homme de cabinet. Il y a l?-dedans le meilleur de vous-m?me et vous le tenez dans la chambre ? coucher.
--Ce chiffonnier...
--Ce chiffonnier ignore les chiffons. Vous y consignez quelques manuscrits qui vous sont chers, in?dits presque tous, des po?mes, des oeuvres dramatiques...
--Des folies de jeunesse.
--Oui, vieillard trentenaire, de belles folies sans lesquelles je vous aimerais beaucoup moins. J'en ai fait de pareilles.
Il corrige, modeste:
--Pas aussi curieuses, ? dire vrai, pas aussi curieuses.
Je me f?che presque:
--Vous parlez comme si vous aviez lu ces pages!
--J'ai lu, ?videmment, je n'ai pas tout lu, mais j'ai lu, je dois dire que j'ai lu... On est Cobral ou on n'est pas Cobral.
Certes, c'est Cobral. Je commence ? penser, moi aussi, que Cobral est Cobral. Un charmant colosse, apparu dans les meilleurs cercles il y a dix ans, sans histoire, sans ?ge, sans but, sans amis, accompagn? du myst?re le plus trouble et le plus d?sarmant. P?riodiquement, on se rangeait ? l'opinion des paisibles qui le consid?raient comme un brillant aventurier--fouilleur d'or ou conqu?rant colonial--revenu ? Paris pour y consommer doucement ses sous et ses journ?es. P?riodiquement aussi, on s'effarait de lui qu'on trouvait m?l? ? toutes les aventures du Paris criminel au moment qu'elles s'embrouillaient d?finitivement et qu'il les d?brouillait avec tranquillit?. Pas d?tective, peut-?tre, mais dou? d'une invention si prodigieuse dans le romanesque qu'il semblait avoir cr?? lui-m?me des situations impossibles pour se donner la joie calme de les r?soudre.
Pourquoi soudain, en pleine nuit, cette apparition? Et notre vieux semblant de tendresse n'explique pas ce ton imp?ratif.
Il parle moins. Oui, il ordonne moins. Il voit que je m'habille. C'est ce qu'il voulait! Il triomphe. Nous allons voir.
--Je vous conseille de prendre un cordial avant de partir, dit-il tout ? coup.
Il s'imagine que je vais partir. Je me souviens qu'il aimait jadis les plaisanteries monumentales. Il n'a pas chang?. Peut-?tre de visage, mais si peu. Je crois qu'il avait quelques cheveux gris aux tempes. Il est noir comme un tzigane. Il se teint et ?a ne me regarde pas, et je peux aussi me tromper. Peut-?tre n'a-t-il jamais eu de cheveux gris.
Quel ?ge a-t-il? Je me r?ponds aussit?t: cinquante ans, mais cela ne para?t pas. Qui me dit qu'il a cinquante ans?
Il parle vite et net:
--Nous n'avons pas le temps de faire du th?... Ah! sans votre encombreuse de douche, il eut ?t? facile de jouer du samovar... Tant pis, mon cher, et adaptons-nous... Un verre d'alcool fera l'affaire.
--Je n'ai pas d'alcools.
--Vous manquez de m?moire... Je sais--dites que je mens--je sais qu'il y a de bonnes bouteilles sur le deuxi?me rayon de votre biblioth?que.
Il est d?j? dans mon cabinet. Est-ce qu'il aurait explor? mon home durant mes absences? Dans quel but? Je n'ai rien et pas m?me l'ombre de rien.
Il revient sur ses pas pour me confirmer avant toute v?rification:
--Sur le deuxi?me rayon, ? gauche, derri?re Tacite.
Et il ouvre les panneaux. Il crie joyeux:
--Voil?... voil?...
Mais il ach?ve par un <
--Je suis vol?, g?mit-il, les bouteilles sont vides.
Il revient.
--Vides, mon cher, vides, ah! vous auriez d? les renouveler... Du cura?ao, j'ai trouv? du cura?ao et du kummel... ce n'est pas l'heure d'y toucher... Pourquoi n'y a-t-il pas de fine... ou de marc?... Je vous dis que vous ?tes un grand coupable... ou du whisky?... vous n'aimez pas le whisky? Si... ? la bonne heure!... moi j'aime ?norm?ment le whisky... que faire?
Il rit de nouveau.
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