Read Ebook: Lettres d'un bon jeune homme à sa cousine Madeleine by About Edmond
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Ebook has 1000 lines and 77548 words, and 20 pages
Voil? pourquoi vous lui livrez les ?trangers na?fs, comme moi, tout en prot?geant vos nationaux contre elle. Je l'?crirai ? ma cousine, et cela modifiera ses id?es sur la loyaut? allemande.
Si la Providence faisait bien les choses, elle placerait M. B?nazet ? un bout de l'Europe et la Banque ? l'autre bout. Et je ne m'?garerais jamais dans le pays de la Banque, mais j'irais tous les ans admirer les belles f?tes de M. B?nazet.
UN CLUB EN PLEIN AIR
Danger de ramasser des marrons d'Inde dans le jardin des Tuileries.--Une r?union tr?s-m?l?e.--L'arc-en-ciel.--Le chapelet.--Les choristes ? l'unisson.--Une jeune femme d'affaires.--La blouse bleue et les lunettes d'or.--L'homme aux boulettes de mie de pain.--Le valet d'un seigneur ?tranger.--Une vieille dame d?raisonnable.--La politique de Tortillard.--Mon intervention.--Je re?ois un accueil fraternel, comme tous les nouveaux venus du journalisme.--R?flexions philosophiques.
Ma ch?re cousine,
Tu as beau vivre loin de Paris et lire les contes bleus plus souvent que les journaux: il est impossible que tu n'aies pas entendu le bruit qui s'est fait ici la semaine derni?re. La libert? de la presse ?tait sur le tapis. Un journal a pris la libert? de dire qu'il ne se sentait pas assez libre, et quelques autres ont fait chorus. Le gouvernement leur a r?pondu qu'ils se trompaient, qu'ils n'avaient pas les mains li?es, et qu'il fallait avoir perdu l'esprit pour secouer si bruyamment des fers imaginaires.
Le jour o? cette nouvelle fut publi?e ? Paris, il faisait beau, par grand hasard. Je me promenais, ? mon ordinaire, sans songer ? rien; mes pieds me port?rent dans un grand jardin qui s'?tend au bord de la Seine, entre le palais des Tuileries et la place de la Concorde. Les marrons d'Inde commencent ? tomber; j'en ramassai quelques-uns. Cette innocente r?cr?ation me jeta au milieu d'un groupe de neuf ou dix personnes. Il y avait deux dames dans le nombre; cependant tout le monde parlait ? la fois, suivant l'usage des journaux ou des journalistes.
Un homme qui semblait exercer une certaine autorit? criait de temps en temps: <
Enfin le tumulte s'apaisa. Le jeune homme ? l'arc-en-ciel d?clara que la s?ance ?tait ouverte; chacun prit une chaise, et je m'assis comme tout le monde, par esprit de curiosit?.
--Messieurs, dit l'arc-en-ciel, il nous manque deux de nos confr?res, et pr?cis?ment, si je ne me trompe, deux orateurs de l'opposition. Nous commencerons cependant, car l'opposition est un fait et non pas un principe, et nous devons agir avec elle comme si elle n'existait pas.
L'homme au chapelet poussa des cris de corbeau. L'arc-en-ciel le rappela poliment ? l'ordre; ce ne fut pas sans hausser les ?paules. Il se pencha m?me vers son voisin, et lui dit ? l'oreille:
--On ne trouverait pas dans tout le pays un homme aussi mal ?lev?; on n'en trouverait pas deux dans l'Univers.
Il reprit ? haute voix:
L'orateur se boutonna jusqu'au menton. Il se tourna ensuite avec une familiarit? protectrice vers quatre ou cinq messieurs dont l'habit bleu ? boutons de m?tal avait un air d'uniforme ou de livr?e.
--Messieurs, leur dit-il, d?veloppez dans votre sens les choses que j'ai sommairement exprim?es. Il est bien entendu que, si vous vous trompez d'un seul mot, je suis l? pour vous d?mentir.
Les hommes en uniforme se mirent ? prononcer tous en m?me temps un seul et m?me discours. Ils parlaient ? l'unisson, comme les voix qui font la m?me partie dans un choeur:
--J'applaudis, dirent-ils, aux remarquables paroles de mon confr?re officiel: pourquoi Dieu m'aurait-il donn? deux mains, sinon pour applaudir? La libert? de la presse est trop grande, ? mon sens, puisqu'on laisse subsister des journaux qui n'applaudissent jamais ? rien. Pour ma part, je suis parfaitement libre d'imprimer tout ce qu'un ministre me dicte, sauf ? recevoir d'un autre ministre un avertissement ou un d?menti. Cette condition me pla?t, quoique un peu d?pendante. Car enfin, si j'ai rev?tu l'uniforme que voici, ce n'est pas pour agir ? ma t?te, c'est pour gagner beaucoup d'argent avec peu de danger.
L'arc-en-ciel se mit ? sourire en signe d'alliance et de protection. Il dit ensuite, d'un front plus rembruni:
--La parole est ? nos ennemis acharn?s. Vous, madame, veuillez parler la premi?re. Vous ?tes de l'opposition; du moins, vous en avez ?t? sous tous les r?gimes.
La personne interpell?e ?tait une jeune femme de vingt-trois ans, mais bien m?re et bien s?rieuse pour son ?ge. Veuve d'un journaliste de g?nie, elle s'est mari?e en secondes noces ? un grand financier, et l'on assure qu'elle lui rend des services. Quoi qu'il en soit, son nouveau seigneur lui confie les int?r?ts les plus pr?cieux, car je vis sur ses genoux un ?norme rouleau d'actions de toute sorte. Elle les caressait de la main, tout en parlant. Sa voix ?tait br?ve et saccad?e; sa phrase tombait en alin?as, comme le m?tal jet? de haut tombe en grenaille.
--Messieurs, dit-elle, mon premier mari, qui est parti plein de gloire et de vie pour les Champs-?lys?es, m'a appris ? d?fendre la libert?.
>>Non-seulement la libert? de la presse, mais toutes les libert?s imaginables.
>>Car il n'y a pas plusieurs libert?s, il n'y en a qu'une.
>>Mais manquons-nous de libert??
>>Les uns disent oui, les autres non. Je parle comme les uns et je pense comme les autres.
>>Car je me suis retir?e des affaires, ou, pour parler plus juste, dans les affaires. Les affaires sont mon unique souci, et je n'ai plus d'autre affaire que les affaires.
>>La Bourse est un beau monument. La Chambre des d?put?s n'?tait pas mal, mais la Bourse est mieux.
>>D?s que nous aurons termin? cette conf?rence, qui m'int?resse m?diocrement, j'irai ? la Bourse.
>>Rentr?e chez moi, j'?crirai un bulletin de la Bourse, le plus complet qui se publie ? quatre heures.
>>Aucune puissance humaine ne m'emp?chera de dire que mes actions sont en hausse et que mes obligations vont aux nues.
>>Aucun ministre ne me d?fendra d'annoncer sur mes quatre derni?res pages les biberons les plus infaillibles et les m?dicaments les plus myst?rieux;
>>Et de faire par ces moyens une fortune colossale;
>>Et de gagner l'estime et la consid?ration qui accompagnent la richesse.
>>Voil? ma politique.
>>La plus riche de toutes les libert?s, c'est la libert? de s'enrichir.
Comme elle achevait de parler, je vis accourir un homme en blouse qui s'essuyait le front avec un mouchoir brod?. Il avait des lunettes d'or sur le nez, une casquette sur la t?te et quatre millions dans la poche. Au premier coup d'oeil, je crus reconna?tre en lui un de ces ouvriers de la pens?e qui demandaient la d?putation en 1848.
--Arrivez donc! cria le pr?sident; il y a un Si?cle que nous vous attendons.
--Vous m'excuserez, r?pondit-il avec une simplicit? majestueuse. J'?tais chez le marchand de vins de la rue du Luxembourg, et je parlais de gloire et de libert? ? quelques prol?taires en goguette.
Le chapelet crasseux murmura entre ses dents:
--Chez le marchand de vins! Il y est toujours. On n'y entre jamais sans le rencontrer sur la table, ou dessous.
--Comment le savez-vous? Je croyais que vous n'alliez qu'? la messe.
--Chauvin!
--J?suite!
--Navet!
--Silence, messieurs! s'?cria l'arc-en-ciel. Ou plut?t, M. de l'opposition radicale est appel? ? donner son avis sur la question. Qu'il exhale son m?contentement, sans oublier les convenances.
--Mes bonnes gens, puisque nous sommes entre nous, je ne ferai point de premier-Paris, et je dirai ce que je pense. Il est vrai que je revendique assez fi?rement la libert? de la presse, mais c'est surtout pour faire plaisir ? mes abonn?s. Les abonn?s en g?n?ral, et les miens en particulier, aiment bien que leur journal revendique quelque chose: ils d?clament le premier-Paris en prenant leur caf? au lait, et se persuadent ainsi tous les matins qu'ils ont mis le gouvernement au pied du mur. Mais moi! vous connaissez mes opinions et mes capitaux. Lorsqu'on a quatre millions dans sa poche, on n'est pas assez fou pour souhaiter le renversement de toutes choses.
--J'irai le dire ? Sparte! hurla l'homme au chapelet.
--Et moi, r?pondit le faux ouvrier, j'irai dire ? Rome comment vous entendez la charit? chr?tienne!
Ce d?bat fut interrompu par l'arriv?e d'un nouveau personnage. Il marchait d'un pas solennel, la main droite noblement cach?e dans le ch?le de son gilet. Un faux col ferme et droit encadrait sa m?choire imposante; son costume ?tait correct comme une phrase de M. Villemain et moderne comme une fable de M. Viennet. Un parfum acad?mique voltigeait autour de lui. On s'empressa de lui donner la parole, car il ?tait de ceux qui la prennent lorsqu'on ne la leur offre pas.
--Messieurs, dit-il, je m'?tais oubli? sur la place Vend?me.
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