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Read Ebook: Lettres d'un bon jeune homme à sa cousine Madeleine by About Edmond

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Ebook has 1000 lines and 77548 words, and 20 pages

--Messieurs, dit-il, je m'?tais oubli? sur la place Vend?me.

--C'est un lieu f?cond en enseignements, murmura l'arc-en-ciel.

--Pensez-vous donc l'?branler ainsi?

--A Dieu ne plaise! C'est une fa?on d'exprimer en style parlementaire le regret de quelques belles ?mes pour un syst?me d'institutions et un r?seau de libert?s que le nouvel ordre de choses a momentan?ment, je l'esp?re, ?loign? de mon pays.

--L'animal parle bien! murmura entre ses dents l'homme au chapelet; mais nous ?reintons mieux que ?a.

--Silence! dit l'arc-en-ciel. C'est l'honorable pr?opinant qui a r?clam? la libert? de la presse. Il a la parole pour d?velopper sa motion.

--Dieu puissant! s'?cria l'orateur avec une terreur visible. Penserait-on ? m'accorder ce que je demande? Ce serait fait de moi, et il ne me resterait plus qu'? mourir.

--Rassurez-vous, dit le pr?sident. Mais je croyais, en bonne foi, que vous r?clamiez la libert? absolue de la presse, comme le r?gime parlementaire, le cens ?lectoral et toutes les fictions du gouvernement constitutionnel.

--Je demande ? m'expliquer. Si vous aviez l'habitude de me lire, peut-?tre, messieurs, au lieu de vous arr?ter ? la superficie des mots, sauriez-vous p?n?trer le sens intime et les arri?re-pens?es de ma pol?mique quotidienne. Car je dis ce que je veux, et les bons entendeurs me comprennent fort bien, et il n'est pas une id?e qu'on ne puisse exprimer, sous quelque r?gime que ce soit, lorsqu'on ne manque ni d'esprit, ni de politesse.

>>Mes abonn?s, qui sont tous personnes riches et ?clair?es, savent interpr?ter mes soupirs et les porter ? leur adresse. Lorsque je r?clame une libert? pour le peuple ou un privil?ge pour la classe moyenne, ils sous-entendent ing?nieusement le nom de la dynastie qui pourrait seule apporter ? mon pays des biens si pr?cieux. Je ne suis pas un journal de principes, car mes principes ont chang? plus d'une fois; je suis un journal de famille, et je me glorifie d'?tre toujours rest? fid?le ? mes affections. Or, messieurs, si votre gouvernement, pour me nuire, m'accordait les libert?s que je lui demande pour le harceler, qu'arriverait-il? Je serais forc? ou de me rallier ouvertement ? lui et de trahir ceux que j'aime, ou de m'insurger sans aucune apparence de raison contre mon bienfaiteur. Conservons donc, s'il vous pla?t, et le plus longtemps qu'il sera possible, ces utiles restrictions sans lesquelles je n'aurais plus aucune raison de parler ni, par cons?quent, aucune raison d'?tre.

Une petite voix aigu? et chevrotante comme la voix d'une perruche, s'?cria tout ? coup:

--Oui, oui, oui, oui, oui, oui, oui!

Toute l'assembl?e jeta les yeux sur l'auteur de cette manifestation bizarre. C'?tait une petite dame excessivement cass?e, mais qui n'avait pas abdiqu? ses pr?tentions. Elle portait avec orgueil une robe sem?e de fleurs de lis, sans voir que les fleurs de lis ?taient presque partout effac?es. Ses cheveux ?taient poudr?s avec soin, quoique le temps les e?t faits plus blancs que la poudre. Cinq ou six mouches de satin noir ?maillaient sa figure sillonn?e de rides; sa main osseuse fol?trait, non sans coquetterie, avec un petit drapeau blanc.

Le pr?sident se pencha ? son oreille et lui cria tant qu'il put:

--Madame! avez-vous quelque chose ? dire? La parole est ? vous. Vous savez de quoi il s'agit?

Elle r?pondit avec une volubilit? extraordinaire:

--Oui, oui, oui, oui, oui, oui! Mon ?ge? Bient?t deux cent cinquante ans. Mon principe? L'appel au peuple. Appelez! appelez! ne craignez pas! Le peuple est pour nous ? Paris, ? Parme, ? Florence, ? Mod?ne! Jouez-vous le reversi? Moi, je l'adore. J'aime aussi M. de Wellington; il a beaucoup fait pour nous. J'avais un pauvre carlin; c'?tait le dernier, oui, oui, oui! mais joli comme un amour! H?las! monsieur, la R?volution me l'a tu?; Robespierre l'a fait cuire. Comment se porte Madame? Monseigneur le dauphin, vous savez? le grand dauphin, fils du grand roi? Je l'ai connu bien enrhum?. Le vidame de Cachan nous abandonne; on ne le voit plus. Vive le roi quand m?me! mais n'oubliez pas l'appel au peuple!

Le pr?sident arr?ta ce moulin ? paroles. Il voyait bien que la bonne dame n'avait plus toute sa raison.

--Madame, lui cria-t-il, on a fait appel au peuple.

--Ah! vraiment! vous me faites plaisir. Oui, oui, oui. Eh bien, qu'est-ce qu'ils ont r?pondu, ces braves gens? vive le roi?

--Je regrette d'avoir ? vous annoncer une mauvaise nouvelle, mais ce n'est pas cela qu'ils ont dit.

--Ah! les marauds! les faquins! les b?l?tres! Voyez-vous cette canaille qui se r?volte contre ses ma?tres! Aussi, pourquoi s'avisait-on de les consulter? Envoyez-les tous ici, que je leur apprenne ? vivre. Vidame, tirez l'?p?e, prenez ce ruban; il est ? mes couleurs; exterminez-moi les maroufles, tous, tous, et, quand il n'en restera plus un seul, je vous donnerai ma main ? baiser.

La cause ?tait entendue. Le pr?sident dit ? l'homme au chapelet:

--Vous avez la parole; n'en abusez pas.

--Et s'il me pla?t d'en abuser, r?pondit-il brutalement, qui de vous se permettra de me reprendre? Je dis ce qui me pla?t, je ne rel?ve que de moi-m?me, et d'un homme qui n'est pas en France. C'est lui qui me paye mes gages. Lorsque je vais le voir, il me donne ? baiser le pied de son valet de chambre. Quant ? votre gouvernement, je le tol?re, il me tol?re, nous sommes quittes. Tout le monde sait que je cogne dur; voil? ma libert? de la presse. Pour ce qui est des lois r?pressives, j'en demande, et de bonnes, et de terribles. Il m'en faut pour mes inimiti?s et mes vengeances. Si je d?nonce un homme ? la justice, il faut qu'elle le ruine, qu'elle l'enferme, qu'elle l'?trangle!

Il reprit avec une m?lancolie assez touchante:

--Mais h?las! Dieu cl?ment! notre si?cle est bien mollasse: on n'?trangle plus. Les navets de l'Universit? se permettent d'?crivailler contre nous, et ils ne sont pas m?me br?l?s! Tout au plus si l'on br?le leurs livres.

Il leva ses regards au ciel, lorgna du coin de l'oeil une jolie promeneuse qui traversait l'all?e, et se mit ? dire son chapelet.

Tous les assistants avaient parl?, et je croyais que le pr?sident allait r?sumer les d?bats, quand je sentis quelque chose remuer sous ma chaise. Un nain boiteux, qui semblait sortir de terre, s'?cria en grima?ant:

--Elle est trop bonne! Et moi, j'en suis donc pas?

On allait lui demander son nom, mais l'homme au chapelet le reconnut:

--Bonjour, Tortillard, lui dit-il, bonjour petit. Tu es bien laid et bien vicieux, mais je t'aime: on n'a jamais su pourquoi. Parle, mon mignon; ces messieurs et ces dames sont tout oreilles.

Le nain se redressa tout fier, et commen?a ainsi:

--Quel est ce langage? demanda le pr?sident.

--?a! c'est le javanais, la langue des jeunes personnes de ma connaissance. Monsieur ne sait pas le javanais? On va servir autre chose ? monsieur. Je commence. Mes petites vieilles, nous sommes tous du b?timent. Si je me mettais ? vous vendre mon piano, vous diriez: <>

L'assembl?e, qui ne connaissait pas l'argot des coulisses, se r?cria violemment.

Le nain r?pondit avec une dignit? qui nous frappa tous:

--Non, monsieur, j'ai toujours ?t? acquitt?.

--Tant mieux pour vous, reprit le pr?sident; mais vous ne le serez peut-?tre pas toujours. Si les lois qui r?gissent la presse sont appliqu?es dans toute leur rigueur, que deviendrez-vous?

--Mais si vous ne touchez que des choses malpropres, vous risquez fort de vous salir les mains.

--Il n'y a pas de danger: les gens v?reux me payeront des gants.

--Nous avons des lois sur la diffamation.

--Connu. Mais j'ai calcul? la chose. Suppos? que je tape un peu trop fort sur un monsieur pas tol?rant. Il me fait un proc?s; bon! il est s?r de le gagner; bon! qu'est-ce que je fais? Je cours trouver mon homme loyalement, le front haut. Je lui dis: <> Messieurs et chers confr?res, ce petit discours ?loquent r?ussit neuf fois sur dix.

--Mais un homme diffam? ne s'adresse pas toujours aux tribunaux. Il y a des ?p?es et des pistolets en ce monde.

--Tant mieux! qu'on me tue mes r?dacteurs! J'en trouverai assez d'autres, et l'argent gagn? ne p?rit pas. Ah! messieurs! si Dieu permettait que je perdisse un homme par semaine! C'est ?a qui fait vendre les num?ros!

L'homme au chapelet battit des mains; les autres gard?rent le silence. Pour moi, cousine, une d?mangeaison invincible me poussait ? protester un peu.

--Mais, mon petit monsieur, dis-je ? l'orateur, si, dans l'int?r?t de la s?curit? publique, on vous ?crasait comme une chenille?

--Mon bonhomme, r?pondit-il, il ne faut qu'une courbette et une cabriole pour ?viter bien des malheurs. Au reste, personne n'a rien ? voir dans mes affaires, puisque j'?reinte tout le monde, except? les gens en place. Mais qui es-tu pour me parler ainsi? Je ne t'ai rencontr? ni dans les brasseries ni dans les autres lieux o? je vais chercher l'esprit fran?ais.

--Monsieur, r?pliquai-je fi?rement, je ne suis rien qu'un bon jeune homme. Mais la parole des gens de bien m?rite d'?tre ?cout?e partout. C'est, comme qui dirait, la voix de l'opinion nationale.

L'assembl?e se leva comme un seul homme, en criant: <> Mon expulsion fut vot?e d'enthousiasme. Seul, l'homme au chapelet proposa de me garder, pour me faire cuire ? petit feu. Je m'enfuis ? toutes jambes, comme si tous les diables de l'inquisition avaient ?t? ? mes trousses.

Quand j'arrivai devant le palais des Tuileries, ? deux pas de la sentinelle, le courage me revint. Je m'assis sur un banc, et je repassai dans ma m?moire tout ce que j'avais entendu en ma vie pour et contre la libert? de la presse.

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