Read Ebook: De Napoléon by Suar S Andr
Font size:
Background color:
Text color:
Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page
Ebook has 102 lines and 9474 words, and 3 pages
Telle est l'origine de ses erreurs les plus grossi?res, o? il ?tait forc? de pers?v?rer. Avec le pape, un vieillard en prison, qu'il pensait r?duire ? la charge de chapelain. Avec le tsar Alexandre, qu'il croyait avoir s?duit au point d'endormir son amour-propre, comme si l'amour-propre d'un jeune souverain ne sommeillait pas que d'un oeil. Avec les tristes Habsbourg, qui peuvent bien avoir tout perdu dans le naufrage, mais ? qui reste toujours la grosse lippe; et elle se gonfle de rage, quand il leur faut mettre leur blonde fille dans le lit du capitaine ligure, qui sent l'ail et l'eau de cologne.
L'empereur p?se les provinces et les royaumes; mais il n'a pas d'assez fines balances, pour peser les sentiments. Il n'y a pas d'?tats tenus ? jour pour les passions, comme pour les r?giments.
Le triomphe de l'id?e punique est sans doute le triomphe de la raison: ? tout le moins, celui de la pens?e antique.
On peut toujours ramener les esp?ces de la raison ? des valeurs en quantit?. Plus que jamais, ici, Napol?on est le fl?au de la R?volution, battant le bl? du monde. Car la R?volution est un essai ? fonder le genre humain sur la raison et les valeurs de la raison. La raison souveraine ne consid?re que des nombres; ma?tresse absolue, elle est une table des valeurs toujours au courant. Elle n'omet, pr?cis?ment, que la vie, les sentiments et les passions.
Dans la paix, Napol?on s'exerce ? la guerre par l'implacable exercice de la raison. Il est admirable, comme un ?tai fond? sur la raison, se gouverne par les maximes de la force. Sa loi est sans piti?.
La connaissance de l'or et du pouvoir v?ritable d?pend de la raison. Par la haine qu'on lui voit des voleurs domestiques, des parasites, de la concussion, on sent que le respect de l'or ?tait dans Napol?on une habitude dominante. Nul n'aimait moins la fortune pour soi-m?me; mais il avait p?n?tr? le sens de l'or. Il n'aime pas l'or comme un avare. L'avare est l'esclave du signe. Napol?on, sous le signe, adh?re au fait comme la pie-m?re au cerveau. Il v?n?re l'or en conqu?rant. Le conqu?rant a sa fa?on de v?n?rer, qui est la possession jalouse. S'il avait pu, Napol?on e?t ?t? l'unique banquier de l'univers: il r?vait de d?tenir tout l'or et tout le cr?dit de la plan?te.
Napol?on, le premier depuis les grands politiques de Rome, a su que l'or est le signe de la force et l'outil de la puissance. Reste l'homme capable de les conqu?rir et de les manier. Le fer est le manche et le levier de l'or; mais l'or est la pointe du fer, qui perce tout. Le fer disperse l'or, et l'or dissout le fer.
Aussi, Napol?on ne peut souffrir qu'on pr?varique. Le moindre vol fait ? l'?tat, il le punit comme une trahison. Le code est terrible contre les faux monnayeurs: n'est-ce pas le dernier mot de la raison, et son pouce baiss? dans le cirque?
Derri?re l'homme de guerre, on ne perd pas de vue l'arbitre des valeurs. En Napol?on, c'est le m?me homme. Par o? il ne faudrait pas entendre que l'homme de la bourse est l'homme de la guerre. L'un des deux contient l'autre; mais le conqu?rant est le grand homme, non pas vos porchers de Chicago. Que les serfs de l'opinion, aujourd'hui, n'aient pas le front de comparer ? Austerlitz et ? L?na un coup sur le suif et les cochons. Quand Napol?on r?gne, Ouvrard est forc? de servir.
Le destin, dit Napol?on, c'est la politique.
Pour achever l'homme de la valeur, en Napol?on, il y avait l'esprit latin, le juge ? la romaine: la t?te de l'ordre, qui cherche ? faire l'unit? de l'esp?ce, et qui l'impose. Pour la t?te romaine, l'ordre est dans l'unit?.
Une seule valeur, une seule monnaie, une seule signature: un ?talon immuable pour toutes les formes de la richesse et de l'action. Voire, de la pens?e: Sublime ridicule des id?es de Napol?on sur l'art et les po?tes. C'est en quoi Napol?on n'a jamais compris qu'on lui oppos?t le g?nie des artistes, la libert? des partis, l'ind?pendance des peuples, le droit des particuliers. A ses yeux, il n'est pas de personne priv?e. Tout individu est d'abord dans l'?tat.
Il avait fix? le type l?gal de toutes ces valeurs rebelles. Il en avait pris la tutelle et la garde. Il ?tait pr?t ? y tout sacrifier, et en partie lui-m?me. Il ne pouvait pas admettre qu'on cherch?t des variables ou des obliques aux perpendiculaires politiques et morales, qu'il avait abaiss?es du point fixe: l'int?r?t de l'?tat, tel qu'il l'avait con?u et confondu dans son propre int?r?t, ? lui. En tout le souci de l'unit?, et si l'on veut, la manie. Un seul ?tat, un empire entour? de royaumes feudataires. Un seul esprit, un seul lyc?e, une seule ?cole. Le blocus continental est l'unit? dans l'ordre ?conomique. Les codes, l'unit? dans l'ombre des lois; et l'on peut dire que le vice profond de ces codes, qui ont conquis l'Europe, est assur?ment le m?pris des esp?ces: ils nient le changement; ils ignorent l'individu. Au criminel, ils poussent cette ignorance jusqu'? l'atrocit?, jusqu'? la sottise. Napol?on e?t volontiers promen? le m?me rouleau sur les ?glises et sur les religions. Au Caire, il fait le mahom?tan, et le vieil orthodoxe ? Moscou. Il enrage de n'avoir pas un nouvel ?vangile ? promulguer, avec le vicaire de J?sus-Christ. Il croyait ?tre la R?volution et l'ancien r?gime, la raison et la foi.
Quelques traits de sa morale, quelques nombres de son arithm?tique.
L'homme du destin sera toujours l'homme du jeu. La politique est le hasard heureux; et le grand homme qui gagne la partie fait croire aux vaincus qu'il a pr?vu tous les coups. Il parle du hasard asservi, quand il gagne; et quand il perd, de la fatalit?. Mais ces id?es-l? sont pour le peuple. Se parlant ? lui-m?me, Napol?on invoque son ?toile: et quand elle est bonne, il la fait luire aux yeux des soldats. Il est joueur comme Annibal. A tout moment, l'on sent qu'il ne croit pas plus ? sa fortune qu'? rien autre. Mais non pas moins. Il croit au coup de d?s; et surtout qu'on peut toujours les piper, avec l'aide de la fortune, qui est le hasard complice. La fortune d'un conqu?rant est toujours soumise ? quelques coups de d?s extraordinaires. Lui-m?me, c'est son g?nie de les tenter. Le grand C?sar n'a pas craint d'en faire l'aveu, parce qu'il avait tous les courages.
Napol?on parle de son ?toile, comme un fid?le parle de son patron. Il la loue, il la vante, il l'accuse. Je suis s?r qu'il la prie. Quel joueur n'est pas superstitieux? Napol?on a ses f?tiches et ses secrets pour conjurer le mauvais sort. La parole est son talisman de pr?dilection: il donne beaucoup aux mots qui font titre, et aux impr?cations de la fausse col?re; il donne aussi au spectacle. Toute sa com?die avec le Pape et avec les Rois, j'y vois une c?r?monie magique. Un tel homme avait une trop grande t?te, pour ne pas sentir le ridicule de ces mascarades et l'odieux des couronnes en tas sur ce beau front, qu'elles diminuent et qu'elles alourdissent, mais qu'elles ne sauraient pas grandir.
Il joue sur les faits, le fort aventurier. Il a souvent cach? la table de jeu sous les oripeaux, sacr?s ? tous les hommes, de l'?loquence, de la pompe royale et de la proph?tie. Mais au fond il jouait l'empire sur une chance, ? Waterloo comme devant Saint-Roch. Sa m?re ne s'y trompait pas, l'oeil sur lui, cet oeil de la nourrice qui s'attend ? tout et qu'on ne trompe pas, l'oeil qui a connu le corps de l'homme au berceau, l'oeil de la femme qui a chang? son petit dans les langes. Joueuse elle aussi, Letizia, la vieille Parque, mettait des millions ? l'abri, dans les temps solaires d'Austerlitz et d'I?na, en pr?vision de la saison noire. Et elle osait dire de ses fils, tous ensemble en peloton, le grand avec les petits, comme ils sont m?l?s sur la quenouille d'une m?re: <
XXX
Quel autre moyen que la force? Le grand artiste ne vit que pour poss?der le monde, et le refaire ? sa guise. Napol?on est le po?te de l'action: la guerre est son art magnifique. Il p?trit la glaise humaine; il mod?le dans le vif de la masse chaude, dans la chair et la pourpre du sang.
Il ?tait fort causant, mais jamais sans dessein. Il fait parler les autres, pour apprendre ce qu'il veut savoir. D?s qu'il le sait, l'entretien n'est plus pour lui, ayant une opinion, qu'une escarmouche o? il l'impose, et parfois un combat. Telle est la causerie ? Ninive: un plaisir sans contradiction.
Puissance de l'imagination: il la conna?t; mais non pas assez en lui. A tout instant, il croit ce qu'il veut; il se voit lui-m?me comme il s'imagine. Et telle est sa force, sur les faibles, qu'on le voit encore comme il a voulu qu'on le v?t.
Il y a de quoi rire et de quoi admirer, quand il parle de son amour pour la paix, de tout ce qu'il y voulait faire. C'est pour faire la paix qu'il va jusqu'? Moscou, mettant l'Europe ? feu et ? sang; et s'il avait pu, il e?t ?t? faire la paix aux Indes, en Perse et en Chine.
Il ne ment pas. Il voit ce qu'il r?ve, comme l'artiste au travail. Ha! donnez-moi un monde ou deux ? conqu?rir, pour que j'y fasse la paix, pour que je le taille, en plein bloc, ? l'image de ce que je veux, de ce que je suis!
Il est sans piti? pour tout ce qui trouble la valeur, pour tout ce qui alt?re l'?talon d'or, tel qu'il le fixe en tous les ordres.
Il chasse l'homme qui ne veut pas servir l'?tat; et s'il n'y est pas apte, il le proscrit: ? quoi est-il bon? La l?chet? aux arm?es, le manque ? servir dans les cadres de l'Empire, deux crimes que Napol?on ne pardonne pas.
Il a donc horreur de la femme qui fait l'homme. Il tourne le dos ? madame de Sta?l; il ne met point l'aigrette ? ce turban de pr?tentions infinies. Et comme ce grenadier turc, pour piper un compliment, demande au Premier Consul quelle est la femme qu'il pr?f?re, il r?pond: <
Faire l'homme, en effet, c'est le plus s?r moyen, pour la femme, de ne plus faire d'enfants. Les femmes ? plumes n'ont pas encore trouv? la recette de muer leurs ridicules ?poux en nourrices.
A sa Jos?phine, quand il l'aime encore en amant trop ?pris, il ne donne pas de la bien-aim?e, ni de mon coeur, ou mon amour. Il l'appelle: ma bonne amie, ma bonne. Elle lui aurait fait pr?sent d'un fils, il ne l'e?t jamais r?pudi?e. Il dit, plus tard, ? ses ma?tresses d'une heure, quand il leur ouvre la porte, prenant cong? apr?s une effusion br?ve: <
Il y met peut-?tre moins de vulgarit? bourgeoise, que l'accent du peseur jur?, ou de l'essayeur d'or: une bonne femme, une bonne fille, une bonne monnoie; elle vaut ce qu'elle vaut; elle ne ment pas sur sa frappe ni sur son titre.
Il tient ? toutes les valeurs, jusqu'? s'en rendre dupe. Homme de l'antiquit? en tout, il est le h?ros de la famille. Il fait arbre, il est dans la famille comme le tronc dans les racines et dans les branches. Il respecte dans l'a?n? la seule qualit? qu'il n'a pas. Il croit ? ses fr?res, m?me quand il les juge. Il leur montre une indulgence infinie. Il pourrait les ?craser, m?me il le devrait, et il les m?nage: souvent, je crois voir un lion avec ses poux; et quand ils le tourmentent, il les fait sauter de la griffe, au lieu de les an?antir sur sa liti?re. ?tonnant d'ironie, il s'amuse de cette vermine; il s'en laisse manger. Il est dupe, le veut ?tre et le sait.
Il a eu du coeur pour ceux de son clan. Il n'en a pas eu pour la France.
Il n'y a absolument rien du chr?tien, en lui. C'est pourquoi le sentiment n'est une valeur, ? ses yeux, que dans les autres. Il se sert de l'immense amour qu'il excite dans les Gaulois, toujours fous de justice et chevaliers de la gloire. Il a la t?te froide; il les m?ne par la raison; mais elle n'est passionn?e qu'en eux. Pour ?touffer leurs cris, il les gorge de victoires. Mais plus d'une fois, il les effraie. Dans les affaires politiques, il est plus terrible que N?ron: parce qu'il est immuablement raisonnable. L'?tat est le monstre de pierre. Napol?on est l'?tat: ses crimes sont glac?s. Raison d'?tat, crime d'?tat,--droit de l'?tat, pour Napol?on. Soumis au destin, il se prend pour le destin; il y soumet inexorablement les autres. Les crimes du destin sont ? peine des accidents. Certain matin pluvieux, dans l'ombre d'une nuit tr?s noire et tr?s mauvaise, le duc d'Enghien est mort d'accident, dans le foss? de Vincennes.
Napol?on est impassible. Certes, il aime la France. Et comment non? O? jamais e?t-il fait une telle fortune? La France est le levier divin. Rien n'a manqu? ? Annibal qu'une France: Rome e?t disparu.
Malgr? tout, il n'avait pas le coeur de la vieille France, celui qu'il avait re?u de la France nouvelle, et qu'elle lui avait donn?, sans qu'il le s?t, en lui donnant son coeur. Il n'?tait pas capable de s'oublier pour elle. Comme l'?tat, pour Napol?on, la France c'est lui; c'est son fils, c'est son sang. Quand la France se s?pare de Napol?on et de son petit, Napol?on n'a plus piti? de la France. La grand'piti? qui est au royaume de France, il ne la pas sentie, quand elle saignait. Apr?s la Russie et Leipzick, il a pu refuser la fronti?re du Rhin: par amour-propre! Il ne voulait pas laisser la France plus petite qu'il ne l'avait re?ue. Sire, il ne fallait pas vous croire plus grand qu'elle.
Napol?on a le plus profond m?pris des Bourbons: un m?pris sans violence, comme on l'a des malades fanfarons, des mineurs, des imb?ciles. M?pris l?gitime, si j'ose dire en riant. Et, ? la v?rit?, les Bourbons ne se sont jamais lav?s de ce m?pris-l?. Obscur?ment, le peuple les en accable. Le dernier terme du m?pris qu'un peuple fait de ses rois: il les ignore, totalement.
Napol?on a tu? les rois.
L'homme de la valeur et du change le plus strict ne d?teste rien tant que l'homme d'ironie: car l'ironie brouille toutes les valeurs et bouleverse les changes.
L'ironie est la fausse monnoie elle-m?me dans les jugements. Encore, la fausse monnoie est-elle connue par comparaison ? la bonne. L'ironie est un faussaire plus subtil: elle alt?re le m?tal, au nom d'un droit sup?rieur, dans la main de ceux qui donnent et de ceux qui re?oivent; elle confond les titres. Elle pr?te une valeur souveraine ? ce qui n'en a peut-?tre aucune, ou m?diocre. En s'y substituant, elle avilit le meilleur cr?dit du monde; elle l'use, elle le d?figure. Elle corrompt la signature. Le seing, qui valait de l'or en barres, ne vaut plus que du cuivre. L'ironie, enfin, d?mon?tise les stat?res de Syracuse, pour en transf?rer, le prix, non pas ? ce qui n'en a point, bien pis, ? la valeur fictive, qui parfois est r?elle, mais qui d'abord est perturbatrice, ?tant la valeur non connue. Et plus elle est inconnue, plus elle est ruineuse de toutes les habitudes. L'ironie est la fausse monnoie du roi. Elle est la n?gation de la valeur.
Voil? comment Napol?on n'a pas cess? de ha?r Talleyrand, sans r?ussir ? se passer de lui. Talleyrand ?tait sa faiblesse, son vice, son bas de soie, son go?t perverti, le seul, son go?t d'Occident. Talleyrand l'irritait et le tentait d?s son nom, qu'il n'arrivait pas ? prononcer comme il est ?crit: Taillerand, disait-il.
Que n'e?t pas donn? Napol?on pour ?craser ce prince de la corruption, ou pour lui inspirer un peu de sa saine conscience? Mais l'intelligence glac?e du maudit boiteux ?chappait aux reproches: cet esprit reste incorruptible dans toutes les putr?factions de l'action et des moeurs. Il se d?robe m?me au m?pris, par le m?pris sup?rieur du sceptique et de l'?go?ste accompli. Il ?mousse la violence du tyran par le masque impassible qu'il oppose aux offenses; et il est plus fort que la menace, plus fort que les coups, mettant entre eux et lui la distance cruelle de l'ironie, et l'?loignement infini d'une politesse qui ne fut jamais prise en d?faut, et qui ne livre rien de soi.
A toute heure, Napol?on d?concert? perdait pied devant Talleyrand; et grondant contre lui, il ?tait s?duit, effray? peut-?tre par ce d?mon de l'ironie secr?te. A toute heure, il s'?tonnait avec rage d'en souffrir la pr?sence, et de ne l'avoir pas encore an?anti.
Il faut un paysan fran?ais, et surtout un paysan du Midi, pour comprendre tout ce que Napol?on a ?t?, tout ce qu'il a re?u de la France, tout ce qu'il lui a donn?, et tout ce qu'il lui a permis de rendre en ?change.
Napol?on est, comme Jeanne d'Arc, une occasion supr?me de la race. Mais Jeannette est de la race, et Napol?on non pas. Tandis que Jeanne d'Arc porte tout l'id?al de la nation, au point de cr?er la nation m?me, c'est la nation qui donne son id?al ? Napol?on, et qui l'en charge. Il en devrait ?tre accabl?, et ne l'est pas. Il n'abdique pas son g?nie propre. Napol?on est une force sublime, mais sans amour. L'id?al de la France est infiniment plus fort que lui, et tout de m?me sublime. Il n'est qu'un homme, apr?s tout; et elle, m?me apr?s lui, elle dure. Rien ne dure que par l'amour.
Quand l'arm?e du Midi a ?lu Napol?on pour son ma?tre et son idole, il y avait un conqu?rant en chacun de ces paysans maigres, ? l'?chine de chat, allant par bonds et par rires, sans hardes et sans souliers. Peu importe le pillage, l'amour ? la hussarde, les moeurs grossi?res, la violence des camps, et tous les crimes de la guerre. Chacun de ces laboureurs bruns ?tait une flamme vivante. Elle br?lait pour le Messie, pour la Justice et pour la Raison, comme ils l'appelaient. Sont-ce l? des mots vides, au coeur de ces fils de la terre? Des mots? Non, les pavillons de la France libre et d?livrant le genre humain: la m?me France, les m?mes ?tendards qui proclamaient, sous Jeanne d'Arc, J?sus et le Roi.
Napol?on n'a point d'?gal, tant qu'il s'?gale au g?nie de la France. S'il parle pour soi-m?me, pour sa maison, pour son ordre, la France se d?tourne de lui. Plus grand, sans doute, de s'?tre perdu ainsi. Sa faiblesse n'est pas de l'homme; mais au contraire, qu'un moment est venu o? la force de l'homme souverain s'est s?par?e de la force nationale. Et la faiblesse de la France a paralys? la force de l'homme souverain. La France tombait de fatigue, et Napol?on ?tait infatigable. Voil? o? ce grand homme de la valeur a perdu le sens de la valeur. Qu'il meure d'ulc?re ou du ventre ou du foie: nul ne fut plus sain que celui-l?: il meurt de ne plus ?tre.
La valeur et la sant?, ce que peut l'homme et ce qu'il vaut pour vivre, c'est tout un. Et peut-?tre, dans ce qu'il vaut, y a-t-il profond?ment tout ce qu'il faut. La pleine valeur est la fatalit? fix?e, et qui poss?de toute sa force. H?ros de la possession autant que de la conqu?te, Napol?on a ressuscit? le monde des anciens ? l'?chelle de la fatalit? moderne. Il est l'homme qui a ?puis? la puissance, ayant somm? de soi toutes les valeurs de l'action.
Ao?t 1910.
Nous avons donn? le bon ? tirer apr?s correction pour deux mille exemplaires de ce premier cahier et pour vingt-huit exemplaires sur whatman le mardi 23 juillet 1912.
Le g?rant: CHARLES P?GUY
Ce cahier a ?t? compos? et tir? par des ouvriers syndiqu?s
Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page
