Read Ebook: Œuvres complètes de Guy de Maupassant - volume 16 by Maupassant Guy De
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Ebook has 1295 lines and 47291 words, and 26 pages
Au lecteur
Cette version num?ris?e reproduit dans son int?gralit? la version originale.Toutefois, les erreurs typographiques ?videntes ont ?t? corrig?es. La liste des corrections se trouve ? la fin du texte. La ponctuation a pu faire l'objet de quelques corrections mineures.
OEUVRES COMPL?TES DE GUY DE MAUPASSANT
LA PR?SENTE ?DITION DES OEUVRES COMPL?TES DE GUY DE MAUPASSANT A ?T? TIR?E PAR L'IMPRIMERIE NATIONALE EN VERTU D'UNE AUTORISATION DE M. LE GARDE DES SCEAUX EN DATE DU 30 JANVIER 1902.
IL A ?T? TIR? ? PART 100 EXEMPLAIRES SUR PAPIER DE LUXE SAVOIR:
OEUVRES COMPL?TES DE GUY DE MAUPASSANT
LA PETITE ROQUE
LA PEUR--LES CARESSES
PARIS LOUIS CONARD, LIBRAIRE-?DITEUR 17, boulevard de la madeleine, 17
LA PETITE ROQUE.
LE pi?ton M?d?ric Rompel, que les gens du pays appelaient famili?rement M?d?ric, partit ? l'heure ordinaire de la maison de poste de Ro?y-le-Tors. Ayant travers? la petite ville de son grand pas d'ancien troupier, il coupa d'abord les prairies de Villaumes pour gagner le bord de la Brindille, qui le conduisait, en suivant l'eau, au village de Carvelin, o? commen?ait sa distribution.
Il allait vite, le long de l'?troite rivi?re qui moussait, grognait, bouillonnait et filait dans son lit d'herbes, sous une vo?te de saules. Les grosses pierres, arr?tant le cours, avaient autour d'elles un bourrelet d'eau, une sorte de cravate termin?e en noeud d'?cume. Par places, c'?taient des cascades d'un pied, souvent invisibles, qui faisaient, sous les feuilles, sous les lianes, sous un toit de verdure, un gros bruit col?re et doux; puis plus loin, les berges s'?largissant, on rencontrait un petit lac paisible o? nageaient des truites parmi toute cette chevelure verte qui ondoie au fond des ruisseaux calmes.
M?d?ric allait toujours, sans rien voir, et ne songeant qu'? ceci: <
Sa blouse bleue serr?e ? la taille par une ceinture de cuir noir passait d'un train rapide et r?gulier sur la haie verte des saules; et sa canne, un fort b?ton de houx, marchait ? son c?t? du m?me mouvement que ses jambes.
Donc, il franchit la Brindille sur un pont fait d'un seul arbre, jet? d'un bord ? l'autre, ayant pour unique rampe une corde port?e par deux piquets enfonc?s dans les berges.
La futaie, appartenant ? M. Renardet, maire de Carvelin, et le plus gros propri?taire du lieu, ?tait une sorte de bois d'arbres antiques, ?normes, droits comme des colonnes, et s'?tendant sur une demi-lieue de longueur, sur la rive gauche du ruisseau qui servait de limite ? cette immense vo?te de feuillage. Le long de l'eau, de grands arbustes avaient pouss?, chauff?s par le soleil; mais sous la futaie, on ne trouvait rien que de la mousse, de la mousse ?paisse, douce et molle, qui r?pandait dans l'air stagnant une odeur l?g?re de moisi et de branches mortes.
M?d?ric ralentit le pas, ?ta son k?pi noir orn? d'un galon rouge et s'essuya le front, car il faisait d?j? chaud dans les prairies, bien qu'il ne f?t pas encore huit heures du matin.
Il venait de se recouvrir et de reprendre son pas acc?l?r? quand il aper?ut, au pied d'un arbre, un couteau, un petit couteau d'enfant. Comme il le ramassait, il d?couvrit encore un d? ? coudre, puis un ?tui ? aiguilles deux pas plus loin.
Ayant pris ces objets, il pensa: <
Soudain, il s'arr?ta net, comme s'il se f?t heurt? contre une barre de bois; car, ? dix pas devant lui, gisait, ?tendu sur le dos, un corps d'enfant, tout nu, sur la mousse. C'?tait une petite fille d'une douzaine d'ann?es. Elle avait les bras ouverts, les jambes ?cart?es, la face couverte d'un mouchoir. Un peu de sang maculait ses cuisses.
M?d?ric se mit ? avancer sur la pointe des pieds, comme s'il e?t craint de faire du bruit, redout? quelque danger; et il ?carquillait les yeux.
Qu'?tait-ce que cela? Elle dormait, sans doute? Puis il r?fl?chit qu'on ne dort pas ainsi tout nu, ? sept heures et demie du matin, sous des arbres frais. Alors elle ?tait morte; et il se trouvait en pr?sence d'un crime. A cette id?e, un frisson froid lui courut dans les reins, bien qu'il f?t un ancien soldat. Et puis c'?tait chose si rare dans le pays, un meurtre, et le meurtre d'une enfant encore, qu'il n'en pouvait croire ses yeux. Mais elle ne portait aucune blessure, rien que ce sang fig? sur sa jambe. Comment donc l'avait-on tu?e?
Il s'?tait arr?t? tout pr?s d'elle; et il la regardait, appuy? sur son b?ton. Certes, il la connaissait, puisqu'il connaissait tous les habitants de la contr?e; mais ne pouvant voir son visage, il ne pouvait deviner son nom. Il se pencha pour ?ter le mouchoir qui lui couvrait la face; puis s'arr?ta, la main tendue, retenu par une r?flexion.
Avait-il le droit de d?ranger quelque chose ? l'?tat du cadavre avant les constatations de la justice? Il se figurait la justice comme une esp?ce de g?n?ral ? qui rien n'?chappe et qui attache autant d'importance ? un bouton perdu qu'? un coup de couteau dans le ventre. Sous ce mouchoir, on trouverait peut-?tre une preuve capitale; c'?tait une pi?ce ? conviction, enfin, qui pouvait perdre de sa valeur, touch?e par une main maladroite.
Alors, il se releva pour courir chez M. le maire; mais une autre pens?e le retint de nouveau. Si la fillette ?tait encore vivante, par hasard, il ne pouvait pas l'abandonner ainsi. Il se mit ? genoux, tout doucement, assez loin d'elle par prudence, et tendit la main vers son pied. Il ?tait froid, glac? de ce froid terrible qui rend effrayante la chair morte, et qui ne laisse plus de doute. Le facteur, ? ce toucher, sentit son coeur retourn?, comme il le dit plus tard, et la salive s?ch?e dans sa bouche. Se relevant brusquement, il se mit ? courir sous la futaie vers la maison de M. Renardet.
Il allait au pas gymnastique, son b?ton sous le bras, les poings ferm?s, la t?te en avant; et son sac de cuir, plein de lettres et de journaux, lui battait les reins en cadence.
La demeure du maire se trouvait au bout du bois qui lui servait de parc et trempait tout un coin de ses murailles dans un petit ?tang que formait en cet endroit la Brindille.
C'?tait une grande maison carr?e, en pierre grise, tr?s ancienne, qui avait subi des si?ges autrefois, et termin?e par une tour ?norme, haute de vingt m?tres, b?tie dans l'eau.
Du haut de cette citadelle, on surveillait jadis tout le pays. On l'appelait la tour du Renard, sans qu'on s?t au juste pourquoi; et de cette appellation sans doute ?tait venu le nom de Renardet que portaient les propri?taires de ce fief rest? dans la m?me famille depuis plus de deux cents ans, disait-on. Car les Renardet faisaient partie de cette bourgeoisie presque noble qu'on rencontrait souvent dans les provinces avant la R?volution.
Le facteur entra d'un ?lan dans la cuisine o? d?jeunaient les domestiques, et cria: <
M. Renardet, pr?venu, ordonna qu'on l'amen?t. Le pi?ton, p?le et essouffl?, son k?pi ? la main, trouva le maire assis devant une longue table couverte de papiers ?pars.
C'?tait un gros et grand homme, lourd et rouge, fort comme un boeuf, et tr?s aim? dans le pays, bien que violent ? l'exc?s. ?g? ? peu pr?s de quarante ans et veuf depuis six mois, il vivait sur ses terres en gentilhomme des champs. Son temp?rament fougueux lui avait souvent attir? des affaires p?nibles dont le tiraient toujours les magistrats de Ro?y-le-Tors, en amis indulgents et discrets. N'avait-il pas, un jour, jet? du haut de son si?ge le conducteur de la diligence parce qu'il avait failli ?craser son chien d'arr?t Micmac? N'avait-il pas enfonc? les c?tes d'un garde-chasse qui verbalisait contre lui, parce qu'il traversait, fusil au bras, une terre appartenant au voisin? N'avait-il pas m?me pris au collet le sous-pr?fet qui s'arr?tait dans le village au cours d'une tourn?e administrative qualifi?e par M. Renardet de tourn?e ?lectorale; car il faisait de l'opposition au gouvernement par tradition de famille.
Le maire demanda: < --J'ai trouv? une p'tite fille morte sous vot' futaie.>> Renardet se dressa, le visage couleur de brique: --Vous dites... Une petite fille? --Oui m'sieu, une p'tite fille, toute nue, sur le dos, avec du sang, morte, bien morte. Le maire jura: < Le facteur expliqua la place, donna des d?tails, offrit d'y conduire le maire. Mais Renardet devint brusque: < Le pi?ton, homme de consigne, ob?it et se retira, furieux et d?sol? de ne pas assister aux constatations. Le maire sortit ? son tour, prit son chapeau, un grand chapeau mou, de feutre gris, ? bords tr?s larges, et s'arr?ta quelques secondes sur le seuil de sa demeure. Devant lui s'?tendait un vaste gazon o? ?clataient trois grandes taches, rouge, bleue et blanche, trois larges corbeilles de fleurs ?panouies, l'une en face de la maison et les autres sur les c?t?s. Plus loin, se dressaient jusqu'au ciel les premiers arbres de la futaie, tandis qu'? gauche, par-dessus la Brindille ?largie en ?tang, on apercevait de longues prairies, tout un pays vert et plat, coup? par des rigoles et des haies de saules pareils ? des monstres, nains, trapus, toujours ?branch?s, et portant sur un tronc ?norme et court un plumeau fr?missant de branches minces. A droite, derri?re les ?curies, les remises, tous les b?timents qui d?pendaient de la propri?t?, commen?ait le village, riche, peupl? d'?leveurs de boeufs. Renardet descendit lentement les marches de son perron, et, tournant ? gauche, gagna le bord de l'eau qu'il suivit ? pas lents, les mains derri?re le dos. Il allait, le front pench?; et de temps en temps il regardait autour de lui s'il n'apercevait point les personnes qu'il avait envoy? qu?rir. Lorsqu'il fut arriv? sous les arbres, il s'arr?ta, se d?couvrit et s'essuya le front comme avait fait M?d?ric; car l'ardent soleil de juillet tombait en pluie de feu sur la terre. Puis le maire se remit en route, s'arr?ta encore, revint sur ses pas. Soudain, se baissant, il trempa son mouchoir dans le ruisseau qui glissait ? ses pieds et l'?tendit sur sa t?te, sous son chapeau. Des gouttes d'eau lui coulaient le long des tempes, sur ses oreilles toujours violettes, sur son cou puissant et rouge, et entraient, l'une apr?s l'autre, sous le col blanc de sa chemise. Comme personne n'apparaissait encore, il se mit ? frapper du pied, puis il appela: < Une voix r?pondit ? droite: < Et le m?decin apparut sous les arbres. C'?tait un petit homme maigre, ancien chirurgien militaire, qui passait pour tr?s capable aux environs. Il boitait, ayant ?t? bless? au service, et s'aidait d'une canne pour marcher. Puis on aper?ut le garde champ?tre et le secr?taire de la mairie, qui, pr?venus en m?me temps, arrivaient ensemble. Ils avaient des figures effar?es et accouraient en soufflant, marchant et trottant tour ? tour pour se h?ter, et agitant si fort leurs bras qu'ils semblaient accomplir avec eux plus de besogne qu'avec leurs jambes. Renardet dit au m?decin: < --Oui, un enfant mort trouv? dans le bois par M?d?ric.
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