Read Ebook: Essais et portraits by Blanche Jacques Mile
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Ebook has 286 lines and 43724 words, and 6 pages
Quelle serait sa couleur politique s'il en avait une? Par rapport ? ce que nous voyons aujourd'hui, il serait plut?t r?actionnaire, mais vaguement, et si ce mot insuffisant et improprement employ?, ne d?signait une fa?on de sentir qui ne saurait ?tre celle d'un homme intelligent; admettons pourtant que le r?actionnaire soit celui qui n'est pas r?volutionnaire, qui ne r?ve pas d'un perp?tuel bouleversement, d'une incessante mise en question de tous les axiomes--conventions si vous voulez--dont nous vivons, ni mieux ni pis, sans doute, que l'on ne fit avant, que l'on ne fera encore apr?s nous. Le r?actionnaire? Ce serait encore quelqu'un qui a assez lu l'histoire et assist? ? trop de changements pour ne pas r?sister aux gestes invitants des vendeurs de panac?es, ne pas se m?fier des rem?des propos?s ? d'incurables maladies; peut-?tre un sceptique, ou un philosophe trop prudent, qui ne croit pas ? la n?cessit? de la r?volution, comme source de progr?s.
Forain ne s'est pas fa?onn? une ?me d'aristocrate ni de bourgeois qui regrette et s'?pouvante. Il a un atavisme peuple et parisien, point de convictions irr?ductibles, nulle ?thique s?v?re, mais du bon sens et une franche connaissance des hommes. S'il a d?j? la <
Tout enfant, dans le quartier du Gros-Caillou o? son p?re ?tait artisan, Jean-Louis avait ?t? distingu? pour son intelligence par un abb?, M. Charpentier, aum?nier d'une vieille famille de l'aristocratie. Il en avait re?u une ?ducation religieuse, contre quoi il n'avait jamais regimb? et dont le souvenir lui demeurait assez doux. Le contact des personnes de bonne compagnie, si antipathique ? d'aucuns, lui avait sans cesse ?t? agr?able, comme la propret? corporelle et les apparences d?centes. Il avait dix-sept ans ? la guerre. Tous ceux qui ont assist? ? ces d?testables ?v?nements nous ont dit l'impression cruelle qu'ils en ont re?ue et le puissant bapt?me que leur fut, ? l'entr?e de leur ?ge d'homme, le sang de l'ann?e terrible. Il semble que l'invasion soit demeur?e comme un cauchemar dans leur cerveau et que rien ne l'en puisse ?carter tout ? fait. Les g?n?rations qui suivent ont de moins en moins la facult? de vibrer ? l'?vocation de cette trag?die; ceux-l? m?me qui se rappellent les premiers r?cits, les constantes allusions que nos parents y faisaient, regardent ces guerriers de hasard presque comme les h?ros de la Fable. Mais je comprends leur ?motion, quand j'entends insulter grossi?rement tout ce que nous avons ?t? ?lev?s ? appeler honneur, dignit?, beaut? morale. Admirons la souplesse de nos contemporains, pour qui les principes de notre ?ducation d?j? ancienne, mais qui nous ont form?s, sont l'objet d'incessantes railleries, tels de vieux accessoires d?suets qu'on repousse comme importuns et ridicules.
Si le d?veloppement de Forain commence ? se faire sentir au moment du Boulangisme, sa ma?trise ?clate apr?s 96, date si importante d'une trag?die qui ouvre nos esprits, agite nos coeurs, o? l'on peut assurer que chacun--except? peut-?tre certains acteurs --est de bonne foi, spontan?ment s'exprime, agit en toute sinc?rit?, pour la d?fense de ce qu'il croit ?tre les int?r?ts tr?s menac?s du pays ou de la civilisation. Malheureusement les points de vue sont oppos?s! On va se d?chirer entre fr?res; l'avenir du pays est en jeu, toutes portes vont ?tre ouvertes ? ses d?molisseurs.
On se r?veille, sortant comme d'un ?tat d'inconscience l?thargique. Tout ? coup le terrain que nous foulions sans nous demander ce qu'il y a dessous, se fissure. Comme dans les travaux du M?tropolitain, qui mettent ? nu des ?tages superpos?s de canalisation pour les eaux, le gaz, l'?lectricit?, le t?l?phone et le t?l?graphe, prodigieux r?seau de fils et de tuyaux invisibles dont l'enchev?trement silencieux et obscur participe ? notre vie ? l'air libre; nous apercevons, alors, mille choses insoup?onn?es. Nous devinons les causes de maint effet d?j? ressenti, mais comme une l?g?re et fugitive douleur qu'on oublie d?s qu'elle dispara?t. Tout esprit qui ne fut point remu?, retourn? ainsi qu'un champ labour?, tout homme assez prudent ou assez l?che pour ?tre demeur? impassible, ne comprendra pas la crise par quoi Forain, de charmant dessinateur qu'il ?tait, devint grand artiste.
Traduction par St?phane Mallarm? du po?me d'Edgar Po?.
Forain dit que, dans ces temps troubl?s, il se couchait dans un ?tat de rage et se levait, apr?s un sommeil fi?vreux, plus en rage encore. Comme la plupart d'entre nous, il ne connaissait pas les d?tails juridiques de l'affaire et ne s'arr?ta pas ? discuter tel ou tel point sur quoi nous ne serons jamais ?difi?s, la meilleure foi chez quelques-uns, la folie passionn?e chez les autres, brouillant tout, dans la hantise d'une obsession. Forain sentait que c'?tait la fin de quelque chose dont il faisait partie: il hurlait ? la mort, comme les autres criaient: <>, le couteau sous la gorge. H?las! des poign?es de main ne purent toujours ?tre ?chang?es entre les combattants apr?s le duel. La maison est par terre. Verrons-nous ce qui se dressera sur le terrain calcin?? On e?t souhait? d'?tre enfant ou vieillard en 97.
Forain ne <
Il y a quelque temps, on vit dans l'atelier de la rue Spontini des projets de tableaux religieux. La beaut? de ces compositions fait esp?rer tout un d?veloppement nouveau, une veine peut-?tre f?conde. La largeur et la noblesse qu'a prises la technique de Forain, peintre, nous annonce encore des chefs-d'oeuvre. Je voudrais, plus tard, continuer cette ?tude, qui, si elle est incompl?te par ma faute, l'est d'ailleurs forc?ment, puisque Forain n'a pas encore achev? sa destin?e, mais forme au contraire mille projets de peintre.
F?vrier 1905.
JAMES MAC NEILL WHISTLER
On a ?crit beaucoup sur Whistler ? l'occasion de sa mort. Malgr? les efforts de la critique fran?aise ? d?terminer exactement la personnalit? de ce charmant et singulier artiste, je crains qu'il ne demeure, aux yeux du public intellectuel, une sorte de Mallarm? de la peinture, un visionnaire class? entre Edgar Poe et Maeterlinck, un n?croman enferm? dans sa tour d'?b?ne, au milieu d'un jardin aux sombres pavots, dont le soleil ne r?chauffe jamais l'atmosph?re glac?e.
Cette ?tude a ?t? ?crite en mars 1905, apr?s l'exposition, ? Londres, des oeuvres de Whistler. Celle de Paris, tr?s incompl?te, mal ?clair?e, est encore venue brouiller les id?es. Il semble qu'on doive toujours ?tre injuste envers cet artiste, dans l'?loge comme dans la critique.
En effet, le succ?s parisien de Whistler ?clata ? une ?poque d'alanguissement g?n?ral. En peinture, dominaient les teintes grises; en musique, une mi?vrerie maladive; dans les lettres, un go?t malsain de bizarrerie et de myst?re factices, joint ? une manie, vite d?mod?e, de l'exceptionnel et de l'occulte. Les esth?tes s'ing?niaient ? c?l?brer le silence de Bruges, les hortensias bleus et les chauves-souris.
On adopta Whistler ? cause de la tendance qu'il semblait personnifier, de m?me que Manet avait servi ? Zola, vingt ans auparavant, dans les batailles du naturalisme. Pour Manet, les clich?s de <
Le <
A notre ?poque, c'est, le plus souvent, par des c?t?s p?rissables, qu'un artiste s'impose ? l'admiration de ses contemporains: d'o? tant d'erreurs, de d?nis de justice. Les qualit?s solides et saines qui nous charment dans certaines toiles anonymes, datant des si?cles pass?s, ?chappent aujourd'hui ? l'amateur bourr? de litt?rature, qui veut, en d?pit de tout, que la peinture lui donne des sensations directes; or la peinture n'agit directement que sur des temp?raments extr?mement peu nombreux. Si elle agit sur la foule des Salons annuels, ou sur les soi-disant raffin?s des c?nacles et des petites revues, croyez-bien qu'elle porte en elle-m?me une tare. Les succ?s du Salon, ainsi que les extravagances et les folies ? la mode, ne durent que le moment o? on les loue.
Dans mes plus anciens souvenirs, j'entends encore le nom de Whistler prononc? par les hommes que Fantin-Latour a group?s autour de Manet et du portrait de Delacroix. Au fond de l'atelier de la rue des Beaux-Arts, on voyait l'hommage ? Delacroix, o? un jeune dandy, pinc? dans sa longue redingote, les cheveux noirs boucl?s, avec une m?che blanche sur le front, la bouche ironique, l'oeil per?ant, se retourne vers le spectateur, c'est un ?l?gant au milieu des Fran?ais plus n?glig?s, qui sont Baudelaire, Champfleury, Balleroy, Duranty, Legros, Bracquemond, Fantin. Ce personnage ?trange m'intrigua longtemps. Son nom revenait sans cesse dans la conversation, sans que des renseignements pr?cis me fussent donn?s par les ?l?ves de Lecocq de Boisbaudran et de Gleyre ni par les anciens du Salon des refus?s, auxquels j'osais ? peine poser des questions. Je d?m?lais pourtant que le <
Que faisait-il vers 1860?
Nous connaissons, si nous en prenons la peine, la mani?re, avant 1870, d'un Manet, d'un Renoir, d'un Fantin ou d'un Carolus Duran, ses amis. Mais de Whistler, on ne conservait rien. Toujours ?tait cit?e la <
Un jour, me promenant, coll?gien en cong?, dans un de ces entresols de l'avenue de l'Op?ra o? les impressionnistes groupaient leurs oeuvres, je vis, arr?t? devant la danseuse en cire et juponn?e de tarlatane, que Degas avait model?e, un petit homme noir avec un chapeau haut de forme ? bord plat, un pardessus ? taille, tombant sur ses souliers ? bouts carr?s, maniant une sorte d'appui-main en bambou et poussant des cris aigus, gesticulant devant la vitrine. Je devinai, par hasard, que c'?tait Whistler. Or, c'?tait lui, en effet, et je le rencontrai bient?t chez Degas, ayant ?t? conduit par M. Ludovic Hal?vy dans ce sanctuaire plein d'horreur. Whistler avait apport? un carton de vues de Venise ? la pointe-s?che, qu'il tirait avec mille pr?cautions d'un ?tui de v?lin ? rubans blancs. Je ne compris rien ? ces planches p?lottes, indications trembl?es comme des reflets de lampes dans l'eau. D'ailleurs ses gravures et ses lithographies--je les ai aujourd'hui presque toutes vues--ne me semblent pas dignes de leur r?putation. Les premi?res, celles de France, sont franches, appuy?es, et rappelleraient M?ryon; les autres sont plus libres, mais sans grand caract?re distinctif, jolies parfois, mais faibles, dans cette mani?re pittoresque de la vignette, o? Mariano Fortuny, si injustement oubli?, ensuite excella.
Ce fut donc par la s?rie v?nitienne, l'une des derni?res et sa moins heureuse ? mon avis, que je pris contact avec son oeuvre. Cela ne m'expliquait pas encore les origines d'une r?putation exceptionnelle.
Je ne devais vraiment en prendre conscience que vers 1885, ? Londres. Pendues haut et comme si on les e?t craintes, deux toiles, ? la Grosvenor Gallery, me r?v?l?rent un art classique et neuf ? la fois: deux portraits, longs, ?troits, dans leur simple cadre d'or mat, stri?, plat, comme la peinture elle-m?me, pour ainsi dire enfonc?e, rentr?e dans une sorte de gros canevas ? tapisserie. Les figures se retiraient de plusieurs m?tres en arri?re du mur. L'une ?tait rose et grise. C'?tait une femme en robe d'un ton ind?fini, le grand chapeau de paille ? la main, p?le comme une p?tale de pivoine p?le: lady Meux, arrangement n? 2. L'autre tableau, tout noir, mais d'un noir transparent et comme int?rieurement ?clair?, montrait une face anguleuse de <
Helleu, avec qui je voyageais, et moi, nous n'e?mes plus qu'un d?sir, celui d'en voir d'autres. Nous all?mes frapper ? la porte du ma?tre. Il habitait alors the White House, Tite Street, dans ce Chelsea qu'il adora. On passait, pour se rendre ? l'atelier, par une s?rie de petites chambres peintes en jaune bouton d'or, sans meubles, tapiss?es de nattes japonaises. Dans la salle ? manger bleue et blanche, des porcelaines de la Chine et de vieilles argenteries ?gayaient une table toujours garnie, dont le centre ?tait un bol bleu et blanc, o? nageait, parfois, un poisson rouge.
Sur les murs du studio, nul ornement. Dans un coin, loin de la fen?tre, un rideau de velours noir tendu, devant quoi le mod?le posait. Deux chevalets vacants; une immense table-palette avec une s?rie de <
La chemin?e est surcharg?e de centaines de cartes d'invitation ? des d?ners et ? des soir?es, rappelant que nous sommes chez un <
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