Read Ebook: L'odyssée d'un transport torpillé by Larrouy Maurice
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Ebook has 559 lines and 64852 words, and 12 pages
L'ODYSS?E D'UN TRANSPORT TORPILL?
PAYOT ET CIE, PARIS 106, BOULEVARD SAINT-GERMAIN
Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation r?serv?s pour tous pays.
Copyright 1917, by PAYOT & Cie.
L'ODYSS?E D'UN TRANSPORT TORPILL?
PREMI?RE PARTIE
C?te du Maroc, 22 ao?t 1914.
Mon cher ami,
Tu dois te demander ce que je suis devenu dans toute cette bagarre. Il est plut?t loin, notre 14 juillet de la Nouvelle-Orl?ans o? nous nous sommes dit au revoir au Dollar-Bar, apr?s un cake-walk au son du gramophone. Je vais te raconter en bloc.
On est appareill? ? deux heures du matin. A la sortie un grand patouillard a failli nous caramboler, mais le pacha a bien manoeuvr?. J'ai pris le quart ? trois heures, ? la place de Blangy qui avait un bon coup de fi?vre et se bourrait de quinine depuis deux jours.
Quel coup de soleil au golfe du Mexique! Trente-cinq sur la passerelle, quarante dans la cabine, pas ?a de vent. Dans l'Atlantique, ?a a un peu fra?chi et Blangy a repris le service.
La barque filait ses dix noeuds forts, mais au bout de trois jours, voil? la machine qui s'emballe ? tout casser. C'?tait notre arbre de couche qui venait de se briser net, ? un m?tre du palier de but?e. On avait d? rencontrer une ?pave entre deux eaux qui avait bloqu? l'h?lice; je ne serais pas surpris qu'un morceau d'h?lice soit tomb? au fond de l'eau.
Pas moyen d'appeler au secours, puisqu'on n'a pas la t?l?graphie sans fil. Muriac, notre m?canicien, a ?t? ?patant. Il a trouv? moyen de faire forger, sur notre mauvaise enclume, deux colliers en fer qu'il a pinc?s sur les deux moignons d'arbre avec huit boulons. ?a a pris deux jours de travail. Ce que le pacha Fourgues a pu grogner de se voir stopp? comme un coffre au milieu de la baille! Tu le vois d'ici avec ses yeux brid?s et son bouc, criant toutes les cinq minutes par le panneau des machines:
--Eh! en bas! Muriac! C'est-y pour les vendanges qu'il tournera votre tourne-broche?
--Encore une heure, peut-?tre deux!--hurlait Muriac.--Mais vous feriez mieux de nous fiche la paix!
On est reparti apr?s avoir d?riv? de cinquante milles ? l'Ouest. Fourgues avait peur que la chignolle ne donne plus les dix noeuds, mais l'arbre ?tait plus solide qu'avant.
?a nous avait retard?. Le 7 ao?t ? la nuit, on entre dans le canal d'Irlande; on cherche les feux! Macache! J'?tais de quart; pendant trois heures, Fourgues m'a bourr? comme il sait faire, parce que je ne voyais ni phare ni rien.
--Qu'est-ce qui m'a fichu un aveugle de ce calibre? Faut changer vos yeux. Allez vous fourrer sur la terre! Mais allez-y donc! Collez-vous dedans! comme ?a vous les trouverez peut-?tre les phares. Et puis, vous nous aurez fait perdre trois heures. Finira jamais, ce voyage!
Il n'en voyait pas plus que moi des phares, et c'est bien pour ?a qu'il braillait. On s'est approch? de terre ? toucher; on la voyait comme un quai: pas plus de feu que sur la main. Alors, tout ? coup, un bateau arrive sur nous ? toute vitesse, avec des lampions qui s'allumaient et s'?teignaient. Je ne bouge pas parce qu'on le voyait par b?bord, et je continue mon petit bonhomme de chemin. Pan! pan! Le bateau envoie deux coups de canon ? blanc.
--Bougre,--dit Fourgues,--on est dans des exercices de contre-torpilleurs! Il doit y en avoir d'autres. Ouvrez l'oeil, petit.
J'ouvre l'oeil. Pan! un obus nous tombe ? dix m?tres devant; le destroyer vient ? toucher, et hurle par le porte-voix:
--Arr?tez! ou nous vous coulons.
Tu parles qu'on a stopp?. Le destroyer s'?tale tout pr?s. On n'y voyait rien; deux escarbilles de temps en temps.
--Qui ?tes-vous?
--Oh! vous ?tes fran?ais, n'est-ce pas?
--Oui!
--Tr?s bien, la guerre est d?clar?e.
--N. de D.,--crie Fourgues en m?me temps que moi. Et il me saute dessus en m'embrassant!--?a y est, petit, on s'?trille avec les Boches.
--Qu'allez-vous faire?
--Oh! rentrer en France? est-ce que l'Angleterre est avec nous?
--Oui, naturellement!
--Hurrah!!!
Le torpilleur nous accompagne un bout de chemin et puis nous largue en criant:
--Bonsoir et bonne chance, les copains.
--Merci, et vous de m?me.
Y a pas! Fourgues est un brave type. Il n'a pas h?sit? pour retourner en France. Il me tapait dans le dos, m'offrait des cigares, et rigolait sur la passerelle.
--Tu parles, qu'y en avait pas, des phares! plus souvent qu'on leur allumerait des rostauds, aux Boches! D?gringole, petit! va raconter ?a ? Muriac et Blangy. Secoue-les s'ils roupillent. Ils vont en faire une t?te! Envoie-les sur la passerelle, et monte avec une bouteille de champagne. C'est ma tourn?e!
Blangy et Muriac n'ont pas fait ouf! le canon les avait r?veill?s, mais ils croyaient ? des manoeuvres.
--C'est pas un bateau que tu nous montes!--ont-ils dit tous les deux.
--Blague dans le coin: le pacha vous le dira.
On s'est embrass?. Personne n'avait plus sommeil. Sur la passerelle, Fourgues a voulu verser le champagne; dans le noir, il nous a tout fourr? sur les mains, parce qu'il tremblait d'?motion; on a bu ce qui restait.
--Avec tout ?a,--dit Fourgues,--on ne sait pas depuis quand le boulot a commenc?. Avons-nous l'air gourde, sans radio ni rien! On pouvait aussi bien tomber sur les Boches! ?a ne fait rien, ils sont un peu l?, les Anglais aussi, de marcher avec nous! Qu'est-ce qu'on prendrait s'ils nous avaient plaqu?s!
--Et les Russes?--demanda Muriac.
--Pas peur!--dit Fourgues.--On va ensemble.
--Et les Italiens?--dit Blangy.
--?a c'est plus chanceux. Faut tout de m?me savoir les tuyaux! Pouvez-vous forcer un peu, Muriac?
--On va essayer jusqu'? onze noeuds; le charbon est bon, l'arbre tiendra.
On a pouss? tant qu'on a pu. Je n'ai pas dormi, moi. Je comptais sur une permission en ao?t, pendant qu'on nettoierait les chaudi?res, pour aller chez moi, ? La Rochelle. Tu sais pourquoi, mon vieux. Je t'avais racont? ? La Nouvelle-Orl?ans; c'?tait pour cette ann?e. Qu'est-ce qu'elle va dire, la pauvre petite? Je suis reparti sans la voir!
Si l'on n'?tait pas en guerre, Fourgues aurait plut?t fum?! Nous garder avec cinq mille balles de coton dans le ventre, laisser en pagaye les chaudi?res et l'arbre, et ne pas savoir ce qu'on fera demain! Mais il a bien pris tout, m?me la d?fense d'aller ? terre et l'ordre de se tenir sous les feux.
L'officier de marine, un ? cinq ficelles, est arriv? vers trois heures. Il a fait r?unir l'?quipage, regard? les livrets, et en une demi-heure le compte a ?t? r?gl?. Muriac a d?barqu?; Blangy aussi; la moiti? des gens du pont et les trois quarts des m?caniciens ont fait leur sac et sont partis ? terre. L'officier a dit que c'?tait pour armer les navires de guerre et les forts de la c?te. Il nous a donn? l'ordre de partir le soir m?me pour le port de ..., au Maroc, o? nous recevrions de nouveaux ordres.
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