Read Ebook: L'odyssée d'un transport torpillé by Larrouy Maurice
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Ebook has 559 lines and 64852 words, and 12 pages
L'officier de marine, un ? cinq ficelles, est arriv? vers trois heures. Il a fait r?unir l'?quipage, regard? les livrets, et en une demi-heure le compte a ?t? r?gl?. Muriac a d?barqu?; Blangy aussi; la moiti? des gens du pont et les trois quarts des m?caniciens ont fait leur sac et sont partis ? terre. L'officier a dit que c'?tait pour armer les navires de guerre et les forts de la c?te. Il nous a donn? l'ordre de partir le soir m?me pour le port de ..., au Maroc, o? nous recevrions de nouveaux ordres.
Fourgues a un peu saut?.
--Alors! vous voulez que je me trotte au Maroc, avec deux officiers et la moiti? de l'?quipage en moins?
--Nous avons besoin des officiers. Les navires de guerre passent avant; les inscrits maritimes prennent service dans la flotte, officiers ou marins. Quant aux hommes, on vous en enverra ? cinq heures un contingent de r?servistes, cinq matelots de pont, dix m?caniciens.
--Autant me laisser les miens qui connaissent le bateau. Mon arbre est cass?, mes chaudi?res sont pourries.
--Bah! vous en sortirez bien.
--Et du charbon? et des vivres?
--Partez toujours, vous vous ravitaillerez en route si c'est n?cessaire. On a besoin de vous au Maroc.
--Pourquoi faire?
--Vous recevrez des ordres.
--Pouvez-vous me passer des cartes du Maroc? Je n'ai que celles d'Am?rique et d'Europe.
--On verra. Je ne crois pas qu'il en reste. On les a pass?es aux navires de guerre.
--Je n'ai pas de T. S. F.
--A quoi bon? Avez-vous peur que les Allemands vous rencontrent? On fait bonne garde!
--Et mes cinq mille balles de coton?
--Nous n'en avons que faire. Bref, tenez-vous pr?t ? appareiller ? six heures, apr?s avoir re?u votre corv?e de r?servistes. C'est compris?
--Dame!
--Faites passer votre personnel qui d?barque dans ma chaloupe, j'ai encore trois bateaux ? voir!
Muriac, Blangy, tous les marins ont fait leur sac, en cinq secs, je te prie de le croire. On n'a pas eu le temps de se serrer la main. Qu'est-ce qu'ils ont pu devenir les copains?
Il m'a serr? la main; tous deux, on avait envie de pleurer: partir comme ?a, avec une sacr?e barque d?mantibul?e. On s'est trott? dans les chambres. Il a ?crit ? Orange, moi ? La Rochelle; pas bien long, tu sais, juste pour dire qu'on ?tait pr?sent, et d'?crire au Minist?re de la Marine, avec <
--Comment!--a-t-il dit,--vous en avez l? des monceaux! Vous ne pouvez pas m'en passer la moiti? d'un tas?
--Impossible. Ce que vous voyez, c'est le stock intangible de mobilisation.
--Eh bien! on n'est peut-?tre pas mobilis?! on est en guerre.
--Possible! mais c'est le stock intangible. ?a veut dire qu'on ne doit pas y toucher.
Au port, tout le monde avait fichu le camp pour la France, par le dernier bateau. Un officier de terre, un premier-ma?tre de marine, et rien de plus. Ils ont demand? ce que nous venions faire et si nous avions des munitions.
--Des munitions?--crie Fourgues.--Cinq mille balles de coton, capitaine, des chaudi?res en bottes, plus rien ? manger, des raclures de charbon et pas un sou en caisse!
--Que diantre venez-vous fabriquer au Maroc, alors?
--Premi?re nouvelle! attendez toujours. On trouvera bien quelque chose pour vous.
Voil?, mon vieux, pourquoi je t'?cris du Maroc. Nous attendons des ordres qu'on a demand?s ? Paris, ? Rabat et ? Tanger. Rien n'arrive. Fourgues ne d?col?re plus. Notre coton commence ? chauffer, car il fait ti?de, ici. La moiti? des r?servistes est sur le flanc, diarrh?e, embarras gastrique, claque g?n?rale. Il faut les entendre. Impossible de rien visiter ni d?monter, car on nous a dit d'?tre pr?ts ? partir en deux heures. Moi, j'ai dormi pendant pr?s de trente-six heures. J'avais ma part. Fourgues est tr?s gentil pour moi. Il se rattrape sur les r?servistes. Qu'est-ce qu'il leur passe! Au fond, il a raison. Tous ces gaillards croyaient se la couler douce, et il faut un peu leur remonter l'horloge.
Tu peux dire que tu as de la veine, que je t'?crive si long. Mais je m'ennuie, et je voudrais savoir ce que tu deviens avec les camarades. Un bateau venant du Sud va passer demain, je lui enverrai la lettre ? tout hasard. Je mets l'adresse de ta famille et j'esp?re qu'on te la fera parvenir. Veux-tu qu'on s'?crive une fois par mois comme avant? Moi, j'essayerai et je te la serre.
Mon cher ami,
Ils ne savaient pas quoi faire de nous, l?-bas. Fourgues ne voulait plus mettre le pied ? terre tellement il en r?lait d'?tre chez les bicots au diable vauvert, pendant que les autres travaillaient en France. Quel aria pour avoir du charbon! Il y avait sur rade un bateau allemand, un grand patouillard de la Woermann qui ?tait rest? ?pingl? lors de la mobilisation, les cales pleines et le charbon plein les soutes. Il n'y avait qu'? prendre. Ah! ouah! D?fense de toucher au boche, pas m?me d'y prendre une bosse ou un pr?lart. Il ?tait sacr?. Il portait des bananes, des arachides; tout ?a a pourri sur place, et ?a se sentait ? deux milles.
Il y avait ? terre une cinquantaine de Boches, avec toutes leurs cliques et leurs claques. Mobiliers, pianos, des malles haut comme ?a, un d?m?nagement, quoi! Ils se conservent bien, les Allemands au Maroc. Tous avaient d?pass? l'?ge militaire; c'?tait ?crit sur leur ?tat civil, le plus jeune avait cinquante ans. Toi qui es physionomiste, tu lui aurais tout de suite donn? trente-cinq ans. Mais les autorit?s nous ont ordonn? de les traiter avec ?gards, rapport ? un article du droit international, et qu'il fallait les loger non comme des prisonniers, mais comme des passagers en surveillance. Fourgues, qui n'aime pas les micmacs, a dit qu'il n'allait pas d?m?nager l'?quipage pour des Boches, et qu'ils s'installeraient sur le pont. Alors on lui a r?pondu de construire des abris de bois sur le pont, pour faire des dortoirs et des cabines. Il a dit qu'il n'avait pas de bois pour ?a. On lui a envoy? des planches, des madriers tout neufs, avec des charpentiers militaires, et en quarante-huit heures tout le pont, depuis la chemin?e jusqu'au tableau arri?re, a ?t? recouvert d'une belle cabane. On aurait dit un bateau-lavoir.
Tout ?a n'?tait rien. Il y avait les meubles de ces messieurs, de quoi remplir un train. Les Allemands ne voulaient pas qu'il y ait de casse. Fourgues voulait les mettre en vrac, sur l'avant, amarr?s avec des ficelles au-dessus du grand panneau.
--Tu vois, petit,--me disait-il en tiraillant son bouc,--il n'en restera pas gras de leurs fringues, si on rencontre un bon coup de S.-O. dans le derri?re. ?a sera toujours assez bon pour faire des allumettes.
Le malheur, c'est qu'? la premi?re fourn?e de d?m?nagement, il y avait un piano. On l'?lingue et on le hisse au bout du palan. Malgr? le roulis, il ne rentre pas trop mal, et le voil? au-dessus du panneau. Au moment de descendre, voil? que le c?ble s'emberlificote sur la poup?e du treuil et s'arr?te, mon piano restant en l'air. Trois bons coups de roulis arrivent, mais l?, tout le monde se cramponne pour ?taler la pelle. Le piano fait la balan?oire un coup, puis deux, et bing! sur le bastingage b?bord. Le couvercle, le tablier se d?collent. Bing ? tribord! le clavier saute, les touches blanches et noires se cavalent sur le pont, les cordes p?tent l'une apr?s l'autre, comme une mitrailleuse, et toute la boutique d?gringole. Tu aurais dit un sommier crev?. Fourgues avait son petit rire silencieux qui lui secoue le ventre et le rend rouge comme une tomate. Moi je ne tenais plus de rire et l'?quipage braillait de joie. Mais le propri?taire, un Boche ? lunettes, a fait un foin! Il nous a envoy? une bord?e d'injures! heureusement qu'il parlait dans sa sale langue, parce que la moutarde montait ? Fourgues, qui l'aurait envoy? par-dessus bord de pied ferme, s'il avait compris un seul mot. C'?tait juste avant la Marne, et les Boches se moquaient de nous, fallait voir. Celui-l? est parti ? terre en nous montrant le poing. Nous avons vid? ? la mer les d?bris du piano et embarqu? le reste du mobilier.
Mais le lendemain on a re?u l'ordre de ranger en soute tout le mat?riel des Boches. C'est un petit adjudant qui est venu annoncer ?a ? Fourgues. Il a ?t? bien re?u:
--J'ai du coton jusqu'? l'?coutille et je n'enl?verai pas une balle. M?me si vous me donnez l'ordre ?crit, je d?fends ? mes hommes d'y toucher sans ordre de mon patron. Je ne peux pas vous emp?cher d'enlever du coton, mais vous enverrez du monde.
Alors une corv?e est venue de terre et l'on a d?barqu? la moiti? de la cale. Qu'est-ce qu'il voulait en fabriquer, je me le demande. Tant bien que mal nous avons arrim? le d?m?nagement; il y a bien eu quelques chaises et valises qui ont piqu? une t?te dans la flotte, mais on n'est pas all? les chercher. Les Boches ont demand?--pas ? Fourgues--et obtenu qu'on leur donne quelques balles de coton comme matelas. Pendant toute la travers?e ils ont dormi comme des coqs en p?te, pendant que nous on ?tait sur la galette de la compagnie.
Dans l'ensemble, ?a s'est bien pass? avec les Boches. Le premier jour ils ont voulu le prendre de haut, au premier repas. L'un d'eux, un vrai vieux, a eu le toupet de monter sur la passerelle et de dire ? Fourgues qu'il n'y avait rien ? manger, que les Allemands voulaient de la bi?re et non de l'eau, et que tous ces messieurs de Hambourg, de Leipsik et d'ailleurs ?taient des gens de la haute, qui avaient aid? la France ? conqu?rir le Maroc, qui le colonisaient parce qu'elle n'en ?tait pas capable, et qu'ils entendaient qu'on ait des ?gards. ?a valait la place, de voir la t?te de Fourgues pendant le la?us. Il s'?tait mis les mains dans les poches, pour ne pas caramboler par-dessus la rambarde l'homme ? la bi?re. Quand l'autre a eu fini, il lui a r?pondu de sa petite voix calme, tu sais, quand il rage tant qu'il n'a plus l'accent:
--Le premier qui r?clame, vous ou un autre, je le fourre dans la cale avec les meubles. Si la nourriture de l'?quipage ne vous va pas, rien ne vous oblige ? manger. Que personne de vous ne m'adresse la parole. C'est monsieur qui s'occupe de vous... et puis, f...-moi le camp de la passerelle!
Les autres ont ?t? mat?s. On ne les a plus entendus. Ils faisaient leurs petites affaires dans l'?table en bois et dormaient. En voil? des gens faciles ? mener, quand on leur fait peur. Le vieux me demandait poliment, quand il avait besoin de quelque chose:
--Pourriez-vous ajouter un peu de sucre au caf?? Pourriez-vous nous vendre des allumettes?
--Pourquoi voulez-vous le savoir?
--C'est pour savoir; vrai, vous n'allez pas dans un port neutre?
--Non, on va en France.
--O? ?a?
--Si vous connaissez le pays, vous le reconna?trez.
--Alors, je puis dire ? mes amis qu'on ne va pas en pays neutre?
A la cinq ou sixi?me fois j'ai racont? ?a ? Fourgues.
--Parbleu, tous ces farceurs sont d'?ge militaire. Si on les d?barque en Espagne ou en Italie, faudra qu'ils filent l?-bas pour t?ter du 75. Ils pr?f?rent une saison en France, bien ? l'abri. Ils savent que nous sommes bien trop gourdes pour leur faire bobo.
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