Read Ebook: Les Huit Jours du Petit Marquis; Carlos et Cornélius by Claretie Jules
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Ebook has 549 lines and 29264 words, and 11 pages
ftt!... disparue..., toute jeune, toute blonde..., ador?e!... Et si bonne, si bonne, M^ Olivier! Elle ?tait si gentille, qu'on ne pouvait pas s'imaginer qu'elle p?t jamais devenir vieille..., avoir des rides. C'est si laid, les rides! Moi non plus, je ne voudrais pas avoir de rides. Vous me trouvez peut-?tre coquette? dit-elle encore.
-- J'?tais si contente! Et si jolie! oui, cher marquis, je deviens coquette, d?cid?ment!... Ah! mon costume! Mon joli costume! Celui qu'a d?crit M. Caron de Beaumarchais!... Un petit habit, un juste brun avec des ganses et des boutons d'argent, la jupe de couleur; rouge; sur la t?te, une toque noire ? plumes... J'aurais pr?f?r? un grand chapeau de paille, comme les jolies dames que peint M^ Vig?e-Lebrun... Mais les auteurs, vous savez, les auteurs, ce qu'ils veulent il faut le faire!
Le petit marquis l'?coutait avec une ?motion soudaine, une inqui?tude qui devenait peu ? peu de la terreur. Fanchette parlait, parlait, maintenant, avec une volubilit? vraiment ?trange. Elle avait dans le regard un ?clat inattendu. Il lui prit les mains: elles ?taient br?lantes. Un l?ger frisson la fit pourtant se plaindre du froid, et la petite toux, qui souvent avait inqui?t? Hector de Beauchamp, revint, secouant douloureusement ce gentil corps fr?le.
-- Il faut vous soigner, Fanchette!... Il ne faut pas ?tre malade, ma femme!
Ce nom la rendait toute joyeuse, amus?e, en quelque sorte, comme si ce f?t un jeu que ce mariage projet?.
Ce besoin presque maladif de parler du th??tre rendait plus vives les craintes du marquis. Il y avait, maintenant, chez Fanchette, comme une obsession. Son ?tre semblait se d?doubler. Obstin?ment, sa pens?e allait vers Paris, se tendait vers la Com?die. Elle dit tout ? coup, un soir, en regardant le marquis dans les yeux:
-- Si nous partions?
-- Partir? Vous dites?
-- Oui, si nous partions?
-- Et pour aller o??
-- En France. A Paris. Oui, c'est une id?e. Je ne dors pas la nuit. Et, dans mon insomnie, c'est ? Paris que je pense, aux camarades, aux coulisses... Je m'ennuie ici, je m'ennuie. Je vais tomber malade dans ce Londres...
Les flocons de neige s'amassaient aux vitres, encadrant de bourrelets glac?s les ar?tes des fen?tres. Une bise froide entrait par-dessous la porte et Fanchette approchait ses mains du feu de houille, dont les languettes bleu?tres sautillaient parmi le charbon rouge. Elle regardait s'?crouler tristement les morceaux consum?s. Et ce feu ne la r?chauffait pas. Il faisait si froid, il faisait si laid autour d'elle! Et il devait faire si bon ? Paris!
-- Il n'y fait pas bon pour les ?migr?s, r?pondait le petit marquis avec une moue qui voulait sourire.
-- Bah! quand on risquerait un peu sa t?te! Paris vaut bien une imprudence!
Hector avait tout d'abord pris ce d?sir pour une fantaisie, un caprice de femme; mais il se pr?cisait, il s'affirmait, ce d?sir, et le docteur Ploomfield, qu'il avait amen? aupr?s de Fanchette, pronon?ait des mots assez effrayants: consomption, nostalgie, toux nerveuse... On pouvait trouver diverses causes au malaise dont souffrait cette enfant: regret du pays, ennui, mal de l'exil et aussi, aussi -- le docteur baissait la voix, m?me pour parler ? l'oreille du marquis -- un peu de phtisie.
Eh! parbleu! cette toux, la maudite petite toux! Hector avait bien devin?. L'id?e que cet ?tre exquis dont il voulait pour toujours faire sa compagne pouvait lui ?tre enlev? tout ? coup le piquait au coeur comme une pointe d'?p?e.
Fanchette avait quasi brusquement pris en haine cette petite chambre, qu'elle trouvait presque joyeuse autrefois, la parant des fleurs de son ?ventaire. Maintenant, en montrant au marquis une jacinthe qui poussait dans un vase de verre ses racines ?chevel?es, pareilles ? des tentacules de m?duses, elle disait:
-- Voyez comme elle a de peine ? fleurir! Et s'il fleurit, cet oignon de Hollande, la fleur jaune d'or mourra de froid. Il faut partir!
Elle ajouta, un jour, en souriant d'un petit sourire railleur et triste:
-- D'ailleurs, cher marquis, n'avez-vous pas dit souvent que, dans huit jours...
-- Oui, oui, dans huit jours, dans huit jours!...
Et, brusquement, le marquis s'?cria:
-- Eh bien! soit! Oui!... Dans huit jours! Malgr? vents et mar?es, batailles de M. Bonaparte et lois et d?crets des proscripteurs, nous partirons dans huit jours! Vous le voulez? Dans huit jours, nous serons en France!
-- A Paris! dit Fanchette, avec la ferveur d'un mahom?tan pronon?ant le nom de La Mecque.
-- A la Com?die!
-- Au Foyer!
-- En route, Fanchette, fit le petit marquis. Puisqu'il ne faut que Paris pour vous gu?rir, on vous gu?rira! Et, si l'on me met la main au collet, eh bien! nous verrons. Je me d?fendrai!
Il s'occupa de trouver la somme voulue pour payer quelque ma?tre batelier qui consent?t ? traverser la Manche, ? passer de Douvres ? Calais, ? d?barquer la nuit sur quelque point abordable de la c?te fran?aise. Jusqu'? ces derniers jours, le pauvre marquis de Beauchamp avait conserv? pieusement deux ou trois bijoux dont, autrefois, se parait sa m?re, qu'avait port?s sa grand'm?re, vieilles reliques de famille dont il avait jur? de ne jamais se dessaisir. Il les porta ? un revendeur juif qui tenait boutique du c?t? de Middle Temple Lane, et il se disait que c'?tait l? comme le cadeau de noces donn? par les a?eules ? la future marquise de Beauchamp d'Antignac.
Dans huit jours, oui, dans huit jours, il prendrait la mer avec la pauvre fille.
-- Il lui faudrait l'air du pays, avait affirm? le docteur Ploomfield.
Aux pr?paratifs de d?part, Fanchette apportait une h?te maladive. Elle ?prouvait cette sensation morbide qu'elle n'aurait pas le temps de fuir Londres, que cette douleur ressentie, cette br?lure dans la poitrine, cette toux qui la prenait ? la gorge et qu'elle ?touffait pour ne pas attrister le marquis, allaient la coucher dans ce petit lit de fer, sous ce toit couvert de neige. Elle avait peur. Sa chambre lui faisait l'effet d'une prison. Une cellule, un coin d'h?pital. Il lui semblait qu'une fois l?-bas, elle serait gu?rie. Et ces mots: <
-- Dieu le veuille, monsieur le marquis!
Fanchette aussi ?prouvait une ?motion toute naturelle en quittant le logis o? elle avec v?cu. Mais le brouillard de Londres, d?cid?ment, l'?touffait.
Elle se mourait, comme la jacinthe de Hollande dans son vase de verre. La sant?, la vie, l'app?tit m?me, de vivre, elle allait retrouver tout cela en France. Et, dans la voiture qui l'emportait, la cahotait vers Douvres, elle faisait des r?ves. Elle souriait ? Hector de Beauchamp, entre deux acc?s de toux, et elle lui r?p?tait:
-- Si vous saviez, si vous saviez comme je suis heureuse!
Le temps ?tait froid. On avan?ait lentement dans la neige, cette neige qui se collait aux fen?tres de Soho et qui faisait, maintenant, de la verte campagne anglaise une vaste plaine blanche, une nappe glac?e. Au fond de la voiture, Fanchette se blottissait comme un passereau frileux, et le marquis ressentait une volupt? de protecteur et d'amoureux ? la fois ? serrer contre sa poitrine, ? couvrir de son manteau cette cr?ature douloureuse et d?licieuse qui lui disait:
-- Chaque tour de roue nous rapproche de la mer! Et, apr?s la mer, Paris! Paris!
Elle n'avait plus qu'une id?e, -- l'id?e fixe des malades, -- se retrouver o? elle ?tait n?e, revoir les rues de son enfance, Romainville aussi, les lilas de Romainville, et le th??tre, le th??tre o? elle avait eu sa grande joie d'un soir. Et la route lui paraissait longue. N'arriverait-on jamais ? Douvres? Les pauvres chevaux, fouaill?s par le cocher, faisaient de leur mieux, tout fumants dans le brouillard rouss?tre. L'un d'eux s'abattit sur la neige dure et un des brancards de l'?quipage se rompit, une des roues ?tant endommag?e aussi. On ?tait loin de tout village, dans une plaine o? sifflait la bise. Il fallut attendre assez longtemps l'arriv?e d'un charron. Et Fanchette avait froid, se d?solait, r?p?tait:
-- Nous n'arriverons jamais! Jamais!
Enfin, la roue r?par?e et le brancard remis en ?tat, le cocher, maugr?ant contre le verglas, reprit sa route et l'on atteignit Douvres.
Les deux exil?s eurent une minute de grande joie en apercevant le vieux ch?teau, l?-haut dress?, mena?ant, et qui, pour eux, repr?sentait le port. Ils allaient donc s'embarquer, la mer ?tait l?, et, derri?re cette brume opaque aper?ue dans les ?chancrures des dunes, la patrie.
Mais le sort paraissait s'acharner contre eux. Lorsque, apr?s avoir gagn? l'endroit o? les attendait le ma?tre du bateau, ils arriv?rent sur la gr?ve, leurs bagages d?j? pos?s ? terre, le marin, leur montrant la mer toute blanche de moutons, -- aussi blanche, avec cette ?cume, que la plaine couverte de neige, -- dit:
-- Partir est impossible.
Impossible! C'?tait un mot qui sonnait mal aux oreilles du petit marquis.
-- On peut tout ce qu'on veut, dit-il.
-- Oui, mais je ne veux pas exposer mon bateau ? ?tre bris? ou envoy? sur les c?tes de Norv?ge. La mer grossit. Le vent est mauvais. Mieux vaut pour vous attendre ? Douvres que de fournir de la p?ture aux poissons de la Manche.
-- Alors, vraiment, nous ne partons pas?
-- Nous partirons apr?s la temp?te pass?e. Voyez ces vagues. Hautes comme des tours d'?glises!
Fanchette ?tait d?sol?e. Il fallut chercher asile dans une petite auberge o? l'h?te fit un peu la grimace en recevant des Fran?ais. Mais ce n'?tait qu'un logis de passage. Le vent allait bient?t se calmer. On repartirait, sans doute, le lendemain. Dans la nuit, la malade fut prise d'une fi?vre ardente, des crachements de sang terrifi?rent M. de Beauchamp et, le matin venu, Fanchette, trop faible pour se lever, demanda elle-m?me ? rester au lit, puisqu'on ne pouvait pas s'embarquer tout de suite.
-- Cela me reposera et je serai vaillante pour la travers?e..., demain.
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