Read Ebook: All for Love; or Her Heart's Sacrifice by Miller Alex McVeigh Mrs
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Ebook has 768 lines and 64098 words, and 16 pages
ANATOLE FRANCE
DE L'ACAD?MIE FRAN?AISE
LA VIE LITT?RAIRE
TROISI?ME S?RIE
PARIS CALMANN-L?VY, ?DITEURS 3, RUE AUBER, 3
PR?FACE
M. Ferdinand Bruneti?re, que j'aime beaucoup, me fait une grande querelle. Il me reproche de m?conna?tre les lois m?mes de la critique, de n'avoir pas de crit?rium pour juger les choses de l'esprit, de flotter, au gr? de mes instincts, parmi les contradictions, de ne pas sortir de moi-m?me, d'?tre enferm? dans ma subjectivit? comme dans une prison obscure. Loin de me plaindre d'?tre ainsi attaqu?, je me r?jouis de cette dispute honorable o? tout me flatte: le m?rite de mon adversaire, la s?v?rit? d'une censure qui cache beaucoup d'indulgence, la grandeur des int?r?ts qui sont mis en cause, car il n'y va pas moins, selon M. Bruneti?re, que de l'avenir intellectuel de notre pays, et enfin le choix de mes complices, M. Jules Lema?tre et M. Paul Desjardins ?tant d?nonc?s avec moi comme coupables de critique subjective et personnelle, et comme corrupteurs de la jeunesse. J'ai un go?t ancien et toujours nouveau pour l'esprit de M. Jules Lema?tre, pour son intelligence agile, sa po?sie ail?e et sa clart? charmante. M. Paul Desjardins m'int?resse par les belles lueurs tremblantes de sa sensibilit?. Si j'?tais le moins du monde habile, je me garderais bien de s?parer ma cause de la leur. Mais la v?rit? me force ? d?clarer que je ne vois pas en quoi mes crimes sont leur crime et mes iniquit?s leur iniquit?. M. Lema?tre se d?double avec une facilit? merveilleuse; il voit le pour et le contre, il se place successivement aux points de vue les plus oppos?s; il a tour ? tour les raffinements d'un esprit ing?nieux et la bonne volont? d'un coeur simple. Il dialogue avec lui-m?me et fait parler l'un apr?s l'autre les personnages les plus divers. Il a beaucoup exerc? la facult? de comprendre. Il est humaniste et moderne. Il respecte les traditions et il aime les nouveaut?s. Il a l'esprit libre avec le go?t des croyances. Sa critique, indulgente jusque dans l'ironie, est, ? la bien prendre, assez objective. Et si, quand il a tout dit, il ajoute: <
Il est donc plus juste que je me d?fende tout seul. J'essayerai de le faire, mais non pas sans avoir d'abord rendu hommage ? la vaillance de mon adversaire. M. Bruneti?re est un critique guerrier d'une intr?pidit? rare. Il est, en pol?mique, de l'?cole de Napol?on et des grands capitaines qui savent qu'on ne se d?fend victorieusement qu'en prenant l'offensive et que, se laisser attaquer, c'est ?tre d?j? ? demi vaincu. Et il est venu m'attaquer dans mon petit bois, au bord de mon onde pure. C'est un rude assaillant. Il y va de l'ongle et des dents, sans compter les feintes et les ruses. J'entends par l? qu'en pol?mique il a diverses m?thodes et qu'il ne d?daigne point l'intuitive, quand la d?ductive ne suffit pas. Je ne troublais point son eau. Mais il est contrariant et m?me un peu querelleur. C'est le d?faut des braves. Je l'aime beaucoup ainsi. N'est-ce point Nicolas, son ma?tre et le mien, qui a dit:
Achille d?plairait moins bouillant et moins prompt.
Par quel sort cruel devais-je aimer et admirer un critique qui correspond si peu ? mes sentiments! Pour M. Ferdinand Bruneti?re, il y a simplement deux sortes de critiques, la subjective, qui est mauvaise et l'objective, qui est bonne. Selon lui, M. Jules Lema?tre, M. Paul Desjardins, et moi-m?me, nous sommes atteints de subjectivit?, et c'est le pire des maux; car, de la subjectivit?, on tombe dans l'illusion, dans la sensualit? et dans la concupiscence, et l'on juge les oeuvres humaines par le plaisir qu'on en re?oit, ce qui est abominable. Car il ne faut pas se plaire ? quelque ouvrage d'esprit avant de savoir si l'on a raison de s'y plaire; car, l'homme ?tant un animal raisonnable, il faut d'abord qu'il raisonne; car il est n?cessaire d'avoir raison et il n'est pas n?cessaire de trouver de l'agr?ment; car le propre de l'homme est de chercher ? s'instruire par le moyen de la dialectique, lequel est infaillible; car on doit toujours mettre une v?rit? au bout d'un raisonnement, comme un noeud au bout d'une natte; car, sans cela, le raisonnement ne tiendrait pas, et il faut qu'il tienne; car on attache ensuite plusieurs raisonnements ensemble de mani?re ? former un syst?me indestructible, qui dure une dizaine d'ann?es. Et c'est pourquoi la critique objective est la seule bonne.
Il n'y a pas plus de critique objective qu'il n'y a d'art objectif, et tous ceux qui se flattent de mettre autre chose qu'eux-m?mes dans leur oeuvre sont dupes de la plus fallacieuse philosophie. La v?rit? est qu'on ne sort jamais de soi-m?me. C'est une de nos grandes mis?res. Que ne donnerions-nous pas pour voir, pendant une minute, le ciel et la terre avec l'oeil ? facettes d'une mouche, ou pour comprendre la nature avec le cerveau rude et simple d'un orang-outang? Mais cela nous est bien d?fendu. Nous sommes enferm?s dans notre personne comme dans une prison perp?tuelle. Ce que nous avons de mieux ? faire, ce semble, c'est de reconna?tre de bonne gr?ce cette affreuse condition et d'avouer que nous parlons de nous-m?mes chaque fois que nous n'avons pas la force de nous taire.
M. Bruneti?re, apr?s avoir cit? ces lignes, remarque tout de suite <
En fait, r?alit?s et apparences, c'est tout un. Pour aimer et pour souffrir en ce monde, les images suffisent; il n'est pas besoin que leur objectivit? soit d?montr?e. De quelque fa?on que l'on con?oive la vie, et la conn?t-on pour le r?ve d'un r?ve, on vit. C'est tout ce qu'il faut pour fonder les sciences, les arts, les morales, la critique impressionniste et, si l'on veut, la critique objective. M. Bruneti?re estime qu'on se quitte soi-m?me et qu'on sort de soi tant que l'on veut, ? l'exemple de ce vieux professeur de Nuremberg dont M. Jos?phin P?ladan, qui est mage, nous a cont? r?cemment l'aventure surprenante. Ce professeur, tr?s occup? d'esth?tique, sortait nuitamment de son corps visible pour aller, en corps astral, comparer les jambes des belles dormeuses ? celles de la V?nus de Praxit?le. <
<
Sortir, c'est beaucoup dire. Nous sommes dans la caverne et nous voyons les fant?mes de la caverne. La vie serait trop triste sans cela. Elle n'a de charme et de prix que par les ombres qui passent sur les parois des murs dans lesquels nous sommes enferm?s, ombres qui nous ressemblent, que nous nous effor?ons de conna?tre au passage et parfois d'aimer.
En r?alit?, nous ne voyons le monde qu'? travers nos sens, qui le d?forment et le colorent ? leur gr?, et M. Bruneti?re ne le conteste pas. Il s'appuie, au contraire, sur ces conditions de la connaissance pour fonder sa critique objective. S'avisant que les sens apportent ? tous les hommes des impressions ? peu pr?s semblables de la nature, de sorte que ce qui est rond pour l'un ne saurait ?tre carr? pour l'autre, et que les fonctions de l'entendement s'accomplissent de la m?me mani?re, sinon au m?me degr? dans toutes les intelligences, ce qui est l'origine du sens commun, il assied sa critique sur le consentement universel. Mais il n'est pas sans s'apercevoir lui-m?me qu'elle y est mal assise. Car ce consentement, qui suffit pour former et conserver les soci?t?s, ne suffit plus s'il s'agit d'?tablir la sup?riorit? d'un po?te sur un autre. Que les hommes soient assez semblables entre eux pour que chacun trouve dans le march? d'une grande ville et dans les bazars ce qui est n?cessaire ? son existence, cela n'est pas douteux; mais que dans le m?me pays deux hommes sentent absolument de la m?me fa?on tel vers de Virgile, rien n'est moins probable.
Il y a en math?matiques une sorte de v?rit? sup?rieure que nous acceptons tous, par cela m?me qu'elle n'est point sensible. Mais les physiciens sont oblig?s de compter avec ce qu'on nomme, dans les sciences d'observation, l'?quation personnelle. Un ph?nom?ne n'est jamais per?u absolument de la m?me fa?on par deux observateurs.
M. Bruneti?re ne peut se dissimuler que l'?quation personnelle ne se joue nulle part plus ? son aise que dans les domaines prestigieux des arts et de la litt?rature.
L? jamais de consentement unanime ni d'opinion stable. Il en convient, ou du moins commence par en convenir: <
Le second point auquel il s'attache est qu'il y a des degr?s, qui sont proprement les grades conf?r?s au g?nie dans les facult?s de grammairiens et dans les universit?s de rh?teurs. On con?oit que de tels dipl?mes seraient avantageux pour le bon ordre et la r?gularit? de la gloire. Malheureusement ils perdent beaucoup de leur valeur par l'effet des contradictions humaines; et ces doctorats, ces licences, que M. Bruneti?re croit universellement reconnus ne font gu?re autorit? que pour ceux qui les conf?rent.
En th?orie pure, on peut concevoir une critique qui, proc?dant de la science, participe de sa certitude. De l'id?e que nous nous faisons des forces cosmiques et de la m?canique c?leste d?pend peut-?tre notre sentiment sur l'?thique de M. Maurice Barr?s et sur la prosodie de M. Jean Mor?as. Tout s'encha?ne dans l'univers. Mais en r?alit?, les anneaux sont, par endroits, si brouill?s que le diable lui-m?me ne les d?m?lerait pas, bien qu'il soit logicien. Et puis, il faut en convenir de bonne gr?ce: ce que l'humanit? sait le moins bien, au rebours de Petit Jean, c'est son commencement. Les principes nous manquent en toutes choses et particuli?rement dans la connaissance des ouvrages de l'esprit. On ne peut pr?voir aujourd'hui, quoi qu'on dise, le temps o? la critique aura la rigueur d'une science positive et m?me on peut croire assez raisonnablement que cette heure ne viendra jamais. Pourtant les grands philosophes de l'antiquit? couronnaient leur syst?me du monde par une po?tique, et ils faisaient sagement. Il vaut mieux encore parler avec incertitude des belles pens?es et des belles formes, que de s'en taire ? jamais. Peu d'objets au monde sont absolument soumis ? la science, jusqu'? se laisser ou reproduire ou pr?dire par elle. Sans doute, un po?me ne sera jamais de ces objets-l?, ni un po?te. Les choses qui nous touchent le plus, qui nous semblent les plus belles et les plus d?sirables sont pr?cis?ment celles qui demeurent toujours vagues pour nous et en partie myst?rieuses. La beaut?, la vertu, le g?nie garderont ? jamais leur secret. Ni le charme de Cl?op?tre, ni la douceur de Saint Fran?ois-d'Assise, ni la po?sie de Racine ne se laisseront r?duire en formules et, si ces objets rel?vent de la science, c'est d'une science m?l?e d'art, intuitive, inqui?te et toujours inachev?e. Cette science, ou plut?t cet art existe: c'est la philosophie, la morale, l'histoire, la critique, enfin tout le beau roman de l'humanit?.
Toute oeuvre de po?sie ou d'art a ?t? de tout temps un sujet de disputes et c'est peut-?tre un des plus grands attraits des belles choses que de rester ainsi douteuses, car, toutes, on a beau le nier, toutes sont douteuses. M. Bruneti?re ne veut pas convenir tout ? fait de cette universelle et fatale incertitude. Elle r?pugne trop ? son esprit autoritaire et m?thodique, qui veut toujours classer et toujours juger. Qu'il juge donc, puisqu'il est judicieux! Et qu'il pousse ses arguments serr?s dans l'ordre effrayant de la tortue, puisqu'enfin il est un critique guerrier!
Mais ne peut-il pardonner ? quelque innocent esprit de se m?ler des choses de l'art avec moins de rigueur et de suite qu'il n'en a lui-m?me, et d'y d?ployer moins de raison, surtout moins de raisonnement; de garder dans la critique le ton familier de la causerie et le pas l?ger de la promenade; de s'arr?ter o? l'on se pla?t et de faire parfois des confidences; de suivre ses go?ts, ses fantaisies et m?me son caprice, ? la condition d'?tre toujours vrai, sinc?re et bienveillant; de ne pas tout savoir et de ne pas tout expliquer; de croire ? l'irr?m?diable diversit? des opinions et des sentiments et de parler plus volontiers de ce qu'il faut aimer.
A. F.
LA VIE LITT?RAIRE
POURQUOI SOMMES-NOUS TRISTES?
L'antipathie de la race blanche pour la race jaune est si naturelle qu'il y a presque de la monstruosit? ? la vaincre. Et pourtant nous avons un tel besoin de sympathie, nous sommes si bien faits pour nous attacher et prendre racine, que nous ne pouvons rien quitter sans arrachement et que tout d?part sans retour nous a un go?t amer. Comme ce sentiment est inconscient et rapide, il est de ceux que Loti a le mieux ?prouv?s; son ?me mobile, peu capable d'impressions durables, est sans cesse agit?e par de petits frissons, et c'est l? encore une cause de m?lancolie, que cette infinit? de sensations courtes et heurt?es comme ces petites lames dures que craignent les marins. Avec quelle d?licatesse il sent, il exprime la tristesse du d?part, cette immense tristesse contenue dans ces seuls mots: <
Parce qu'elle est jolie, parce qu'elle est tr?s jeune, surtout parce qu'elle est extraordinairement fra?che et saine, et qu'un je ne sais quoi dans son regard attire le mien, voici qu'il y a un charme subitement jet? sur l'auberge mis?rable o? elle vit: je m'y attarderais presque; je ne m'y sens plus seul ni d?pays?; un alanguissement me vient, qui sera oubli? dans une heure, mais qui ressemble beaucoup trop, h?las! ? ces choses que nous appelons amour, tendresse, affection, et que nous voudrions t?cher de croire grandes et nobles.
Cela suffit! un souffle! Sait-elle, savent-elles, le plus souvent, m?me les plus fines et les plus compliqu?es, pourquoi elles agissent? Pas plus qu'une girouette qui tourne au vent. Une brise insensible fait pivoter la fl?che de fer, de cuivre, de t?le ou de bois, de m?me qu'une influence imperceptible, une impression insaisissable remue et pousse aux r?solutions le coeur changeant des femmes, qu'elles soient des villes, des champs, des faubourgs ou du d?sert.
Elles peuvent sentir ensuite, si elles raisonnent ou comprennent, pourquoi elles ont fait ceci plut?t que cela; mais, sur le moment, elles l'ignorent, car elles sont les jouets de leur sensibilit? ? surprises, les esclaves ?tourdies des ?v?nements, des milieux, des ?motions, des rencontres et de tous les effleurements dont tressaillent leur ?me et leur chair!
Tel est le sentiment d'un des personnages de M. de Maupassant et il semble bien que ce soit le sentiment de M. de Maupassant lui-m?me. Cela n'est pas nouveau et nos p?res connaissaient la fragilit? des femmes. Mais ils en faisaient des fabliaux. Il faut bien qu'il y ait quelque chose de chang?, puisque nous g?missons de ce qui les faisait tant rire.
Nous sommes plus affin?s, plus d?licats, plus ing?nieux ? nous tourmenter, plus habiles ? souffrir. En ornant nos volupt?s nous avons perfectionn? nos douleurs. Et voil? pourquoi M. de Maupassant ne fait point de fabliaux, et fait des contes cruels.
Ne nous flattons pas d'avoir enti?rement invent? aucune de nos mis?res. Il y a longtemps que le pr?tre murmure en montant ? l'autel: <
J'ai d?j? parl? de ma vieille bible en estampes et du paradis terrestre que j'admirais dans ma tendre et sage enfance, le soir, ? la table de famille, sous la lampe qui br?lait avec une douceur infinie. Ce paradis ?tait un paysage de Hollande et il y avait sur les collines des ch?nes tordus par le vent de la mer. Les prairies, admirablement drain?es, ?taient coup?es par des lignes de saules creux. L'arbre de la science ?tait un pommier aux branches moussues.
Tout cela me ravissait. Mais je ne comprenais pas pourquoi Dieu avait d?fendu ? cette bonne Flamande d'?ve de toucher aux fruits de l'arbre qui donnait de belles connaissances. Je le sais maintenant, et je suis bien pr?s de croire que le Dieu de ma vieille bible avait raison. Ce bon vieillard, amateur de jardins, se disait sans doute: <
Enfin, pour comble de mis?re, les conditions de la vie mat?rielle sont devenues plus p?nibles qu'autrefois. La soci?t? nouvelle, en autorisant toutes les esp?rances excite toutes les ?nergies. Le combat pour l'existence est plus acharn? que jamais, la victoire plus insolente, la d?faite plus inexorable. Avec la foi et l'esp?rance nous avons perdu la charit?; les trois vertus qui, comme trois nefs ayant ? la proue l'image d'une vierge c?leste, portaient les pauvres ?mes sur l'oc?an du monde ont sombr? dans la m?me temp?te. Qui nous apportera une foi, une esp?rance, une charit? nouvelles?
HROTSWITHA AUX MARIONNETTES
J'en ai d?j? fait l'aveu: j'aime les marionnettes, et celles de M. Signoret me plaisent singuli?rement. Ce sont des artistes qui les taillent; ce sont des po?tes qui les montrent. Elles ont une gr?ce na?ve, une gaucherie divine de statues qui consentent ? faire les poup?es, et l'on est ravi de voir ces petites idoles jouer la com?die. Consid?rez encore qu'elles furent faites pour ce qu'elles font, que leur nature est conforme ? leur destin?e, qu'elles sont parfaites sans effort.
J'ai vu, certain soir, sur un grand th??tre, une dame de beaucoup de talent et tout ? fait respectable qui, habill?e en reine et r?citant des vers, voulait se faire passer pour la soeur d'H?l?ne et des c?lestes G?meaux. Mais elle a le nez camard, et j'ai connu tout de suite ? ce signe qu'elle n'?tait pas la fille de L?da. C'est pourquoi elle avait beau dire et beau faire, je ne la croyais pas. Tout mon plaisir ?tait g?t?. Avec les marionnettes, on n'a jamais ? craindre un semblable malaise. Elles sont faites ? l'image des filles du r?ve. Et puis elles ont mille autres qualit?s que je ne saurais exprimer tant elles sont subtiles, mais que je go?te avec d?lices. Tenez, ce que je vais dire est ? peu pr?s inintelligible; je le dirai tout de m?me parce que cela r?pond ? une sensation vraie. Ces marionnettes ressemblent ? des hi?roglyphes ?gyptiens, c'est-?-dire ? quelque chose de myst?rieux, et de pur, et, quand elles repr?sentent un drame de Shakespeare ou d'Aristophane, je crois voir la pens?e du po?te se d?rouler en caract?res sacr?s sur les murailles d'un temple. Enfin, je v?n?re leur divine innocence et je suis bien s?r que, si le vieil Eschyle, qui ?tait tr?s mystique, revenait sur la terre et visitait la France ? l'occasion de notre Exposition universelle, il ferait jouer ses trag?dies par la troupe de M. Signoret.
J'avais ? coeur de dire ces choses, parce que je crois, sans me flatter, qu'un autre ne les dirait pas, et je soup?onne fort que ma folie est unique. Les marionnettes r?pondent exactement ? l'id?e que je me fais du th??tre, et je confesse que cette id?e est particuli?re. Je voudrais qu'une repr?sentation dramatique rappel?t en quelque chose, pour rester v?ritablement un jeu, les bo?tes de Nuremberg, les arches de No? et les tableaux ? horloge. Mais je voudrais aussi que ces images na?ves fussent des symboles, qu'une magie anim?t ces formes simples et que ce f?t enfin des joujoux enchant?s. Ce go?t semble bizarre; pourtant, il faut consid?rer que Shakespeare et Sophocle le contentent assez bien.
En ce temps-l? la figure de l'Europe ?tait brumeuse et chevelue. Les choses ?taient sombres, les ?mes rudes. Les hommes, v?tus de chemises d'acier et coiff?s de casques pointus qui leur donnaient l'air de grands brochets, s'en allaient tous en guerre et ce n'?tait dans la chr?tient? que coups de lance et d'?p?e. On b?tissait des ?glises tr?s sombres, d?cor?es de figures ?pouvantables et touchantes comme en font les petits enfants quand ils s'efforcent de repr?senter des hommes et des animaux. Les vieux tailleurs de pierre du temps de l'empereur Othon et du roi Louis d'Outre-mer avaient, comme les enfants, toutes les surprises et toutes les joies de l'ignorance. Aux chapiteaux des colonnes, ils mettaient des anges dont les mains ?taient plus grosses que le corps parce qu'il est tr?s difficile de faire tenir cinq doigts dans un petit espace, et ces mains n'en ?taient pas moins quelque chose de merveilleux. Aussi devaient-ils ?tre satisfaits, ces bons imagiers, en contemplant leur ouvrage qui ne ressemblait ? rien et faisait penser ? tout.
Les gros oiseaux, les dragons et les petits hommes monstrueux de la sculpture romane, ce fut avec les enluminures f?roces, pleines de diableries, des manuscrits, tout ce que Hrotswitha put conna?tre de la beaut? des arts. Mais elle lisait T?rence et Virgile dans sa cellule, et elle avait l'?me douce, riante et pure. Elle composait des po?mes qui rappellent quelque peu ces anges dont les mains ?taient plus grandes que les corps, mais qui nous touchent par je ne sais quoi de candide, d'innocent, et d'heureux.
C'?tait, pour ces femmes enferm?es dans un monast?re, un grand amusement que de jouer la com?die. Les repr?sentations dramatiques ?taient fr?quentes dans les couvents de filles nobles et lettr?es. Ni d?cors ni costumes. Seulement des fausses barbes pour repr?senter les hommes. Hrotswitha composa des com?dies qu'elle jouait sans doute avec ses soeurs; et ces pi?ces, ?crites dans un latin un peu mi?vre et court, assez joli, sont bien les plus gracieuses curiosit?s dont puisse s'amuser aujourd'hui un esprit ouvert aux souffles, aux parfums, aux ombres du pass?.
C'?tait une honn?te cr?ature, que Hrotswitha; attach?e ? son ?tat, ne concevant rien de plus beau que la vie religieuse, elle n'eut d'autre objet, en ?crivant des com?dies, que de c?l?brer les louanges de la chastet?. Mais elle n'ignorait aucun des p?rils que courait dans le monde sa vertu pr?f?r?e, et son th??tre nous montre la puret? des vierges expos?es ? toutes les offenses. Les l?gendes pieuses qui lui servaient de th?me fournissaient ? cet ?gard une riche mati?re. On sait quels assauts durent soutenir les Agn?s, les Barbe, les Catherine et toutes ces ?pouses de J?sus-Christ qui mirent sur la robe blanche de la virginit? la rose rouge du martyre. La pieuse Hrotswitha ne craignait pas de d?voiler les fureurs des hommes sensuels. Elle les raillait parfois avec une gaucherie charmante. Elle nous montre, par exemple, le pa?en Dulcitius pr?t ? se jeter comme un lion d?vorant sur trois vierges chr?tiennes dont il est indistinctement ?pris. Par bonheur, il se pr?cipite dans une cuisine, croyant entrer dans la chambre o? elles sont renferm?es. Ses sens s'?garent, et, dans sa folie, c'est la vaisselle qu'il couvre de caresses. Une des jeunes filles l'observe ? travers les fentes de la porte et d?crit ? ses compagnes la sc?ne dont elle est t?moin.
<
--Comme je t'aimais sinc?rement! Et toi, tu m'as toujours repouss?! Toujours tu as contredit mes voeux.
Puis, arrachant la morte ? son lit de repos, il la presse dans ses bras en poussant un horrible cri de triomphe:
--Maintenant elle est en mon pouvoir!
C'?tait assez l'usage des bons moines d'?gypte et de Syrie, qui devan?aient ainsi de plusieurs si?cles les pr?dications du bienheureux Robert d'Arbrissel. Le Panuphtius de la po?tesse saxonne est un bon copte du nom de Paphnuti, que M. Am?lineau, de qui nous nous entretiendrons bient?t, conna?t intimement. Quant ? saint Abraham, c'est un anachor?te de Syrie dont la vie a ?t? ?crite en syriaque par saint Ephrem.
?tant vieux, il vivait seul dans une petite cabane, lorsque son fr?re mourut, laissant une fille d'une grande beaut?, nomm?e Marie. Abraham, assur? que la vie qu'il menait serait excellente pour sa ni?ce, fit b?tir pour elle une cellule proche de la sienne, d'o? il l'instruisait par une petite fen?tre qu'il avait perc?e.
Il avait soin qu'elle je?n?t, veill?t et chant?t des psaumes. Mais un moine, qu'on croit ?tre un faux moine, s'?tant approch? de Marie pendant que le saint homme Abraham m?ditait sur les saintes ?critures, induisit en p?ch? la jeune fille, qui se dit ensuite:
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