Read Ebook: Les Obsédés by Frapi L On
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Ebook has 1864 lines and 59569 words, and 38 pages
Il collectionnait des notes plus ou moins utilisables, selon la manie des gens de plume; apr?s six mois d'anciennet? dans le mariage, il avait trouv? s?ant de consigner cette observation:
Ferdinand avait annonc?, un lundi apr?s d?ner, son intention de faire un roman; le mardi matin, d?s le r?veil, il se r?p?ta express?ment, comme si l'entreprise ne souffrait aucun retard.
--Tu auras toute mon aide! assura sa femme les yeux riches, grands offerts.
Il s'?mut intimement: vrai! si l'oeuvre naissait incompl?te, la faute en serait seule ? l'exigu?t? de son g?nie ? lui.
Le soir, au retour du bureau, il per?ut une vibration de plus dans la voix de Marthe:
--J'ai re?u des nouvelles des enfants, ils vont bien; Albert a voulu se faire couper les cheveux tout ras et Georges a pr?f?r? une raie; heureusement que grand'm?re ne les prend pas souvent, une s?paration de trois jours me semble d?j? trop longue; je n'ai quitt? l'ouvroir qu'? six heures moins le quart, ? cause de la Maslowa qui s'est d?cid?e ? me parler: elle entre en place ce soir, son mioche est mis en nourrice; et d'abord elle n'est pas plus Russe que moi.
C'?tait l'habitude; d?s l'antichambre, Marthe servait ? Ferdinand les principaux faits de la journ?e, en une phrase d'assortiment, avec une franchise de petite fille bavarde, avec une sorte de z?le affectueux.
--Ah! dit Ferdinand, les oreilles pleines.
--Tu fais <
Ferdinand imita la rigueur outrecuidante d'un de ses chefs, lequel ne convenait jamais d'une erreur:
--Permettez, femme ch?tive, je savais bien qu'il y avait du russe dans le cas de votre Catherine: le Kremlin et j'avais raison de la surnommer provisoirement Maslowa... Mais ne te d?shabille pas, nous d?nons chez les Griffon, tu me finiras ton histoire en marchant.
--Bon! moi qui avais d?j? allum? le feu... Griffon est donc encore une fois rabiboch? avec sa femme?
Marthe envoya le vent d'une claque amicale sur la joue de son mari:
Par le boulevard des Batignolles, falotement ?clair? au gaz, Ferdinand et sa femme all?rent, se donnant le bras. Ils habitaient rue Saussure, les Griffon rue Houdon; le chemin ?tait de suivre les boulevards ext?rieurs jusqu'? la place Pigalle.
Un beau temps de gel rendait le pav? crottineux; les passants s?chaient avec obstination l'humidit? de leur nez. A la station des fiacres, les t?tes des cochers affichaient un violet col?reux, tandis que les sergents de ville d'alentour se d?coloraient en vert. Ce d?saccord entre deux des plus importants produits de la rue d?rangea, une seconde, l'attention de Ferdinand.
Marthe parlait d'un accent ordinaire, toute ? son mari, toute ? la simple exactitude de son souvenir:
--Quand il a ?t? convenu que Catherine Bise nous quittait, je lui ai dit: <
Ferdinand ?coutait, le front serr?, ramasseur, et ses yeux rendus aigus piquaient au passage des dames emmitoufl?es de fourrures, des demoiselles de magasin par?es de collets soutach?s. Marthe plongea son regard dans une devanture de modes, par devoir f?minin, et, n?gligeant deux messieurs en chapeau de haute forme qui pouvaient entendre, elle ?mit ? pleine voix:
--Pour s?r, voil? ton roman, toi qui veux donner ? la r?alit? vulgaire une mission h?ro?que. Dame, pour d?buter, c'est trop brutal; on dirait d'un affreux fait-divers. Catherine a ?t? s?duite ? dix-sept ans; l?-dessus, je n'ai pas de renseignements, d'ailleurs l'accident suffit. Chass?e par ses parents, abandonn?e avec un enfant, elle s'ext?nue ? faire de la couture, dans une chambre ? Belleville. L'enfant meurt d'?tisie, ?g? de quelques mois; l? encore, je ne sais pas grand'chose et puis, au milieu des pleurs, il y avait des mots noy?s, m?connaissables.
--Tu te repr?sentes Catherine assise sur l'unique chaise de la chambre d'h?tel, en face du petit cadavre? Catherine fam?lique et d?licate, avec ses yeux timides. Je te l'ai dit, le jour de son entr?e ? l'ouvroir, elle a des yeux qui <
Ferdinand secoua la t?te et parut envoyer une menace, ? droite, vers les arbres noirs du boulevard:
--Je d?finis surtout ces esp?ces de brocanteurs d'apr?s leur argot effroyable. J'en ai vu un devant la mairie, avec le commissionnaire, son copain; il montrait une vieille qui avait eu <
Chaupillard, un ami malveillant, accusait Marthe d'?tre <
--Non! Elle ?tait dou?e de la sensibilit? qui fa?onne et assaisonne l'expansion; de plus, la fr?quentation, ? l'ouvroir, de personnes au vocabulaire d?braill?, l'incitait ? surveiller son ?locution; les institutrices ne prennent-elles pas une affectation grammairienne par habitude de r?agir contre le mauvais langage des ?l?ves? Enfin, lorsqu'elle pensait aux essais litt?raires de son mari, elle <
Ferdinand sentit au bras de sa femme une contraction nerveuse et le r?cit continua:
--Tu te repr?sentes?... Je viens pour la croix, dit le racoleur. <
L'accent de Marthe s'alt?ra:
--?coute, je sais ce que c'est que de tenir contre soi une ressuscit?e qui revoit son assassin.
Et Marthe reconstitua le crime:
--Il y avait eu l'homme fouillant la douleur avec un croc: <
Marthe acheva fr?missante:
--Mince, alors! lan?a Ferdinand, la mine sombre. Quelle donn?e pour un feuilleton rocambolesque! Si tu avais lu ce prologue dans le journal, je dirais: <>, et je te dispenserais de me tenir au courant.
La travers?e de la place Clichy, dans le lacis des v?hicules, n'?tait pas ? faire en bavardant. Ferdinand changea de modulation:
--Il s'agit de zyeuter, pour ne pas nous laisser d?ranger le corps par un tramway.
C'?tait un fait: tandis que Marthe avait naturellement un parler quasi litt?raire, Ferdinand affectait volontiers le parler faubourien. Parmi les accessoires du genre artiste, il avait modestement choisi celui-l?, au lieu des grands cheveux, du chapeau caboss?, du pantalon ? pont, etc., auxquels il aurait pu tout aussi bien pr?tendre.
Sur l'imp?riale de l'omnibus des Batignolles, un apprenti, tout seul, faisait penser ? une statue d?grad?e dans un jardin d?sert. Le marchand de marrons, pr?s de la station, donnait vivement des petits sacs pr?par?s; il vit partir en l'air un de ces sacs.
--Eh! toi, R?chauff?, l?-haut!... Attrape ?a!...
Le contr?leur, ses correspondances ? la main, resta un moment ? rigoler de ses propres supputations: ce monsieur ? pardessus marron et chapeau melon,--dans les trente-cinq ans,--avait une bonne t?te, dans le genre d'un premier commis de grand magasin de nouveaut?s; la femme qui lui reprenait le bras ?tait jeune, mais pas tr?s chic. Ils s'en allaient sans h?te; la femme parlait, pench?e, collante, sans doute qu'elle le bassinait avec des histoires... Alors, au lieu de r?pondre, on siffle en l'air, on jette deux sous de marrons ? un gosse.
--Catherine s'est donc ?chou?e ? notre ouvroir, avec son second enfant, bien vivant celui-l?. Il a huit mois; comment l'a-t-elle gard? jusqu'? pr?sent?... Elle l'aime sauvagement, et j'ai entrevu <
Ferdinand, pour bien se p?n?trer, renversa fortement la nuque contre le collet de son pardessus; mais l'exaltation l?onine de sa face tomba tout de suite:
--Madame Griffon nous regarde par la fen?tre.
Anatole Griffon, coll?gue de Prestal, ?tait son plus intime ami. Aussi, les v?tements accroch?s dans l'entr?e, Ferdinand annon?a-t-il:
--Tu sais, demain, je commence ? g?cher du papier.
--Aimez-vous les c?pes ? la bordelaise, monsieur Prestal? demanda madame Griffon.
--Oui, certainement... Ma femme vient de me donner une carcasse de roman, quelque chose d'entrelard?...
--Fais donc attention, Ferdinand, tu dis que tu aimes les c?pes...
--Ah! mais non, je ne les fr?quente pas.
--Quoi! Un sujet in?dit? interrogea Griffon avec un vif int?r?t.
--Mon vieux, depuis que l'humanit? existe, la mistoufle a tir? toutes ses ?ditions.
Par habitude, les deux hommes s'asseyaient coude ? coude, ? la table de la salle ? manger; les deux femmes faisaient face, les couples intervertis. Quand les jeunes Prestal ?taient du d?ner, ils se pla?aient en bouts.
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