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Read Ebook: Histoires exotiques et merveilleuses by Mille Pierre

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Ebook has 447 lines and 27543 words, and 9 pages

Au m?me moment, une autre voix parla.

--Il y a eu, dit-elle, il y a eu aussi une histoire d'apparition, dans ma famille. C'est ? elle que je dois ma fortune.

Et je savais que cela devait ?tre ainsi, je le savais! Parce que, depuis le commencement du monde, le r?ve du tr?sor s'est toujours m?l? ? l'angoisse du fant?me. L'homme qui venait d'ouvrir la bouche s'exprimait dans un fran?ais tr?s pur; et tout ce qui fait la beaut? du visage, il en avait re?u le don au jour de sa naissance: une barbe presque bleue, annel?e, de magnifiques cheveux noirs, onduleux et brillants; un front droit, un grand nez voluptueux, ? peine incurv?; des yeux dont la pupille ?tait comme int?rieurement dor?e. Pourtant, bien qu'il n'e?t pas le moindre accent, on sentait qu'il n'?tait pas Fran?ais; et cette figure charmante avait quelque chose d'?trangement effac?, telle une pi?ce de monnaie, qui e?t trop circul?.

--Qui est-ce? demandai-je ? mon voisin.

--M. Schurberg? Je ne sais pas. Il est mont? ? Alexandrie. Il para?t qu'il est tr?s riche.

--D'abord, poursuivit M. Schurberg tranquillement, il faut que vous compreniez pourquoi je suis spirite, pourquoi nous sommes tous spirites dans le famille. Mon grand-p?re maternel ?tait un ?cossais de Glasgow, qui avait ?pous? une juive de Tunis. Mon grand-p?re paternel est n? ? Eger, en Boh?me, mais sa femme ?tait une Bretonne de Tr?guier. Et, ? la g?n?ration suivante, un fils de tous ceux-l? a ?pous? une Grecque de Candilli-du-Bosphore, dont la m?re ?tait Am?ricaine. D'ailleurs je ne m'y retrouve plus moi-m?me: il me semble que j'oublie un de mes a?eux, n? ? Odessa. Mais c'est ma m?re, naturellement, qui a eu le plus d'influence sur nous. Moi, je m'appelle Epaminondas, mon fr?re a?n? Agamemnon, mon fr?re cadet Ajax, et j'ai deux soeurs, qui sont H?ra et Calliope.

J'avais fait: <> et je rougis, parce qu'il me regarda un instant du coin de son oeil paisible. Je venais de comprendre pour quelles causes il ?voquait en moi l'id?e d'une m?daille un peu effac?e. Toutes ces races se m?laient dans sa personne; une synth?se, un alliage, ou plut?t quelque chose comme ces <> que Galton obtenait en tirant sur la m?me plaque le p?re, la m?re et toute la post?rit?.

--De tels croisements sont de plus en plus fr?quents, dit-il d'un air assur?. Il y a un si?cle, alors que n'existaient que les seules diligences, des filles de Lille ?pousaient d?j? des enfants de Touraine ou du Languedoc. Vous ne niez pas que cela ne f?t des Fran?ais. Aujourd'hui, avec des bateaux comme ?a, fit-il en frappant sur la table en mahogany fris?, et avec les bateaux ? vapeur, les chemins de fer, on va plus loin, et, par cons?quent, on se marie plus loin; on se marie o? on s'arr?te un peu longtemps, pour ses affaires. Et ?a fait des Europ?ens.

>>Seulement, poursuivit-il, c'est pour la religion que ?a se complique. Tout le monde re?oit, d'ordinaire, la religion de ses parents, on n'a pas ? s'en inqui?ter. Mais nous! Mon p?re avait d?j? dans ses ascendants des luth?riens, des juifs, des wesleyens et des catholiques, et ma m?re ?tait orthodoxe. Comment voulez-vous choisir? Bon, on ne choisit pas: on ne garde que ce qui est pareil.

--C'est comme sa figure! pensai-je.

--Et qu'est-ce qui est pareil? La foi en Dieu, en l'immortalit? de l'?me, et, par-dessous, le fond, le vieux fond de toute l'humanit?: une croyance ind?termin?e--mais tr?s forte, et qui revient ? la surface quand les dogmes et le culte ont disparu--au peuple des ombres, ? l'esprit indestructible et vague des morts. Philosophiquement on est spiritualiste. Pratiquement,--et nous sommes tous des gens pratiques, nous, puisque nous avons toujours ?t? dans les affaires,--on est spirite.

>>Papa ?tait spirite, et nous ?tions tous spirites. Nous faisions parler les tables, nous interrogions la petite bo?te et le crayon, la Bible avec la cl? qui tourne; et il y avait aussi les coups qu'on entend la nuit dans les murs, et tous les pr?sages, et les r?ves. Ce n'?tait point pour savoir l'avenir sur la politique, ? moins qu'elle n'int?ress?t les cours, ni les opinions des grands hommes d?funts. Papa ne faisait jamais venir que les personnes de la famille. Il disait que c'?taient celles-l? qui devaient errer le plus habituellement autour de nous, que, d'ailleurs, puisqu'elles nous avaient laiss?s dans une bonne situation, elles devaient s'y conna?tre, et que c'?tait dans leurs conseils qu'il avait le plus de confiance. Et je suppose qu'il avait une autre raison: quand on n'a plus de patrie, comme l'esprit de famille devient puissant! Il n'y a plus que la famille, on fait tout pour elle, et elle fait tout pour vous. Nous autres, nous sommes les Schurberg, la tribu Schurberg, si vous voulez. Qui sait m?me si nous ne deviendrons pas une nation? Nous n'avons pas peur de la vie, nous faisons des enfants; ceux d'entre nous qui sont faibles, nous les soutenons, nous relevons ceux qui sont tomb?s. Pour le reste des hommes, ceux qui ne sont pas nous, eh bien, qu'ils en fassent autant, ?a ne nous regarde pas!

>>C'est comme ?a que nous ?tions devenus les Schurberg d'Alexandrie, une grande maison, une firme connue, qui faisait la commission des bl?s, des bois, des sucres, du coton, avec des cousins ou des neveux ? Odessa, ? Livourne, ? Marseille, ? Londres, ? Paris et ? Hambourg, qui nous servaient de correspondants. Et il n'y avait rien de r?gulier comme nos op?rations, ni de plus heureux. Nous avions les traditions, nous savions ce qu'on peut faire et ne pas faire, nous connaissions la place. Mais surtout, nous ob?issions au vieux! Dans toute maison il faut un chef: nous n'aurions pas lev? un doigt sans la permission de papa. Il nous demandait notre avis, il nous ?coutait, mais c'?tait lui qui d?cidait, sans m?me nous pr?venir.

>>Mais on ne sait pas ce qui se passe dans la t?te des vieux. Jonas Schurberg avait toujours l'air solide, il travaillait de plus en plus, m?me il travaillait trop, et sa m?moire, sa vivacit? de calcul, sa hardiesse nous ?merveillaient. C'est ?a qui est dangereux, chez les vieillards: ils ont toujours l'air les m?mes, et pourtant il se fait de grands trous dans leur cerveau. Agamemnon me dit un jour:

>>--Je ne le reconnais plus. Lui qui ?tait si prudent, il s'est engag? ? la hausse sur les bl?s! Jamais nous n'avions pris des positions pareilles. La r?colte de Russie va manquer, c'est certain. Mais si, en France, elle est bonne, et si le trust am?ricain l?che pied?

>>Il l?cha pied! Un beau jour, papa re?ut les c?bles de New-York. Il y avait trois nuits qu'il ne s'?tait pas couch?; il fumait, il buvait beaucoup de cognac pour se soutenir, et il soufflait, en parlant, comme s'il montait un escalier. Il fit: <> en portant la main ? sa gorge, et tomba. Son coeur ?tait us?; il n'avait pas pu tenir le coup.

>>Et nous devions six millions ? L?visohn, d'Odessa, et ? Carr?re, de Marseille!

>>Nous les avions, parbleu! En grattant, on pourrait payer, et tous nous supposions bien qu'il fallait payer. C'?tait l'habitude dans la famille, et il y avait le repos de l'?me de papa. Seulement, c'?tait ennuyeux pour H?ra et Calliope, qui n'?taient pas encore mari?es, et rien n'est emb?tant pour des gar?ons comme d'avoir ? refaire leur situation quand leurs soeurs ne sont pas ?tablies: il faut s'occuper d'elles, et ?a g?ne. Dehors, ? la Bourse, nous ne disions rien, bien entendu. On travaillait dur, comme toujours.

>>Le lendemain de l'enterrement de papa, nous descend?mes tous dans la salle ? manger pour d?jeuner. C'?tait Agamemnon qui avait pris la direction des affaires. On lui ob?issait comme au p?re, il avait droit aux m?mes ?gards, au m?me respect. Sa chaise ?tait au milieu de la table, celle de H?ra en face, la mienne ? la droite de H?ra, et venaient ensuite les couverts de mes autres fr?res, de Calliope, et ceux des quatre employ?s principaux qui prenaient leurs repas chez nous: Dimitriopoulo, Rothenstein, Bennacer et Costantini, parce que cela aussi, c'est la coutume.

>>Mais, comme Agamemnon n'?tait pas arriv?, nous attend?mes, debout devant la table.

>>Enfin, il ouvrit la porte, s'assit, et tous nous f?mes de m?me. Mais, pour parler, nous attendions qu'il e?t parl?.

>>Il d?plia sa serviette, prit un peu de confiture de roses avec un grand verre d'eau, puis il dit,--et je n'oublierai jamais sa voix, messieurs, si basse, si ?mue, et si ferme tout de m?me:

>>--Papa m'est apparu, cette nuit!

>>L'?me de p?re lui ?tait apparue! Pour quoi lui dire, pour quelle r?v?lation? Nous n'osions pas le demander. Ce fut Calliope qui se d?cida:

>>--Qu'est-ce qu'il a dit?

>>Alors, tous nous nous lev?mes pour nous embrasser. Derri?re nos deux soeurs, qui pleurent de joie, les quatre employ?s, qui s'?taient lev?s aussi, vinrent ? nous, les mains tendues, et Dimitriopoulo, le plus ancien, dit ? mon fr?re a?n?:

>>--Monsieur Agamemnon, ce jour est le plus beau jour de ma vie.>>

A ce moment, la clochette tinta. C'?tait le premier coup pour le d?ner, et nous quitt?mes le fumoir pour aller passer notre habit. M. Epaminondas Schurberg conclut, en franchissant la porte:

--Voil? pourquoi l'?me de mon p?re ?tait revenue. Vous avouerez que c'?tait utile!

UNE PETITE FEUILLE...

Ils finissaient de d?jeuner, tous trois dans la salle ? manger, dont les deux fen?tres s'?clairaient sur un vieux jardin de la rue Lhomond. Le printemps, d?j? ti?de, faisait ?clater les bourgeons. Une lumi?re un peu verte et tr?s jeune ?gayait la pi?ce; on entendit roucouler d'invisibles tourterelles. Mme H?diot, qui aimait embellir de quelque sentimentalit? les ?lans de ses sens, dirigea vers Pirotte un regard souriant qui voulait dire: <> Mais Pirotte affecta de ne rien voir, ni d'entendre; il se m?fiait toujours un peu d'H?diot, il avait plus de r?serve, il avait plus de prudence et de discr?tion. C'est peut-?tre qu'il ?tait moins ?pris, c'est peut-?tre qu'il ?tait un homme, tout simplement, et qu'il avait piti? d'un autre homme, de celui m?me auquel il avait pris une ?pouse, tandis que l'amour inspire aux femmes une sorte de haine, intimement tiss?e de m?pris, pour celui qu'elles trahissent; et c'est cela que nous nommons leur intr?pidit?. Pourtant H?diot montrait tant de tranquillit? et de bonhomie, il faisait preuve d'une ignorance si paisible! Apr?s le caf?, il proposa d'une voix naturelle ? son h?te:

--Nous passons dans mon bureau pour fumer une cigarette?

Les deux hommes se lev?rent, tandis que Mme H?diot annon?a qu'elle allait mettre son chapeau: une femme a tant d'affaires, ? Paris!

Pirotte, allumant une muratti, suivit H?diot, qui s'assit devant sa table de travail et bourra tranquillement sa pipe. Puis il ?carta les feuillets que son labeur du matin avait couverts d'une ?criture droite et nette, les compta, et les pla?a dans un dossier, ? c?t? de lui.

--Toujours, r?pondit H?diot. Et j'avance: petit ? petit l'oiseau fait son nid. Dans six mois j'aurai mis le mot <> au bas de ces feuillets.

--C'est int?ressant? dit Pirotte, avec une indiff?rence dissimul?e.

--Pas pour vous, Pirotte. Vous ?tes un botaniste, vous travaillez tr?s loin de moi, dans un tout autre domaine. Pas m?me, ? vrai dire, pour le reste des hommes civilis?s, pas m?me pour la plupart des ?rudits. Il faut bien que nous en fassions notre deuil: la v?rit? est que vous et moi, nous sommes lus par une centaine de personnes, pas davantage. Je suis les traces de Frazer, je serai compris par L?vy-Br?hl, Van Gennep, une imperceptible poign?e de gens ?parpill?s sur toute la face de la terre. On me citera quelque temps, puis mon oeuvre sera d?pass?e, et je mourrai... Voil?: c'est ce qui s'appelle l'avenir de la science, pour nous les savants.

--Et qu'est-ce que c'est, la magie imitatoire? demanda Pirotte, pour entretenir la conversation.

--Oh! rien: une niaiserie... Seulement cette niaiserie a ?t? le premier effort des hommes pour utiliser ou dompter les forces de la nature: ? la fois une physique et une religion. Les primitifs se figurent que les puissances naturelles, le vent, le soleil, la pluie, la terre, ont une intelligence assez pareille ? la leur, c'est-?-dire enfantine, et que, si on fait en les appelant certains gestes, elles imitent ces gestes, ayant compris ? ces signes la besogne qu'on exige d'elles. Tenez: voici une photographie venue du Soudan, qui repr?sente des sorciers costum?s... costum?s en meules de foin, ou plut?t de millet; et ils s?ment dans le sol, en dansant, des grains de millet. C'est pour intimer ? la terre nourrice le sentiment que c'est du millet, une r?colte abondante de millet qu'on la prie de bien vouloir produire. De m?me, en versant de l'eau sur la gl?be, et en imitant le bruit du tonnerre, ils s'imaginent engager le ciel ? laisser tomber la pluie.

... A ce moment Mme H?diot reparut, un chapeau ? haute aigrette sur la t?te, drap?e dans ses fourrures.

--Adieu, bavards! cria-t-elle gaiement.

H?diot ne bougea pas. Pirotte franchit la porte du cabinet de travail pour lui baiser la main. Mme H?diot l'attira vers elle. <> avait-elle murmur?. H?diot, se levant tout ? coup, avait l?g?rement pench? la t?te vers le vestibule. Il se rassit presque aussit?t. Mais ses deux mains avaient tir? nerveusement sur les deux branches d'une paire de ciseaux ? papier, si fort que les deux branches se s?par?rent. Il jeta avec pr?cipitation ces d?bris dans un tiroir. Quand Pirotte revint vers lui, il lui montra un visage parfaitement calme.

--Et c'est tout ?a, la magie, fit Pirotte, tout ?a? Mon Dieu, que cela va faire de peine aux pauvres diables qui r?vent d'envo?tement, de messes noires, d'actions myst?rieuses de la volont?, formidablement accrue par le concours des pouvoirs inconnus, sur les faits et les choses.

--Il y a aussi ce que vous dites, r?pondit H?diot. C'est la cons?quence logique du raisonnement: du moment qu'on peut exercer une influence sur les forces, quelles qu'elles soient, cette influence peut s'exercer aussi sur la force du mal, pour la dompter, pour l'encha?ner, la mettre hors d'?tat de nuire--ou au contraire, la pr?cipiter sur un ennemi.

--C'est encore plus b?te, fit Pirotte en riant, mais c'est plus romanesque. A la bonne heure!

--Regardez, poursuivit H?diot en allant chercher une statuette sur une ?tag?re. Ceci vient du Gabon.

L'effigie, haute comme trois travers de main, ?tait ? la fois grotesque et hideuse: un n?gre, les jambes ?cart?es et cagneuses, la face prognathe, la bouche ?largie par un rictus monstrueux, maintenait des deux mains sur son gros ventre une sorte de tabernacle carr?, ferm? par une lame de mica terni. Pirotte ?prouva un instant une impression d'horreur ind?finissable contre laquelle il r?agit par la blague:

--C'est en bois, ou en pierre, ce magot?

--En bois tr?s dur. Une esp?ce d'?b?ne, je suppose, et si lourd qu'il tombe au fond l'eau. En fait, c'est au fond d'une rivi?re qu'on l'a trouv?. Le sorcier l'avait noy? expr?s.

--Expr?s? Apr?s avoir pris la peine de sculpter cette oeuvre d'art?... Pourquoi?

--A cause de la chose qui est dans le tabernacle.

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