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Read Ebook: Les mains propres by Corday Michel

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Ebook has 830 lines and 64666 words, and 17 pages

Au surplus, la compr?hension, le soin de notre propre bonheur, ne nous d?tournent pas seulement de nuire, de faire le mal. Ils nous incitent aussi ? faire le bien, car ces lois d'?quilibre et de r?ciprocit? jouent pour le bien comme pour le mal. Faire du bien ? autrui, c'est en faire ? soi-m?me. On fait des heureux pour ?tre heureux. On re?oit en reflet le bonheur que l'on donne.

Oui, entre la morale religieuse, froide, tranchante, nue, aust?re, et la sauvage morale de la force, la morale du browning, il y a place pour une morale souriante, ?panouie, rayonnante, la morale de la fleur.

Il ne faut point cependant opposer la morale du bonheur aux morales religieuses. Leur antagonisme est plus apparent que r?el. Il est dans les mots. Qui n'applique en fait la morale du bonheur?

Il faut, au contraire, consid?rer cette morale humaine comme le prolongement des morales divines. Celles-ci tenaient l'homme en lisi?re. Elles guidaient ses pas. Elles le jugeaient incapable encore de marcher seul. Ainsi, la morale chr?tienne le maintenait dans le droit chemin par la crainte de l'enfer et l'espoir du paradis.

La morale du bonheur marque un progr?s. Elle correspond ? un ?tat nouveau de civilisation. Elle estime que la cr?ature peut enfin s'affranchir de tutelle, qu'elle est adulte, qu'elle peut avancer sans aide, que sa conscience avertie peut ?clairer sa conduite.

Les connaissances humaines se pr?sentent comme un tronc dont trois rameaux ont jailli: art, science, morale. Le premier, l'art, a donn? son ?lan et ne progresse plus gu?re; le deuxi?me, celui de la science, vient de se d?velopper prodigieusement; le troisi?me, celui de la morale, v?g?te. Faut-il d?sesp?rer qu'il rattrape les deux autres?

Il faudrait embellir la vie, la fleurir. N'est-ce pas la tendance g?n?rale des progr?s humains? En effet, quels ?taient les instincts primitifs de l'homme? Se nourrir, se reposer, se reproduire. Voyez comme nous avons peu ? peu par?, enjoliv? ces trois instincts grossiers! Du besoin de se nourrir, nous avons fait le d?licat plaisir de la table. Du besoin de se reposer, la volupt? du lit. Et le besoin de se reproduire est devenu l'amour...

Il y a tant ? faire, pour embellir la vie, pour l'?gayer. Qu'y a-t-il de plus triste qu'une f?te foraine? Ces mus?es d'horreur, ces jeux de massacre, ces man?ges bruyants et laids. Ne pourrait-on pas, peu ? peu, couler ? des divertissements plus jolis, sans s'?carter du go?t de la foule? On ne dira jamais assez la tristesse des monuments publics. Et les magasins? Pourquoi ne sont-ils pas g?n?ralement plus plaisants aux yeux? Pourquoi la r?tisserie, la poissonnerie, la boucherie, ne sont-elles pas toujours d?cor?es de c?ramiques, de marbres? Pourquoi ne pas rechercher un d?cor qui soit plus joyeux sans ?tre plus co?teux? Les tentatives qu'on a faites en ce sens ont presque choqu?. Il semble qu'il y ait quelque chose de sacril?ge ? mettre de la gr?ce, de la beaut?, dans le d?tail de la vie.

Une humanit? travaillant pour le bonheur tendrait ? encourager par les plus belles r?compenses tous ceux qui collaborent ? ce bonheur, l'artiste, l'inventeur... Et ce ne sont pas les grands h?ros.

Mettons dans notre vie de la gr?ce, de l'?l?gance, de la bont?, de la po?sie, des enthousiasmes, du plaisir. En un mot, cherchons ? l'accro?tre, ? la fleurir, ? la faire la plus opulente, la plus luxuriante.

Ayons aussi des raisons, des buts de vivre. Sans quoi, nous descendons ? la conception la plus mis?rable, la plus primitive de la vie, un ?tat inconscient o? l'?tre ne cherche qu'? subsister au jour le jour.

Candide disait: <>.

Oui. Repr?sentons-nous chaque existence comme un jardin. Et voyez, ? surface ?gale, combien les jardins sont diff?rents. L'un est la brousse, l'autre le paradis. Tout d?pend des soins qu'on y donne.

Nous ne pouvons pas pr?tendre au bonheur absolu, mais nous devons chercher ? l'atteindre par le plus grand nombre de points possible.

Notre bonheur est enclos dans notre vie, comme la statue dans le bloc de marbre. C'est ? nous de le d?gager. Les sculpteurs praticiens proc?dent comme si la statue existait d?j? dans sa gangue de pierre. Ils l'atteignent par des sondages nombreux, qui s'arr?tent juste ? la surface de la future image. Ils la touchent par points. Nous devons ?tre les praticiens de notre bonheur.

Il y a d'ailleurs un bonheur dont nous ne prenons pas assez conscience: l'absence de malheur. Par exemple, que de justes petites volupt?s on se procure ? se rendre compte qu'on ne souffre plus de maux familiers dont on a p?ti. Nous n'en jouissons pas. Nous ne nous disons pas assez: <>

Au fond, tous nos actes tendent vers l'utile ou l'agr?able. Cette formule en deux mots enferme notre vie. C'est un vase qui la contient. A nous d'en faire une belle amphore, de l'?largir vers le haut, d'y mettre toutes les belles fleurs de l'?l?gance, de l'art, de l'altruisme.

L'aspect d'une roseraie publique, comme celle de Bagatelle, un dimanche, o? la foule lente, recueillie, discr?te, se prom?ne sous les arceaux de fleurs, appara?t une anticipation, une vision de demain.

CHAPITRE II

LE TEMPS

La foi dans l'avenir.--La connaissance de l'avenir.--Le pr?sent vaut le pass?.--L'h?ritage du pass?.

Foi dans l'avenir.

Nous aussi, nous croyons ? une vie meilleure, ? une vie future. Mais nous ne la garantissons pas dans cet au-del? de la mort que nul encore n'a sond? d'un regard certain. Notre vie meilleure, c'est celle de nos descendants. Notre vie meilleure, c'est l'Avenir. Elle n'est pas dans le ciel. Elle est sur la terre. C'est la vie que nous forgeons pour ceux qui nous succ?deront. Nous y croyons parce que nous y travaillons, parce qu'elle est le prolongement de notre vie. Voil? l'acte de foi qui doit nous soutenir au cours de notre existence. Cette vie meilleure, nous ne l'attendons pas dans la r?signation, sous le joug des dogmes. Nous la pr?parons, nous apportons notre humble pierre ? l'?difice, dans le courage et l'all?gresse.

Devant les vagues monstrueuses, stupides et magnifiques qui se jettent et se brisent contre la jet?e, je pense que les hommes ont dompt? les forces ext?rieures de la nature et qu'ils n'ont pas encore dompt? les forces int?rieures, c'est-?-dire celles qui sont en eux: la col?re, la haine, la m?chancet?, celles qui les poussent ? nuire, ? tuer... Ils ont asservi les flots, les vents, la foudre; ils n'ont point encore refr?n? leurs instincts barbares.

Mais qui donc aurait os? pr?dire aux premiers hommes ces victoires sur la nature d?cha?n?e? Et qui peut assurer que les hommes futurs ne couronneront pas cette victoire, en l'achevant sur eux-m?mes?

Dans les grandes maladies qui fr?lent la mort, les ?tres se montrent souvent si beaux, si grands, si d?licats, si exquis, si touchants, qu'ils d?voilent une humanit? sup?rieure.

Ils montrent ce qu'ils auraient pu ?tre, ce qu'ils auraient ?t? s'ils avaient pu se lib?rer de toutes les entraves qui les retenaient de montrer le meilleur d'eux-m?mes.

On dirait qu'au seuil de la mort ils voient l'avenir des hommes et d?j? le r?alisent.

J'entends des gens dire que nous avons la m?me mentalit? que l'homme des cavernes, que la morale n'a pas fait de progr?s, parall?lement ? la science et sous son influence.

Est-ce bien s?r? Et surtout s'est-il ?coul? assez de temps pour que ces progr?s nous soient sensibles? Les ph?nom?nes d'?volution, ceux qui ont sculpt? la surface de la terre, ceux qui ont peu ? peu r?alis? l'?tre humain, sont tellement lents, exigent tant de milliers d'ann?es!

Les notions acquises depuis quelques si?cles seulement modifient peut-?tre l'esprit de l'homme. Mais l'empreinte n'est pas encore assez profonde pour que nous discernions ce relief nouveau.

On dit que la science ne change pas la vie. Cependant, prenez un modeste exemple: le t?l?phone... N'a-t-il pas cr?? un ?tat nouveau des relations humaines? Ces gens qui sont ?loign?s et qui se parlent ? l'oreille, qui s'entendent sans se voir, comme des aveugles s?par?s par l'espace et non plus par la nuit... N'a-t-il pas donn? ? l'amour, ? l'important amour, une facette nouvelle? Entendre une voix ch?re et ne pas voir le visage. Avoir un peu plus que la pens?e, un peu plus que l'?criture, avoir la parole... et n'avoir pas les l?vres. Et si chacun voulait dresser le bilan de ce qu'il doit au t?l?phone, de ce qu'il a pu faire gr?ce ? lui et de ce qu'il n'aurait pas fait sans lui, il serait bien contraint de reconna?tre qu'il y a quelque chose de chang? dans sa vie.

D'une fa?on g?n?rale, les communications rapides, transports et messages, ont rendu la vie plus sensible, en r?unissant des ?tres chers, en assurant de prompts secours. Elles la rendent plus dense et plus pleine, puisqu'elles permettent, dans un m?me temps, d'agir davantage. Et elles n'ont fait qu'?baucher, depuis quatre-vingts ans, leur oeuvre de p?n?tration internationale.

Il n'est pas jusqu'? la photographie qui n'ait r?agi sur les moeurs. Depuis trente ans qu'elle s'est vulgaris?e, on a pu, gr?ce ? elle, prendre d'une m?me personne d'innombrables aspects, exacts et vivants. Gr?ce ? elle, les absents et les morts sourient sous nos yeux. Ainsi a-t-elle fortifi? les liens des g?n?rations et le culte du souvenir.

Un esprit de tradition, fid?le au pass?, reconna?tra ais?ment que la d?couverte de l'imprimerie et de l'Am?rique entra?na la Renaissance et la R?forme, bref agit sur les moeurs, il y a quatre cents ans.

Mais demandez-lui si le chemin de fer et le t?l?phone, la sans-fil et l'aviation exerceront une influence morale, il niera.

Ce qu'il y a d'ailleurs d'un peu comique chez les z?lateurs du pass?, les ennemis du progr?s, c'est qu'ils se servent de la science, tout en la maudissant. Ils usent de la d?p?che, du petit bleu, des transports rapides, auto et chemin de fer, pour leurs affaires et leurs plaisirs. Ils vantent les vieux logis et ils les d?sertent. Ils d?nigrent la maison moderne et ils s'y portent en foule. Ils blaguent les m?decins et les appellent au premier bobo. Ils ne d?daignent ni l'ascenseur, ni l'incandescence. Et ils ne pourraient plus se passer de leur journal, vite inform?, vite imprim?, vite servi...

Il y a, malgr? tout, bien des raisons de croire ? un progr?s des moeurs, des raisons tir?es de la vie courante. Ainsi, on n'ab?me pas le mat?riel du chemin de fer, bien qu'on puisse impun?ment, quand on est seul dans un compartiment, ob?ir ? un instinct de rapt et de destruction. C'est un humble et curieux signe d'honn?tet? g?n?rale.

Chaque fois qu'on modifie un engin de transport en commun, on va toujours de l'inconfort vers le confort. Rappelez-vous le vieil omnibus, la diligence. Voyez les transformations successives du wagon, du tramway. N'est-ce point l? un signe que l'humanit? tend inconsciemment vers le mieux-?tre?

Le progr?s s'affranchit difficilement de la routine. Il ne s'arrache pas sans peine aux formes du pass?. Ainsi, les premi?res automobiles ?taient juch?es sur de grandes roues arri?re parce qu'elles d?rivaient des voitures ? chevaux. On n'en vint que plus tard aux petites roues ?gales.

Nous raillons les Anglais pour les perruques de leurs juges et le c?r?monial surann? de leurs f?tes royales. Ils nous raillent pour nos barri?res d'octroi et pour nos duels, parce qu'ils sont affranchis de ces usages.

Dans une mue perp?tuelle, le monde se d?pouille de ses vieilles plumes. Il en reste de ci, de l?, quelques-unes. Et nous rions de celles du voisin.

Toutes les qualit?s acquises, les sentiments d?licats, les fines sensations, tout ce que l'homme a conquis depuis qu'il apparut faible et nu sur la terre, me semblent comparables ? cet humus qui s'est lentement d?pos? sur la rude ?corce du globe, cet humus qui n'est que le r?sidu de la vie, la poussi?re accumul?e des g?n?rations, et qui nous donne les fleurs.

La connaissance de l'avenir.

On ne peut pas pr?tendre qu'on ne pr?dira jamais l'avenir. On pr?dit d?j? l'avenir astronomique, le retour des ?clipses et des com?tes.

Or, il en est d'un geste humain comme de la marche d'une ?toile dans le ciel. L'un et l'autre sont le r?sultat de causes d?terminantes, de forces pr?cises et qui se composent. Le ph?nom?ne terrestre est peut-?tre plus complexe que le ph?nom?ne c?leste, mais tous deux sont du m?me ordre. On ne peut donc pas affirmer qu'on ne pr?dira pas l'un comme on a pr?dit l'autre.

Quelle sera la prochaine pr?vision? Sans doute la connaissance exacte du temps, au point de vue m?t?orologique, gr?ce ? une ?tude m?thodique de ses ph?nom?nes et gr?ce ? leur coordination, rendue possible par les moyens de communication instantan?e, comme la t?l?graphie sans fil. D?j?, on annonce plusieurs jours d'avance la marche d'une inondation, celle d'un cyclone, d'une d?pression barom?trique.

S'accommodera-t-on de savoir l'avenir? Oui. Car nous connaissons d?j? une circonstance future de notre existence: nous avons la certitude de notre mort. Et nous nous en accommodons.

Les alchimistes ont cherch? la transmutation des corps, c'est-?-dire l'unit? de la mati?re. Sans doute cette notion deviendra-t-elle une v?rit? scientifique. De m?me la lecture de la pens?e, qui n'est encore qu'une ressource de prestidigitateur, deviendra, elle aussi, une science exacte. Ainsi, des empiriques, guid?s par un obscur instinct, ont entrevu l'avenir. Pourquoi ne soul?verions-nous pas d'autres pans du voile?

Nous devons lutter contre une paresse de notre esprit, qui se refuse ? concevoir un autre ?tat de moeurs que l'?tat actuel. Bien qu'un regard jet? sur le pass? suffise ? nous convaincre de la r?alit? d'une ?volution, nous avons peine ? admettre que cette ?volution se poursuivra. C'est ainsi que, de tr?s bonne foi, des gens vous ?crasent sous des formules comme celle-ci: <>, lorsqu'on s'efforce d'?voquer un temps o? les nations tireraient leurs ressources financi?res d'un autre syst?me fiscal et supprimeraient ainsi une chance de guerre.

Nos descendants seraient ?tonn?s de quelques traits de barbarie de notre ?poque, comme nous le sommes nous-m?mes par l'histoire des serfs qui battaient l'eau des douves afin d'apaiser les grenouilles et de prot?ger le sommeil du seigneur. Comme nous le sommes par ces r?v?lations sur la salet? de la noblesse du grand Roy, sur l'absence de lieux d'aisances au ch?teau de Versailles, sur la mis?re des paysans r?duits ? manger de la terre...

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