Read Ebook: Sac au dos à travers l'Espagne by France Hector
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Ebook has 1076 lines and 79158 words, and 22 pages
All?ch?s par cette ripaille, des poules ?tiques envahissent la salle, et plus effront?es que les chats, sautent jusqu'? nos mains pour nous voler les bouch?es.
< --A manger, s'?crie l'h?tesse, ah bien, s'il fallait les nourrir, cela ne vaudrait pas la peine d'en avoir.>> Toujours accroupie sur le seuil, dans le but ?vident de nous dissimuler son ?tat, la petite nous examine avec ses grands yeux noirs. Elle est assez jolie et sa position nous int?resse. Nous lui demandons son ?ge. < < --Ah! vraiment? --Oui, une m?re ne peut toujours surveiller ses filles. Il y a tant d'occasions dans le Guipuzcoa! --Des occasions! Il y en a partout!... Alors vous ?tes contente? --Il le faut, fit-elle en haussant les ?paules. Allons, tout va bien et tout est bien qui finit bien. LES PASSAGES Des ruines partout. La Biscaye en est jonch?e. La guerre civile y fit rage, plus meurtri?re que la guerre ?trang?re. Depuis cent ans, elle ronge le pays comme une fi?vre p?riodique. A tout d?tour de route se dresse un pan de mur d?chiquet? par la mitraille, une chapelle ?ventr?e, une maison trou?e par les boulets et que la d?tresse ou la mort du ma?tre, la mis?re des h?ritiers ont abandonn?e aux broussailles envahissantes, aux nids de corneilles et de vip?res, aux terriers de renards. Le sol que l'on foule s'arrosa du sang des combats ?piques. La poussi?re qui vole et que le vent de la montagne souffle aux yeux et dans la gorge fut jadis une boue rouge. Carlistes, christiniens, r?publicains se sont ?gorg?s en rivalisant de bravoure. Fermes, auberges, ?glises, hameaux, bourgades ont ?t? des forteresses. Mis?res trop visibles! L'ouragan destructeur de la folie homicide s'est ru? dans ces coins de paradis. Mais ce ne sont pas que les b?tisses de pierre jet?es bas par le boulet qui donnent ? l'Espagne son aspect de d?n?ment; c'est la nation enti?re qui s'est couch?e sur la terre et semble frapp?e de mort. Les ruines mat?rielles se r??difient, les ruines morales restent. Torpeur, incurie, ignorance, blessures mortelles que l'Espagne porte aux flancs. Elle s'est cependant d?barrass?e de ses moines qui d?voraient son sol, st?rilisaient son cerveau, mais les dix mille monast?res abandonn?s n'ont fait qu'augmenter le nombre de ses d?combres, et les fertiles domaines des abbayes sont rest?s en friche. Les b?timents d?serts eussent pu servir ? des h?pitaux, ? des ?coles; l'id?e n'en est pas venue. Tout s'?miette, tout s'?croule, tout s'efface de ces richesses du pass? dont ne songe pas ? profiter le pr?sent. Sous Philippe II, on comptait 11 400 abbayes d'hommes et de femmes r?parties dans les 680 ?v?ch?s d'alors et sous la juridiction de 48 archev?ques. Ces abbayes contenaient une arm?e de 400 000 moines ou nonnes. Il y avait, de plus, 32 000 pr?tres s?culiers. A la fin du dernier si?cle, il ne restait que 71 000 moines et 35 000 nonnes, mais le nombre des pr?tres s?culiers montait ? 144 000; il est encore de 50 000 aujourd'hui. A l'expulsion des moines en 1835, leur nombre ?tait de 50 000. Il n'y a plus maintenant que 54 ?v?ques et 8 archev?ch?s: Tol?de, si?ge primatial; Burgos, Grenade, Santiago, Saragosse, S?ville, Taragone, Valence, Valladolid. L'insouciance, l'oisivet?, la mis?re ont laiss? combler ce merveilleux havre par les atterrissements de tous les ruisseaux d'alentour. Les Passages! doux souvenir cher ? mon ventre, c'est l? que nous f?mes notre premier repas arros? de bon vin et ?gay? par les beaux yeux d'une fille des Espagnes. Ce n'est pas un morceau de fromage que nous donne la jolie servante, mais un repas copieux et de haut go?t: panade ? l'ail et ? l'huile, lard aux choux et aux pois chiches, galettes au poisson, et comme pi?ce de r?sistance, un de ces rago?ts extraordinaires qui font ?poque dans la vie d'un voyageur: un m?lange de boeuf et de saucisses, de ch?vre et de tomates, de carottes, de riz et de piments, le tout entrem?l? profus?ment d'oignon et d'ail, et saupoudr? de poivre rouge. Combinaisons culinaires ? faire sauter d'horreur toutes les cuisini?res bourgeoises, mais dont je me d?lectai souvent par la suite en pens?e, car nous ne trouv?mes plus rien de pareil. Aussi, dans notre enthousiasme et ?gay?s par le gros vin des Castilles, servi ? pleins pots comme de l'eau de fontaine, nous voul?mes r?galer d'un flacon de cognac les trois ma?ons gentilshommes qui d?clin?rent poliment cette offre. Nous avions oubli? que les Espagnols sont les plus sobres des hommes et, en effet, pendant tout notre voyage, nous ne rencontr?mes en ?tat d'ivresse ni un paysan, ni un soldat, ni un ouvrier. DE SAINT-S?BASTIEN A DEVA Comme c'est le si?ge du capitaine g?n?ral des provinces basques, on y coudoie la nu?e des fonctionnaires espagnols fiers et pauvres, car, autant que les n?tres, les administrations y sont prodigues d'employ?s aussi inutiles que mal r?tribu?s. On y est donc correct, gourm?, officiel, solennel et ennuy?. Il ne faut donc pas s'y arr?ter plus de vingt-quatre heures si l'on est amant de l'impr?vu. J'aime mieux Zarauz, Zumaya, Deva o? les voyageurs ne passent gu?re, press?s qu'ils sont de rouler ? Bilbao ou ? Burgos par les routes banales et battues. Dans ces trois vieilles petites villes, les baigneuses se prom?nent sans pr?tention en mantille ou t?te nue comme de simples Rosines, et n'en sont que plus jolies. Les vieilles rues qui escaladent le mont au pied de la forteresse de Motta offrent encore quelque int?r?t, mais le vandalisme l?gendaire des municipalit?s commence ? les atteindre, et l'inepte pioche des faiseurs de neuf s'abat sur ces reliques du pass?. Superstition, oisivet? et amour, c'est encore toute l'Espagnole. Sa vie semble ?tre une perp?tuelle lutte entre l'ardeur du plaisir et la peur d'offenser la bonne Vierge. Mais c'est l? surtout qu'il est avec le ciel des accommodements. On rach?te un baiser par un tour de rosaire, et une messe lave les souillures du p?ch? mignon. Les directeurs de ces consciences ne sont du reste pas trop s?v?res. Je suppose qu'ils permettent un ou plusieurs amants ? celles de leurs p?nitentes dont le temp?rament l'exige, comme ils accordent de faire gras le vendredi aux natures d?licates et aux estomacs d?biles, tout pr?ts ? s'offrir et ? se sacrifier s'il le faut pour la plus grande gloire de Dieu et de la Vierge Marie. La sant? avant tout. Dieu n'aime pas les corps ch?tifs. A en juger par tous ces bons gros p?res, il veut ? son service de vigoureux gaillards sains et dispos, ardents ? faire aimer le Cr?ateur par l'interm?diaire de la cr?ature. LE CAPITAINE BONELLI Comme nous ne courions ni apr?s la fortune, ni apr?s une ma?tresse, ni apr?s une affaire, que nous n'?tions pas des missionnaires patent?s de quelque minist?re, mais de simples touristes, cherchant des impressions, nous ?tions r?solus ? ne point suivre les grandes routes, ? nous engager autant que possible dans les chemins creux, les sentiers de ch?vre, les d?fil?s de montagne. Cependant nous suiv?mes la voie royale d?s la premi?re ?tape, puis de Saint-S?bastien ? Orio, et d'Orio ? Deva par Zarauz, Guetaria, Zumaya; mais nous n'y perd?mes rien en pittoresque, bien qu'elle f?t toute nouvelle, ouverte apr?s la derni?re guerre des carlistes, pour faciliter le rapide transport des troupes au coeur du pays basque, en plein foyer de l'insurrection. Tant?t taill?e dans le roc, creusant la montagne, coupant les for?ts, jet?e au-dessus des ab?mes, traversant de vrais paysages kabyles, tant?t suivant les sinuosit?s de la c?te, elle offre ? chaque pas d'admirables points de vue. Le capitaine Bonelli, gouverneur du protectorat espagnol sur la c?te occidentale d'Afrique, nous attendait ? Deva. Il y avait donn? rendez-vous ? mon compagnon avec qui il correspondait ? la suite des relations et des travaux orographiques de celui-ci sur le Maroc. Le capitaine Bonelli est bien connu de tous ceux que pr?occupent nos int?r?ts coloniaux. C'est un des rares Europ?ens qui poss?dent ? fond la langue arabe et le dialecte marocain. Charg? par le gouvernement espagnol d'une mission scientifique, il parcourut la c?te du cap Bojador au cap Blanc, limite septentrionale de notre colonie s?n?galaise, et prit possession au nom de l'Espagne de territoires beaucoup plus riches et surtout plus productifs qu'on ne le croit, car ils ouvrent, par les tribus de l'Adrar, la route des r?gions voisines de Tombouctou o? nous tentons, depuis tant d'ann?es, de p?n?trer par le haut S?n?gal. Apr?s avoir n?glig? de nous assurer les oasis de l'extr?me Sud-Oranais, Fidikett entre autres, qui nous auraient facilit? les moyens d'atteindre le Soudan, nous devons constater avec d?pit, sans doute, mais avec admiration, les r?sultats obtenus par l'?nergie d'un simple officier. Au moment o? l'alliance des peuples latins semble plus que jamais devenir une imp?rieuse n?cessit?, apr?s les projets d'union douani?re dans la M?diterran?e pouvant permettre ? notre race, menac?e jusque dans son berceau, de faire ?chec aux envahissements des Anglo-Saxons, se pose une question majeure que dans notre proverbiale et d?sastreuse insouciance de ce qui se passe au dehors de nos fronti?res, nous n?gligeons trop: l'alliance franco-espagnole en Afrique. Il suffit de jeter un coup d'oeil sur l'histoire diplomatique de la seconde moiti? de ce si?cle pour reconna?tre que l'Angleterre est politiquement et commercialement, de Gibraltar ? Suez, l'ennemi commun, et la voici qui commence ? inonder de ses produits doubl?s des pacotilles germaniques les ports de la M?diterran?e qui devrait n'?tre qu'un lac latin. Le lendemain matin, nous part?mes de bonne heure, et comme nous nous ?tions d?tourn?s de notre itin?raire, nous d?mes prendre le coche qui nous transportait ? Asconia, non loin de Loyola, la patrie de saint Ignace. Et, huch?s sur l'imp?riale, une soeur de charit? ? notre droite et un pr?tre ? notre gauche, nous d?mes adieu au capitaine Bonelli, ? Deva, ? sa jolie plage, ? la mer que nous ne devions revoir que deux mois plus tard, sur la c?te m?ridionale, et nous nous enfon??mes dans la montagne, au galop de six mules ?tiques qu'excitaient les furieux coups du ragal et les terribles jurons du cocher. LOYOLA Entre Azcoitia et Azpeitia, ? une demi-lieue environ de ces deux bourgades, au fond d'une d?licieuse vall?e resserr?e entre des montagnes bois?es o? coule dans un cadre de verdure la jolie rivi?re d'Uzola, se dresse solitaire et majestueuse une masse ?norme de b?timents. La fa?ade principale en est form?e par une coupole panth?onienne dont le triple et gigantesque portique s'avance sur un perron ? trois corps et ? balustrades de pierre, flanqu?e de lions de marbre, et de deux longues ailes d'une architecture de s?minaire et de caserne. C'est Loyola, surnomm? la merveille du Guipuzcoa, la maison trois fois sainte, le sanctuaire des soldats de J?sus, le berceau de saint Ignace, la grande j?suiti?re enfin. Cet ?trange b?timent, qui seul apporte le mouvement et la vie dans cette vall?e tranquille, offre de quelque c?t? qu'on en approche un spectacle bien fait pour frapper les imaginations d?votes, en leur donnant du premier coup l'impression de la formidable puissance de cet ordre rest? debout et prosp?re au milieu du d?sastre monacal. De saints p?res j?suites errant ?? et l? expliquaient ce ph?nom?ne; ils n'avaient pas la physionomie hypocritement pateline qu'on leur pr?te. De belle humeur, aimables gar?ons, la plupart bedonnants et solides, ils semblent prendre la vie comme elle vient, le temps comme il se pr?sente et go?ter en gourmets la satisfaction d'?tre au service de Dieu en g?n?ral et de saint Ignace en particulier. Ils se sentent chez eux, cela se voit; l'h?tellerie, je l'ai dit, est ? eux et non seulement celle-ci, mais l'autre en face, succursale de la premi?re, et aussi le coche et ses six mules, et les fermes d'alentour et les jolies filles, et le pays circonvoisin. Tout le monde, je dois l'ajouter, semble ici parfaitement heureux. La r?gle est douce, la tyrannie des P?res tr?s supportable. Ils ne r?gnent pas en pays conquis, mais sur des sujets d'une fid?lit? ?prouv?e. Pourvu qu'on croie ou qu'on fasse semblant de croire, cela suffit. Les servantes nous avou?rent qu'elles devaient se confesser une fois par semaine, communier une fois par mois, sans compter les f?tes. Elles n'en prenaient pas pour cela des allures plus b?ates, et mon compagnon que l'?tincelle de tous ces yeux allumait fort n'eut pas ? se heurter ? de trop farouches vertus. Quant ? moi, mes cheveux gris m'obligeaient ? plus de r?serve, et comme j'employais une grande partie de mon court s?jour ? visiter la maison du saint, ? parcourir l'?glise et ? stationner pr?s des chapelles o? s'adressaient les pieuses ?p?tres aux d?votes, je passais sans nul doute pour un fervent admirateur d'Ignace, et je dus laisser, ? mon d?part, ? notre pieuse h?teli?re, une bonne odeur de pi?t?. Cette matrone, compagnonne grisonnante et mamelue, s'?tait de prime abord montr?e r?barbative. Notre qualit? de Fran?ais ?tait tare ? ses yeux. Ce n'est pas ? Loyola que nous sommes en haute estime, et tout compatriote de Voltaire y est vou? ? la damnation. Aussi commen?a-t-elle par nous d?clarer qu'elle ne pouvait disposer d'un seul lit; mais, ayant eu l'heureuse id?e de nous informer de l'heure de la messe pour le lendemain dimanche, la d?vote changea de ton. < --A toutes!>> r?pliquai-je.
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