Read Ebook: Heures de Corse by Lorrain Jean
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Ebook has 161 lines and 21467 words, and 4 pages
Release date: September 3, 2023
Original publication: Paris: E. Sansot, 1905
PETITE COLLECTION <
JEAN LORRAIN
Heures de Corse
PARIS BIBLIOTH?QUE INTERNATIONALE D'?DITION E. SANSOT et Cie 53, Rue Saint-Andr?-des-Arts, 53
Il a ?t? tir? de cet ouvrage:
Six exemplaires sur Japon imp?rial, num?rot?s de 1 ? 6
et dix exemplaires sur Hollande, num?rot?s de 7 ? 16.
HEURES DE CORSE
DE MARSEILLE A AJACCIO
Quelles ?motions me donnera la Corse, la Corse odorante et sauvage, ? laquelle je vais demander le repos, la sant? et l'oubli?
Nous faisons mieux que danser, nous roulons et nous tanguons.
Mais la nuit est venue: un malheureux soldat, qui s'?tait, jusqu'alors, obstin? ? demeurer sur l'autre banc, en face, vient de descendre en titubant... Ce chapelet de points de feu, ? l'horizon, au pied d'une barre d'ombre, ce sont les r?verb?res du Prado; la fum?e du paquebot se d?roule, fun?bre, et semble s'envoler vers la c?te: fuligineuse et noire, au lieu de diminuer, mes yeux hallucin?s la voient s'accro?tre et grandir, plus dense ? mesure qu'elle gagne l'horizon; elle y devient des silhouettes de collines connues, des aspects de rivage, une Provence de songe semble surgir de ses volutes. Le paysage devient fumeux lui-m?me, d?cor de t?n?bres et de nu?es, d?roul? de la chemin?e du paquebot, et cr??, tel un mirage, dans la lividit? d'un ciel d'hiver. Tout ? coup, au ras des lames, une grande masse bl?me, comme un suaire tendu sur un ?norme ?cueil; la mer est couleur d'encre, le r?cif d'une p?leur fun?raire; j'ai la sensation que nous passons tout pr?s, nous sommes loin, pourtant, de l'?le de Ma?re.
Ici, l'angoisse du vertige devient si atroce que je me l?ve, et, chancelant, me retenant aux bancs et aux rampes pour ne pas tomber, je gagne l'escalier et me d?cide ? descendre... Dans le salon des premi?res, les lampes oscillent, balanc?es odieusement, des femmes gisent, en tas, sur les banquettes, et l'on met le couvert!! Encore un effort, je trouve un escalier, je demande ma cabine, le num?ro 18! Un gar?on de service me re?oit, me guide, me soutient et m'?tend, tout habill?, sur une couchette; il me cale avec des oreillers, me borde comme un enfant, car nous roulons de plus en plus; oui, nous roulons et nous tanguons... O le vide de ma pauvre t?te, mes yeux que je ne puis plus ouvrir, et l'affre de ce coeur, on dirait d?croch? qui va et vient, et suit le roulis du bateau, ce balancier fou que j'ai l? dans la poitrine, ce coeur endolori qui se heurte et se froisse partout aux parois de mes c?tes!
On ne m'avait pas menti: ces bateaux de la Compagnie Fraissinet sont horribles, et je n'en suis pas ? ma premi?re travers?e! Que d'hivers d?j? pass?s en Alg?rie, ? Tripoli et ? Tunis; je ne compte plus mes escales ? Malte, ? Naples et ? Palerme, mes retours de Syracuse, par Livourne et G?nes, mes d?parts pour Oran, par Barcelone et Carthag?ne! Et je n'ai jamais eu le mal de mer.
O douce nuit du 31 d?cembre!
Le bateau s'arr?te... Stopp?s, la houle nous secoue encore davantage; la souffrance, intol?rable, m'?veille tout ? fait, m'arrache aux coquecigrues de mon demi-sommeil; une aube d'hiver bl?mit mon hublot, c'est le petit jour. <
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Pauvre mort inconnu dont l'?me, d?j? ?vad?e, s'est d?battue toute cette nuit au seuil du myst?re, dans l'angoisse de la d?termination supr?me ? prendre! Pendant que je r?lais b?tement dans les affres du mal de mer, lui, c'est le mal de la terre, la mis?re de vivre, qui l'a pouss? violemment dans l'au-del? et l'infini! Quelle douleur irr?parable, quelle d?ception ou quelle d?tresse d'?me, ou seulement quel ennui a tenu, toute cette nuit du 31 d?cembre, cet homme pench? sur cette mer d'hiver, le coude au bastingage? Et, au lever de l'aube, devant les cr?tes de l'?le ?mergeant de l'ombre, il a salu? la Vie et s'est d?livr? dans la Mort!
Adieu, ma vie!
Ajaccio! Ajaccio! Cette fois, nous arrivons! Subitement gu?ri, je saute ? bas de ma couchette, gagne l'escalier et monte sur le pont; l'air vif me ranime. Ajaccio, c'est une muraille de hautes montagnes, d'arabesques violentes de granit, domin?e par des neiges, on dirait ?ternelles; la silhouette de la Corse, ainsi apparue dans le soleil levant, est hautaine et sombre: c'est comme la proue immobile et g?ante d'un monumental vaisseau de granit: mais, au-dessus des premiers contreforts, les cimes du Monte d'Oro et de l'Incudine resplendissent, ?blouissantes; une lumi?re d'Afrique les embrase, et, sous le vif argent de leurs neiges incendi?es, les collines descendent, d?licieusement bleut?es, estomp?es de for?ts de sapins, avec de grands pans d'ombre et de reliefs, tout en clart?s violettes, et cela jusqu'au golfe d'un bleu l?ger de soie; et rivages et montagnes semblent peints sur velours!
Comme un ?cran de nacre incandescente, le Monte d'Oro et les sommets de l'Incudine dominent et emplissent tout le fond de la baie du p?tillement givr? et de l'?clat de leurs cr?tes. Et dire que c'est du pied de ces montagnes que s'est ?lanc? le vol ?norme et formidable de l'Aigle imp?rial!
La maison de Napol?one! C'est elle que je demande et que je cherche; je sais qu'on la d?couvre une des premi?res de la rade; elle forme un des angles du port: ces volets verts, c'est elle! mais plus que sa fa?ade blanch?tre un d?tail, aper?u le long de la c?te, m'inqui?te et me frappe... Toute la c?te que nous longeons est bord?e de tombeaux, mausol?es et s?pultures particuli?res; ils forment le long de la mer comme une voie Appienne, puis, ombrag? de palmiers, h?riss? de cactus, voici le cimeti?re; les grands h?tels, les villas d'hiverneurs s'?tagent tout de suite apr?s; c'est avant le vieil Ajaccio, embusqu? derri?re son m?le et comme en retrait en arri?re de la maison de Napol?one, la ville ?l?gante et fun?bre des convalescences et des tuberculoses, la cit? n?cropole des Anglais et des poitrinaires. Menton, Corse, les tombes annoncent et gardent Ajaccio, et dans la pure et transparente lumi?re d'Afrique la premi?re chose qui vous salue et vous souhaite la bienvenue au seuil du pays de Bonaparte, c'est, symbole on dirait de sa ru?e ? travers le Monde, un petit cimeti?re de petite ville italienne et des tombes ?gren?es le long d'une route marine: pr?sage consolant de repos et d'oubli dans la Paix de la Mort.
LUI!
< < < < Et le docteur, tout en caressant d'une main... perplexe la soie brune et brillante d'une barbe soign?e , et le docteur donc, tout en caressant le floconnement parfum? de son menton: < L'Angleterre prit l'aigle et l'Autriche l'aiglon. < < A ce moment, le soleil reparu fit ?tinceler la neige des cimes, le golfe ?tala et, du m?me coup, accusa cruellement la bile et la chlorose des teints, la lassitude des yeux et des sourires, en m?me temps que la veulerie ?reint?e des visages; les promeneuses du jardin apparurent avachies et vann?es, comme autant de vieux sacs de nuit fatigu?s. Qu'?tais-je venu faire dans cette remise pour tr?s anciens objets de voyage? Je sentais en moi la mont?e d'une sourde rancune, un vent d'injustice me soulevait contre le docteur, en m?me temps que commen?ait ? peser un p?nible silence. Tout ? coup, la porte vitr?e de la table d'h?te s'ouvrit toute grande... et g?ant, avec sa forte carrure, son estomac bomb? et sa face lourde, aux bajoues tombantes, Il apparut, car c'?tait Lui, ? ne pouvoir s'y m?prendre: c'?taient ses grands yeux ? fleur de t?te et leurs paupi?res pesantes, c'?tait son profil r?gulier, ses l?vres ?paisses et son menton gras de jouisseur, toute cette face de m?daille d'Augustule de la d?cadence, rachet?e par la gr?ce du sourire et la grande beaut? du regard, car il avait aussi de Lui les prunelles limpides et pensives, la d?marche lente, et jusqu'? la fleur rare ? la boutonni?re; c'?tait Lui, mais rajeuni de vingt ans, Lui dans tout l'?clat de ses triomphes de po?te et d'auteur, le Lui choy?, adul?, courtis?, que se disputaient ? coups de dollars Londres et New-York; et, comme je le savais mort, et dans quelle mis?re et quel abandon! le double myst?rieux du portrait de Dorian Gray s'imposait, imp?rieux, ? mon souvenir: je risquai l'impolitesse de me retourner brusquement sur ma chaise, pour suivre plus longtemps des yeux l'effarante ressemblance: elle ?tait frappante; Sosie n'?tait pas plus Sosie; une jeune femme accompagnait le faux Oscar, ?l?gante, et, comme son compagnon d'Agence Cook d'Outre-Manche, des cheveux blonds et lisses, aux longs pieds solides, aux chaussures sans talons. < DIMANCHE CORSE La plainte des palombes Dans les micocouliers! Ne faudrait-il venir ici qu'en avril? Ce jardin de cypr?s et d'arbustes bleu?tres est fig? de silence: derri?re nous le manteau mouvant du maquis ondul? ? l'infini au versant des collines, le large s'ouvre ? l'horizon. Sur la route, au retour, nous croisons des Corses v?tus de velours de chasse et des femmes enlinceul?es de noir, le deuil ?ternel que portent ici toutes les femmes du peuple... Peuple fier o? le deuil des morts se prolonge durant dix ann?es, ? quelque degr? de parent? que l'on soit, peuple qui se souvient du bienfait comme de l'injure, peuple qui n'oublie pas, peuple qui ne mendie pas! Et ? notre gauche s'?chelonnent des mausol?es et sur notre droite d?file, silhouett?e en noir sur le bleu du golfe, toute une procession d'ombres, tombes et deuil! Et cette route s'appelle la route des Sanguinaires; au loin les montagnes s'estompent violettes, ?clabouss?es ?? et l? d'un reflet de neige; une cime plus haute apparue tout ? coup d'acier p?le, en coup de dague, dans l'air calme et c'est, nous dit-on, qu'il a neig? la nuit derni?re ou ? Foc? ou ? Bastelica. Quelle m?lancolie et qu'on est loin ici de Paris et de France! D'ailleurs, l'air fra?chit, c'est le cr?puscule: le paysage en d?cor, miraculeusement ?clair?, prend des tons lumineusement doux de peinture sur soie; la lumi?re, c'est toute la magie de la Corse. Des rumeurs d'enfants annoncent la ville. Un peu avant les premi?res villas, tout un s?minaire en promenade s'est abattu sur les r?cifs ? fleur d'eau du rivage, la route et le granit sont tout noirs de soutanes; tass?es, par groupes, ces faces glabres, ces robes de deuil font autant de taches d'encre sur la montagne et sur la vague et sur l'?cueil: ce sont les cent quatre apprentis cur?s de Monseigneur, les cent quatre, comme on les appelle ici. Comme un vol de < Et c'est un vers de Jose-Maria de Heredia qui me situe le d?tail sinistre du paysage. LES QUAIS Les quais de Marseille, cosmopolites, commer?ants, laborieux et fl?neurs, remuent dans du bruit, du mouvement et du soleil; ils odorent la force, l'absinthe et la limonade, la sueur et le goudron, l'olive et le musc; ils bercent du r?ve, charrient de l'aventure, du rire et des larmes, invitent ? partir, et dans du drame et de la gaiet? et de la couleur poudroient, flamboient et tapagent: Marseille, porte de l'Orient et de l'Ailleurs. Le ch?teau de l'OEuf y fleure le coquillage, les femmes, la mar?e et les bouquets de fraisier offerts par les ruffians, le parmezan et la semence humaine, les arabesques mauves pos?es ? l'horizon incantent l'atmosph?re avec des noms magiques: Castellamare, Sorrente, Capri, la chanson des Sir?nes est demeur?e en ?cho dans tous les creux des roches, ce faubourg populeux s'appelle Portici et cette colline en face, de l'autre c?t? du golfe, a nom le Pausilippe. Contre la Douane, accagnard?s au soleil, des indig?nes tressent des nasses, contempl?s en silence par des gamins pensifs; assis, pieds nus, sur les dalles ti?des, des p?cheurs raccommodent des filets: leur orteil et leur second doigt de pied, souples comme des doigts de main, en retiennent les mailles; la faction indolente des douaniers arpente le quai, sans conviction, inconsciemment. Pass? les bains, ?difi?s par Napol?on, des femmes, accroupies au bord du rivage, battent la lessive dans l'eau du golfe et rincent un linge qui fleurera le sel; ?? et l?, des groupes de fl?neurs, l'air de nervi de Marseille, font cercle autour du jeu des trois cartes du bonneteur. La race, ici, est bien latine: le Corse est n? joueur, il joue au caf? le long des journ?es, il y joue le soir, il joue au cercle, ? la buvette, il joue sur l'esplanade de la citadelle et sur les quais du port, dedans et dehors, ? la chandelle et en plein air.
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