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Read Ebook: Une page d'amour by Zola Mile

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Ebook has 2366 lines and 102992 words, and 48 pages

LES ROUGON-MACQUART

HISTOIRE NATURELLE ET SOCIALE D'UNE FAMILLE SOUS LE SECOND EMPIRE

UNE PAGE D'AMOUR

?MILE ZOLA

NOTE

Je me d?cide ? joindre ? ce volume l'arbre g?n?alogique des Rougon-Macquart. Deux raisons me d?terminent.

La premi?re est que beaucoup de personnes m'ont demand? cet arbre. Il doit, en effet, aider les lecteurs ? se retrouver, parmi les membres assez nombreux de la famille dont je me suis fait l'historien.

La seconde raison est plus compliqu?e. Je regrette de n'avoir pas publi? l'arbre dans le premier volume de la s?rie, pour montrer tout de suite l'ensemble de mon plan. Si je tardais encore, on finirait par m'accuser de l'avoir fabriqu? apr?s coup. Il est grand temps d'?tablir qu'il a ?t? dress? tel qu'il est en 1868, avant que j'eusse ?crit une seule ligne; et cela ressort clairement de la lecture du premier ?pisode, la Fortune des Rougon, o? je ne pouvais poser les origines de la famille, sans arr?ter avant tout la filiation et les ?ges. La difficult? ?tait d'autant plus grande, que je mettais face ? face quatre g?n?rations, et que mes personnages s'agitaient dans une p?riode de dix-huit ann?es seulement.

La publication de ce document sera ma r?ponse ? ceux qui m'ont accus? de courir apr?s l'actualit? et le scandale. Depuis 1868, je remplis le cadre que je me suis impos?, l'arbre g?n?alogique en marque pour moi les grandes lignes, sans me permettre d'aller ni ? droite ni ? gauche. Je dois le suivre strictement, il est en m?me temps ma force et mon r?gulateur. Les conclusions sont toutes pr?tes. Voil? ce que j'ai voulu et voil? ce que j'accomplis.

Aujourd'hui, j'ai simplement le d?sir de prouver que les romans publi?s par moi depuis bient?t neuf ans, d?pendent d'un vaste ensemble, dont le plan a ?t? arr?t? d'un coup et ? l'avance, et que l'on doit par cons?quent, tout en jugeant chaque roman ? part, tenir compte de la place harmonique qu'il occupe dans cet ensemble. On se prononcera d?s lors sur mon oeuvre plus justement et plus largement.

?MILE ZOLA.

Paris, 2 avril 1878.

UNE PAGE D'AMOUR

PREMI?RE PARTIE

La veilleuse, dans un cornet bleu?tre, br?lait sur la chemin?e, derri?re un livre, dont l'ombre noyait toute une moiti? de la chambre. C'?tait une calme lueur qui coupait le gu?ridon et la chaise longue, baignait les gros plis des rideaux de velours, azurait la glace de l'armoire de palissandre, plac?e entre les deux fen?tres. L'harmonie bourgeoise de la pi?ce, ce bleu des tentures, des meubles et du tapis, prenait ? cette heure nocturne une douceur vague de nu?e. Et, en face des fen?tres, du c?t? de l'ombre, le lit, ?galement tendu de velours, faisait une masse noire, ?clair?e seulement de la p?leur des draps. H?l?ne, les mains crois?es, dans sa tranquille attitude de m?re et de veuve, avait un l?ger souffle.

Au milieu du silence, la pendule sonna une heure. Les bruits du quartier ?taient morts. Sur ces hauteurs du Trocad?ro, Paris envoyait seul son lointain ronflement. Le petit souffle d'H?l?ne ?tait si doux, qu'il ne soulevait pas la ligne chaste de sa gorge. Elle sommeillait d'un beau sommeil, paisible et fort, avec son profil correct et ses cheveux ch?tains puissamment nou?s, la t?te pench?e, comme si elle se f?t assoupie en ?coutant. Au fond de la pi?ce, la porte d'un cabinet grande ouverte trouait le mur d'un carr? de t?n?bres.

Mais pas un bruit ne montait. La demie sonna. Le balancier avait un battement affaibli, dans cette force du sommeil qui an?antissait la chambre enti?re. La veilleuse dormait, les meubles dormaient; sur le gu?ridon, pr?s d'une lampe ?teinte, un ouvrage de femme dormait. H?l?ne, endormie, gardait son air grave et bon.

Quand deux heures sonn?rent, cette paix fut troubl?e, un soupir sortit des t?n?bres du cabinet. Puis, il y eut un froissement de linge, et le silence recommen?a. Maintenant, une haleine oppress?e s'entendait. H?l?ne n'avait pas boug?. Mais, brusquement, elle se souleva. Un balbutiement confus d'enfant qui souffre venait de la r?veiller. Elle portait les mains ? ses tempes, encore ensommeill?e, lorsqu'un cri sourd la fit sauter sur le tapis.

--Jeanne!... Jeanne!... qu'as-tu? r?ponds-moi! demanda-t-elle.

Et, comme l'enfant se taisait, elle murmura, tout en courant prendre la veilleuse:

--Mon Dieu! elle n'?tait pas bien, je n'aurais pas d? me coucher.

Elle entra vivement dans la pi?ce voisine o? un lourd silence s'?tait fait. Mais la veilleuse, noy?e d'huile, avait une tremblante clart? qui envoyait seulement au plafond une tache ronde. H?l?ne, pench?e sur le lit de fer, ne put rien distinguer d'abord. Puis, dans la lueur bleu?tre, au milieu des draps rejet?s, elle aper?ut Jeanne raidie, la t?te renvers?e, les muscles du cou rigides et durs. Une contraction d?figurait le pauvre et adorable visage; les yeux ?taient ouverts, fix?s sur la fl?che des rideaux.

--Mon Dieu! mon Dieu! cria-t-elle, mon Dieu! elle se meurt!

Et, posant la veilleuse, elle t?ta sa fille de ses mains tremblantes. Elle ne put trouver le pouls. Le coeur semblait s'arr?ter. Les petits bras, les petites jambes se tendaient violemment. Alors, elle devint folle, s'?pouvantant, b?gayant:

--Mon enfant se meurt! Au secours!... Mon enfant! mon enfant!

Elle revint dans la chambre, tournant et se cognant, sans savoir o? elle allait; puis, elle rentra dans le cabinet et se jeta de nouveau devant le lit, appelant toujours au secours. Elle avait pris Jeanne entre ses bras, elle lui baisait les cheveux, promenait les mains sur son corps, en la suppliant de r?pondre. Un mot, un seul mot. O? avait- elle mal? D?sirait-elle un peu de la potion de l'autre jour? Peut-?tre l'air l'aurait-il ranim?e? Et elle s'ent?tait ? vouloir l'entendre parler.

--Dis-moi, Jeanne, oh! dis-moi, je t'en prie!

Mon Dieu! et ne savoir que faire! Comme ?a, brusquement, dans la nuit. Pas m?me de lumi?re. Ses id?es se brouillaient. Elle continuait de causer ? sa fille, l'interrogeant et r?pondant pour elle. C'?tait dans l'estomac que ?a la tenait; non, dans la gorge. Ce ne serait rien. Il fallait du calme. Et elle faisait un effort pour avoir elle-m?me toute sa t?te. Mais la sensation de sa fille raide entre ses bras lui soulevait les entrailles. Elle la regardait, convuls?e et sans souffle; elle t?chait de raisonner, de r?sister au besoin de crier. Tout ? coup, malgr? elle, elle cria.

Elle traversa la salle ? manger et la cuisine, appelant:

--Rosalie! Rosalie!... Vite, un m?decin!... Mon enfant se meurt! La bonne, qui couchait dans une petite pi?ce derri?re la cuisine, poussa des exclamations. H?l?ne ?tait revenue en courant. Elle pi?tinait en chemise, sans para?tre sentir le froid de cette glaciale nuit de f?vrier. Cette bonne laisserait donc mourir son enfant! Une minute s'?tait ? peine ?coul?e. Elle retourna dans la cuisine, rentra dans la chambre. Et, rudement, ? t?tons, elle passa une jupe, jeta un ch?le sur ses ?paules. Elle renversait les meubles, emplissait de la violence de son d?sespoir cette chambre o? dormait une paix si recueillie. Puis, chauss?e de pantoufles, laissant les portes ouvertes, elle descendit elle-m?me les trois ?tages, avec cette id?e qu'elle seule ram?nerait un m?decin.

Quand la concierge eut tir? le cordon, H?l?ne se trouva dehors, les oreilles bourdonnantes, la t?te perdue. Elle descendit rapidement la rue Vineuse, sonna chez le docteur Bodin, qui avait d?j? soign? Jeanne; une domestique, au bout d'une ?ternit?, vint lui r?pondre que le docteur ?tait aupr?s d'une femme en couches. H?l?ne resta stupide sur le trottoir. Elle ne connaissait pas d'autre docteur dans Passy. Pendant un instant, elle battit les rues, regardant les maisons. Un petit vent glac? soufflait; elle marchait avec ses pantoufles dans une neige l?g?re, tomb?e le soir. Et elle avait toujours devant elle sa fille, avec cette pens?e d'angoisse qu'elle la tuait en ne trouvant pas tout de suite un m?decin. Alors, comme elle remontait la rue Vineuse, elle se pendit ? une sonnette. Elle allait toujours demander; on lui donnerait peut-?tre une adresse. Elle sonna de nouveau, parce qu'on ne se h?tait pas. Le vent plaquait son mince jupon sur ses jambes, et les m?ches de ses cheveux s'envolaient.

Enfin, un domestique vint ouvrir et lui dit que le docteur Deberle ?tait couch?. Elle avait sonn? chez un docteur, le ciel ne l'abandonnait donc pas! Alors, elle poussa le domestique pour entrer. Elle r?p?tait:

--Mon enfant, mon enfant se meurt!... Dites-lui qu'il vienne.

C'?tait un petit h?tel plein de tentures. Elle monta ainsi un ?tage, luttant contre le domestique, r?pondant ? toutes les observations que son enfant se mourait. Arriv?e dans une pi?ce, elle voulut bien attendre. Mais, d?s qu'elle entendit ? c?t? le m?decin se lever, elle s'approcha, elle parla ? travers la porte.

--Tout de suite, monsieur, je vous en supplie.... Mon enfant se meurt!

Et, lorsque le m?decin parut en veston, sans cravate, elle l'entra?na, elle ne le laissa pas se v?tir davantage. Lui, l'avait reconnue. Elle habitait la maison voisine et ?tait sa locataire. Aussi, quand il lui fit traverser un jardin pour raccourcir en passant par une porte de communication qui existait entre les deux demeures, eut-elle un brusque r?veil de m?moire.

--C'est vrai, murmura-t-elle, vous ?tes m?decin, et je le savais.... Voyez-vous, je suis devenue folle.... D?p?chons-nous.

Dans l'escalier, elle voulut qu'il pass?t le premier. Elle n'e?t pas amen? Dieu chez elle d'une fa?on plus d?vote. En haut, Rosalie ?tait rest?e pr?s de Jeanne, et elle avait allum? la lampe pos?e sur le gu?ridon. D?s que le m?decin entra, il prit cette lampe, il ?claira vivement l'enfant, qui gardait une rigidit? douloureuse; seulement, la t?te avait gliss?, de rapides crispations couraient sur la face. Pendant une minute, il ne dit rien, les l?vres pinc?es. H?l?ne, anxieusement, le regardait. Quand il aper?ut ce regard de m?re qui l'implorait, il murmura:

--Ce ne sera rien.... Mais il ne faut pas la laisser ici. Elle a besoin d'air.

H?l?ne, d'un geste fort, l'emporta sur son ?paule. Elle aurait bais? les mains du m?decin pour sa bonne parole, et une douceur coulait en elle. Mais ? peine eut-elle pos? Jeanne dans son grand lit, que ce pauvre petit corps de fillette fut agit? de violentes convulsions. Le m?decin avait enlev? l'abat-jour de la lampe, une clart? blanche emplissait la pi?ce. Il alla entrouvrir une fen?tre, ordonna ? Rosalie de tirer le lit hors des rideaux. H?l?ne, reprise par l'angoisse, balbutiait:

--Mais elle se meurt, monsieur!... Voyez donc, voyez donc!... Je ne la reconnais plus!

Il ne r?pondait pas, suivait l'acc?s d'un regard attentif. Puis, il dit:

--Passez dans l'alc?ve, tenez-lui les mains pour qu'elle ne s'?gratigne pas.... L?, doucement, sans violence.... Ne vous inqui?tez pas, il faut que la crise suive son cours.

Et tous deux, pench?s au-dessus du lit, ils maintenaient Jeanne, dont les membres se d?tendaient avec des secousses brusques. Le m?decin avait boutonn? son veston pour cacher son cou nu. H?l?ne ?tait rest?e envelopp?e dans le ch?le qu'elle avait jet? sur ses ?paules. Mais Jeanne, en se d?battant, tira un coin du ch?le, d?boutonna le haut du veston. Ils ne s'en aper?urent point. Ni l'un ni l'autre ne se voyait.

Cependant, l'acc?s se calma. La petite parut tomber dans un grand affaissement. Bien qu'il rassur?t la m?re sur l'issue de la crise, le docteur restait pr?occup?. Il regardait toujours la malade, il finit par poser des questions br?ves ? H?l?ne, demeur?e debout dans la ruelle.

--Quel ?ge a l'enfant?

--Onze ans et demi, monsieur.

Il y eut un silence. Il hochait la t?te, se baissait pour soulever la paupi?re ferm?e de Jeanne et regarder la muqueuse. Puis, il continua son interrogatoire, sans lever les yeux sur H?l?ne.

--A-t-elle eu des convulsions ?tant jeune?

--Oui, monsieur, mais ces convulsions ont disparu vers l'?ge de six ans.... Elle est tr?s-d?licate. Depuis quelques jours, je la voyais mal ? son aise. Elle avait des crampes, des absences.

--Connaissez-vous des maladies nerveuses dans votre famille?

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