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Read Ebook: Une page d'amour by Zola Mile

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Ebook has 2366 lines and 102992 words, and 48 pages

--Connaissez-vous des maladies nerveuses dans votre famille?

--Je ne sais pas.... Ma m?re est morte de la poitrine.

Elle h?sitait, prise d'une honte, ne voulant pas avouer une a?eule enferm?e dans une maison d'ali?n?s. Toute son ascendance ?tait tragique.

--Prenez garde, dit vivement le m?decin, voici un nouvel acc?s.

Jeanne venait d'ouvrir les yeux. Un instant, elle regarda autour d'elle, d'un air ?gar?, sans prononcer une parole. Puis, son regard devint fixe, son corps se renversa en arri?re, les membres ?tendus et raidis. Elle ?tait tr?s rouge. Tout d'un coup elle bl?mit, d'une p?leur livide, et les convulsions se d?clar?rent.

--Ne la l?chez pas, reprit le docteur. Prenez-lui l'autre main.

Il courut au gu?ridon, sur lequel, en entrant, il avait pos? une petite pharmacie. Il revint avec un flacon, qu'il fit respirer ? l'enfant. Mais ce fut comme un terrible coup de fouet, Jeanne donna une telle secousse, qu'elle ?chappa des mains de sa m?re.

--Non, non, pas d'?ther! cria celle-ci, avertie par l'odeur. L'?ther la rend folle.

Tous deux suffirent ? peine ? la maintenir. Elle avait de violentes contractions, soulev?e sur les talons et sur la nuque, comme pli?e en deux. Puis, elle retombait, elle s'agitait dans un balancement qui la jetait aux deux bords du lit. Ses poings ?taient serr?s, le pouce fl?chi vers la paume; par moments, elle les ouvrait, et, les doigts ?cart?s, elle cherchait ? saisir des objets dans le vide pour les tordre. Elle rencontra le ch?le de sa m?re, elle s'y cramponna. Mais ce qui surtout torturait celle-ci, c'?tait, comme elle le disait, de ne plus reconna?tre sa fille. Son pauvre ange, au visage si doux, avait les traits renvers?s, les yeux perdus dans leurs orbites, montrant leur nacre bleu?tre.

--Faites quelque chose, je vous en supplie, murmura-t-elle. Je ne me sens plus la force, monsieur. Elle venait de se rappeler que la fille d'une de ses voisines, ? Marseille, ?tait morte ?touff?e dans une crise semblable. Peut-?tre le m?decin la trompait-il pour l'?pargner. Elle croyait, ? chaque seconde, recevoir au visage le dernier souffle de Jeanne, dont la respiration entrecoup?e s'arr?tait. Alors, navr?e, boulevers?e de piti? et de terreur, elle pleura. Ses larmes tombaient sur la nudit? innocente de l'enfant, qui avait rejet? les couvertures.

La docteur cependant, de ses longs doigts souples, op?rait des pressions l?g?res au bas du col. L'intensit? de l'acc?s diminua. Jeanne, apr?s quelques mouvements ralenti, resta inerte. Elle ?tait retomb?e au milieu du lit, le corps allong?, les bras ?tendus, la t?te soutenue par l'oreiller et pench?e sur la poitrine. On aurait dit un Christ enfant. H?l?ne se courba et la baisa longuement au front.

--Est-ce fini? dit-elle ? demi-voix. Croyez-vous ? d'autres acc?s?

Il fit un geste ?vasif. Puis, il r?pondit:

--En tous cas, les autres seront moins violents.

Il avait demand? ? Rosalie un verre et une carafe. Il emplit le verre ? moiti?, prit deux nouveaux flacons, compta des gouttes, et, avec l'aide d'H?l?ne, qui soulevait la t?te de l'enfant, il introduisit entre les dents serr?es une cuiller?e de cette potion. La lampe br?lait tr?s-haute, avec sa flamme blanche, ?clairant le d?sordre de la chambre, o? les meubles ?taient culbut?s. Les v?tements qu'H?l?ne jetait sur le dossier d'un fauteuil en se couchant, avaient gliss? ? terre et barraient le tapis. Le docteur, ayant march? sur un corset, le ramassa pour ne plus le rencontrer sous ses pieds. Une odeur de verveine montait du lit d?fait et de ces linges ?pars. C'?tait toute l'intimit? d'une femme violemment ?tal?e. Le docteur alla lui-m?me chercher la cuvette, trempa un linge, l'appliqua sur les tempes de Jeanne.

--Madame, vous allez prendre froid, dit Rosalie qui grelottait. On pourrait peut-?tre fermer la fen?tre.... L'air est trop vif.

--Non, non, cria H?l?ne, laissez la fen?tre ouverte.... N'est-ce pas, monsieur?

De petits souffles de vent entraient, soulevant les rideaux. Ella ne les sentait pas. Pourtant le ch?le ?tait compl?tement tomba de ses ?paules, d?couvrant la naissance de la gorge. Par derri?re, son chignon d?nou? laissait pendre des m?ches folles jusqu'? ses reins. Elle avait d?gag? ses bras nus, pour ?tre plus prompte, oublieuse de tout, n'ayant plus que la passion de son enfant. Et, devant elle, affair?, le m?decin ne songeait pas davantage ? son veston ouvert, ? son col de chemise que Jeanne venait d'arracher.

--Soulevez-la un peu, dit-il. Non, pas ainsi.... Donnez-moi votre main.

Il lui prit la main, la posa lui-m?me sous la t?te de l'enfant, ? laquelle il voulait faire reprendra une cuiller?e de potion. Puis, il l'appela pr?s de lui. Il se servait d'elle comme d'un aide, et elle ?tait d'une ob?issance religieuse, en voyant que sa fille semblait plus calme.

--Venez.... Vous allez lui appuyer la t?te sur votre ?paule, pendant que j'?couterai.

H?l?ne fit ce qu'il ordonnait. Alors, lui, se pencha au-dessus d'elle, pour poser son oreille sur la poitrine de Jeanne. Il avait effleur? de la joue son ?paule nue, et en ?coutant le coeur de l'enfant, il aurait pu entendre battre le coeur de la m?re. Quand il se releva, son souffle rencontra le souffle d'H?l?ne.

--Il n'y a rien de ce c?t?-l?, dit-il tranquillement, pendant qu'elle se r?jouissait. Recouchez-la, il ne faut pas la tourmenter davantage.

Mais un nouvel acc?s se produisit. Il fut beaucoup moins grave. Jeanne laissa ?chapper quelques paroles entrecoup?es. Deux autres acc?s avort?rent, ? de courts intervalles. L'enfant ?tait tomb?e dans une prostration qui parut de nouveau inqui?ter le m?decin. Il l'avait couch?e, la t?te tr?s haute, la couverture ramen?e sous le menton, et pendant pr?s d'une heure il demeura l?, ? la veiller, paraissant attendre le son normal de la respiration. De l'autre c?t? du lit, H?l?ne attendait ?galement, sans bouger.

Peu ? peu, une grande paix se fit sur la face de Jeanne. La lampe l'?clairait d'une lumi?re blonde. Son visage reprenait son ovale adorable, un peu allong?, d'une gr?ce et d'une finesse de ch?vre. Ses beaux yeux ferm?s avaient de larges paupi?res bleu?tres et transparentes, sous lesquelles on devinait l'?clat sombre du regard. Son nez mince souffla l?g?rement, sa bouche un peu grande eut un sourire vague. Et elle dormait ainsi, sur la nappe de ses cheveux ?tal?s, d'un noir d'encre.

--Cette fois, c'est fini, dit le m?decin ? demi-voix. Et il se tourna, rangeant ses flacons, s'appr?tant ? partir. H?l?ne s'approcha, suppliante.

--Oh! monsieur, murmura-t-elle, ne me quittez pas. Attendez quelques minutes. Si des acc?s se produisaient encore.... C'est vous qui l'avez sauv?e.

Il fit signe qu'il n'y avait plus rien ? craindre. Pourtant, il resta, voulant la rassurer. Elle avait envoy? Rosalie se coucher. Bient?t, le jour parut, un jour doux et gris sur la neige qui blanchissait les toitures. Le docteur alla fermer la fen?tre. Et tous deux ?chang?rent de rares paroles, au milieu du grand silence, ? voix tr?s-basse.

--Elle n'a rien de grave, je vous assure, disait-il. Seulement, ? son ?ge, il faut beaucoup de soins.... Veillez surtout ? ce qu'elle m?ne une vie ?gale, heureuse, sans secousse.

Au bout d'un instant, H?l?ne dit ? son tour:

--Elle est si d?licate, si nerveuse.... Je ne suis pas toujours ma?tresse d'elle. Pour des mis?res, elle a des joies et des tristesses qui m'inqui?tent, tant elles sont vives.... Elle m'aime avec une passion, une jalousie qui la font sangloter, lorsque je caresse un autre enfant.

Il hocha la t?te, en r?p?tant:

--Oui, oui, d?licate, nerveuse, jalouse.... C'est le docteur Bodin qui la soigne, n'est-ce pas? Je causerai d'elle avec lui. Nous arr?terons un traitement ?nergique. Elle est ? l'?poque o? la sant? d'une femme se d?cide.

En le voyant si d?vou?, H?l?ne eut un ?lan de reconnaissance.

--Ah! monsieur, que je vous remercie de toute la peine que vous avez prise!

Puis, ayant ?lev? la voix, elle vint se pencher au-dessus du lit, de peur d'avoir r?veill? Jeanne. L'enfant dormait, toute rose, avec son vague sourire aux l?vres. Dans la chambre calm?e, une langueur flottait. Une somnolence recueillie et comme soulag?e avait repris les tentures, les meubles, les v?tements ?pars. Tout se noyait et se d?lassait dans le petit jour entrant par les deux fen?tres.

H?l?ne, de nouveau, demeurait debout dans la ruelle. Le docteur se tenait ? l'autre bord du lit. Et, entre eux, il y avait Jeanne, sommeillant avec son l?ger souffle.

--Son p?re ?tait souvent malade, reprit doucement H?l?ne, revenant ? l'interrogatoire. Moi, je me suis toujours bien port?e.

Le docteur, qui ne l'avait point encore regard?e, leva les yeux, et ne put s'emp?cher de sourire, tant il la trouvait saine et forte. Elle sourit aussi, de son bon sourire tranquille. Sa belle sant? la rendait heureuse.

Cependant, il ne la quittait pas du regard. Jamais il n'avait vu une beaut? plus correcte. Grande, magnifique, elle ?tait une Junon ch?taine, d'un ch?tain dor? ? reflets blonds. Quand elle tournait lentement la t?te, son profil prenait une puret? grave de statue. Ses yeux gris et ses dents blanches lui ?clairaient toute la face. Elle avait un menton rond, un peu fort, qui lui donnait un air raisonnable et ferme. Mais ce qui ?tonnait le docteur, c'?tait la nudit? superbe de cette m?re. Le ch?le avait encore gliss?, la gorge se d?couvrait, les bras restaient nus. Une grosse natte, couleur d'or bruni, coulait sur l'?paule et se perdait entre les seins. Et, dans son jupon mal attach?, ?chevel?e et en d?sordre, elle gardait une majest?, une hauteur d'honn?tet? et de pudeur qui la laissait chaste sous ce regard d'homme, o? montait un grand trouble.

Elle-m?me, un instant, l'examina. Le docteur Deberle ?tait un homme de trente-cinq ans, ? la figure ras?e, un peu longue, l'oeil fin, les l?vres minces. Comme elle le regardait, elle s'aper?ut ? son tour qu'il avait le cou nu. Et ils rest?rent ainsi face ? face, avec la petite Jeanne endormie entre eux. Mais cet espace, tout ? l'heure immense, semblait se resserrer. L'enfant avait un trop l?ger souffle. Alors, H?l?ne, d'une main lente, remonta son ch?le et s'enveloppa, tandis que le docteur boutonnait le col de son veston.

--Maman, maman, balbutia Jeanne dans son sommeil.

Elle s'?veillait. Quand elle eut les yeux ouverts, elle vit le m?decin et s'inqui?ta.

--Qui est-ce? qui est-ce? demandait-elle.

Mais sa m?re la baisait.

--Dors, ma ch?rie, tu as ?t? un peu souffrante.... C'est un ami.

L'enfant paraissait surprise. Elle ne se souvenait de rien. Le sommeil la reprenait, et elle se rendormit, en murmurant d'un air tendre:

--Oh! j'ai dodo!... Bonsoir, petite m?re.... S'il est ton ami, il sera le mien.

Le m?decin avait fait dispara?tre sa pharmacie. Il salua silencieusement et se retira. H?l?ne ?couta un instant la respiration de l'enfant. Puis, elle s'oublia, assise sur le bord du lit, les regards et la pens?e perdus. La lampe, laiss?e allum?e, p?lissait dans le grand jour.

Le lendemain, H?l?ne songea qu'il ?tait convenable d'aller remercier le docteur Deberle. La fa?on brusque dont elle l'avait forc? ? la suivre, la nuit enti?re pass?e par lui aupr?s de Jeanne, la laissaient g?n?e, en face d'un service qui lui semblait sortir des visites ordinaires d'un m?decin. Cependant, elle h?sita pendant deux jours, r?pugnant ? cette d?marche pour des raisons qu'elle n'aurait pu dire. Ces h?sitations l'occupaient du docteur; un matin, elle le rencontra et se cacha comme un enfant. Elle fut tr?s-contrari?e ensuite de ce mouvement de timidit?. Sa nature tranquille et droite protestait contre ce trouble qui entrait dans sa vie. Aussi d?cida-t-elle qu'elle irait remercier le docteur le jour m?me.

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