Read Ebook: Monsieur Lecoq — Volume2 L'honneur du nom by Gaboriau Emile
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Ebook has 7179 lines and 151207 words, and 144 pages
MONSIEUR LECOQ
PAR
?MILE GABORIAU
SECONDE PARTIE
L'HONNEUR DU NOM
Le premier dimanche du mois d'ao?t 1815, ? dix heures pr?cises,--comme tous les dimanches,--le sacristain de la paroisse de Sairmeuse sonna les <
L'?glise ?tait plus d'?-moiti? pleine, et de tous c?t?s arrivaient en se h?tant des groupes de paysans et de paysannes.
Les femmes ?taient en grande toilette, avec leurs fichus de cou bien tir?s ? quatre ?pingles, leurs jupes ? larges rayures et leurs grandes coiffes blanches. Seulement, ?conomes autant que coquettes, elles allaient les pieds nus, tenant ? la main leurs souliers, que respectueusement elles chaussaient avant d'entrer dans la maison de Dieu.
Les hommes, eux, n'entraient gu?re.
Presque tous restaient ? causer, assis sous le porche ou debout sur la place de l'?glise, ? l'ombre des ormes s?culaires.
Telle est la mode au hameau de Sairmeuse.
Pour les cultivateurs, ? une lieue ? la ronde, la messe du dimanche n'est gu?re qu'un pr?texte de r?union, une sorte de bourse hebdomadaire.
Tous les cur?s qui se sont succ?d? ? Sairmeuse, ont essay? de dissoudre ou du moins de transporter sur un autre point cette <
Ils n'ont obtenu qu'une concession: au moment o? sonne l'?l?vation, les voix se taisent, les fronts se d?couvrent, et nombre de paysans m?me plient le genou en se signant.
C'est l'affaire d'une minute, et les conversations aussit?t reprennent de plus belle.
Mais ce dimanche d'ao?t, la place n'avait pas son animation accoutum?e.
Nul bruit ne s'?levait des groupes, pas un juron, pas un rire. L'?pre int?r?t faisait tr?ve. On n'e?t pas surpris entre vendeurs et acheteurs une seule de ces interminables discussions campagnardes, que ponctuent toutes sortes de serments, des <
On se causait pas, on chuchotait. Une morne tristesse se lisait sur les visages, la circonspection pin?ait les l?vres, les bouches myst?rieusement s'approchaient des oreilles, l'inqui?tude ?tait dans tous les yeux.
On sentait un malheur dans l'air.
C'est qu'il n'y avait pas encore un mois que Louis avait ?t?, pour la seconde fois, install? aux Tuileries par la coalition triomphante.
La terre n'avait pas eu le temps de boire les flots de sang r?pandus ? Waterloo; douze cent mille soldats ?trangers foulaient le sol de la patrie; le g?n?ral prussien Muffling ?tait gouverneur de Paris.
Et les gens de Sairmeuse s'indignaient et tremblaient.
Ce roi, que ramenaient les alli?s, ne les ?pouvantait gu?re moins que les alli?s eux-m?mes.
Dans leur pens?e, ce grand nom de Bourbon qu'il portait ne pouvait signifier que d?me, droits f?odaux, corv?es, oppression de la noblesse....
Il signifiait surtout ruine, car il n'?tait pas un d'entre eux qui n'e?t acquis quelque lopin des biens nationaux, et on assurait que toutes les terres allaient ?tre rendues aux anciens propri?taires ?migr?s.
Aussi, est-ce avec une curiosit? fi?vreuse qu'on entourait et qu'on ?coutait un tout jeune homme, revenu de l'arm?e depuis deux jours.
Il racontait, avec des larmes de rage dans les yeux, les hontes et les mis?res de l'invasion.
Il disait le pillage de Versailles, les exactions d'Orl?ans, et aussi comment d'impitoyables r?quisitions d?pouillaient de tout les pauvres gens des campagnes.
--Et ils ne s'en iront pas, r?p?tait-il, ces ?trangers maudits auxquels nous ont livr?s des tra?tres, ils ne s'en iront pas tant qu'ils sentiront en France un ?cu et une bouteille de vin!...
Il disait cela, et de son poing crisp? il mena?ait le drapeau arbor? au haut du clocher, un drapeau blanc qui cliquetait ? la brise.
Sa g?n?reuse col?re gagnait ses auditeurs, et l'attention qu'on lui accordait n'?tait pas pr?s de se lasser, quand il fut interrompu par le galop d'un cheval sonnant sur le pav? de l'unique rue de Sairmeuse.
Un frisson agita les groupes. La m?me crainte serrait tous les coeurs.
Qui disait que ce cavalier ne serait pas quelque officier Anglais ou Prussien?... Il annoncerait l'arriv?e de son r?giment et exigerait imp?rieusement de l'argent, des v?tements et des vivres pour ses soldats....
Mais l'anxi?t? dura peu.
Le cavalier qui apparut au bout de la pince, ?tait un homme du pays, v?tu d'une m?chante blouse de toile bleue. Il b?tonnait ? tour de bras un petit bidet maigre et nerveux, qui, tout couvert d'?cume, faisait encore feu des quatre fers.
--Eh!... c'est le p?re Chupin!... murmura un des paysans avec un soupir de soulagement.
--M?me, observa un autre, il para?t terriblement press?.
--C'est que sans doute le vieux coquin a vol? quelque part le cheval qu'il monte.
Cette derni?re r?flexion disait la r?putation de l'homme.
Le p?re Chupin, en effet, ?tait un de ces terribles pillards qui sont l'effroi et le fl?au des campagnes. Il s'intitulait journalier, mais la v?rit? est qu'il avait le travail en horreur et passait toutes ses journ?es au cabaret. La maraude seule le faisait vivre ainsi que sa femme et ses fils, deux redoutables garnements qui avaient trouv? le secret d'?chapper ? toutes les conscriptions.
Il ne se consommait rien dans cette famille qui ne f?t vol?. Bl?, vin, bois, fruits, tout ?tait pris sur la propri?t? d'autrui. La chasse et la p?che partout, en tout temps, avec des engins prohib?s, fournissaient l'argent comptant.
Tout le monde savait cela, ? Sairmeuse, et cependant, lorsque, de temps ? autre, le p?re Chupin ?tait poursuivi, il ne se trouvait jamais de t?moins pour d?poser contre lui.
--C'est un mauvais homme, disait-on, et s'il en voulait ? quelqu'un, il serait bien capable de l'attendre au coin d'un bois pour tirer dessus comme sur un lapin.
Il sauta lestement ? terre, chassa son cheval vers les ?curies et s'avan?a sur la place.
C'?tait un grand vieux, d'une cinquantaine d'ann?es, maigre et noueux comme un cep de vigne. Rien, au premier abord, ne r?v?lait le coquin. Il avait l'air humble et doux. Mais la mobilit? de ses yeux, l'expression de sa bouche ? l?vres minces, trahissaient une astuce diabolique et la plus froide m?chancet?.
? tout autre moment, on e?t ?vit? ce personnage redout? et m?pris?, mais les circonstances ?taient graves, on alla au-devant de lui.
--Eh bien, p?re Chupin! lui cria-t-on d?s qu'il fut ? port?e de la voix, d'o? nous arrivez-vous donc comme cela?
--De la ville.
La ville, pour les habitants de Sairmeuse et des environs, c'est le chef-lieu de l'arrondissement, Montaignac, une charmante sous-pr?fecture de huit mille ?mes, distante de quatre lieues.
--Et c'est ? Montaignac que vous avez achet? le cheval que vous rossiez si bien tout ? l'heure?...
--Je ne l'ai pas achet?, on me l'a pr?t?.
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