Read Ebook: Pot-Bouille by Zola Mile
Font size:
Background color:
Text color:
Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page
Ebook has 3192 lines and 135159 words, and 64 pages
--Soyez tranquille! murmura le jeune homme, un peu inquiet.
--Non, laissez-moi vous dire, c'est moi qui serais compromis.... Vous avez vu la maison. Tous bourgeois, et d'une moralit?! m?me, entre nous, ils raffinent trop. Jamais un mot, jamais plus de bruit que vous ne venez d'en entendre.... Ah bien! monsieur Gourd irait chercher monsieur Vabre, nous serions propres tous les deux! Mon cher, je vous le demande pour ma tranquillit?: respectez la maison.
Octave, que tant d'honn?tet? gagnait, jura de la respecter. Alors, Campardon, jetant autour de lui un regard de m?fiance, et baissant la voix, comme si l'on e?t pu l'entendre, ajouta, l'oeil allum?:
--Dehors, ?a ne regarde personne. Hein? Paris est assez grand, on a de la place.... Moi, au fond, je suis un artiste, je m'en fiche!
Un commissionnaire montait les malles. Quand l'installation fut termin?e, l'architecte assista paternellement ? la toilette d'Octave. Puis, se levant:
--Maintenant, descendons voir ma femme.
Au troisi?me, la femme de chambre, une fille mince, noiraude et coquette, dit que madame ?tait occup?e. Campardon, pour mettre ? l'aise son jeune ami, et lanc? d'ailleurs par ses premi?res explications, lui fit visiter l'appartement: d'abord, le grand salon blanc et or, tr?s orn? de moulures rapport?es, entre un petit salon vert qu'il avait transform? en cabinet de travail, et la chambre ? coucher, o? ils ne purent entrer, mais dont il lui indiqua la forme ?trangl?e et le papier mauve. Comme il l'introduisait ensuite dans la salle ? manger, toute en faux bois, avec une complication extraordinaire de baguettes et de caissons, Octave s?duit s'?cria:
--C'est tr?s riche!
Au plafond, deux grandes fentes coupaient les caissons, et, dans un coin, la peinture qui s'?tait ?caill?e, montrait le pl?tre.
--Oui, ?a fait de l'effet, dit lentement l'architecte, les yeux fix?s sur le plafond. Vous comprenez, ces maisons-l?, c'est b?ti pour faire de l'effet.... Seulement, il ne faudrait pas trop fouiller les murs. ?a n'a pas douze ans et ?a part d?j?.... On met la fa?ade en belle pierre, avec des machines sculpt?es; on vernit l'escalier ? trois couches; on dore et on peinturlure les appartements; et ?a flatte le monde, ?a inspire de la consid?ration.... Oh! c'est encore solide, ?a durera toujours autant que nous!
Il lui fit traverser de nouveau l'antichambre, que des vitres d?polies ?clairaient. A gauche, donnant sur la cour, il y avait une seconde chambre, o? couchait sa fille Ang?le; et, toute blanche, elle ?tait, par cette apr?s-midi de novembre, d'une tristesse de tombe. Puis, au fond du couloir, se trouvait la cuisine, dans laquelle il tint absolument ? le conduire, disant qu'il fallait tout conna?tre.
--Entrez donc, r?p?tait-il en polissant la porte.
Un terrible bruit s'en ?chappa. La fen?tre, malgr? le froid, ?tait grande ouverte. Accoud?es ? la barre d'appui, la femme de chambre noiraude et une cuisini?re grasse, une vieille d?bordante, se penchaient dans le puits ?troit d'une cour int?rieure, o? s'?clairaient, face ? face, les cuisines de chaque ?tage. Elles criaient ensemble, les reins tendus, pendant que, du fond de ce boyau, montaient des ?clats de voix canailles, m?l?s ? des rires et ? des jurons. C'?tait comme la d?verse d'un ?gout: toute la domesticit? de la maison ?tait l?, ? se satisfaire. Octave se rappela la majest? bourgeoise du grand escalier.
Mais les deux femmes, averties par un instinct, s'?taient retourn?es. Elles rest?rent saisies, en apercevant leur ma?tre avec un monsieur. Il y eut un l?ger sifflement, des fen?tres se referm?rent, tout retomba ? un silence de mort.
--Qu'est-ce donc, Lisa? demanda Campardon.
--Monsieur, r?pondit la femme de chambre tr?s excit?e, c'est encore cette malpropre d'Ad?le. Elle a jet? une trip?e de lapin par la fen?tre.... Monsieur devrait bien parler ? monsieur Josserand.
Campardon resta grave, d?sireux de ne pas s'engager. Il revint dans son cabinet de travail, en disant ? Octave:
--Vous avez tout vu. A chaque ?tage, les appartements se r?p?tent. Moi, j'en ai pour deux mille cinq cents francs, et au troisi?me! Les loyers augmentent tous les jours.... Monsieur Vabre doit se faire dans les vingt-deux mille francs avec son immeuble. Et ?a montera encore, car il est question d'ouvrir une large voie, de la place de la Bourse au nouvel Op?ra.... Une maison dont il a eu le terrain pour rien, il n'y a pas douze ans, apr?s ce grand incendie, allum? par la bonne d'un droguiste!
Comme ils entraient, Octave aper?ut, au-dessus d'une table ? dessin, dans le plein jour de la fen?tre, une image de saintet? richement encadr?e, une Vierge montrant, hors de sa poitrine ouverte, un coeur ?norme qui flambait. Il ne put r?primer un mouvement de surprise; il regarda Campardon, qu'il avait connu tr?s farceur ? Plassans.
--Ah! je ne vous ai pas dit, reprit celui-ci avec une rougeur l?g?re, j'ai ?t? nomm? architecte dioc?sain, oui, ? ?vreux. Oh! une mis?re comme argent, en tout ? peine deux mille francs par an. Mais il n'y a rien ? faire, de temps ? autre un voyage; pour le reste, j'ai l?-bas un inspecteur.... Et, voyez-vous, c'est beaucoup, quand on peut mettre sur ses cartes: architecte du gouvernement. Vous ne vous imaginez pas les travaux que cela me procure dans la haute soci?t?.
En parlant, il regardait la Vierge au coeur embras?.
--Apr?s tout, continua-t-il dans un brusque acc?s de franchise, moi, je m'en fiche, de leurs machines!
Mais, Octave s'?tant mis ? rire, l'architecte fut pris de peur. Pourquoi se confier ? ce jeune homme? Il eut un regard oblique, se donna un air de componction, t?cha de rattraper sa phrase.
--Je m'en fiche et je ne m'en fiche pas.... Mon Dieu! oui, j'y arrive. Vous verrez, vous verrez, mon ami: quand vous aurez un peu v?cu, vous ferez comme tout le monde.
Et il parla de ses quarante-deux ans, du vide de l'existence, posa pour une m?lancolie qui jurait avec sa grosse sant?. Dans la t?te d'artiste qu'il s'?tait faite, les cheveux en coup de vent, la barbe taill?e ? la Henri IV, on retrouvait le cr?ne plat et la m?choire carr?e d'un bourgeois d'esprit born?, aux app?tits voraces. Plus jeune, il avait eu une gaiet? fatigante.
--Est-ce que madame Campardon est souffrante? demanda le jeune homme.
--Non, elle est comme d'habitude, dit l'architecte d'une voix ennuy?e.
--Ah! et qu'a-t-elle donc?
Repris d'embarras, il ne r?pondit pas directement.
--Vous savez, les femmes, il y a toujours quelque chose qui se casse.... Elle est ainsi depuis treize ans, depuis ses couches.... Autrement, elle se porte comme un charme. Vous allez m?me la trouver engraiss?e.
Octave n'insista pas. Justement, Lisa revenait, apportant une carte; et l'architecte s'excusa, se pr?cipita vers le salon, en priant le jeune homme de causer avec sa femme, pour prendre patience. Celui-ci, par la porte vivement ouverte et referm?e, avait aper?u, au milieu de la grande pi?ce blanc et or, la tache noire d'une soutane.
Au m?me moment, madame Campardon entrait par l'antichambre. Il ne la reconnaissait pas. Autrefois, ?tant gamin, lorsqu'il l'avait connue ? Plassans, chez son p?re, M. Domergue, conducteur des ponts et chauss?es, elle ?tait maigre et laide, ch?tive ? vingt ans comme une fillette qui souffre de la crise de sa pubert?; et il la retrouvait dodue, d'un teint clair et repos? de nonne, avec des yeux tendres, des fossettes, un air de chatte gourmande. Si elle n'avait pu devenir jolie, elle s'?tait m?rie vers les trente ans, prenant une saveur douce et une bonne odeur fra?che de fruit d'automne. Il remarqua seulement qu'elle marchait avec difficult?, la taille roulante, v?tue d'un long peignoir de soie r?s?da; ce qui lui donnait une langueur.
--Mais vous ?tes un homme, maintenant! dit-elle gaiement, les mains tendues. Comme vous avez pouss?, depuis notre dernier voyage!
Et elle le regardait, grand, brun, beau gar?on, avec ses moustaches et sa barbe soign?es. Quand il dit son ?ge, vingt-deux ans, elle se r?cria: il en paraissait vingt-cinq au moins. Lui, que la pr?sence d'une femme, m?me de la derni?re des servantes, emplissait d'un ravissement, riait d'un rire perl?, en la caressant de ses yeux couleur de vieil or, d'une douceur de velours.
--Ah! oui, r?p?tait-il mollement, j'ai pouss?, j'ai pouss?.... Vous rappelez-vous, quand votre cousine Gasparine m'achetait des billes?
Ensuite, il lui donna des nouvelles de ses parents. Monsieur et madame Domergue vivaient heureux, dans la maison o? ils s'?taient retir?s; ils se plaignaient seulement d'?tre bien seuls, ils gardaient rancune ? Campardon de leur avoir enlev? ainsi leur petite Rose, pendant un s?jour fait ? Plassans, pour des travaux. Puis, le jeune homme t?cha de ramener la conversation sur la cousine Gasparine, ayant une ancienne curiosit? de galopin pr?coce ? satisfaire, au sujet d'une aventure jadis inexpliqu?e: le coup de passion de l'architecte pour Gasparine, une grande belle fille pauvre, et son brusque mariage avec la maigre Rose qui avait trente mille francs de dot, et toute une sc?ne de larmes, et une brouille, une fuite de l'abandonn?e ? Paris, aupr?s d'une tante couturi?re. Mais madame Campardon, dont la chair paisible gardait une p?leur ros?e, parut ne pas comprendre. Il ne put en tirer aucun d?tail.
--Et vos parents? demanda-t-elle ? son tour. Comment se portent monsieur et madame Mouret?
--Tr?s bien, je vous remercie, r?pondit-il. Ma m?re ne sort plus de son jardin. Vous retrouveriez la maison de la rue de la Banne, telle que vous l'avez laiss?e.
Madame Campardon, qui semblait ne pouvoir rester longtemps debout sans fatigue, s'?tait assise sur une haute chaise ? dessiner, les jambes allong?es dans son peignoir; et lui, approchant un si?ge bas, levait la t?te pour lui parler, de son air d'adoration habituel. Avec ses larges ?paules, il ?tait femme, il avait un sens des femmes qui, tout de suite, le mettait dans leur coeur. Aussi, au bout de dix minutes, tous deux causaient-ils d?j? comme de vieilles amies.
--Me voil? donc votre pensionnaire? disait-il en passant sur sa barbe une main belle, aux ongles correctement taill?s. Nous ferons bon m?nage, vous verrez.... Que vous avez ?t? charmante, de vous souvenir du gamin de Plassans et de vous occuper de tout, au premier mot!
Mais elle se d?fendait.
--Non, ne me remerciez pas. Je suis bien trop paresseuse, je ne bouge plus. C'est Achille qui a tout arrang?.... Et, d'ailleurs, ne suffisait-il pas que ma m?re nous confi?t votre d?sir de prendre pension dans une famille, pour que nous songions ? vous ouvrir notre maison? Vous ne tomberez pas chez des ?trangers, et cela nous fera de la compagnie.
Alors, il conta ses affaires. Apr?s avoir enfin obtenu le dipl?me de bachelier, pour contenter sa famille, il venait de passer trois ans ? Marseille, dans une grande maison d'indiennes imprim?es, dont la fabrique se trouvait aux environs de Plassans. Le commerce le passionnait, le commerce du luxe de la femme, o? il entre une s?duction, une possession lente par des paroles dor?es et des regards adulateurs. Et il raconta, avec des rires de victoire, comment il avait gagn? les cinq mille francs, sans lesquels, d'une prudence de juif sous les dehors d'un ?tourdi aimable, il ne se serait jamais risqu? ? Paris.
--Imaginez-vous, ils avaient une indienne pompadour, un ancien dessin, une merveille.... Personne ne mordait; c'?tait dans les caves depuis deux ans.... Alors, comme j'allais faire le Var et les Basses-Alpes, j'eus l'id?e d'acheter tout le solde et de le placer pour mon compte. Oh! un succ?s, un succ?s fou! Les femmes s'arrachaient les coupons; il n'y en a pas une, aujourd'hui, qui n'ait l?-bas de mon indienne sur le corps.... Il faut dire que je les roulais si gentiment! Elles ?taient toutes ? moi, j'aurais fait d'elles ce que j'aurais voulu.
Et il riait, pendant que madame Campardon, s?duite, troubl?e par la pens?e de cette indienne pompadour, le questionnait. Des petits bouquets sur fond ?cru, n'est-ce pas? Elle en avait cherch? partout pour un peignoir d'?t?.
--J'ai voyag? deux ans, c'est assez, reprit-il. D'ailleurs, il faut bien conqu?rir Paris.... Je vais imm?diatement chercher quelque chose.
--Comment! s'?cria-t-elle, Achille ne vous a pas racont?? Mais il a pour vous une situation, et ? deux pas d'ici!
Il remerciait, s'?tonnant comme en pays de Cocagne, demandant par plaisanterie s'il n'allait pas trouver, le soir, une femme et cent mille francs de rente dans sa chambre, lorsqu'une enfant de quatorze ans, longue et laide, avec des cheveux d'un blond fade, poussa la porte et jeta un l?ger cri d'effarouchement.
--Entre et n'aie pas peur, dit madame Campardon. C'est monsieur Octave Mouret, dont tu nous as entendu parler.
Puis, se tournant vers celui-ci:
--Ma fille Ang?le.... Nous ne l'avions pas emmen?e lors de notre dernier voyage. Elle ?tait si d?licate! Mais la voil? qui se remplit un peu.
Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page