Read Ebook: Le Côté de Guermantes - Première partie by Proust Marcel
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Ebook has 402 lines and 69492 words, and 9 pages
--Il para?t que M?s?glise aussi c'est bien joli, madame, interrompit le jeune valet de pied au gr? de qui la conversation prenait un tour un peu abstrait et qui se souvenait par hasard de nous avoir entendus parler ? table de M?s?glise.
--Oh! M?s?glise, disait Fran?oise avec le large sourire qu'on amenait toujours sur ses l?vres quand on pronon?ait ces noms de M?s?glise, de Combray, de Tansonville. Ils faisaient tellement partie de sa propre existence qu'elle ?prouvait ? les rencontrer au dehors, ? les entendre dans une conversation, une gaiet? assez voisine de celle qu'un professeur excite dans sa classe en faisant allusion ? tel personnage contemporain dont ses ?l?ves n'auraient pas cru que le nom p?t jamais tomber du haut de la chaire. Son plaisir venait aussi de sentir que ces pays-l? ?taient pour elle quelque chose qu'ils n'?taient pas pour les autres, de vieux camarades avec qui on a fait bien des parties; et elle leur souriait comme si elle leur trouvait de l'esprit, parce qu'elle retrouvait en eux beaucoup d'elle-m?me.
--Oui, tu peux le dire, mon fils, c'est assez joli M?s?glise, reprenait-elle en riant finement; mais comment que tu en as eu entendu causer, toi, de M?s?glise?
--Comment que j'ai entendu causer de M?s?glise? mais c'est bien connu; on m'en a caus? et m?me souventes fois caus?, r?pondait-il avec cette criminelle inexactitude des informateurs qui, chaque fois que nous cherchons ? nous rendre compte objectivement de l'importance que peut avoir pour les autres une chose qui nous concerne, nous mettent dans l'impossibilit? d'y r?ussir.
--Ah! je vous r?ponds qu'il fait meilleur l? sous les cerisiers que pr?s du fourneau.
Elle leur parlait m?me d'Eulalie comme d'une bonne personne. Car depuis qu'Eulalie ?tait morte, Fran?oise avait compl?tement oubli? qu'elle l'avait peu aim?e durant sa vie comme elle aimait peu toute personne qui n'avait rien ? manger chez soi, qui <
--Mais c'est ? Combray m?me, chez une cousine de Madame, que vous ?tiez, alors? demandait le jeune valet de pied.
Malgr? l'air de morgue de leur ma?tre d'h?tel, Fran?oise avait pu, d?s les premiers jours, m'apprendre que les Guermantes n'habitaient pas leur h?tel en vertu d'un droit imm?morial, mais d'une location assez r?cente, et que le jardin sur lequel il donnait du c?t? que je ne connaissais pas ?tait assez petit, et semblable ? tous les jardins contigus; et je sus enfin qu'on n'y voyait ni gibet seigneurial, ni moulin fortifi?, ni sauvoir, ni colombier ? piliers, ni four banal, ni grange ? nef, ni ch?telet, ni ponts fixes ou levis, voire volants, non plus que p?ages, ni aiguilles, chartes, murales ou montjoies. Mais comme Elstir, quand la baie de Balbec ayant perdu son myst?re, ?tant devenue pour moi une partie quelconque interchangeable avec toute autre des quantit?s d'eau sal?e qu'il y a sur le globe, lui avait tout d'un coup rendu une individualit? en me disant que c'?tait le golfe d'opale de Whistler dans ses harmonies bleu argent, ainsi le nom de Guermantes avait vu mourir sous les coups de Fran?oise la derni?re demeure issue de lui, quand un vieil ami de mon p?re nous dit un jour en parlant de la duchesse: <
Et cela m'?tait d'autant plus n?cessaire de pouvoir chercher dans le <
La vie que je supposais y ?tre men?e d?rivait d'une source si diff?rente de l'exp?rience, et me semblait devoir ?tre si particuli?re, que je n'aurais pu imaginer aux soir?es de la duchesse la pr?sence de personnes que j'eusse autrefois fr?quent?es, de personnes r?elles. Car ne pouvant changer subitement de nature, elles auraient tenu l? des propos analogues ? ceux que je connaissais; leurs partenaires se seraient peut-?tre abaiss?s ? leur r?pondre dans le m?me langage humain; et pendant une soir?e dans le premier salon du faubourg Saint-Germain, il y aurait eu des instants identiques ? des instants que j'avais d?j? v?cus: ce qui ?tait impossible. Il est vrai que mon esprit ?tait embarrass? par certaines difficult?s, et la pr?sence du corps de J?sus-Christ dans l'hostie ne me semblait pas un myst?re plus obscur que ce premier salon du Faubourg situ? sur la rive droite et dont je pouvais de ma chambre entendre battre les meubles le matin. Mais la ligne de d?marcation qui me s?parait du faubourg Saint-Germain, pour ?tre seulement id?ale, ne m'en semblait que plus r?elle; je sentais bien que c'?tait d?j? le Faubourg, le paillasson des Guermantes ?tendu de l'autre c?t? de cet ?quateur et dont ma m?re avait os? dire, l'ayant aper?u comme moi, un jour que leur porte ?tait ouverte, qu'il ?tait en bien mauvais ?tat. Au reste, comment leur salle ? manger, leur galerie obscure, aux meubles de peluche rouge, que je pouvais apercevoir quelquefois par la fen?tre de notre cuisine, ne m'auraient-ils pas sembl? poss?der le charme myst?rieux du faubourg Saint-Germain, en faire partie d'une fa?on essentielle, y ?tre g?ographiquement situ?s, puisque avoir ?t? re?u dans cette salle ? manger, c'?tait ?tre all? dans le faubourg Saint-Germain, en avoir respir? l'atmosph?re, puisque ceux qui, avant d'aller ? table, s'asseyaient ? c?t? de Mme de Guermantes sur le canap? de cuir de la galerie, ?taient tous du faubourg Saint-Germain? Sans doute, ailleurs que dans le Faubourg, dans certaines soir?es, on pouvait voir parfois tr?nant majestueusement au milieu du peuple vulgaire des ?l?gants l'un de ces hommes qui ne sont que des noms et qui prennent tour ? tour quand on cherche ? se les repr?senter l'aspect d'un tournoi et d'une for?t domaniale. Mais ici, dans le premier salon du faubourg Saint-Germain, dans la galerie obscure, il n'y avait qu'eux. Ils ?taient, en une mati?re pr?cieuse, les colonnes qui soutenaient le temple. M?me pour les r?unions famili?res, ce n'?tait que parmi eux que Mme de Guermantes pouvait choisir ses convives, et dans les d?ners de douze personnes, assembl?s autour de la nappe servie, ils ?taient comme les statues d'or des ap?tres de la Sainte-Chapelle, piliers symboliques et cons?crateurs, devant la Sainte Table. Quant au petit bout de jardin qui s'?tendait entre de hautes murailles, derri?re l'h?tel, et o? l'?t? Mme de Guermantes faisait apr?s d?ner servir des liqueurs et l'orangeade; comment n'aurais-je pas pens? que s'asseoir, entre neuf et onze heures du soir, sur ses chaises de fer--dou?es d'un aussi grand pouvoir que le canap? de cuir--sans respirer les brises particuli?res au faubourg Saint-Germain, ?tait aussi impossible que de faire la sieste dans l'oasis de Figuig, sans ?tre par cela m?me en Afrique? Il n'y a que l'imagination et la croyance qui peuvent diff?rencier des autres certains objets, certains ?tres, et cr?er une atmosph?re. H?las! ces sites pittoresques, ces accidents naturels, ces curiosit?s locales, ces ouvrages d'art du faubourg Saint-Germain, il ne me serait sans doute jamais donn? de poser mes pas parmi eux. Et je me contentais de tressaillir en apercevant de la haute mer comme un minaret avanc?, comme un premier palmier, comme le commencement de l'industrie ou de la v?g?tation exotiques, le paillasson us? du rivage.
Mais si l'h?tel de Guermantes commen?ait pour moi ? la porte de son vestibule, ses d?pendances devaient s'?tendre beaucoup plus loin au jugement du duc qui, tenant tous les locataires pour fermiers, manants, acqu?reurs de biens nationaux, dont l'opinion ne compte pas, se faisait la barbe le matin en chemise de nuit ? sa fen?tre, descendait dans la cour, selon qu'il avait plus ou moins chaud, en bras de chemise, en pyjama, en veston ?cossais de couleur rare, ? longs poils, en petits paletots clairs plus courts que son veston, et faisait trotter en main devant lui par un de ses piqueurs quelque nouveau cheval qu'il avait achet?. Plus d'une fois m?me le cheval ab?ma la devanture de Jupien, lequel indigna le duc en demandant une indemnit?. <
--Ah! monsieur Norpois, ah! c'est vraiment trouv?! Patience! bient?t ce particulier vous appellera citoyen Norpois! s'?cria, en se tournant vers le baron, M. de Guermantes. Il pouvait enfin exhaler sa mauvaise humeur contre Jupien qui lui disait <
Un jour que M. de Guermantes avait besoin d'un renseignement qui se rattachait ? la profession de mon p?re, il s'?tait pr?sent? lui-m?me avec beaucoup de gr?ce. Depuis il avait souvent quelque service de voisin ? lui demander, et d?s qu'il l'apercevait en train de descendre l'escalier tout en songeant ? quelque travail et d?sireux d'?viter toute rencontre, le duc quittait ses hommes d'?curies, venait ? mon p?re dans la cour, lui arrangeait le col de son pardessus, avec la serviabilit? h?rit?e des anciens valets de chambre du Roi, lui prenait la main, et la retenant dans la sienne, la lui caressant m?me pour lui prouver, avec une impudeur de courtisane, qu'il ne lui marchandait pas le contact de sa chair pr?cieuse, il le menait en laisse, fort ennuy? et ne pensant qu'? s'?chapper, jusqu'au del? de la porte coch?re. Il nous avait fait de grands saluts un jour qu'il nous avait crois?s au moment o? il sortait en voiture avec sa femme; il avait d? lui dire mon nom, mais quelle chance y avait-il pour qu'elle se le f?t rappel?, ni mon visage? Et puis quelle pi?tre recommandation que d'?tre d?sign? seulement comme ?tant un de ses locataires! Une plus importante e?t ?t? de rencontrer la duchesse chez Mme de Villeparisis qui justement m'avait fait demander par ma grand'm?re d'aller la voir, et, sachant que j'avais eu l'intention de faire de la litt?rature, avait ajout? que je rencontrerais chez elle des ?crivains. Mais mon p?re trouvait que j'?tais encore bien jeune pour aller dans le monde et, comme l'?tat de ma sant? ne laissait pas de l'inqui?ter, il ne tenait pas ? me fournir des occasions inutiles de sorties nouvelles.
Comme un des valets de pied de Mme de Guermantes causait beaucoup avec Fran?oise, j'entendis nommer quelques-uns des salons o? elle allait, mais je ne me les repr?sentais pas: du moment qu'ils ?taient une partie de sa vie, de sa vie que je ne voyais qu'? travers son nom, n'?taient-ils pas inconcevables?
--Il y a ce soir grande soir?e d'ombres chinoises chez la princesse de Parme, disait le valet de pied, mais nous n'irons pas, parce que, ? cinq heures, Madame prend le train de Chantilly pour aller passer deux jours chez le duc d'Aumale, mais c'est la femme de chambre et le valet de chambre qui y vont. Moi je reste ici. Elle ne sera pas contente, la princesse de Parme, elle a ?crit plus de quatre fois ? Madame la Duchesse.
--Alors vous n'?tes plus pour aller au ch?teau de Guermantes cette ann?e?
--C'est la premi?re fois que nous n'y serons pas: ? cause des rhumatismes ? Monsieur le Duc, le docteur a d?fendu qu'on y retourne avant qu'il y ait un calorif?re, mais avant ?a tous les ans on y ?tait pour jusqu'en janvier. Si le calorif?re n'est pas pr?t, peut-?tre Madame ira quelques jours ? Cannes chez la duchesse de Guise, mais ce n'est pas encore s?r.
--Et au th??tre, est-ce que vous y allez?
--Nous allons quelquefois ? l'Op?ra, quelquefois aux soir?es d'abonnement de la princesse de Parme, c'est tous les huit jours; il para?t que c'est tr?s chic ce qu'on voit: il y a pi?ces, op?ra, tout. Madame la Duchesse n'a pas voulu prendre d'abonnements mais nous y allons tout de m?me une fois dans une loge d'une amie ? Madame, une autre fois dans une autre, souvent dans la baignoire de la princesse de Guermantes, la femme du cousin ? Monsieur le Duc. C'est la soeur au duc de Bavi?re.
--Ah! ces maudites jambes! En plaine encore ?a va bien , mais ce sont ces satan?s escaliers. Au revoir, monsieur, on vous verra peut-?tre encore ce soir.
Elle d?sirait d'autant plus causer encore avec le valet de pied qu'il lui avait appris que les fils des ducs portent souvent un titre de prince qu'ils gardent jusqu'? la mort de leur p?re. Sans doute le culte de la noblesse, m?l? et s'accommodant d'un certain esprit de r?volte contre elle, doit, h?r?ditairement puis? sur les gl?bes de France, ?tre bien fort en son peuple. Car Fran?oise, ? qui on pouvait parler du g?nie de Napol?on ou de la t?l?graphie sans fil sans r?ussir ? attirer son attention et sans qu'elle ralent?t un instant les mouvements par lesquels elle retirait les cendres de la chemin?e ou mettait le couvert, si seulement elle apprenait ces particularit?s et que le fils cadet du duc de Guermantes s'appelait g?n?ralement le prince d'Ol?ron, s'?criait: <
Fran?oise apprit aussi par le valet de chambre du prince d'Agrigente, qui s'?tait li? avec elle en venant souvent porter des lettres chez la duchesse, qu'il avait, en effet, fort entendu parler dans le monde du mariage du marquis de Saint-Loup avec Mlle d'Ambresac et que c'?tait presque d?cid?.
Cette villa, cette baignoire, o? Mme de Guermantes transvasait sa vie, ne me semblaient pas des lieux moins f?eriques que ses appartements. Les noms de Guise, de Parme, de Guermantes-Bavi?re, diff?renciaient de toutes les autres les vill?giatures o? se rendait la duchesse, les f?tes quotidiennes que le sillage de sa voiture reliaient ? son h?tel. S'ils me disaient qu'en ces vill?giatures, en ces f?tes consistait successivement la vie de Mme de Guermantes, ils ne m'apportaient sur elle aucun ?claircissement. Elles donnaient chacune ? la vie de la duchesse une d?termination diff?rente, mais ne faisaient que la changer de myst?re sans qu'elle laiss?t rien ?vaporer du sien, qui se d?pla?ait seulement, prot?g? par une cloison, enferm? dans un vase, au milieu des flots de la vie de tous. La duchesse pouvait d?jeuner devant la M?diterran?e ? l'?poque de Carnaval, mais, dans la villa de Mme de Guise, o? la reine de la soci?t? parisienne n'?tait plus, dans sa robe de piqu? blanc, au milieu de nombreuses princesses, qu'une invit?e pareille aux autres, et par l? plus ?mouvante encore pour moi, plus elle-m?me d'?tre renouvel?e comme une ?toile de la danse qui, dans la fantaisie d'un pas, vient prendre successivement la place de chacune des ballerines ses soeurs, elle pouvait regarder des ombres chinoises, mais ? une soir?e de la princesse de Parme, ?couter la trag?die ou l'op?ra, mais dans la baignoire de la princesse de Guermantes.
Comme nous localisons dans le corps d'une personne toutes les possibilit?s de sa vie, le souvenir des ?tres qu'elle conna?t et qu'elle vient de quitter, ou s'en va rejoindre, si, ayant appris par Fran?oise que Mme de Guermantes irait ? pied d?jeuner chez la princesse de Parme, je la voyais vers midi descendre de chez elle en sa robe de satin chair, au-dessus de laquelle son visage ?tait de la m?me nuance, comme un nuage au soleil couchant, c'?tait tous les plaisirs du faubourg Saint-Germain que je voyais tenir devant moi, sous ce petit volume, comme dans une coquille, entre ces valves glac?es de nacre rose.
A vrai dire je n'attachais aucun prix ? cette possibilit? d'entendre la Berma qui, quelques ann?es auparavant, m'avait caus? tant d'agitation. Et ce ne fut pas sans m?lancolie que je constatai mon indiff?rence ? ce que jadis j'avais pr?f?r? ? la sant?, au repos. Ce n'est pas que f?t moins passionn? qu'alors mon d?sir de pouvoir contempler de pr?s les parcelles pr?cieuses de r?alit? qu'entrevoyait mon imagination. Mais celle-ci ne les situait plus maintenant dans la diction d'une grande actrice; depuis mes visites chez Elstir, c'est sur certaines tapisseries, sur certains tableaux modernes, que j'avais report? la foi int?rieure que j'avais eue jadis en ce jeu, en cet art tragique de la Berma; ma foi, mon d?sir ne venant plus rendre ? la diction et aux attitudes de la Berma un culte incessant, le <
Au moment o?, profitant du billet re?u par mon p?re, je montais le grand escalier de l'Op?ra, j'aper?us devant moi un homme que je pris d'abord pour M. de Charlus duquel il avait le maintien; quand il tourna la t?te pour demander un renseignement ? un employ?, je vis que je m'?tais tromp?, mais je n'h?sitai pas cependant ? situer l'inconnu dans la m?me classe sociale d'apr?s la mani?re non seulement dont il ?tait habill?, mais encore dont il parlait au contr?leur et aux ouvreuses qui le faisaient attendre. Car, malgr? les particularit?s individuelles, il y avait encore ? cette ?poque, entre tout homme gommeux et riche de cette partie de l'aristocratie et tout homme gommeux et riche du monde de la finance ou de la haute industrie, une diff?rence tr?s marqu?e. L? o? l'un de ces derniers e?t cru affirmer son chic par un ton tranchant, hautain, ? l'?gard d'un inf?rieur, le grand seigneur, doux, souriant, avait l'air de consid?rer, d'exercer l'affectation de l'humilit? et de la patience, la feinte d'?tre l'un quelconque des spectateurs, comme un privil?ge de sa bonne ?ducation. Il est probable qu'? le voir ainsi dissimulant sous un sourire plein de bonhomie le seuil infranchissable du petit univers sp?cial qu'il portait en lui, plus d'un fils de riche banquier, entrant ? ce moment au th??tre, e?t pris ce grand seigneur pour un homme de peu, s'il ne lui avait trouv? une ?tonnante ressemblance avec le portrait, reproduit r?cemment par les journaux illustr?s, d'un neveu de l'empereur d'Autriche, le prince de Saxe, qui se trouvait justement ? Paris en ce moment. Je le savais grand ami des Guermantes. En arrivant moi-m?me pr?s du contr?leur, j'entendis le prince de Saxe, ou suppos? tel, dire en souriant: <
Il ?tait peut-?tre le prince de Saxe; c'?tait peut-?tre la duchesse de Guermantes que ses yeux voyaient en pens?e quand il disait: <
Un certain nombre de fauteuils d'orchestre avaient ?t? mis en vente au bureau et achet?s par des snobs ou des curieux qui voulaient contempler des gens qu'ils n'auraient pas d'autre occasion de voir de pr?s. Et c'?tait bien, en effet, un peu de leur vraie vie mondaine habituellement cach?e qu'on pourrait consid?rer publiquement, car la princesse de Parme ayant plac? elle-m?me parmi ses amis les loges, les balcons et les baignoires, la salle ?tait comme un salon o? chacun changeait de place, allait s'asseoir ici ou l?, pr?s d'une amie.
A c?t? de moi ?taient des gens vulgaires qui, ne connaissant pas les abonn?s, voulaient montrer qu'ils ?taient capables de les reconna?tre et les nommaient tout haut. Ils ajoutaient que ces abonn?s venaient ici comme dans leur salon, voulant dire par l? qu'ils ne faisaient pas attention aux pi?ces repr?sent?es. Mais c'est le contraire qui avait lieu. Un ?tudiant g?nial qui a pris un fauteuil pour entendre la Berma ne pense qu'? ne pas salir ses gants, ? ne pas g?ner, ? se concilier le voisin que le hasard lui a donn?, ? poursuivre d'un sourire intermittent le regard fugace, ? fuir d'un air impoli le regard rencontr? d'une personne de connaissance qu'il a d?couverte dans la salle et qu'apr?s mille perplexit?s il se d?cide ? aller saluer au moment o? les trois coups, en retentissant avant qu'il soit arriv? jusqu'? elle, le forcent ? s'enfuir comme les H?breux dans la mer Rouge entre les flots houleux des spectateurs et des spectatrices qu'il a fait lever et dont il d?chire les robes ou ?crase les bottines. Au contraire, c'?tait parce que les gens du monde ?taient dans leurs loges , comme dans de petits salons suspendus dont une cloison e?t ?t? enlev?e, ou dans de petits caf?s o? l'on va prendre une bavaroise, sans ?tre intimid? par les glaces encadr?es d'or, et les si?ges rouges de l'?tablissement du genre napolitain; c'est parce qu'ils posaient une main indiff?rente sur les f?ts dor?s des colonnes qui soutenaient ce temple de l'art lyrique, c'est parce qu'ils n'?taient pas ?mus des honneurs excessifs que semblaient leur rendre deux figures sculpt?es qui tendaient vers les loges des palmes et des lauriers, que seuls ils auraient eu l'esprit libre pour ?couter la pi?ce si seulement ils avaient eu de l'esprit.
Mais, dans les autres baignoires, presque partout, les blanches d?it?s qui habitaient ces sombres s?jours s'?taient r?fugi?es contre les parois obscures et restaient invisibles. Cependant, au fur et ? mesure que le spectacle s'avan?ait, leurs formes vaguement humaines se d?tachaient mollement l'une apr?s l'autre des profondeurs de la nuit qu'elles tapissaient et, s'?levant vers le jour, laissaient ?merger leurs corps demi-nus, et venaient s'arr?ter ? la limite verticale et ? la surface clair-obscur o? leurs brillants visages apparaissaient derri?re le d?ferlement rieur, ?cumeux et l?ger de leurs ?ventails de plumes, sous leurs chevelures de pourpre emm?l?es de perles que semblait avoir courb?es l'ondulation du flux; apr?s commen?aient les fauteuils d'orchestre, le s?jour des mortels ? jamais s?par? du sombre et transparent royaume auquel ?a et l? servaient de fronti?re, dans leur surface liquide et pleine, les yeux limpides et r?fl?chissant des d?esses des eaux. Car les strapontins du rivage, les formes des monstres de l'orchestre se peignaient dans ces yeux suivant les seules lois de l'optique et selon leur angle d'incidence, comme il arrive pour ces deux parties de la r?alit? ext?rieure auxquelles, sachant qu'elles ne poss?dent pas, si rudimentaire soit-elle, d'?me analogue ? la n?tre, nous nous jugerions insens?s d'adresser un sourire ou un regard: les min?raux et les personnes avec qui nous ne sommes pas en relations. En de??, au contraire, de la limite de leur domaine, les radieuses filles de la mer se retournaient ? tout moment en souriant vers des tritons barbus pendus aux anfractuosit?s de l'ab?me, ou vers quelque demi-dieu aquatique ayant pour cr?ne un galet poli sur lequel le flot avait ramen? une algue lisse et pour regard un disque en cristal de roche. Elles se penchaient vers eux, elles leur offraient des bonbons; parfois le flot s'entr'ouvrait devant une nouvelle n?r?ide qui, tardive, souriante et confuse, venait de s'?panouir du fond de l'ombre; puis l'acte fini, n'esp?rant plus entendre les rumeurs m?lodieuses de la terre qui les avaient attir?es ? la surface, plongeant toutes ? la fois, les diverses soeurs disparaissaient dans la nuit. Mais de toutes ces retraites au seuil desquelles le souci l?ger d'apercevoir les oeuvres des hommes amenait les d?esses curieuses, qui ne se laissent pas approcher, la plus c?l?bre ?tait le bloc de demi-obscurit? connu sous le nom de baignoire de la princesse de Guermantes.
Comme une grande d?esse qui pr?side de loin aux jeux des divinit?s inf?rieures, la princesse ?tait rest?e volontairement un peu au fond sur un canap? lat?ral, rouge comme un rocher de corail, ? c?t? d'une large r?verb?ration vitreuse qui ?tait probablement une glace et faisait penser ? quelque section qu'un rayon aurait pratiqu?e, perpendiculaire, obscure et liquide, dans le cristal ?bloui des eaux. A la fois plume et corolle, ainsi que certaines floraisons marines, une grande fleur blanche, duvet?e comme une aile, descendait du front de la princesse le long d'une de ses joues dont elle suivait l'inflexion avec une souplesse coquette, amoureuse et vivante, et semblait l'enfermer ? demi comme un oeuf rose dans la douceur d'un nid d'alcyon. Sur la chevelure de la princesse, et s'abaissant jusqu'? ses sourcils, puis reprise plus bas ? la hauteur de sa gorge, s'?tendait une r?sille faite de ces coquillages blancs qu'on p?che dans certaines mers australes et qui ?taient m?l?s ? des perles, mosa?que marine ? peine sortie des vagues qui par moment se trouvait plong?e dans l'ombre au fond de laquelle, m?me alors, une pr?sence humaine ?tait r?v?l?e par la motilit? ?clatante des yeux de la princesse. La beaut? qui mettait celle-ci bien au-dessus des autres filles fabuleuses de la p?nombre n'?tait pas tout enti?re mat?riellement et inclusivement inscrite dans sa nuque, dans ses ?paules, dans ses bras, dans sa taille. Mais la ligne d?licieuse et inachev?e de celle-ci ?tait l'exact point de d?part, l'amorce in?vitable de lignes invisibles en lesquelles l'oeil ne pouvait s'emp?cher de les prolonger, merveilleuses, engendr?es autour de la femme comme le spectre d'une figure id?ale projet?e sur les t?n?bres.
Et cependant, en reconnaissant la princesse, tous ceux qui cherchaient ? savoir qui ?tait dans la salle sentaient se relever dans leur coeur le tr?ne l?gitime de la beaut?. En effet, pour la duchesse de Luxembourg, pour Mme de Morienval, pour Mme de Saint-Euverte, pour tant d'autres, ce qui permettait d'identifier leur visage, c'?tait la connexit? d'un gros nez rouge avec un bec de li?vre, ou de deux joues rid?es avec une fine moustache. Ces traits ?taient d'ailleurs suffisants pour charmer, puisque, n'ayant que la valeur conventionnelle d'une ?criture, ils donnaient ? lire un nom c?l?bre et qui imposait; mais aussi, ils finissaient par donner l'id?e que la laideur a quelque chose d'aristocratique, et qu'il est indiff?rent que le visage d'une grande dame, s'il est distingu?, soit beau. Mais comme certains artistes qui, au lieu des lettres de leur nom, mettent au bas de leur toile une forme belle par elle-m?me, un papillon, un l?zard, une fleur, de m?me c'?tait la forme d'un corps et d'un visage d?licieux que la princesse apposait ? l'angle de sa loge, montrant par l? que la beaut? peut ?tre la plus noble des signatures; car la pr?sence de Mme de Guermantes, qui n'amenait au th??tre que des personnes qui le reste du temps faisaient partie de son intimit?, ?tait, aux yeux des amateurs d'aristocratie, le meilleur certificat d'authenticit? du tableau que pr?sentait sa baignoire, sorte d'?vocation d'une sc?ne de la vie famili?re et sp?ciale de la princesse dans ses palais de Munich et de Paris.
--Ce gros-l?, c'est le marquis de Ganan?ay, dit d'un air renseign? mon voisin qui avait mal entendu le nom chuchot? derri?re lui.
Je n'eus plus la m?me indulgence qu'autrefois pour les justes intentions de tendresse ou de col?re que j'avais remarqu?es alors dans le d?bit et le jeu d'Aricie, d'Ism?ne et d'Hippolyte. Ce n'est pas que ces artistes--c'?taient les m?mes--ne cherchassent toujours avec la m?me intelligence ? donner ici ? leur voix une inflexion caressante ou une ambigu?t? calcul?e, l? ? leurs gestes une ampleur tragique ou une douceur suppliante. Leurs intonations commandaient ? cette voix: <
De m?me le geste de ces artistes disait ? leurs bras, ? leur p?plum: <
--Pas un applaudissement! Et comme elle est ficel?e! Mais elle est trop vieille, elle ne peut plus, on renonce dans ces cas-l?.
Mon impression, ? vrai dire, plus agr?able que celle d'autrefois, n'?tait pas diff?rente. Seulement je ne la confrontais plus ? une id?e pr?alable, abstraite et fausse, du g?nie dramatique, et je comprenais que le g?nie dramatique, c'?tait justement cela. Je pensais tout ? l'heure que, si je n'avais pas eu de plaisir la premi?re fois que j'avais entendu la Berma, c'est que, comme jadis quand je retrouvais Gilberte aux Champs-?lys?es, je venais ? elle avec un trop grand d?sir. Entre les deux d?ceptions il n'y avait peut-?tre pas seulement cette ressemblance, une autre aussi, plus profonde. L'impression que nous cause une personne, une oeuvre fortement caract?ris?es, est particuli?re. Nous avons apport? avec nous les id?es de <
C'?tait pr?cis?ment ce que me montrait le jeu de la Berma. C'?tait bien cela, la noblesse, l'intelligence de la diction. Maintenant je me rendais compte des m?rites d'une interpr?tation large, po?tique, puissante; ou plut?t, c'?tait cela ? quoi on a convenu de d?cerner ces titres, mais comme on donne le nom de Mars, de V?nus, de Saturne ? des ?toiles qui n'ont rien de mythologique. Nous sentons dans un monde, nous pensons, nous nommons dans un autre, nous pouvons entre les deux ?tablir une concordance mais non combler l'intervalle. C'est bien un peu, cet intervalle, cette faille, que j'avais ? franchir quand, le premier jour o? j'?tais all? voir jouer la Berma, l'ayant ?cout?e de toutes mes oreilles, j'avais eu quelque peine ? rejoindre mes id?es de <
Ce g?nie dont l'interpr?tation de la Berma n'?tait seulement que la r?v?lation, ?tait-ce bien seulement le g?nie de Racine?
Je n'aurais plus souhait? comme autrefois de pouvoir immobiliser les attitudes de la Berma, le bel effet de couleur qu'elle donnait un instant seulement dans un ?clairage aussit?t ?vanoui et qui ne se reproduisait pas, ni lui faire redire cent fois un vers. Je comprenais que mon d?sir d'autrefois ?tait plus exigeant que la volont? du po?te, de la trag?dienne, du grand artiste d?corateur qu'?tait son metteur en sc?ne, et que ce charme r?pandu au vol sur un vers, ces gestes instables perp?tuellement transform?s, ces tableaux successifs, c'?tait le r?sultat fugitif, le but momentan?, le mobile chef-d'oeuvre que l'art th??tral se proposait et que d?truirait en voulant le fixer l'attention d'un auditeur trop ?pris. M?me je ne tenais pas ? venir un autre jour r?entendre la Berma; j'?tais satisfait d'elle; c'est quand j'admirais trop pour ne pas ?tre d??u par l'objet de mon admiration, que cet objet f?t Gilberte ou la Berma, que je demandais d'avance ? l'impression du lendemain le plaisir que m'avait refus? l'impression de la veille. Sans chercher ? approfondir la joie que je venais d'?prouver et dont j'aurais peut-?tre pu faire un plus f?cond usage, je me disais comme autrefois certain de mes camarades de coll?ge: <
Au moment o? cette seconde pi?ce commen?a, je regardai du c?t? de la baignoire de Mme de Guermantes. Cette princesse venait, par un mouvement g?n?rateur d'une ligne d?licieuse que mon esprit poursuivait dans le vide, de tourner la t?te vers le fond de la baignoire; les invit?s ?taient debout, tourn?s aussi vers le fond, et entre la double haie qu'ils faisaient, dans son assurance et sa grandeur de d?esse, mais avec une douceur inconnue que d'arriver si tard et de faire lever tout le monde au milieu de la repr?sentation m?lait aux mousselines blanches dans lesquelles elle ?tait envelopp?e un air habilement na?f, timide et confus qui temp?rait son sourire victorieux, la duchesse de Guermantes, qui venait d'entrer, alla vers sa cousine, fit une profonde r?v?rence ? un jeune homme blond qui ?tait assis au premier rang et, se retournant vers les monstres marins et sacr?s flottant au fond de l'antre, fit ? ces demi-dieux du Jockey-Club--qui ? ce moment-l?, et particuli?rement M. de Palancy, furent les hommes que j'aurais le plus aim? ?tre--un bonjour familier de vieille amie, allusion ? l'au jour le jour de ses relations avec eux depuis quinze ans. Je ressentais le myst?re, mais ne pouvais d?chiffrer l'?nigme de ce regard souriant qu'elle adressait ? ses amis, dans l'?clat bleut? dont il brillait tandis qu'elle abandonnait sa main aux uns et aux autres, et qui, si j'eusse pu en d?composer le prisme, en analyser les cristallisations, m'e?t peut-?tre r?v?l? l'essence de la vie inconnue qui y apparaissait ? ce moment-l?. Le duc de Guermantes suivait sa femme, les reflets de son monocle, le rire de sa dentition, la blancheur de son oeillet ou de son plastron pliss?, ?cartant pour faire place ? leur lumi?re ses sourcils, ses l?vres, son frac; d'un geste de sa main ?tendue qu'il abaissa sur leurs ?paules, tout droit, sans bouger la t?te, il commanda de se rasseoir aux monstres inf?rieurs qui lui faisaient place, et s'inclina profond?ment devant le jeune homme blond. On e?t dit que la duchesse avait devin? que sa cousine dont elle raillait, disait-on, ce qu'elle appelait les exag?rations aurait ce soir une de ces toilettes o? la duchesse la trouvait <
Peut-?tre Mme de Guermantes aurait-elle le lendemain un sourire quand elle parlerait de la coiffure un peu trop compliqu?e de la princesse, mais certainement elle d?clarerait que celle-ci n'en ?tait pas moins ravissante et merveilleusement arrang?e; et la princesse, qui, par go?t, trouvait quelque chose d'un peu froid, d'un peu sec, d'un peu couturier, dans la fa?on dont s'habillait sa cousine, d?couvrirait dans cette stricte sobri?t? un raffinement exquis. D'ailleurs entre elles l'harmonie, l'universelle gravitation pr??tablie de leur ?ducation, neutralisaient les contrastes non seulement d'ajustement mais d'attitude. A ces lignes invisibles et aimant?es que l'?l?gance des mani?res tendait entre elles, le naturel expansif de la princesse venait expirer, tandis que vers elles, la rectitude de la duchesse se laissait attirer, infl?chir, se faisait douceur et charme. Comme dans la pi?ce que l'on ?tait en train de repr?senter, pour comprendre ce que la Berma d?gageait de po?sie personnelle, on n'avait qu'? confier le r?le qu'elle jouait, et qu'elle seule pouvait jouer, ? n'importe quelle autre actrice, le spectateur qui e?t lev? les yeux vers le balcon e?t vu, dans deux loges, un <
La raison pour quoi Mme de Cambremer se trouvait l? ?tait que la princesse de Parme, d?nu?e de snobisme comme la plupart des v?ritables altesses et, en revanche, d?vor?e par l'orgueil, le d?sir de la charit? qui ?galait chez elle le go?t de ce qu'elle croyait les Arts, avait c?d? ?? et l? quelques loges ? des femmes comme Mme de Cambremer qui ne faisaient pas partie de la haute soci?t? aristocratique, mais avec lesquelles elle ?tait en relations pour ses oeuvres de bienfaisance. Mme de Cambremer ne quittait pas des yeux la duchesse et la princesse de Guermantes, ce qui lui ?tait d'autant plus ais? que, n'?tant pas en relations v?ritables avec elles, elle ne pouvait avoir l'air de qu?ter un salut. ?tre re?ue chez ces deux grandes dames ?tait pourtant le but qu'elle poursuivait depuis dix ans avec une inlassable patience. Elle avait calcul? qu'elle y serait sans doute parvenue dans cinq ans. Mais atteinte d'une maladie qui ne pardonne pas et dont, se piquant de connaissances m?dicales, elle croyait conna?tre le caract?re inexorable, elle craignait de ne pouvoir vivre jusque-l?. Elle ?tait du moins heureuse ce soir-l? de penser que toutes ces femmes qu'elle ne connaissait gu?re verraient aupr?s d'elle un homme de leurs amis, le jeune marquis de Beausergent, fr?re de Mme d'Argencourt, lequel fr?quentait ?galement les deux soci?t?s, et de la pr?sence de qui les femmes de la seconde aimaient beaucoup ? se parer sous les yeux de celles de la premi?re. Il s'?tait assis derri?re Mme de Cambremer sur une chaise plac?e en travers pour pouvoir lorgner dans les autres loges. Il y connaissait tout le monde et, pour saluer, avec la ravissante ?l?gance de sa jolie tournure cambr?e, de sa fine t?te aux cheveux blonds, il soulevait ? demi son corps redress?, un sourire ? ses yeux bleus, avec un m?lange de respect et de d?sinvolture, gravant ainsi avec pr?cision dans le rectangle du plan oblique o? il ?tait plac? comme une de ces vieilles estampes qui figurent un grand seigneur hautain et courtisan. Il acceptait souvent de la sorte d'aller au th??tre avec Mme de Cambremer; dans la salle et ? la sortie, dans le vestibule, il restait bravement aupr?s d'elle au milieu de la foule des amies plus brillantes qu'il avait l? et ? qui il ?vitait de parler, ne voulant pas les g?ner, et comme s'il avait ?t? en mauvaise compagnie. Si alors passait la princesse de Guermantes, belle et l?g?re comme Diane, laissant tra?ner derri?re elle un manteau incomparable, faisant se d?tourner toutes les t?tes et suivie par tous les yeux , M. de Beausergent s'absorbait dans une conversation avec sa voisine, ne r?pondait au sourire amical et ?blouissant de la princesse que contraint et forc? et avec la r?serve bien ?lev?e et la charitable froideur de quelqu'un dont l'amabilit? peut ?tre devenue momentan?ment g?nante.
Mme de Cambremer essayait de distinguer quelle sorte de toilette portaient les deux cousines. Pour moi, je ne doutais pas que ces toilettes ne leur fussent particuli?res, non pas seulement dans le sens o? la livr?e ? col rouge ou ? revers bleu appartenait jadis exclusivement aux Guermantes et aux Cond?, mais plut?t comme pour un oiseau le plumage qui n'est pas seulement un ornement de sa beaut?, mais une extension de son corps. La toilette de ces deux femmes me semblait comme une mat?rialisation neigeuse ou diapr?e de leur activit? int?rieure, et, comme les gestes que j'avais vu faire ? la princesse de Guermantes et que je n'avais pas dout? correspondre ? une id?e cach?e, les plumes qui descendaient du front de la princesse et le corsage ?blouissant et paillet? de sa cousine semblaient avoir une signification, ?tre pour chacune des deux femmes un attribut qui n'?tait qu'? elle et dont j'aurais voulu conna?tre la signification: l'oiseau de paradis me semblait ins?parable de l'une, comme le paon de Junon; je ne pensais pas qu'aucune femme p?t usurper le corsage paillet? de l'autre plus que l'?gide ?tincelante et frang?e de Minerve. Et quand je portais mes yeux sur cette baignoire, bien plus qu'au plafond du th??tre o? ?taient peintes de froides all?gories, c'?tait comme si j'avais aper?u, gr?ce au d?chirement miraculeux des nu?es coutumi?res, l'assembl?e des Dieux en train de contempler le spectacle des hommes, sous un velum rouge, dans une ?claircie lumineuse, entre deux piliers du Ciel. Je contemplais cette apoth?ose momentan?e avec un trouble que m?langeait de paix le sentiment d'?tre ignor? des Immortels; la duchesse m'avait bien vu une fois avec son mari, mais ne devait certainement pas s'en souvenir, et je ne souffrais pas qu'elle se trouv?t, par la place qu'elle occupait dans la baignoire, regarder les madr?pores anonymes et collectifs du public de l'orchestre, car je sentais heureusement mon ?tre dissous au milieu d'eux, quand, au moment o? en vertu des lois de la r?fraction vint sans doute se peindre dans le courant impassible des deux yeux bleus la forme confuse du protozoaire d?pourvu d'existence individuelle que j'?tais, je vis une clart? les illuminer: la duchesse, de d?esse devenue femme et me semblant tout d'un coup mille fois plus belle, leva vers moi la main gant?e de blanc qu'elle tenait appuy?e sur le rebord de la loge, l'agita en signe d'amiti?, mes regards se sentirent crois?s par l'incandescence involontaire et les feux des yeux de la princesse, laquelle les avait fait entrer ? son insu en conflagration rien qu'en les bougeant pour chercher ? voir ? qui sa cousine venait de dire bonjour, et celle-ci, qui m'avait reconnu, fit pleuvoir sur moi l'averse ?tincelante et c?leste de son sourire.
Maintenant tous les matins, bien avant l'heure o? elle sortait, j'allais par un long d?tour me poster ? l'angle de la rue qu'elle descendait d'habitude, et, quand le moment de son passage me semblait proche, je remontais d'un air distrait, regardant dans une direction oppos?e et levant les yeux vers elle d?s que j'arrivais ? sa hauteur, mais comme si je ne m'?tais nullement attendu ? la voir. M?me les premiers jours, pour ?tre plus s?r de ne pas la manquer, j'attendais devant la maison. Et chaque fois que la porte coch?re s'ouvrait , son ?branlement se prolongeait ensuite dans mon coeur en oscillations qui mettaient longtemps ? se calmer. Car jamais fanatique d'une grande com?dienne qu'il ne conna?t pas, allant faire <
Pourquoi tel jour, voyant s'avancer de face sous une capote mauve une douce et lisse figure aux charmes distribu?s avec sym?trie autour de deux yeux bleus et dans laquelle la ligne du nez semblait r?sorb?e, apprenais-je d'une commotion joyeuse que je ne rentrerais pas sans avoir aper?u Mme de Guermantes? pourquoi ressentais-je le m?me trouble, affectais-je la m?me indiff?rence, d?tournais-je les yeux de la m?me fa?on distraite que la veille ? l'apparition de profil dans une rue de traverse et sous un toquet bleu marine, d'un nez en bec d'oiseau, le long d'une joue rouge, barr?e d'un oeil per?ant, comme quelque divinit? ?gyptienne? Une fois ce ne fut pas seulement une femme ? bec d'oiseau que je vis, mais comme un oiseau m?me: la robe et jusqu'au toquet de Mme de Guermantes ?taient en fourrures et, ne laissant ainsi voir aucune ?toffe, elle semblait naturellement fourr?e, comme certains vautours dont le plumage ?pais, uni, fauve et doux, a l'air d'une sorte de pelage. Au milieu de ce plumage naturel, la petite t?te recourbait son bec d'oiseau et les yeux ? fleur de t?te ?taient per?ants et bleus.
Tel jour, je venais de me promener de long en large dans la rue pendant des heures sans apercevoir Mme de Guermantes, quand tout d'un coup, au fond d'une boutique de cr?mier cach?e entre deux h?tels dans ce quartier aristocratique et populaire, se d?tachait le visage confus et nouveau d'une femme ?l?gante qui ?tait en train de se faire montrer des <
Je n'aurais pas senti moi-m?me que Mme de Guermantes ?tait exc?d?e de me rencontrer tous les jours que je l'aurais indirectement appris du visage plein de froideur, de r?probation et de piti? qui ?tait celui de Fran?oise quand elle m'aidait ? m'appr?ter pour ces sorties matinales. D?s que je lui demandais mes affaires, je sentais s'?lever un vent contraire dans les traits r?tract?s et battus de sa figure. Je n'essayais m?me pas de gagner la confiance de Fran?oise, je sentais que je n'y arriverais pas. Elle avait, pour savoir imm?diatement tout ce qui pouvait nous arriver, ? mes parents et ? moi, de d?sagr?able, un pouvoir dont la nature m'est toujours rest?e obscure. Peut-?tre n'?tait-il pas surnaturel et aurait-il pu s'expliquer par des moyens d'informations qui lui ?taient sp?ciaux; c'est ainsi que des peuplades sauvages apprennent certaines nouvelles plusieurs jours avant que la poste les ait apport?es ? la colonie europ?enne, et qui leur ont ?t? en r?alit? transmises, non par t?l?pathie, mais de colline en colline ? l'aide de feux allum?s. Ainsi dans le cas particulier de mes promenades, peut-?tre les domestiques de Mme de Guermantes avaient-ils entendu leur ma?tresse exprimer sa lassitude de me trouver in?vitablement sur son chemin et avaient-ils r?p?t? ces propos ? Fran?oise. Mes parents, il est vrai, auraient pu affecter ? mon service quelqu'un d'autre que Fran?oise, je n'y aurais pas gagn?. Fran?oise en un sens ?tait moins domestique que les autres. Dans sa mani?re de sentir, d'?tre bonne et pitoyable, d'?tre dure et hautaine, d'?tre fine et born?e, d'avoir la peau blanche et les mains rouges, elle ?tait la demoiselle de village dont les parents <> mais, ruin?s, avaient ?t? oblig?s de la mettre en condition. Sa pr?sence dans notre maison, c'?tait l'air de la campagne et la vie sociale dans une ferme, il y a cinquante ans, transport?s chez nous, gr?ce ? une sorte de voyage inverse o? c'est la vill?giature qui vient vers le voyageur. Comme la vitrine d'un mus?e r?gional l'est par ces curieux ouvrages que les paysannes ex?cutent et passementent encore dans certaines provinces, notre appartement parisien ?tait d?cor? par les paroles de Fran?oise inspir?es d'un sentiment traditionnel et local et qui ob?issaient ? des r?gles tr?s anciennes. Et elle savait y retracer comme avec des fils de couleur les cerisiers et les oiseaux de son enfance, le lit o? ?tait morte sa m?re, et qu'elle voyait encore. Mais malgr? tout cela, d?s qu'elle ?tait entr?e ? Paris ? notre service, elle avait partag?--et ? plus forte raison toute autre l'e?t fait ? sa place--les id?es, les jurisprudences d'interpr?tation des domestiques des autres ?tages, se rattrapant du respect qu'elle ?tait oblig?e de nous t?moigner, en nous r?p?tant ce que la cuisini?re du quatri?me disait de grossier ? sa ma?tresse, et avec une telle satisfaction de domestique, que, pour la premi?re fois de notre vie, nous sentant une sorte de solidarit? avec la d?testable locataire du quatri?me, nous nous disions que peut-?tre, en effet, nous ?tions des ma?tres. Cette alt?ration du caract?re de Fran?oise ?tait peut-?tre in?vitable. Certaines existences sont si anormales qu'elles doivent engendrer fatalement certaines tares, telle celle que le Roi menait ? Versailles entre ses courtisans, aussi ?trange que celle d'un pharaon ou d'un doge, et, bien plus que celle du Roi, la vie des courtisans. Celle des domestiques est sans doute d'une ?tranget? plus monstrueuse encore et que seule l'habitude nous voile. Mais c'est jusque dans des d?tails encore plus particuliers que j'aurais ?t? condamn?, m?me si j'avais renvoy? Fran?oise, ? garder le m?me domestique. Car divers autres purent entrer plus tard ? mon service; d?j? pourvus des d?fauts g?n?raux des domestiques, ils n'en subissaient pas moins chez moi une rapide transformation. Comme les lois de l'attaque commandent celles de la riposte, pour ne pas ?tre entam?s par les asp?rit?s de mon caract?re, tous pratiquaient dans le leur un rentrant identique et au m?me endroit; et, en revanche, ils profitaient de mes lacunes pour y installer des avanc?es. Ces lacunes, je ne les connaissais pas, non plus que les saillants auxquels leur entre-deux donnait lieu, pr?cis?ment parce qu'elles ?taient des lacunes. Mais mes domestiques, en se g?tant peu ? peu, me les apprirent. Ce fut par leurs d?fauts invariablement acquis que j'appris mes d?fauts naturels et invariables, leur caract?re me pr?senta une sorte d'?preuve n?gative du mien. Nous nous ?tions beaucoup moqu?s autrefois, ma m?re et moi, de Mme Sazerat qui disait en parlant des domestiques: <
Pour en revenir ? Fran?oise, je n'ai jamais dans ma vie ?prouv? une humiliation sans avoir trouv? d'avance sur le visage de Fran?oise des condol?ances toutes pr?tes; et si, lorsque dans ma col?re d'?tre plaint par elle, je tentais de pr?tendre avoir au contraire remport? un succ?s, mes mensonges venaient inutilement se briser ? son incr?dulit? respectueuse, mais visible, et ? la conscience qu'elle avait de son infaillibilit?. Car elle savait la v?rit?; elle la taisait et faisait seulement un petit mouvement des l?vres comme si elle avait encore la bouche pleine et finissait un bon morceau. Elle la taisait, du moins je l'ai cru longtemps, car ? cette ?poque-l? je me figurais encore que c'?tait au moyen de paroles qu'on apprend aux autres la v?rit?. M?me les paroles qu'on me disait d?posaient si bien leur signification inalt?rable dans mon esprit sensible, que je ne croyais pas plus possible que quelqu'un qui m'avait dit m'aimer ne m'aim?t pas, que Fran?oise elle-m?me n'aurait pu douter, quand elle l'avait lu dans un journal, qu'un pr?tre ou un monsieur quelconque f?t capable, contre une demande adress?e par la poste, de nous envoyer gratuitement un rem?de infaillible contre toutes les maladies ou un moyen de centupler nos revenus. Mais la premi?re, Fran?oise me donna l'exemple que la v?rit? n'a pas besoin d'?tre dite pour ?tre manifest?e, et qu'on peut peut-?tre la recueillir plus s?rement sans attendre les paroles et sans tenir m?me aucun compte d'elles, dans mille signes ext?rieurs, m?me dans certains ph?nom?nes invisibles, analogues dans le monde des caract?res ? ce que sont, dans la nature physique, les changements atmosph?riques. J'aurais peut-?tre pu m'en douter, puisque ? moi-m?me, alors, il m'arrivait souvent de dire des choses o? il n'y avait nulle v?rit?, tandis que je la manifestais par tant de confidences involontaires de mon corps et de mes actes ; j'aurais peut-?tre pu m'en douter, mais pour cela il aurait fallu que j'eusse su que j'?tais alors quelquefois menteur et fourbe. Or le mensonge et la fourberie ?taient chez moi, comme chez tout le monde, command?s d'une fa?on si imm?diate et contingente, et pour sa d?fensive, par un int?r?t particulier, que mon esprit, fix? sur un bel id?al, laissait mon caract?re accomplir dans l'ombre ces besognes urgentes et ch?tives et ne se d?tournait pas pour les apercevoir. Quand Fran?oise, le soir, ?tait gentille avec moi, me demandait la permission de s'asseoir dans ma chambre, il me semblait que son visage devenait transparent et que j'apercevais en elle la bont? et la franchise. Mais Jupien, lequel avait des parties d'indiscr?tion que je ne connus que plus tard, r?v?la depuis qu'elle disait que je ne valais pas la corde pour me pendre et que j'avais cherch? ? lui faire tout le mal possible. Ces paroles de Jupien tir?rent aussit?t devant moi, dans une teinte inconnue, une ?preuve de mes rapports avec Fran?oise si diff?rente de celle sur laquelle je me complaisais souvent ? reposer mes regards et o?, sans la plus l?g?re ind?cision, Fran?oise m'adorait et ne perdait pas une occasion de me c?l?brer, que je compris que ce n'est pas le monde physique seul qui diff?re de l'aspect sous lequel nous le voyons; que toute r?alit? est peut-?tre aussi dissemblable de celle que nous croyons percevoir directement, que les arbres, le soleil et le ciel ne seraient pas tels que nous les voyons, s'ils ?taient connus par des ?tres ayant des yeux autrement constitu?s que les n?tres, ou bien poss?dant pour cette besogne des organes autres que des yeux et qui donneraient des arbres, du ciel et du soleil des ?quivalents mais non visuels. Telle qu'elle fut, cette brusque ?chapp?e que m'ouvrit une fois Jupien sur le monde r?el m'?pouvanta. Encore ne s'agissait-il que de Fran?oise dont je ne me souciais gu?re. En ?tait-il ainsi dans tous les rapports sociaux? Et jusqu'? quel d?sespoir cela pourrait-il me mener un jour, s'il en ?tait de m?me dans l'amour? C'?tait le secret de l'avenir. Alors, il ne s'agissait encore que de Fran?oise. Pensait-elle sinc?rement ce qu'elle avait dit ? Jupien? L'avait-elle dit seulement pour brouiller Jupien avec moi, peut-?tre pour qu'on ne pr?t pas la fille de Jupien pour la remplacer? Toujours est-il que je compris l'impossibilit? de savoir d'une mani?re directe et certaine si Fran?oise m'aimait ou me d?testait. Et ainsi ce fut elle qui la premi?re me donna l'id?e qu'une personne n'est pas, comme j'avais cru, claire et immobile devant nous avec ses qualit?s, ses d?fauts, ses projets, ses intentions ? notre ?gard mais est une ombre o? nous ne pouvons jamais p?n?trer, pour laquelle il n'existe pas de connaissance directe, au sujet de quoi nous nous faisons des croyances nombreuses ? l'aide de paroles et m?me d'actions, lesquelles les unes et les autres ne nous donnent que des renseignements insuffisants et d'ailleurs contradictoires, une ombre o? nous pouvons tour ? tour imaginer, avec autant de vraisemblance, que brillent la haine et l'amour.
J'aimais vraiment Mme de Guermantes. Le plus grand bonheur que j'eusse pu demander ? Dieu e?t ?t? de faire fondre sur elle toutes les calamit?s, et que ruin?e, d?consid?r?e, d?pouill?e de tous les privil?ges qui me s?paraient d'elle, n'ayant plus de maison o? habiter ni de gens qui consentissent ? la saluer, elle v?nt me demander asile. Je l'imaginais le faisant. Et m?me les soirs o? quelque changement dans l'atmosph?re ou dans ma propre sant? amenait dans ma conscience quelque rouleau oubli? sur lequel ?taient inscrites des impressions d'autrefois, au lieu de profiter des forces de renouvellement qui venaient de na?tre en moi, au lieu de les employer ? d?chiffrer en moi-m?me des pens?es qui d'habitude m'?chappaient, au lieu de me mettre enfin au travail, je pr?f?rais parler tout haut, penser d'une mani?re mouvement?e, ext?rieure, qui n'?tait qu'un discours et une gesticulation inutiles, tout un roman purement d'aventures, st?rile et sans v?rit?, o? la duchesse, tomb?e dans la mis?re, venait m'implorer, moi qui ?tais devenu par suite de circonstances inverses riche et puissant. Et quand j'avais pass? des heures ainsi ? imaginer des circonstances, ? prononcer les phrases que je dirais ? la duchesse en l'accueillant sous mon toit, la situation restait la m?me; j'avais, h?las, dans la r?alit?, choisi pr?cis?ment pour l'aimer la femme qui r?unissait peut-?tre le plus d'avantages diff?rents et aux yeux de qui, ? cause de cela, je ne pouvais esp?rer avoir aucun prestige; car elle ?tait aussi riche que le plus riche qui n'e?t pas ?t? noble; sans compter ce charme personnel qui la mettait ? la mode, en faisait entre toutes une sorte de reine.
Je sentais que je lui d?plaisais en allant chaque matin au-devant d'elle; mais si m?me j'avais eu le courage de rester deux ou trois jours sans le faire, peut-?tre cette abstention qui e?t repr?sent? pour moi un tel sacrifice, Mme de Guermantes ne l'e?t pas remarqu?e, ou l'aurait attribu?e ? quelque emp?chement ind?pendant de ma volont?. Et en effet je n'aurais pu r?ussir ? cesser d'aller sur sa route qu'en m'arrangeant ? ?tre dans l'impossibilit? de le faire, car le besoin sans cesse renaissant de la rencontrer, d'?tre pendant un instant l'objet de son attention, la personne ? qui s'adressait son salut, ce besoin-l? ?tait plus fort que l'ennui de lui d?plaire. Il aurait fallu m'?loigner pour quelque temps; je n'en avais pas le courage. J'y songeais quelquefois. Je disais alors ? Fran?oise de faire mes malles, puis aussit?t apr?s de les d?faire. Et comme le d?mon du pastiche, et de ne pas para?tre vieux jeu, alt?re la forme la plus naturelle et la plus s?re de soi, Fran?oise, empruntant cette expression au vocabulaire de sa fille, disait que j'?tais dingo. Elle n'aimait pas cela, elle disait que je <
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