Read Ebook: Les grandes dames by Houssaye Ars Ne
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Ebook has 1600 lines and 89122 words, and 32 pages
? son retour ? Paris, Octave joua encore les Don Juan dans les entr'actes de sa vie.
M. de Parisis connaissait beaucoup ces nos 123 et 124 de l'avenue des Champs-Elys?es. Au no 123, il ?tait quelquefois attendu tr?s discr?tement au troisi?me ?tage par une noble ?trang?re qui s'ennuyait ? l'heure o? son mari courait le demi-monde. Au no 125, il ?tait non moins discr?tement attendu, au quatri?me ?tage, par une tr?s jolie Havanaise n?e dans un hamac et qui vivait toujours couch?e.
Il n'avait pas jug? de utile de faire connaissance avec les maris, si bien qu'il ne les avait jamais vus. Or, un soir vers minuit, pendant qu'il ?tait au no 125, le mari, qui ne savait pas vivre, rentra sans se faire annoncer. Parisis dit gravement au mari qu'il venait pour lui demander la main de sa soeur. C'?tait l'heure de demander une jeune fille en mariage; mais le mari n'avait pas de soeur.
C'?tait un Espagnol qui avait des habitudes am?ricaines; il r?pondit ? Octave en lui montrant un revolver. Octave, ne pouvant alors parler cette langue-l?, se jeta sur le balcon et escalada les chardons aigus du balcon voisin.
Voil? le prologue de la com?die. Maintenant figurez-vous, dans l'appartement contigu, une jeune femme qui arrive du concert et qui a envoy? coucher ses domestiques. C'est Mme la baronne Blanche de Bian?ay. Le mari est un chasseur intr?pide qui, aimant mieux sa meute que sa femme, est depuis trois jours ? la chasse; il est n? pour la vie rustique; il aime l'architecture des for?ts et non celle de Paris; il meurt d'ennui dans un salon; il s'?panouit dans un chenil. Comme sa femme n'est pas une Diane enchanteresse, il lui donne presque tout l'hiver les agr?ments du veuvage. C'est la femme de quarante ans qui voudrait bien faucher son regain avec un beau moissonneur arm? d'une faux d'or. Elle porte son id?al dans son coeur; mais elle court risque de passer toujours ? c?t?.
Il ne faut pas d?sesp?rer: le hasard, qui n'est autre qu'un ministre aveugle de la clairvoyante nature, va jeter son id?al sur son chemin.
En ce moment, M. de Parisis frappa trois coups ? la fen?tre. <
La baronne ?couta. <
Nous ne sommes plus ici dans le cercle des grandes dames.
Elle alla soulever le rideau de la fen?tre. Octave ?tait toujours l?. <
Blanche se d?cida ? ouvrir la fen?tre. <
Octave se jeta aux genoux de Mme de Bian?ay. <
La baronne avait reconnu Parisis. <
Octave avait pris son lorgnon. La baronne prit sa lorgnette. <
Le duo devenait fort joli, mais il se changea malencontreusement en trio. Le mari outrag? avait ? son tour franchi les chardons, ? son tour il frappait ? la fen?tre. <
L'Am?ricain donna un coup de pied dans la glace. Parisis saisit une chaise. <
Octave s'avan?a vers le revolver: <
Octave allait offrir un bougeoir au mari content, mais il ?tait d?j? parti.
Mme de Bian?ay se croisa les bras pour admirer l'impertinence d'Octave. <
Mme de Bian?ay prit un flambeau. <
Octave embrassa la baronne. <
Octave avait entra?n? Mme de Biancay qui, d?j? toute ?chevel?e, se croyait encore forte dans sa vertu.
Les derniers mots de la causerie se perdirent dans le bruit du vent. Mais tout n'?tait pas dit. Le mari du balcon, qui avait r?fl?chi, revint furieux. <
Cette fois, ce n'?tait plus un mari de com?die, mais un mari de m?lodrame. Il acheva de briser la glace. Apr?s quoi, d?j? content de cette belle action, il passa l'avant-corps tout entier. Et comme il n'y avait personne, il s'?cria:--<
Un homme tout aussi emport? que lui entra par la porte comme un coup de tonnerre. C'?tait le mari de dessous, le Maure de Venise. <
Il n'y avait pas de lumi?re dans l'antichambre. <
Et le mari du balcon saisit le mari du dessous pour le mettre ? la porte. Naturellement celui-ci r?sista par les m?mes armes.
Et pourtant ni l'un ni l'autre n'?taient habitu?s ? un pareil duel. C'?taient deux hommes d'honneur, plus ou moins--malheureux,--p?n?tr?s des principes d'une bonne ?ducation.
Cependant le duc de Parisis et Mme de Bian?ay s'inqui?taient quelque peu de ce beau tapage. Octave remettait d?j? ses gants pour rappeler les maris ? l'ordre, mais ce ne fut pas lui qui arriva le premier sur le champ de bataille, tant il trouvait doux d'apaiser la belle effarouch?e.
Ce fut le mari de Mme de Bian?ay. Comme elle l'avait pressenti, il pouvait rentrer cette nuit-l?. Et m?me elle aurait d? en ?tre s?re, puisqu'il avait annonc? son retour pour la nuit suivante. Mais il y a des heures o? les femmes n'ont pas la science des hommes. Tant pis pour les hommes qui arrivent avant l'heure qu'ils ont annonc?e: ils sont deux fois dans leur tort.
Ce qui est certain, c'est que M. de Bian?ay, suivi d'un domestique qui portait une valise, arriva pour faire une charmante surprise ? sa femme, au moment o? le mari du balcon et le mari du dessous s'agitaient dans son antichambre; c'?tait une belle gymnastique en l'honneur de M. le duc de Parisis. <
Il ne fallut pas cinq secondes pour que la col?re l'envah?t et lui mont?t ? la t?te. C'?tait un homme taill? en hercule, qui n'abusait pas de sa force, mais qui, plus d'une fois pourtant, avait prouv? qu'il ne fallait pas lui marcher sur le pied. Il saisit le mari et le jeta dans l'escalier. C'?tait le mari du dessous. Celui-ci e?t peut-?tre remont?, si le mari du balcon, qui roulait ? son tour, ne lui e?t interdit ce chemin-l?.
Ce fut une belle fricass?e de museaux, selon l'expression d'Octave, car je ne me permettrais pas de parler ainsi de maris malheureux. Non seulement les deux maris roul?rent et continu?rent leur duel, mais ils entra?n?rent dans leur chute le domestique de M. de Bian?ay et la bougie qu'il portait ? la main.
La bougie fut ?teinte, mais on vit bient?t ? tous les ?tages d'autres maris inquiets du vacarme qui retentissait dans toute la maison. La f?te de nuit fut compl?te, avec illuminations.
M. de Bian?ay avait repris possession de lui-m?me et de son appartement. Il s'?tonnait de ne pas voir accourir sa femme, car il ne pouvait supposer qu'elle f?t endormie pendant qu'on se battait chez elle. Quand M. de Parisis,--tout fra?chement gant?,--apparut portant aussi un bougeoir.
Ils se salu?rent tous les deux avec d?fiance. M. de Biancay connaissait vaguement M. de Parisis, M. de Parisis ne se rappelait pas M. de Bian?ay. <
Parisis n'?tait jamais en peine. Les auteurs comiques auraient pu inventer pour lui les situations les plus p?rilleuses, il en f?t sorti gaiement sans sourciller jamais. <
Le duc de Parisis salua. M. de Bian?ay salua. Le duc de Parisis salua une seconde fois. M. de Bian?ay se demandait s'il devait le saluer d'un coup de pied, mais il se contint et entra chez sa femme. <
Le troisi?me mari fut content.
LES FEMMES INVINCIBLES
Cependant don Juan de Parisis perdit quelques batailles vers ce temps-l?.
Il surprit un jour presque tout le secret du jeu de cartes. Mme d'Antraygues finit par lui confier les noms de la Dame de Carreau et de la Dame de Tr?fle, la duchesse de Hautefort et la marquise de Fontaneilles. Alice s'obstina ? cacher le nom de la Dame de Coeur par un sentiment de jalousie, car elle adorait toujours Octave et savait qu'il aimait Genevi?ve.
Parisis connaissait trop de femmes pour reconna?tre celles qu'il ne voyait que de loin en loin. Les figures les plus oppos?es se confondaient dans son souvenir avec le m?me souvenir amoureux. Souventes fois, il lui arrivait de causer intimement avec une femme, sans bien se rappeler son nom, comme si toutes les femmes ?taient la m?me, suivant l'expression d'un moraliste.
D?s qu'il eut surpris le secret, il se pr?senta vaillamment chez la marquise de Fontaneilles, qu'il ne connaissait gu?re, sous pr?texte qu'il voulait danser pour les pauvres. Elle ?tait dame patronnesse de toutes les bonnes oeuvres. On allait donner un bal de bienfaisance, il fallait bien que l'esprit malfaisant y f?t repr?sent?.
Quand Octave entra dans le salon de la marquise de Fontaneilles, il y trouva la duchesse de Hauteroche, qui attendait son amie pour sortir.
Mme de Hauteroche, comme Mme de Fontaneilles, ?tait une tr?s grande dame de la plus haute naissance, qui avait travers? jusque-l? le monde parisien demi-souriante, mais s'amusant ? la f?te des autres, ne voulant pas jouer d'autre r?le que celui de femme honn?te; on disait que son mari s'amusait pour elle. C'?tait peut-?tre une raison de plus pour qu'elle f?t plus sto?que dans son devoir. Ce qui est hors de doute, c'est que, jusque-l?, nul n'avait marqu? son pied dans la neige de ses avenues.
Elle ?tait charmante: une beaut? brune et grave, adoucie par des yeux d'outre-mer profonds comme l'Oc?an; elle avait ?t? blonde, on le devinait encore ? la l?g?ret? de ses cheveux.
Quand Mme de Fontaneilles vint pour prendre son amie, elle fut quelque peu surprise de la voir en t?te-?-t?te avec le duc de Parisis. Ils causaient avec abandon comme des gens qui se sont vus la veille. Octave ?tait partout chez lui.
Il se leva et alla au-devant de la marquise, comme si ce f?t elle qui v?nt en visite. Elle le remercia de faire si bien les honneurs de son salon; il ne manqua pas de d?velopper ce paradoxe, que les gens bien n?s sont tous de la m?me famille, et que, m?me avant d'avoir ?t? pr?sent?s, ils se savent par coeur.
Ce fut le point de d?part d'une causerie impr?vue. Les deux dames se r?volt?rent ? cette id?e pr?tentieuse d'Octave de conna?tre si bien les gens qu'il ne connaissait pas.
Mais lui, qui n'?tait jamais pris sans vert, se rappela ? propos quelques paradoxes de Lavater. Il s'engagea ? dire la bonne aventure ? la duchesse et ? la marquise, si elles lui permettaient de les d?visager un peu; il n'oublia pas de leur rappeler qu'on n'?tait pas toujours masqu? comme la Dame de Tr?fle et comme la Dame de Carreau.
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