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Read Ebook: Histoire des Montagnards by Esquiros Alphonse

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Ebook has 2654 lines and 237587 words, and 54 pages

HISTOIRE

DES

MONTAGNARDS

LIBRAIRIE DE LA RENAISSANCE

OEUVRES D'ALPHONSE ESQUIROS

HISTOIRE DES MONTAGNARDS

INTRODUCTION

MES T?MOINS

Il m'arriva souvent de recueillir dans ces entretiens des d?tails curieux, des souvenirs personnels, des impressions tr?s-profondes sur les ?v?nements auxquels ces derniers t?moins d'un monde ?vanoui avaient plus ou moins particip?. Si la m?moire leur faisait quelquefois d?faut sur les dates et les circonstances accessoires, le sentiment des choses ?tait rest? intact, et c'est ce sentiment qu'il m'importait surtout de conna?tre. En un mot, n'?tait-ce point la source ? laquelle on pouvait retrouver la vie de la R?volution Fran?aise?

Il faut pourtant avouer que les hommes de 93 n'aimaient gu?re ? parler de ce qu'ils avaient vu ni de ce qu'ils avaient fait. On avait quelque peine ? les attirer sur ce terrain. Il semble que la gravit? des sc?nes terribles auxquelles ils avaient assist? leur e?t pos? sur les l?vres un sceau de plomb. Il est du moins certain que leurs convictions n'?taient nullement ?branl?es et qu'ils soumettaient leurs actes au jugement de l'histoire avec une parfaite tranquillit? de conscience.

Les femmes se montraient naturellement plus communicatives que les hommes; deux d'entre elles m'ont laiss? un vif souvenir. La premi?re est madame Lebas, veuve du conventionnel, l'autre est la soeur de Marat.

Madame Lebas devait avoir ?t? jolie dans sa jeunesse. Elle avait l'oeil noir, des mani?res distingu?es et une m?moire tr?s-s?re. C'est d'elle que deux ou trois historiens de la R?volution Fran?aise ont appris des d?tails int?ressants sur la famille Duplay et sur la vie priv?e de Robespierre. Ses souvenirs ne d?passaient gu?re le cercle des relations intimes; mais comme ? dater de 93 la maison de Duplay devint le foyer vers lequel convergeait toute la vie politique autour de Robespierre, elle avait pass? sa jeunesse au coeur m?me de la R?volution. Elle avait aim? son mari, comme elle disait elle-m?me, d'un amour patriotique; mais par une r?serve et une d?licatesse de coeur que les femmes comprendront, c'?tait celui dont elle parlait le moins. De Saint-Just, de Couthon, de Robespierre jeune, elle citait de belles et de bonnes actions qui l'avaient touch?e. Sa grande admiration ?tait pour Maximilien. L'int?rieur de la famille Duplay ?tait une maison ? la Jean-Jacques Rousseau, une arche des vertus domestiques risqu?e sur un d?luge de sang. Parlait-elle du 9 thermidor, son front s'assombrissait, ses yeux se remplissaient de larmes. Malheureusement son fils assistait ? toutes nos conversations et la surveillait de pr?s, craignant sans doute des indiscr?tions qui pussent blesser son amour-propre comme fils d'un conventionnel et comme membre de l'Institut. Je n'oublierai jamais l'expression constern?e de sa figure, un jour que cette respectable veuve me confia l'?tat de d?tresse et de mis?re auquel elle avait ?t? r?duite apr?s la mort de son mari. Elle s'?tait faite blanchisseuse et allait battre son linge sur les bateaux de la Seine. Pour le coup c'?tait trop fort, et l'acad?micien p?lit. Raconter de pareilles choses, passe encore, mais les ?crire , c'?tait selon lui d?roger ? la dignit? classique de l'histoire.

Entre la veuve de Lebas et la soeur de Marat, quel contraste!

Comme je tenais ? recueillir et ? contr?ler tous les t?moignages, je m'acheminai vers la demeure de celle qui portait un nom si terrible, mais qui, dit-on, avait refus? autrefois de se marier pour ne point perdre ce nom dont elle se faisait gloire.

C'?tait un jour de pluie.

Rue de la Barillerie n? 32 , je rencontrai une all?e ?troite et sombre, gard?e par une petite porte basse. Sur le mur, je lus ces mots ?crits en lettres noires: <> Je montai.

Au deuxi?me ?tage, je demandai mademoiselle Marat. Le portier et sa femme s'entre-regard?rent en silence.

--C'est ici?

--Oui, monsieur, reprirent-ils apr?s s'?tre consult?s du coin de l'oeil.

--Elle est chez elle?

--Toujours: cette malheureuse est paralys?e des jambes.

--A quel ?tage?

La femme du portier, qui jusque-l? m'avait observ? sans rien dire, ajouta d'une voix goguenarde:

--Ce n'est pas une jeune et jolie fille, oui-d?!

Je continuai ? monter l'escalier qui devenait de plus en plus raide et gras. Les murs sans badigeon ?talaient dans le clair-obscur la sale nudit? du pl?tre. Arriv? tout en haut devant une porte mal close, je frappai. Apr?s quelques instants d'attente, durant lesquels je donnai un dernier coup d'oeil au d?labrement des lieux, la porte s'ouvrit. Je demeurai frapp? de stupeur. L'?tre que j'avais devant moi et qui me regardait fixement, c'?tait Marat.

On m'avait pr?venu de cette ressemblance extraordinaire entre le fr?re et la soeur; mais qui pouvait croire ? une telle vision de la tombe pr?sente en chair et en os? Son v?tement douteux--une sorte de robe de chambre--pr?tait encore ? l'illusion. Elle ?tait coiff?e d'une serviette blanche qui laissait passer tr?s-peu de cheveux. Cette serviette me fit souvenir que Marat avait la t?te ainsi couverte quand il fut tu? dans son bain par Charlotte Corday.

Je fis la question d'usage:

--Mademoiselle Marat?

Elle arr?ta sur moi deux yeux noirs et per?ants:

--C'est ici: entrez.

Voyant toute cette mis?re, j'admirai au fond du coeur le d?sint?ressement de ces hommes de 93 qui avaient tenu dans leurs mains toutes les fortunes avec toutes les t?tes, et qui ?taient morts laissant ? leur femme, ? leur soeur, cinq francs en assignats.

Les paroles qui tombaient de sa bouche ?taient des paroles aust?res.

Elle me parla ensuite de Robespierre avec amertume.

--Il n'y avait rien de commun, ajouta-t-elle, entre lui et Marat. Si mon fr?re e?t v?cu, les t?tes de Danton et de Camille Desmoulins ne seraient pas tomb?es.

Je lui demandai si son fr?re avait ?t? vraiment m?decin de la maison du comte d'Artois.

--Oui, r?pondit-elle, c'est la v?rit?. Sa charge consistait ? soigner les gardes du corps et les gens pr?pos?s au service des ?curies. Aussi fut-il poursuivi plus tard par une foule de marquises et de comtesses qui venaient le trouver chez lui, le flattaient et l'engageaient ? d?serter la cause du peuple. Le bruit courut m?me par la ville qu'il s'?tait vendu pour un ch?teau....

--Monsieur, ajouta-t-elle en me d?signant d'un geste son mis?rabl? r?duit,--je suis sa soeur et son unique h?riti?re: regardez, voici mon ch?teau!

Et il y avait de l'orgueil dans sa voix.

Mes questions sur les habitudes de son fr?re, sur sa mani?re de vivre, n'obtinrent gu?re plus de succ?s. Les d?tails de la vie intime rentraient d'apr?s elle dans les conditions de l'homme, ?tre calamiteux et passager que la mort efface sous un peu de terre. L'histoire ne devait point descendre jusqu'? ces futilit?s.

Elle me parla incidemment de Charlotte Corday, comme d'une aventuri?re et d'une fille de mauvaise vie.

Ce qui me frappa fut son opinion sur l'assassinat politique. Louis-Philippe venait d'?chapper ? l'un des nombreux attentats qui signal?rent son r?gne; on pense bien qu'elle d?testait en lui l'homme et le roi.

--N'importe! s'?cria-t-elle; c'est toujours un mauvais moyen de se d?faire des tyrans.

Je me levai pour sortir.

--Monsieur, me dit-elle, revenez dans quinze jours, je vous communiquerai des renseignements biographiques sur mon fr?re, si je vis encore; car dans l'?tat de maladie o? vous me voyez je m'?teindrai subitement. Un jour, demain peut-?tre, en ouvrant la porte, on me trouvera morte dans mon lit; mais je ne m'en afflige aucunement. La mort n'est un mal que pour ceux qui ont la conscience troubl?e. Moi, qui suis sur le bord de la fosse et qui vous parle, je sais qu'on quitte la vie sans regrets quand on n'a rien ? se reprocher. Mon fr?re est mort pauvre et victime de son d?vouement ? la patrie; c'est l? toute sa gloire.

Je redescendis l'escalier avec un poids sur le coeur.

--Voil? des gens, me disais-je, qui voulaient le bien de l'humanit?, qui poursuivirent ce r?ve jusqu'? la mort avec un d?sint?ressement h?ro?que, et qui ne sont gu?re arriv?s qu'? une renomm?e sanglante, ? une dictature ?ph?m?re. On en est m?me ? se demander s'ils n'ont point compromis la grande cause qu'ils croyaient servir. Ce n'est point assez que de vouloir le bien: il faut l'atteindre par des voies que ne d?savouent ni la raison ni la justice.

Marat se d?finissait lui-m?me le bouc ?missaire qui se charge en passant de tous les maux de l'humanit?. Il y avait dix si?cles d'oppression, de mis?res, de tortures entass?s sur cet enfant du peuple, laid et mal venu, qui, ? bout de patience, se retourne contre ses anciens ma?tres, furieux, ?cumant. Ce petit homme sur les pieds duquel toute une soci?t? a march?; ce m?decin qui porte dans son corps malade la p?leur et la fi?vre des h?pitaux; ce journaliste inquiet, ombrageux, m?fiant, l?ch? sur la place publique comme un dogue vigilant dans une ville ouverte et peu s?re, pour y faire le guet; cet oeil du peuple qui va r?dant ?a et l? pour d?couvrir les tra?tres; cet homme-anath?me, qui assume sur sa t?te maudite tout l'odieux des mesures de sang, constitue bien un caract?re ? part, une des maladies de la R?volution.

Il a ?t? trop l?g?rement trait? de charlatan et d'aventurier par les ?crivains royalistes. Avant d'entrer dans la carri?re politique, Marat ?tait un savant. Voltaire lui fit l'honneur de critiquer un de ses premiers livres o? il pla?ait le si?ge de l'?me dans les m?ninges. On voit du moins que l'auteur ?tait spiritualiste. Il publia ensuite diff?rents travaux sur le feu, l'?lectricit?, la lumi?re, l'optique.

Un autre caract?re excentrique avec lequel me mit en relation cette histoire des Montagnards ?tait l'avocat Deschiens. Celui-l? n'avait jamais demand? de t?tes; c'?tait l'indiff?rence politique, l'ordre et l'urbanit? en personne. Il habitait Versailles o? il poss?dait plusieurs chambr?es de brochures et de papiers publics, comme on disait au temps de la R?volution. Tous ces documents ?taient class?s, ?tiquet?s. A chaque grande ?poque historique il se rencontre un homme qui s'isole du mouvement g?n?ral des esprits pour se livrer ? des go?ts personnels, et en apparence bizarres; mais, sans lui, o? trouverait-on les mat?riaux de l'histoire? C'est ce qu'on appelle le collectionneur.

La question que s'adressait ? lui-m?me l'avocat Deschiens, en s'?veillant d?s l'aube n'?tait pas du tout celle qui pr?occupait alors tout le monde: <> Non, rien de tout cela ne l'int?ressait tr?s-vivement. Sa question ? lui ?tait celle-ci:

<> Alerte et cette pens?e dans la t?te, il parcourait aussit?t les rues de Paris, ?coutant les crieurs, s'arr?tant aux boutiques des libraires, interrogeant les affiches, achetant tout, classant tout avec un soin minutieux. H? bien! cet homme particulier a rendu un grand service. S'il se f?t laiss? entra?ner comme tant d'autres par l'ambition de la tribune, nous compterions un p?le orateur de plus dans un temps qui regorgeait d?j? de parleurs et d'hommes d'?tat; tandis que la collection Deschiens ? laquelle j'ai beaucoup puis? pour ?crire cette histoire ?tait ? peu pr?s unique dans le monde. Malheureusement, si je ne me trompe, cette collection a ?t? dispers?e, apr?s la mort de celui qui l'avait form?e avec tant de z?le et de pers?v?rance.

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