Read Ebook: Littérature et Philosophie mêlées by Hugo Victor
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Ebook has 256 lines and 40299 words, and 6 pages
Attirer la foule ? un drame comme l'oiseau ? un miroir; passionner la multitude autour de la glorieuse fantaisie du po?te, et faire oublier au peuple le gouvernement qu'il a pour l'instant, faire pleurer les femmes sur une femme, les m?res sur une m?re, les hommes sur un homme; montrer, quand l'occasion s'en pr?sente, le beau moral sous la difformit? physique; p?n?trer sous toutes les surfaces pour extraire l'essence de tout; donner aux grands le respect des petits et aux petits la mesure des grands; enseigner qu'il y a souvent un peu de mal dans les meilleurs et presque toujours un peu de bien dans les pires, et, par l?, inspirer aux mauvais l'esp?rance et l'indulgence aux bons; tout ramener, dans les ?v?nements de la vie possible, ? ces grandes lignes providentielles ou fatales entre lesquelles se meut la libert? humaine; profiter de l'attention des masses pour leur enseigner ? leur insu, ? travers le plaisir que vous leur donnez, les sept ou huit grandes v?rit?s sociales, morales ou philosophiques, sans lesquelles elles n'auraient pas l'intelligence de leur temps; voil?, ? notre avis, pour le po?te, la vraie utilit?, la vraie influence, la vraie collaboration dans l'oeuvre civilisatrice. C'est par cette voie magnifique et large, et non par la tracasserie politique, qu'un art devient un pouvoir.
Ainsi, pour r?sumer ce que nous avons dit, grandeur et s?v?rit? dans l'intention, grandeur et s?v?rit? dans l'ex?cution, voil? les conditions selon lesquelles doit se d?velopper, s'il veut vivre et r?gner, le drame contemporain. Moral par le fond. Litt?raire par la forme. Populaire par la forme et par le fond.
JOURNAL DES ID?ES DES OPINIONS ET DES LECTURES D'UN JEUNE JACOBITE DE 1819
HISTOIRE
Chez les anciens, l'occupation d'?crire l'histoire ?tait le d?lassement des grands hommes historiques; c'?tait X?nophon, chef des Dix mille; c'?tait Tacite, prince du s?nat. Chez les modernes, comme les grands hommes historiques ne savaient pas lire, il fallut que l'histoire se laiss?t ?crire par des lettr?s et des savants, gens qui n'?taient savants et lettr?s que parce qu'ils ?taient rest?s toute leur vie ?trangers aux int?r?ts de ce bas monde, c'est-?-dire ? l'histoire.
De l?, dans l'histoire, telle que les modernes l'ont ?crite, quelque chose de petit et de peu intelligent.
Il est ? remarquer que les premiers historiens anciens ?crivirent d'apr?s des traditions, et les premiers historiens modernes d'apr?s des chroniques.
Les anciens, ?crivant d'apr?s des traditions, suivirent cette grande id?e morale qu'il ne suffisait pas qu'un homme e?t v?cu ou m?me qu'un si?cle e?t exist? pour qu'il f?t de l'histoire, mais qu'il fallait encore qu'il e?t l?gu? de grands exemples ? la m?moire des hommes. Voil? pourquoi l'histoire ancienne ne languit jamais. Elle est ce qu'elle doit ?tre, le tableau raisonn? des grands hommes et des grandes choses, et non pas, comme on l'a voulu faire de notre temps, le registre de vie de quelques hommes, ou le proc?s-verbal de quelques si?cles.
Les historiens modernes, ?crivant d'apr?s des chroniques, ne virent dans les livres que ce qui y ?tait, des faits contradictoires ? r?tablir et des dates ? concilier. Ils ?crivirent en savants, s'occupant beaucoup des faits et rarement des cons?quences, ne s'?tendant pas sur les ?v?nements d'apr?s l'int?r?t moral qu'ils ?taient susceptibles de pr?senter, mais d'apr?s l'int?r?t de curiosit? qui leur restait encore, eu ?gard aux ?v?nements de leur si?cle. Voil? pourquoi la plupart de nos histoires commencent par des abr?g?s chronologiques et se terminent par des gazettes.
Parmi ces ouvrages, il en est quatre g?n?ralement connus sous le nom des quatre grandes histoires de France; celle de Dupleix, qu'on ne lit plus; celle de M?zeray, qu'on lira toujours, non parce qu'il est aussi exact et aussi vrai que Boileau l'a dit pour la rime, mais parce qu'il est original et satirique, ce qui vaut encore mieux pour des lecteurs fran?ais; celle du P. Daniel, j?suite, fameux par ses descriptions de batailles, qui a fait en vingt ans une histoire o? il n'y a d'autre m?rite que l'?rudition, et dans laquelle le comte de Boulainvillers ne trouvait gu?re que dix mille erreurs; et enfin, celle de V?ly, continu?e par Villaret et par Garnier.
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Villaret, qui avait ?t? com?dien, ?crit d'un style pr?tentieux et ampoul?; il fatigue par une affectation continuelle de sensibilit? et d'?nergie; il est souvent inexact et rarement impartial. Garnier, plus raisonnable, plus instruit, n'est gu?re meilleur ?crivain; sa mani?re est terne, son style est l?che et prolixe. Il n'y a entre Garnier et Villaret que la diff?rence du m?diocre au pire, et si la premi?re condition de vie pour un ouvrage doit ?tre de se faire lire, le travail de ces deux auteurs peut ?tre ? juste titre regard? comme non avenu.
Au reste, ?crire l'histoire d'une seule nation, c'est oeuvre incompl?te, sans tenants et sans aboutissants, et par cons?quent manqu?e et difforme. Il ne peut y avoir de bonnes histoires locales que dans les compartiments bien proportionn?s d'une histoire g?n?rale. Il n'y a que deux t?ches dignes d'un historien dans ce monde, la chronique, le journal, ou l'histoire universelle. Tacite ou Bossuet.
Sous un point de vue restreint, Comines a ?crit une assez bonne histoire de France en six lignes: <
Cet avenir de la Russie, si important aujourd'hui pour l'Europe, donne une haute importance ? son pass?. Pour bien deviner ce que sera ce peuple, on doit ?tudier soigneusement ce qu'il a ?t?. Mais rien de plus difficile qu'une pareille ?tude. Il faut marcher comme perdu au milieu d'un chaos de traditions confuses, de r?cits incomplets, de contes, de contradictions, de chroniques tronqu?es. Le pass? de cette nation est aussi t?n?breux que son ciel, et il y a des d?serts dans ses annales comme dans son territoire.
Ce n'est donc pas une chose ais?e ? faire qu'une bonne histoire de Russie. Ce n'est pas une m?diocre entreprise que de traverser cette nuit des temps, pour aller, parmi tant de faits et de r?cits qui se croisent et se heurtent, ? la d?couverte de la v?rit?. Il faut que l'?crivain saisisse hardiment le fil de ce d?dale; qu'il en d?brouille les t?n?bres; que son ?rudition laborieuse jette de vives lumi?res sur toutes les sommit?s de cette histoire. Sa critique consciencieuse et savante aura soin de r?tablir les causes en combinant les r?sultats. Son style fixera les physionomies, encore ind?cises, des personnages et des ?poques. Certes, ce n'est point une t?che facile de remettre ? flot et de faire repasser sous nos yeux tous ces ?v?nements depuis si longtemps disparus du cours des si?cles.
L'historien devra, ce nous semble, pour ?tre complet, donner un peu plus d'attention qu'on ne l'a fait jusqu'ici ? l'?poque qui pr?c?de l'invasion des tartares, et consacrer tout un volume peut-?tre ? l'histoire de ces tribus vagabondes qui reconnaissent la souverainet? de la Russie. Ce travail jetterait sans doute un grand jour sur l'ancienne civilisation qui a probablement exist? dans le nord, et l'historien pourrait s'y aider des savantes recherches de M. Klaproth.
L?vesque a d?j? racont?, il est vrai, en deux volumes ajout?s ? son long ouvrage, l'histoire de ces peuplades tributaires; mais cette mati?re attend encore un v?ritable historien. Il faudrait aussi traiter avec plus de d?veloppement que L?vesque, et surtout avec plus de sinc?rit?, certaines ?poques d'un grand int?r?t, comme le r?gne fameux de Catherine. L'historien digne de ce nom fl?trirait avec le fer chaud de Tacite et la verge de Juv?nal cette courtisane couronn?e, ? laquelle les altiers sophistes du dernier si?cle avaient vou? un culte qu'ils refusaient ? leur dieu et ? leur roi; cette reine r?gicide, qui avait choisi pour ses tableaux de boudoir un massacre et un incendie.
Voil? un ?chantillon de haine; voici un ?chantillon, de m?pris.
Un spectacle curieux, ce serait celui-ci: Voltaire jugeant Marat, la cause jugeant l'effet.
Il y aurait pourtant quelque injustice ? ne trouver dans les annales du monde qu'horreur et rire. D?mocrite et H?raclite ?taient deux fous, et les deux folies r?unies dans le m?me homme n'en feraient point un sage. Voltaire m?rite donc un reproche grave; ce beau g?nie ?crivit l'histoire des hommes pour lancer un long sarcasme contre l'humanit?. Peut-?tre n'e?t-il point eu ce tort s'il se f?t born? ? la France. Le sentiment national e?t ?mouss? la pointe am?re de son esprit. Pourquoi ne pas se faire cette illusion? Il est ? remarquer que Hume, Tite-Live, et en g?n?ral les narrateurs nationaux, sont les plus b?nins des historiens. Cette bienveillance, quoique parfois mal fond?e, attache ? la lecture de leurs ouvrages. Pour moi, bien que l'historien cosmopolite soit plus grand et plus ? mon gr?, je ne hais pas l'historien patriote. Le premier est plus selon l'humanit?, le second est plus selon la cit?. Le conteur domestique d'une nation me charme souvent, m?me dans sa partialit? ?troite, et je trouve quelque chose de fier qui me pla?t dans ce mot d'un arabe ? Hagyage: Je ne sais que des histoires de mon pays.
Voltaire a toujours l'ironie ? sa gauche et sous sa main, comme les marquis de son temps ont toujours l'?p?e au c?t?. C'est fin, brillant, luisant, poli, joli, c'est mont? en or, c'est garni en diamants, mais cela tue.
M. le duc de Berry vient d'?tre assassin?. Il y a six semaines ? peine. La pierre de Saint-Denis n'est pas encore recel?e, et voici d?j? que les oraisons fun?bres et les apologies pleuvent sur cette tombe. Le tout tronqu?, incorrect, mal pens?, mal ?crit; des adulations plates ou sonores; pas de conviction, pas d'accent, pas de vrai regret. Le sujet ?tait beau cependant. Quand donc interdira-t-on les grands sujets aux petits talents? Il y avait dans les temples de l'antiquit? certains vases sacr?s qui ne pouvaient ?tre port?s par des mains profanes.
Ce loyal enfant du B?arnais, destin? sans doute ? commander notre brave et fid?le arm?e, promis peut-?tre aux h?ro?ques plaines de la Vend?e, est mort ? la fleur et dans la force de l'?ge, sans avoir m?me eu la consolation d'expirer, comme ?paminondas, ?tendu sur son bouclier.
Nous ne nous livrerons pas ici ? une discussion qui outrepasserait nos forces; mais nous pensons qu'il est des questions graves et importantes que doit r?soudre l'historien du duc de Berry assassin?, au sujet du mis?rable auteur de cet attentat. Louvel est-il un fanatique? de quelle esp?ce est son fanatisme? appartient-il ? la classe des assassins exalt?s et d?sint?ress?s comme les Sand, les Ravaillac et les Cl?ment? N'est-il pas plut?t de ces gens ? qui l'on paye leur fanatisme, en ajoutant ? la r?compense convenue des assurances de protection et de salut?... Nous nous arr?tons ? ces mots. On n'a plus droit aujourd'hui de s'?tonner des choses les plus inou?es. Nous voyons d'ex?crables sc?l?rats ?taler aux yeux de l'Europe leur impunit?, plus monstrueuse peut-?tre que leurs crimes, et leur audace plus effrayante encore que leur impunit?.
Il faudra de plus que, pour remplir enti?rement son objet, celui de nos ?crivains c?l?bres qui ?crira l'histoire de M. le duc de Berry, se charge d'un autre devoir, humiliant sans doute, mais n?anmoins indispensable; je veux dire qu'il aura ? d?fendre l'h?ro?que m?moire du prince contre les insinuations perfides et les calomnies atroces dont la faction ennemie des tr?nes l?gitimes s'efforce d?j? de la noircir. En d'autres temps, un pareil soin e?t ?t? injurieux pour le royal d?funt, dont la bont?, la bravoure et la franchise ne sont comparables qu'aux vertus du grand Henri. Mais aujourd'hui qu'une faction r?gicide encense les plus abominables idoles, ne sommes-nous pas forc?s chaque jour, nous autres, les vrais lib?raux et les vrais royalistes, de d?fendre contre ses impudentes d?clamations les plus nobles gloires, les r?putations les plus pures, les plus irr?prochables renomm?es? N'avons-nous pas chaque jour ? venger de nouvelles insultes les Pichegru ou les Cathelineau, les Moreau ou les La Rochejaquelein? Et, ? chaque nouvelle attaque port?e ? ces hommes illustres, nous recommen?ons notre p?nible plaidoyer, sans m?me esp?rer qu'une voix pleine d'une indignation g?n?reuse nous interrompra en criant comme cet homme de l'ancienne Gr?ce: Qui donc ose outrager Alcide?
Il faut le dire, aupr?s des tableaux pleins de vie et de chaleur de Scott, les croquis de lady Morgan ne sont que de p?les et froides esquisses. Les romans historiques de cette dame se laissent lire; les histoires romanesques de l'?cossais se font admirer. La raison en est simple; lady Morgan a assez de tact pour observer ce qu'elle voit, assez de m?moire pour retenir ce qu'elle observe, et assez de finesse pour rapporter ? propos ce qu'elle a retenu; sa science ne va pas plus loin. Voil? pourquoi ses caract?res, bien trac?s quelquefois, ne sont pas soutenus; ? c?t? d'un trait dont la v?rit? vous frappe, parce qu'elle l'a copi? sur la nature, vous en trouvez un autre choquant de fausset?, parce qu'elle l'invente. Walter Scott, au contraire, con?oit un caract?re, apr?s n'en avoir souvent observ? qu'un trait; il le voit dans un mot, et le peint de m?me. Son excellent jugement fait qu'il ne s'?gare point, et ce qu'il cr?e est presque toujours aussi vrai que ce qu'il observe. Quand le talent est pouss? ? ce point, il est plus que du talent; aussi peut-on r?duire le parall?le en deux mots: lady Morgan est une femme d'esprit; Walter Scott est un homme de g?nie.
. Trois papes de morts.
. Ses contes, enfin, si d?solants d'incr?dulit? et de scepticisme, valent mieux que ses histoires, o? le m?me d?faut se fait un peu moins sentir, mais o? l'absence perp?tuelle de dignit? est en contradiction avec le genre m?me de ces ouvrages. Quant ? ses trag?dies, o? il se montre r?ellement grand po?te, o? il trouve souvent le trait du caract?re, le mot du coeur, on ne peut disconvenir, malgr? tant d'admirables sc?nes, qu'il ne soit encore rest? assez loin de Racine, et surtout du vieux Corneille. Et ici notre opinion est d'autant moins suspecte, qu'un examen approfondi de l'oeuvre dramatique de Voltaire nous a convaincu de sa haute sup?riorit? au th??tre. Nous ne doutons pas que si Voltaire, au lieu de disperser les forces colossales de sa pens?e sur vingt points diff?rents, les e?t toutes r?unies vers un m?me but, la trag?die, il n'e?t surpass? Racine et peut-?tre ?gal? Corneille. Mais il d?pensa le g?nie en esprit. Aussi fut-il prodigieusement spirituel. Aussi le sceau du g?nie est-il plut?t empreint sur le vaste ensemble de ses ouvrages que sur chacun d'eux en particulier. Sans cesse pr?occup? de son si?cle, il n?gligeait trop la post?rit?, cette image aust?re qui doit dominer toutes les m?ditations du po?te. Luttant de caprice et de frivolit? avec ses frivoles et capricieux contemporains, il voulait leur plaire et se moquer d'eux. Sa muse, qui e?t ?t? si belle de sa beaut?, emprunta souvent ses prestiges aux enluminures du fard et aux grimaces de la coquetterie, et l'on est perp?tuellement tent? de lui adresser ce conseil d'amant jaloux:
?pargne-toi ce soin; L'art n'est pas fait pour toi, tu n'en as pas besoin.
. Les autres d?roulaient leur fable dans une s?rie de lettres qu'on supposait ?crites par les divers acteurs du roman. Dans la narration, les personnages disparaissent, l'auteur seul se montre toujours; dans les lettres, l'auteur s'?clipse pour ne laisser jamais voir que ses personnages. Le romancier narrateur ne peut donner place au dialogue naturel, ? l'action v?ritable; il faut qu'il leur substitue un certain mouvement monotone de style, qui est comme un moule o? les ?v?nements les plus divers prennent la m?me forme, et sous lequel les cr?ations les plus ?lev?es, les inventions les plus profondes, s'effacent, de m?me que les asp?rit?s d'un champ s'aplanissent sous le rouleau. Dans le roman par lettres, la m?me monotonie provient d'une autre cause. Chaque personnage arrive ? son tour avec son ?p?tre, ? la mani?re de ces acteurs forains qui, ne pouvant para?tre que l'un apr?s l'autre, et n'ayant pas la permission de parler sur leurs tr?teaux, se pr?sentent successivement, portant au-dessus de leur t?te un grand ?criteau sur lequel le public lit leur r?le. On peut encore comparer le roman par lettres ? ces laborieuses conversations de sourds-muets qui s'?crivent r?ciproquement ce qu'ils ont ? se dire, de sorte que leur col?re ou leur joie est tenue d'avoir sans cesse la plume ? la main et l'?critoire en poche. Or, je le demande, que devient l'?-propos d'un tendre reproche qu'il faut porter ? la poste? Et l'explosion fougueuse des passions n'est-elle pas un peu g?n?e entre le pr?ambule oblig? et la formule polie qui sont l'avant-garde et l'arri?re-garde de toute lettre ?crite par un homme bien n?? Croit-on que le cort?ge des compliments, le bagage des civilit?s, acc?l?rent la progression de l'int?r?t et pressent la marche de l'action? Ne doit-on pas enfin supposer quelque vice radical et insurmontable dans un genre de composition qui a pu refroidir parfois l'?loquence m?me de Rousseau?
Supposons donc qu'au roman narratif, o? il semble qu'on ait song? ? tout, except? ? l'int?r?t, en adoptant l'absurde usage de faire pr?c?der chaque chapitre d'un sommaire, souvent tr?s d?taill?, qui est comme le r?cit du r?cit; supposons qu'au roman ?pistolaire, dont la forme m?me interdit toute v?h?mence et toute rapidit?, un esprit cr?ateur substitue le roman dramatique, dans lequel l'action imaginaire se d?roule en tableaux vrais et vari?s, comme se d?roulent les ?v?nements r?els de la vie; qui ne connaisse d'autre division que celle des diff?rentes sc?nes ? d?velopper; qui enfin soit un long drame, o? les descriptions suppl?eraient aux d?corations et aux costumes, o? les personnages pourraient se peindre par eux-m?mes, et repr?senter, par leurs chocs divers et multipli?s, toutes les formes de l'id?e unique de l'ouvrage. Vous trouverez, dans ce genre nouveau, les avantages r?unis des deux genres anciens, sans leurs inconv?nients. Ayant ? votre disposition les ressorts pittoresques, et en quelque fa?on magiques, du drame, vous pourrez laisser derri?re la sc?ne ces mille d?tails oiseux et transitoires que le simple narrateur, oblig? de suivre ses acteurs pas ? pas comme des enfants aux lisi?res, doit exposer longuement s'il veut ?tre clair; et vous pourrez profiter de ces traits profonds et soudains, plus f?conds en m?ditations que des pages enti?res que fait jaillir le mouvement d'une sc?ne, mais qu'exclut la rapidit? d'un r?cit.
Apr?s le roman pittoresque, mais prosa?que, de Walter Scott, il restera un autre roman ? cr?er, plus beau et plus complet encore selon nous. C'est le roman ? la fois drame et ?pop?e, pittoresque mais po?tique, r?el mais id?al, vrai mais grand, qui ench?ssera Walter Scott dans Hom?re.
Comme tout cr?ateur, Walter Scott a ?t? assailli jusqu'? pr?sent par d'inextinguibles critiques. Il faut que celui qui d?friche un marais se r?signe ? entendre les grenouilles coasser autour de lui.
Un examen superficiel pourrait faire croire d'abord que l'intention premi?re du po?te est dans le contraste historique, peint avec tant de talent, du roi de France Louis de Valois et du duc de Bourgogne Charles le T?m?raire. Ce bel ?pisode est peut-?tre en effet un d?faut dans la composition de l'ouvrage, en ce qu'il rivalise d'int?r?t avec le sujet lui-m?me; mais cette faute, si elle existe, n'?te rien ? ce que pr?sente d'imposant et de comique tout ensemble cette opposition de deux princes, dont l'un, despote souple et ambitieux, m?prise l'autre, tyran dur et belliqueux, qui le d?daignerait s'il l'osait. Tous deux se ha?ssent; mais Louis brave la haine de Charles parce qu'elle est rude et sauvage, Charles craint la haine de Louis parce qu'elle est caressante. Le duc de Bourgogne, au milieu de son camp et de ses ?tats, s'inqui?te pr?s du roi de France sans d?fense, comme le limier dans le voisinage du chat. La cruaut? du duc na?t de ses passions, celle du roi de son caract?re. Le bourguignon est loyal parce qu'il est violent; il n'a jamais song? ? cacher ses mauvaises actions; il n'a point de remords, car il a oubli? ses crimes comme ses col?res. Louis est superstitieux, peut-?tre parce qu'il est hypocrite; la religion ne suffit pas ? celui que sa conscience tourmente et qui ne veut pas se repentir; mais il a beau croire ? d'impuissantes expiations, la m?moire du mal qu'il a fait vit sans cesse en lui pr?s de la pens?e du mal qu'il va faire, parce qu'on se rappelle toujours ce qu'on a m?dit? longtemps et qu'il faut bien que le crime, lorsqu'il a ?t? un d?sir et une esp?rance, devienne aussi un souvenir. Les deux princes sont d?vots; mais Charles jure par son ?p?e avant de jurer par Dieu, tandis que Louis t?che de gagner les saints par des dons d'argent ou des charges de cour, m?le de la diplomatie ? sa pri?re et intrigue m?me avec le ciel. En cas de guerre, Louis en examine encore le danger, que Charles se repose d?j? de la victoire. La politique du T?m?raire est toute dans son bras, mais l'oeil du roi atteint plus loin que le bras du duc. Enfin Walter Scott prouve, en mettant en jeu les deux rivaux, combien la prudence est plus forte que l'audace, et combien celui qui para?t ne rien craindre a peur de celui qui semble tout redouter.
Avec quel art l'illustre ?crivain nous peint le roi de France se pr?sentant, par un raffinement de fourberie, chez son beau cousin de Bourgogne, et lui demandant l'hospitalit? au moment o? l'orgueilleux vassal va lui apporter la guerre! Et quoi de plus dramatique que la nouvelle d'une r?volte foment?e dans les ?tats du duc par les agents du roi, tombant comme la foudre entre les deux princes ? l'instant o? la m?me table les r?unit! Ainsi la fraude est d?jou?e par la fraude, et c'est le prudent Louis qui s'est lui-m?me livr? sans d?fense ? la vengeance d'un ennemi justement irrit?. L'histoire dit bien quelque chose de tout cela; mais ici j'aime mieux croire au roman qu'? l'histoire, parce que je pr?f?re la v?rit? morale ? la v?rit? historique. Une sc?ne plus remarquable encore peut-?tre, c'est celle o? les deux princes, que les conseils les plus sages n'ont encore pu rapprocher, se r?concilient par un acte de cruaut? que l'un imagine et que l'autre ex?cute. Pour la premi?re fois ils rient ensemble de cordialit? et de plaisir; et ce rire, excit? par un supplice, efface pour un moment leur discorde. Cette id?e terrible fait frissonner d'admiration.
Nous avons entendu critiquer, comme hideuse et r?voltante, la peinture de l'orgie. C'est, ? notre avis, un des plus beaux chapitres de ce livre. Walter Scott, ayant entrepris de peindre ce fameux brigand surnomm? le Sanglier des Ardennes, aurait manqu? son tableau s'il n'e?t excit? l'horreur. Il faut toujours entrer franchement dans une donn?e dramatique, et chercher en tout le fond des choses. L'?motion et l'int?r?t ne se trouvent que l?. Il n'appartient qu'aux esprits timides de capituler avec une conception forte et de reculer dans la voie qu'ils se sont trac?e.
pass?e, qu'il ne d?pend du jardinier de faire reverdir les feuilles de l'automne sur les rameaux du printemps.
Qu'on ne s'y trompe pas, c'est en vain surtout qu'un petit nombre de petits esprits essayent de ramener les id?es g?n?rales vers le d?solant syst?me litt?raire du dernier si?cle. Ce terrain, naturellement aride, est depuis longtemps dess?ch?. D'ailleurs on ne recommence pas les madrigaux de Dorat apr?s les guillotines de Robespierre, et ce n'est pas au si?cle de Bonaparte qu'on peut continuer Voltaire. La litt?rature r?elle de notre ?ge, celle dont les auteurs sont proscrits ? la fa?on d'Aristide; celle qui, r?pudi?e par toutes les plumes, est adopt?e par toutes les lyres; celle qui, malgr? une pers?cution vaste et calcul?e, voit tous les talents ?clore dans sa sph?re orageuse, comme ces fleurs qui ne croissent qu'en des lieux battus des vents; celle enfin qui, r?prouv?e par ceux qui d?cident sans m?diter, est d?fendue par ceux qui pensent avec leur ?me, jugent avec leur esprit et sentent avec leur coeur; cette litt?rature n'a point l'allure molle et effront?e de la muse qui chanta le cardinal Dubois, flatta la Pompadour et outragea notre Jeanne d'Arc. Elle n'interroge ni le creuset de l'ath?e ni le scalpel du mat?rialiste. Elle n'emprunte pas au sceptique cette balance de plomb dont l'int?r?t seul rompt l'?quilibre. Elle n'enfante pas dans les orgies des chants pour les massacres. Elle ne conna?t ni l'adulation ni l'injure. Elle ne pr?te point de s?ductions au mensonge. Elle n'enl?ve point leur charme aux illusions. ?trang?re ? tout ce qui n'est pas son but v?ritable, elle puise la po?sie aux sources de la v?rit?. Son imagination se f?conde par la croyance. Elle suit les progr?s du temps, mais d'un pas grave et mesur?. Son caract?re est s?rieux, sa voix est m?lodieuse et sonore. Elle est, en un mot, ce que doit ?tre la commune pens?e d'une grande nation apr?s de grandes calamit?s, triste, fi?re et religieuse. Quand il le faut, elle n'h?site pas ? se m?ler aux discordes publiques pour les juger ou pour les apaiser. Car nous ne sommes plus au temps des chansons bucoliques, et ce n'est pas la muse du dix-neuvi?me si?cle qui peut dire:
Non me agitant populi fasces, aut purpura regum.
Cette litt?rature cependant, comme toutes les choses de l'humanit?, pr?sente, dans son unit? m?me, son c?t? sombre et son c?t? consolant. Deux ?coles se sont form?es dans son sein, qui repr?sentent la double situation o? nos malheurs politiques ont respectivement laiss? les esprits, la r?signation et le d?sespoir. Toutes deux reconnaissent ce qu'une philosophie moqueuse avait ni?, l'?ternit? de Dieu, l'?me immortelle, les v?rit?s primordiales et les v?rit?s r?v?l?es; mais celle-ci pour adorer, celle-l? pour maudire. L'une voit tout du haut du ciel, l'autre du fond de l'enfer. La premi?re place au berceau de l'homme un ange qu'il retrouve encore assis au chevet de son lit de mort; l'autre environne ses pas de d?mons, de fant?mes et d'apparitions sinistres. La premi?re lui dit de se confier, parce qu'il n'est jamais seul; la seconde l'effraye en l'isolant sans cesse. Toutes deux poss?dent ?galement l'art d'esquisser des sc?nes gracieuses et de crayonner des figures terribles; mais la premi?re, attentive ? ne jamais briser le coeur, donne encore aux plus sombres tableaux je ne sais quel reflet divin; la seconde, toujours soigneuse d'attrister, r?pand sur les images les plus riantes comme une lueur infernale. L'une, enfin, ressemble ? Emmanuel, doux et fort, parcourant son royaume sur un char de foudre et de lumi?re; l'autre est ce superbe Satan qui entra?na tant d'?toiles dans sa chute lorsqu'il fut pr?cipit? du ciel. Ces deux ?coles jumelles, fond?es sur la m?me base, et n?es, pour ainsi dire, au m?me berceau, nous paraissent sp?cialement repr?sent?es dans la litt?rature europ?enne par deux illustres g?nies, Chateaubriand et Byron.
Au sortir de nos prodigieuses r?volutions, deux ordres politiques luttaient sur le m?me sol. Une vieille soci?t? achevait de s'?crouler; une soci?t? nouvelle commen?ait ? s'?lever. Ici des ruines, l? des ?bauches. Lord Byron, dans ses lamentations fun?bres, a exprim? les derni?res convulsions de la soci?t? expirante. M. de Chateaubriand, avec ses inspirations sublimes, a satisfait aux premiers besoins de la soci?t? ranim?e. La voix de l'un est comme l'adieu du cygne ? l'heure de la mort; la voix de l'autre est pareille au chant du ph?nix renaissant de sa cendre.
Ce serait ici le moment de dire quelque chose de la vie si tourment?e du noble po?te; mais, dans l'incertitude o? nous sommes sur les causes r?elles des malheurs domestiques qui avaient aigri son caract?re, nous aimons mieux nous taire, de peur que notre plume ne s'?gare malgr? nous. Ne connaissant lord Byron que d'apr?s ses po?mes, il nous est doux de lui supposer une vie selon son ?me et son g?nie. Comme tous les hommes sup?rieurs, il a certainement ?t? en proie ? la calomnie. Nous n'attribuons qu'? elle les bruits injurieux qui ont si longtemps accompagn? l'illustre nom du po?te. D'ailleurs celle que ses torts ont offens?e les a sans doute oubli?s la premi?re en pr?sence de sa mort. Nous esp?rons qu'elle lui a pardonn?; car nous sommes de ceux qui ne pensent pas que la haine et la vengeance aient quelque chose ? graver sur la pierre d'un tombeau.
Et nous, pardonnons-lui de m?me ses fautes, ses erreurs, et jusqu'aux ouvrages o? il a paru descendre de la double hauteur de son caract?re et de son talent; pardonnons-lui, il est mort si noblement! il est si bien tomb?! Il semblait l? comme un belliqueux repr?sentant de la muse moderne dans la patrie des muses antiques. G?n?reux auxiliaire de la gloire, de la religion et de la libert?, il avait apport? son ?p?e et sa lyre aux descendants des premiers guerriers et des premiers po?tes; et d?j? le poids de ses lauriers faisait pencher la balance en faveur des malheureux hell?nes. Nous lui devons, nous particuli?rement, une reconnaissance profonde. Il a prouv? ? l'Europe que les po?tes de l'?cole nouvelle, quoiqu'ils n'adorent plus les dieux de la Gr?ce pa?enne, admirent toujours ses h?ros; et que, s'ils ont d?sert? l'Olympe, du moins ils n'ont jamais dit adieu aux Thermopyles.
La mort de Byron a ?t? accueillie dans tout le continent par les signes d'une douleur universelle. Le canon des grecs a longtemps salu? ses restes, et un deuil national a consacr? la perte de cet ?tranger parmi les calamit?s publiques. Les portes orgueilleuses de Westminster se sont ouvertes comme d'elles-m?mes, afin que la tombe du po?te v?nt honorer le s?pulcre des rois. Le dirons-nous? Au milieu de ces glorieuses marques de l'affliction g?n?rale, nous avons cherch? quel t?moignage solennel d'enthousiasme Paris, cette capitale de l'Europe, rendait ? l'ombre h?ro?que de Byron, et nous avons vu une marotte qui insultait sa lyre et des tr?teaux qui outrageaient son cercueil!
. Il y a pris racine, il s'y est d?velopp?, et du premier jet a produit un peuple capable de le d?fendre contre les irruptions de l'Asie, contre les revendications hautaines de cette vieille m?re des nations. Mais, si ce peuple a su d?fendre le feu sacr?, il ne saurait le propager. Manquant de m?tropole et d'unit?, divis?e en petites r?publiques qui luttent entre elles, et dans l'int?rieur desquelles se heurtent d?j? toutes les formes de gouvernement, d?mocratie, oligarchie, aristocratie, royaut?, ici ?nerv?e par des arts pr?coces, l? nou?e par des lois ?troites, la soci?t? grecque a plus de beaut? que de puissance, plus d'?l?gance que de grandeur, et la civilisation s'y raffine avant de se fortifier. Aussi Rome se h?te-t-elle d'arracher ? la Gr?ce le flambeau de l'Europe, elle le secoue du haut du Capitole et lui fait jeter des rayons inattendus. Rome, pareille ? l'aigle, son redoutable symbole, ?tend largement ses ailes, d?ploie puissamment ses serres, saisit la foudre et s'envole. Carthage est le soleil du monde, c'est sur Carthage que se fixent ses yeux. Carthage est ma?tresse des oc?ans, ma?tresse des royaumes, ma?tresse des nations. C'est une ville magnifique, pleine de splendeur et d'opulence, toute rayonnante des arts ?tranges de l'orient. C'est une soci?t? compl?te, finie, achev?e, ? laquelle rien ne manque du travail du temps et des hommes. Enfin, la m?tropole d'Afrique est ? l'apog?e de sa civilisation, elle ne peut plus monter, et chaque progr?s d?sormais sera un d?clin. Rome au contraire n'a rien. Elle a bien pris d?j? tout ce qui ?tait ? sa port?e; mais elle a pris pour prendre plut?t que pour s'enrichir. Elle est ? demi sauvage, ? demi barbare. Elle a son ?ducation ensemble et sa fortune ? faire. Tout devant elle, rien derri?re.
Quelque temps les deux peuples existent de front. L'un se repose dans sa splendeur, l'autre grandit dans l'ombre. Mais peu ? peu l'air et la place leur manquent ? tous deux pour se d?velopper. Rome commence ? g?ner Carthage. Il y a longtemps que Carthage importune Rome. Assises sur les deux rives oppos?es de la M?diterran?e, les deux cit?s se regardent en face. Cette mer ne suffit plus pour les s?parer. L'Europe et l'Afrique p?sent l'une sur l'autre. Comme deux nuages surcharg?s d'?lectricit?, elles se c?toient de trop pr?s. Elles vont se m?ler dans la foudre.
Ici est la p?rip?tie de ce grand drame. Quels acteurs sont en pr?sence! deux races, celle-ci de marchands et de marins, celle-l? de laboureurs et de soldats; deux peuples, l'un r?gnant par l'or, l'autre par le fer; deux r?publiques, l'une th?ocratique, l'autre aristocratique; Rome et Carthage; Rome avec son arm?e, Carthage avec sa flotte; Carthage vieille, riche, rus?e, Rome jeune, pauvre et forte; le pass? et l'avenir; l'esprit de d?couverte et l'esprit de conqu?te; le g?nie des voyages et du commerce, le d?mon de la guerre et de l'ambition; l'orient et le midi d'une part, l'occident et le nord de l'autre; enfin, deux mondes, la civilisation d'Afrique et la civilisation d'Europe.
Toutes deux se mesurent des yeux. Leur attitude avant le combat est ?galement formidable. Rome, d?j? ? l'?troit dans ce qu'elle conna?t du monde, ramasse toutes ses forces et tous ses peuples. Carthage, qui tient en laisse l'Espagne, l'Armorique et cette Bretagne que les romains croyaient au fond de l'univers, Carthage a d?j? jet? son ancre d'abordage sur l'Europe.
La bataille ?clate. Rome copie grossi?rement la marine de sa rivale. La guerre s'allume d'abord dans la P?ninsule et dans les ?les. Rome heurte Carthage dans cette Sicile o? d?j? la Gr?ce a rencontr? l'?gypte, dans cette Espagne o? plus tard lutteront encore l'Europe et l'Afrique, l'orient et l'occident, le midi et le septentrion.
C'est l? le plus grand spectacle qui soit dans l'histoire. Ce n'est pas seulement un tr?ne qui tombe, une ville qui s'?croule, un peuple qui meurt. C'est une chose qu'on n'a vue qu'une fois, c'est un astre qui s'?teint; c'est tout un monde qui s'en va; c'est une soci?t? qui en ?touffe une autre.
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