Read Ebook: Histoire de la Révolution française Tome 02 by Thiers Adolphe
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Ebook has 637 lines and 107159 words, and 13 pages
Dumouriez, en arrivant pr?s de Narbonne, forma tout de suite un vaste plan militaire. Il voulait ? la fois la guerre offensive et d?fensive. Partout o? la France s'?tendait jusqu'? ses limites naturelles, le Rhin, les Alpes, les Pyr?n?es et la mer, il voulait qu'on se born?t ? la d?fensive. Mais dans les Pays-Bas, o? notre territoire n'allait pas jusqu'au Rhin, dans la Savoie, o? il n'allait pas jusqu'aux Alpes, il voulait qu'on attaqu?t sur-le-champ, et qu'arriv? aux limites naturelles on repr?t la d?fensive. C'?tait concilier ? la fois nos int?r?ts et les principes; c'?tait profiter d'une guerre qu'on n'avait pas provoqu?e, pour en revenir, en fait de limites, aux v?ritables lois de la nature. Il proposa en outre la formation d'une quatri?me arm?e, destin?e ? occuper le midi, et en demanda le commandement qui lui fut promis.
Dumouriez, par sa conduite aux jacobins, par ses alliances connues avec la Gironde, devait, m?me sans haine contre les feuillans, se brouiller avec eux; d'ailleurs il les d?pla?ait. Aussi fut-il dans une constante opposition avec tous les chefs de ce parti. Bravant du reste les railleries et les d?dains qu'ils dirigeaient contre les jacobins et l'assembl?e, il se d?cida ? poursuivre sa carri?re avec son assurance accoutum?e.
Il fallait compl?ter le cabinet. P?tion, Gensonn? et Brissot ?taient consult?s sur le choix ? faire. On ne pouvait, d'apr?s la loi, prendre les ministres dans l'assembl?e actuelle, ni dans la pr?c?dente; les choix se trouvaient donc extr?mement born?s. Dumouriez proposa, pour la marine, un ancien employ? de ce minist?re, Lacoste, travailleur exp?riment?, patriote opini?tre, qui cependant s'attacha au roi, en fut aim?, et resta aupr?s de lui plus long-temps que tous les autres. On voulait donner le minist?re de la justice ? ce jeune Louvet qui s'?tait r?cemment distingu? aux Jacobins, et qui avait obtenu la faveur de la Gironde depuis qu'il avait si bien soutenu l'opinion de Brissot en faveur de la guerre; l'envieux Robespierre le fit d?noncer aussit?t. Louvet se justifia avec succ?s, mais on ne voulut pas d'un homme dont la popularit? ?tait contest?e, et on fit venir Duranthon, avocat de Bordeaux, homme ?clair?, droit, mais trop faible. Il restait ? donner le minist?re des finances et de l'int?rieur. La Gironde proposa encore Clavi?re, connu par des ?crits estim?s sur les finances. Clavi?re avait beaucoup d'id?es, toute l'opini?tret? de la m?ditation, et une grande ardeur au travail. Le ministre plac? ? l'int?rieur fut Roland, autrefois inspecteur des manufactures, connu par de bons ?crits sur l'industrie et les arts m?caniques. Cet homme, avec des moeurs aust?res, des doctrines inflexibles, et un aspect froid et dur, c?dait, sans sans douter, ? l'ascendant sup?rieur de sa femme. Madame Roland ?tait jeune et belle. Nourrie, au fond de la retraite, d'id?es philosophiques et r?publicaines, elle avait con?u des pens?es sup?rieures ? son sexe, et s'?tait fait, des principes qui r?gnaient alors, une religion s?v?re. Vivant dans une amiti? intime avec son ?poux, elle lui pr?tait sa plume, lui communiquait une partie de sa vivacit?, et soufflait son enthousiasme non-seulement ? son mari, mais ? tous les girondins, qui, passionn?s pour la libert? et la philosophie, adoraient en elle la beaut?, l'esprit et leurs propres opinions.
La cour cherchait ? r?pandre du ridicule sur la simplicit? un peu r?publicaine du nouveau minist?re, et sur la rudesse sauvage de Roland, qui se pr?sentait au ch?teau sans boucles aux souliers. Dumouriez rendait les sarcasmes, et m?lant la gaiet? au travail le plus assidu, plaisait au roi, le charmait par son esprit, et peut-?tre aussi lui convenait mieux que les autres par la flexibilit? de ses opinions. La reine s'apercevant que, de tous ses coll?gues, il ?tait le plus puissant sur l'esprit du monarque, voulut le voir. Il nous a conserv? dans ses m?moires cet entretien singulier qui peint les agitations de cette princesse infortun?e, digne d'un autre r?gne, d'autres amis, et d'un autre sort.
< Ainsi, par une esp?ce de fatalit?, les intentions suppos?es du ch?teau excitaient la d?fiance et la fureur du peuple, et les hurlemens du peuple augmentaient les douleurs et les imprudences du ch?teau. Ainsi le d?sespoir r?gnait au dehors et au dedans. Mais pourquoi, se demande-t-on, une franche explication ne terminait-elle pas tant de maux? Pourquoi le ch?teau ne comprenait-il pas les craintes du peuple? Pourquoi le peuple ne comprenait-il pas les douleurs du ch?teau? Mais pourquoi les hommes sont-ils hommes?... A cette derni?re question, il faut s'arr?ter, se soumettre, se r?signer ? la nature humaine, et poursuivre ces tristes r?cits. < < < < < < < Il faut en convenir, cette guerre cruelle, qui a si long-temps d?chir? l'Europe, n'a pas ?t? provoqu?e par la France, mais par les puissances ?trang?res. La France, en la d?clarant, n'a fait que reconna?tre par un d?cret l'?tat o? on l'avait plac?e. Condorcet fut charg? de faire un expos? des motifs de la nation. L'histoire doit recueillir ce morceau, pr?cieux mod?le de raison et de mesure. La nouvelle de guerre causa une joie g?n?rale. Les patriotes y voyaient la fin des craintes que leur causaient l'?migration et la conduite incertaine du roi; les mod?r?s, effray?s surtout du danger des divisions, esp?raient que le p?ril commun y mettrait fin, et que les champs de bataille absorberaient tous ces hommes turbulens enfant?s par la r?volution. Quelques feuillans seulement, tr?s dispos?s ? trouver des torts ? l'assembl?e, lui reprochaient d'avoir viol? la constitution, d'apr?s laquelle la France ne devait jamais ?tre en ?tat d'agression. Mais il est trop ?vident ici que la France n'attaquait pas. Ainsi, ? part le roi et quelques m?contens, la guerre ?tait le voeu g?n?ral. Notes: Voyez la note 6 ? la fin du volume. S?ance du 10 mars. Voyez la note 7 ? la fin du volume. Voyez la note 8 ? la fin du volume. Voyez la note 9 ? la fin du volume. Fran?ois Ier n'?tait pas encore ?lu empereur. Voyez la note 10 ? l? fin du volume. La nouvelle de la malheureuse issue des combats de Qui?vrain et de Tournay, et du massacre du g?n?ral Dillon, causa une agitation g?n?rale. Il ?tait naturel de supposer que ces deux ?v?nemens avaient ?t? concert?s, ? en juger par leur concours et leur simultan?it?. Tous les partis s'accus?rent. Les jacobins et les patriotes exalt?s soutinrent qu'on avait voulu trahir la cause de la libert?. Dumouriez, n'accusant pas Lafayette, mais suspectant les feuillans, crut qu'on avait voulu faire ?chouer son plan pour le d?populariser. Lafayette se plaignit, mais moins am?rement que son parti, de ce qu'on l'avait averti fort tard de se mettre en marche, et de ce qu'on ne lui avait pas fourni tous les moyens n?cessaires pour arriver. Les feuillans r?pandirent en outre, que Dumouriez avait voulu perdre Rochambeau et Lafayette, en leur tra?ant un plan sans leur donner les moyens de l'ex?cuter. Une intention pareille n'?tait pas supposable, car Dumouriez, en faisant ainsi des plans de campagne, et en s'?cartant ? ce point de son r?le de ministre des relations ext?rieures, s'exposait gravement s'il ne r?ussissait pas. D'ailleurs le projet de donner la Belgique ? la France et ? la libert?, faisait partie d'un plan qu'il m?ditait depuis long-temps: comment supposer qu'il voul?t en faire manquer le succ?s? il ?tait ?vident que ni les g?n?raux, ni les ministres, n'avaient pu mettre ici de la mauvaise volont?, parce qu'ils ?taient tous int?ress?s ? r?ussir. Mais les partis mettent toujours les hommes ? la place des circonstances, afin de pouvoir s'en prendre ? quelqu'un des maux qui leur arrivent. Les journaux commenc?rent l'attaque contre Dumouriez. Les feuillans, qui d?j? ?taient conjur?s contre lui, se virent alors aid?s par les jacobins et les girondins. Dumouriez, attaqu? de toutes parts, tint ferme contre l'orage, et fit s?vir contre quelques journalistes. Depuis long-temps il ?tait partout question d'un comit? autrichien; les patriotes en parlaient ? la ville, comme ? la cour on parlait de la faction d'Orl?ans. On attribuait ? ce comit? une influence secr?te et d?sastreuse, qui s'exer?ait par l'interm?diaire de la reine. Si durant la constituante il avait exist? quelque chose qui ressemblait ? un comit? autrichien, rien de pareil ne se passait sous la l?gislative. Alors un grand personnage plac? dans les Pays-Bas communiquait ? la reine, et au nom de sa famille, des avis assez sages, auxquels l'interm?diaire fran?ais ajoutait encore de la prudence par ses commentaires. Mais sous la l?gislative ces communications particuli?res n'existaient plus; la famille de la reine avait continu? sa correspondance avec elle, mais on ne cessait de lui conseiller la patience et la r?signation. Seulement Bertrand de Molleville et Montmorin se rendaient encore au ch?teau depuis leur sortie du minist?re. C'est sur eux que se dirigeaient tous les soup?ons, et ils ?taient en effet les agens de toutes les commissions secr?tes. Ils furent publiquement accus?s par le journaliste Carra. R?solus de le poursuivre comme calomniateur, ils le somm?rent de produire les pi?ces ? l'appui de sa d?nonciation. Le journaliste se replia sur trois d?put?s, et nomma Chabot, Merlin et Bazire, comme auteurs des renseignemens qu'il avait publi?s. Le juge de paix Larivi?re, qui, se d?vouant ? la cause du roi, poursuivait cette affaire avec beaucoup de courage, eut la hardiesse de lancer un mandat d'amener contre les trois d?put?s d?sign?s. L'assembl?e, offens?e qu'on os?t porter atteinte ? l'inviolabilit? de ses membres, r?pondit au juge de paix par un d?cret d'accusation, et envoya l'infortun? Larivi?re ? Orl?ans. La nouvelle garde constitutionnelle du roi avait ?t? r?cemment form?e. On aurait d?, d'apr?s la loi, composer aussi la maison civile; mais la noblesse n'y voulait pas entrer, pour ne pas reconna?tre la constitution, en occupant les emplois cr??s par elle. On ne voulait pas d'autre part la composer d'hommes nouveaux, et on y renon?a. < A peine la proposition de Servan fut connue, que Dumouriez lui demanda, en plein conseil et avec la plus grande force, ? quel titre il avait fait une proposition pareille. Il r?pondit que c'?tait ? titre d'individu.--< Roland lut donc cette lettre au roi, et lui fit essuyer en plein conseil les plus dures remontrances. Voici cette lettre fameuse: